CA Poitiers, ch. corr., 22 janvier 1998, n° 97-00499
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ministère public, Conseil Départemental des Associations Familiales Laïques, Laureau
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Besset
Avocat général :
Mme Granger
Conseillers :
M. Delpech, Mme Lerner
Avocat :
Me Grimaud.
Faits et procédure :
Il résulte des pièces de la procédure et des débats que le 15 septembre 1992, plusieurs personnes habitant Bergerac qui avaient été démarchées par téléphone puis invitées, par lettre nominative à assister à une " présentation de produits artisanaux du Limousin comme la porcelaine de Limoges " qui leur était " exclusivement réservée " et " sans obligation d'achat ", se rendaient à cette réunion fixée à 17 heures 30, dans une salle de l'hôtel " La Flambée ", à Bergerac. Le responsable de cet établissement, Jean-Louis Bournizel, devait d'ailleurs reconnaître plus tard que les organisateurs de la réunion, à savoir des vendeurs de la SARL " D ", dont Mario B est le gérant, avaient effectué cette location en lui indiquant qu'elle servirait à une " exposition, avec animation, de porcelaine de Limoges ", sans évoquer avec lui d'éventuelle vente. Après qu'aient été distribués à l'assistance des objets de peu de valeur, l'animateur a invité les personnes présentes intéressées par l'achat des pièces de porcelaine exposées à se faire connaître et à lui remettre un chèque de 4 800 F qu'il promettait de leur restituer, pour simple preuve de leur confiance. L'une d'entre elles s'étant exécutée, il lui a aussitôt donné " en cadeau " une ménagère composée de 72 pièces. S'adressant ensuite aux personnes intéressées par l'achat, il a distribué à quatre d'entre elles une enveloppe numérotée en les invitant à y déposer une somme d'argent à titre d'acompte, puis ayant remis à chacune de ces quatre personnes, " en cadeau ", une valise refermant une ménagère de 72 pièces, en insistant sur la gratuité de cette remise. Ayant fait sortir sans ménagement les autres personnes, ne permettant de rester qu'aux quatre gagnants, c'est avec beaucoup d'insistance, aidé en cela par d'autres vendeurs, qu'il leur a demandé un versement d'argent, à valoir sur l'achat du service exposé qui, à l'en croire, était d'une valeur de 12 800 F. N'ayant essuyé que des refus de leur part, il leur a alors arraché des mains la " valise-cadeau ", tout en les insultant.
Il s'est avéré que la société " D " avait eu recours à ce procédé de vente lors de trois autres réunions, organisées les 13 septembre 1992 à Condat-Sur-Vézère (24), le 14 septembre 1992 à Prigonrieux (24) et le 16 septembre 1992 à Trelissac (24), sans que les maires de ces trois communes, comme d'ailleurs celui-ci de Bergerac, les aient autorisés. L'enquête a par ailleurs permis d'établir qu'en cas de vente sur les lieux de la soi-disant exposition, l'acheteur qui dans la majorité des cas versait un acompte de 4 800 F, se voyait remettre un " bon de commande " dépourvu de toute mention sur la faculté de renonciation.
Par un jugement prononcé le 1er février 1994, le Tribunal correctionnel de Bergerac a déclaré M. B coupable d'avoir :
1°) à Bergerac, Condat-Sur-Vézère, Prigonrieux, Trelissac (Dordogne) les 15 septembre 1992, 13 septembre 1992, 14 septembre 1992, 16 septembre 1992, vendu des marchandises neuves sous forme de ventes forcée au déballage, sans autorisation spéciale du Maire,
2°) à Bergerac (24) les 15 septembre 1992, 13 septembre 1992, 14 septembre 1992, 16 septembre 1992, abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit, sous quelque forme que ce soit, à la suite d'une sollicitation personnalisée, sans que cette sollicitation soit nécessairement nominative, à se rendre sur un lieu de vente, soit à l'occasion de réunions ou d'excursions organisées par l'auteur de l'infraction ou à son profit et ce, alors que les circonstances montrent que ces personnes n'étaient pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elles prenaient ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour les convaincre d'y souscrire,
3°) à Bergerac, Condat-Sur-Mézère, Prigonrieux, Trelissac (24), les 15 septembre 1992, 13 septembre 1992, 14 septembre 1992, 16 septembre 1992, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur par l'annonce d'une exposition alors qu'il s'agissait d'une vente,
4°) à Bergerac, Condat-Sur-Mézère, Prigonrieux, Trelissac (24), les 15 septembre 1992, 13 septembre 1992, 14 septembre 1992, 16 septembre 1992, contrevenu aux dispositions de la loi 72-1137 du 22 décembre 1972, sur le démarchage à domicile, à l'organisation de réunions par des commerçants en exigeant ou obtenant des clients avant l'expiration du délai de rétractation, directement ou indirectement, sous quelque forme que ce soit, une contrepartie quelconque ou un engagement,
5°) à Bergerac, le 15 septembre 1992, trompé M. Bournizel, contractant, sur la nature de l'opération de vente envisagée dans ses locaux,
Faits prévus et punis par les articles 1er et suivants de la loi du 30 décembre 1906, Décret d'application 62-1462 du 26 décembre 1962, 7 de la loi 72-1137 du 22 décembre 1972, loi 92-60 du 18 janvier 1992, article 44-I de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973, 1, de la loi du 1er août 1905, loi n° 78-22 du 10 janvier 1978, L. 121-1, L. 121-6, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-25, L. 121-26, L. 121-33-1, L. 122-8 du Code de la consommation.
En répression, le tribunal correctionnel a condamné M. B au paiement d'une amende de 50 000 F, ordonné la publication de la décision par extrait, d'une valeur maximale chacune de 2 000 F, dans les journaux Sud-Ouest, L'Echo de la Dordogne et Le Populaire du Centre.
Le tribunal recevait le CDAFAL et Mme Laureau en leur constitution de partie civile, et condamnait M. B à leur verser respectivement 3 000 F à titre de dommages-intérêts, 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, 1 000 F à titre de dommages-intérêts.
L'arrêt confirmatif prononcé le 11 avril 1995, par la Cour d'appel de Bordeaux, a été cassé le 19 février 1997 par la CHAM criminelle de la cour de cassation qui renvoyait la cause devant la Cour d'appel de Poitiers.
Devant la cour d'appel, M. B a comparu, mais non les parties civiles, bien que régulièrement citées.
M. B a sollicité sa relaxe, par réformation du jugement déféré. Il a conclu à l'irrecevabilité des constitutions de parties civiles du CFADAL et de Mme Laureau.
- Sur la prévention de vente de marchandises neuves sous forme de vente forcée au déballage sans autorisation du maire, il expose ne pas être soumis aux dispositions de la loi du 30 décembre 1906, bénéficiant de celles de l'alinéa de l'article 4 du décret du 26 novembre 1962. Cet alinéa en effet soustrait à la législation de 1906 les ventes au déballage effectuées par des commerçants ambulants, lorsque ces ventes ne présentent pas de caractère exceptionnel, correspondent au commerce figurant sur la patente et son réalisées sur les emplacements où les commerçants exercent habituellement et régulièrement leur activité. Alors que le prévenu satisfait, ainsi que l'a reconnu le tribunal, à toutes les autres conditions, c'est à tort que les juges ont estimé que les salons de réception d'un hôtel, ou une salle des fêtes ne constituaient pas un emplacement où s'exerçaient habituellement le commerce, la pratique s'était répandue d'utiliser de tels locaux pour toutes sortes d'expositions-ventes.
- Sur l'abus de faiblesse et d'ignorance, il expose que le tribunal, pour retenir comme constitué à son encontre ledit délit, s'est à tort appuyé sur l'analyse qu'il faisait des méthodes de vente, jugées coercitives, sans relever la particulière, et préalable vulnérabilité des consommateurs concernés.
- Sur la publicité mensongère et la tromperie, il fait valoir qu'il a été jugé à tort coupable de ne pas avoir informé les consommateurs, et l'hôtelier, de ce qu'il se proposait de procéder à une vente alors que la perspective d'une vente de déduisait à l'évidence des termes " exposition-vente " sans " obligation d'achat " qu'il avait utilisés tant dans les invitations adressées aux clients, que dans la correspondance échangée avec l'hôtelier.
- Sur le non-respect du délai de rétractation, il oppose qu'en application de l'article 8 de la loi du 23 juin 1989, il n'est pas tenu à observer le formalisme institué par la loi du 22 décembre 1972, alors que le titulaire de la carte de commerçant ambulant, il vend une porcelaine de bas de gamme considérée, pour la clientèle ciblée à laquelle il s'adresse comme un produit de consommation courante.
Subsidiairement, il fait plaider qu'aucune des deux parties civiles ne justifie d'un préjudice effectif, résultant directement de l'une ou l'autre des infractions pour lesquelles il est poursuivi.
Il précise avoir cessé l'activité pour laquelle il est poursuivi et fait état d'importantes difficultés économiques.
Mme l'Avocat Général requiert la condamnation de M. B des chefs de vente sans autorisation spéciale, et non-observation du délai de rétractation.
Discussion :
Sur l'action publique :
Sur le délit de vente forcée au déballage sans autorisation du Maire :
Attendu que Mario B a reconnu n'avoir pas sollicité les autorisations des Maires avant de procéder aux ventes au déballage, qu'il a été condamné de ce chef ;
Attendu que l'article 4 du décret du 26 novembre 1962, pris en application de la loi du 30 décembre 1906 sur la vente au déballage définit celle-ci comme la vente, de marchandises neuves, précédée ou accompagnée de publicité, effectuée dans des locaux non habituellement destinés au commerce considéré et présentant un caractère exceptionnel ;
Que l'alinéa 2 de cet article précise que ne tombent pas sous le coup de la loi de 1906 les ventes effectuées par des commerçants ambulants lorsque ces vente,
- ne présentent pas de caractère exceptionnel,
- correspondent au commerce figurant sur la patente,
- et sont réalisées sur les emplacements où les commerçants exercent habituellement et régulièrement leur activité ;
Attendu qu'en l'espèce, si le prévenu établit que lui-même et la SARL qu'il a créée bénéficient du statut de commerçant ambulant, que l'activité objet de la procédure correspond à celle figurant sur la patente, et qu'elle est habituellement exercée par ses salariés, par contre il ne peut soutenir qu'un hôtel ou une salle des fêtes, dont l'objet est l'accueil et la réception, soient des emplacements où les commerçants exercent habituellement et régulièrement leur activité ;
Qu'en conséquence, en procédant à une vente au déballage sans avoir obtenu l'autorisation du Maire de la commun, M. B a commis le délit qui lui est reproché ;
Sur le délit d'abus de faiblesse :
Attendu que le Tribunal correctionnel de Bergerac a estimé constitué ledit délit, en considération des procédés contraignants de vente utilisés ;
Mais attendu que si l'enquête a établi que le scénario élaboré par M. B, pour parvenir à la souscription d'engagements par la clientèle qu'il avait sélectionnée, correspondait aux circonstances décrites par la loi pour qualifier le délit d'abus de faiblesse, ces seules circonstances ne suffisent pas à caractériser le délit en l'absence de tout élément de nature à établir la vulnérabilité particulière de ladite clientèle, dont la cour ne connaît que la situation financière relativement privilégiée, circonstance qui n'est pas de nature à accréditer l'hypothèse d'une particulière vulnérabilité ;
Que dès lors, il convient de relaxer le prévenu de ce chef ;
Sur le délit de publicité mensongère :
Attendu qu'il est reproché à M. B, en adressant à la clientèle qu'il avait sélectionnée des invitations personnalisées à une " présentation de produits artisanaux ", à un " spectacle ", d'avoir diffusé une publicité de nature à induire en erreur, sur les conditions et les procédés de la vente à laquelle il se proposait en effet de procéder ;
Mais attendu que la mention " sans obligation d'achat " portée sur les mêmes invitations informe sans équivoque le consommateur normalement vigilant que l'opération à laquelle il est convié consiste bien en une vente ;
Que ledit délit n'est donc pas constitué, M. B devait être relaxé de ce chef ;
Sur le délit d'inobservation du délai de rétractation pour l'obtention d'un acompte :
Attendu que l'enquête a permis d'établir qu'en infraction aux dispositions des articles 2, 4 et 5 de la loi du 22 décembre 1972, les animateurs de la SARL D percevaient immédiatement un acompte le jour de la souscription du bon de commande ;
Que le Tribunal correctionnel de Bergerac a déclaré le prévenu coupable du délit susvisé ;
Attendu que pour conclure à sa relaxe de ce chef, M. B fait valoir que, commercialisant une porcelaine de " bas de gamme ", constituant assurément un produit de consommation courante pour la clientèle privilégiée à laquelle il s'adresse, il est dispensé, en application de l'article 8 de la même loi, de l'observation de tout délai préalable à la perception d'un acompte ;
Mais attendu que la porcelaine de Limoges n'entre pas, pour un consommateur moyen, dans la catégorie des biens de consommation courante ;
Que dès lors, l'infraction reprochée de ce chef à M. B est constituée ;
Sur le délit de tromperie :
Attendu que le tribunal correctionnel a retenu la culpabilité de M. B de ce chef, pour n'avoir pas informé M. Bournizel, exploitant de l'hôtel, " La Flambée ", de ce qu'il se proposait de procéder, dans les locaux de celui-ci, à des opérations de vente ;
Mais attendu que la mention portée à la correspondance adressée à M. Bournizel de ce qu'" une salle permettant la mise en œuvre d'une animation commerciale avec vente " conviendrait à ses besoins, était de nature à informer son destinataire de ce qu'une vente serait proposée sur les lieux ;
Attendu, en outre, que le non-respect, par le prévenu, de l'affectation des locaux qu'il prenait en location en constituait pas une tromperie sur les qualités substantielles ; qu'il échet de relaxer M. B de ce chef de prévention ;
Attendu, en conséquence, qu'il convient, par réformation du jugement déféré de relaxer M. B des chefs d'abus de faiblesse, publicité mensongère et tromperie, par confirmation de ce même jugement, de le déclarer coupable de vente au déballage sans autorisation administrative et de vente au démarchage sans respect du délai de rétractation avant la perception d'un acompte, de le condamner, en répression, au paiement d'une amende de 20 000 F ;
Attendu qu'en raison de l'ancienneté des faits délictueux, la SARL D ayant depuis lors régularisé ses méthodes, il n'y a lieu d'ordonner la publication du présent arrêt ;
Sur l'action civile :
Attendu que le CFADAL justifie de son intérêt à agir, que le tribunal a fait une juste appréciation de son préjudice, dans des motifs qu'il convient d'adopter ;
Attendu que Mme Danielle Laureau, qui n'a souscrit aucun engagement avec la SARL D, ne justifie pas avoir subi de préjudice direct, consécutif aux délits dont M. B est reconnu coupable, qu'elle sera déclarée irrecevable en sa constitution de partie civile ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par défaut à l'égard du CFADAL et de Mme Laureau, contradictoirement à l'égard de M. B, sur appel en matière correctionnelle, sur renvoi de cassation et en dernier ressort ; Vu l'arrêt de la CHAM criminelle de la cour de cassation en date du 19 février 1997 ; Reçoit les appels, réguliers en la forme ; Sur l'action publique : Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré Mario B coupable des délits d'abus de faiblesse, de publicité mensongère et de tromperie ; Le confirme en ce qu'il a déclaré Mario B coupable de vente au déballage sans autorisation préalable du Maire, de violation des dispositions imposant en cas de vente par démarchage, le respect d'un délai de rétractation avant la perception d'un acompte ; En répression, le condamne à une amende de 20 000 F ; Le tout en application des articles susvisés ; Sur l'action civile : Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré le CFADAL recevable en sa constitution de partie civile et condamné Mario B à lui verser 3 000 F à titre de dommages-intérêts et 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Le réforme sur le surplus ; Déclare Mme Laureau irrecevable en sa constitution de partie civile.