CA Paris, 13e ch. A, 16 novembre 1998, n° 98-01207
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilbaud
Avocat général :
M. Blanc
Conseillers :
Mme Petit, M. Remenieras
Avocat :
Me Perrin
Rappel de la procédure:
La prévention:
W Ian est poursuivi pour avoir à Paris, courant novembre 1996, effectué une publicité comportant des allégations ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'existence d'un bien, la portée des engagements pris par l'annonceur en indiquant "Madame Lucy Tyler a été officiellement désignée pour recevoir son poids en or 18 carats" alors qu'il s'agissait de la reproduction en modèle réduit d'un poids.
Le jugement:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a:
Rejeté l'exception "non bis in idem"
Déclaré W Ian coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,
Faits commis courant novembre 1996, à Paris,
infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L.213-1 Code de la consommation
et, en application de ces articles, l'a condamné à 100 000 F d'amende, l'a dispensé de la mesure de publication du jugement, statuant sur l'action civile, reçu Madame Tyler en sa constitution de partie civile
condamné Ian W à lui payer la somme de 1 000 F à titre de dommages-intérêts,
a dit que cette décision était assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable le condamné,
Les appels:
Appel a été interjeté par:
M. le Procureur de la République, le 24 décembre 1997 contre Monsieur W Ian;
Monsieur W Ian, le 24 décembre 1997, sur les dispositions pénales et civiles contre Madame Tyler Lucy;
Décision:
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels relevés par le prévenu et le Ministère public à l'encontre du jugement précité, auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la prévention;
Par voie de conclusions, in limine litis, Ian W, la société X, Monsieur Michel M liquidateur amiable pris en sa qualité de civilement responsable, demandent à la cour de constater, dire et juger que Ian W et la société X ont déjà fait l'objet de poursuites et de condamnations définitives pour l'opération "poids en or" et qu'en conséquence compte tenu de la règle "non bis in idem" il n'y a pas lieu à poursuites.
Ils font valoir que Ian W, cité devant le Tribunal de grande instance de Grasse à la requête du Parquet pour le délit de publicité trompeuse, commis courant 1996, pour le même message publicitaire, a été relaxé par jugement du 16 mai 1997 devenu définitif;
Ils soutiennent qu'il est de jurisprudence constante que le délit de publicité mensongère de nature à induire en erreur, même s'il se manifeste lors de chaque communication publique d'une telle publicité, constitue une infraction unique qui ne peut être poursuivie et sanctionnée qu'une seule fois, dès lors qu'il s'agit d'allégations identiques contenues dans le même message publicitaire et diffusées simultanément;
Ils précisent qu'à plusieurs reprises la jurisprudence s'est penchée sur des problèmes de ce genre et a considéré qu'il y avait lieu, même s'agissant de citation directe, de faire application de la règle "non bis in idem" (CA Grenoble, chambre des appels correctionnels 09/10/96);
Que pour sa part la Cour d'appel de Rouen, le 20 janvier 1997, a consacré le même principe, cette décision rappelant que les documents, à l'exception du numéro personnel, sont exactement semblables dans les deux dossiers; qu'ils devaient d'ailleurs aboutir au même résultat, le sentiment affirmé par les plaignants d'avoir gagné une maison. Que dans ces conditions, la cour a considéré que les faits, la prévention et la partie poursuivie devant la Cour d'appel de Poitiers et la Cour d'appel de Rouen étaient exactement identiques et qu'il convenait de constater que le principe de l'autorité de la chose jugée mettait obstacle à ce qu'il y ait d'autres poursuites;
Ils rappellent que la Cour d'appel de Paris a antérieurement statué sur le problème de l'application de la règle "non bis in idem" et que l'application de ce principe avait été rejetée uniquement parce que les décisions antérieures n'étaient pas définitives;
Sur l'exception soulevée, monsieur l'Avocat général estime que l'exception "non bis in idem" doit être retenue en l'espèce dans la mesure où le délit de publicité mensongère, même s'il se manifeste lors de chaque communication publique d'une telle publicité, constitue une infraction unique qui ne peut être poursuivie et sanctionnée qu'une seule fois;
Après en avoir délibéré la cour a joint l'incident au fond afin qu'il soit statué par un seul et même arrêt à la fois sur l'exception et sur le fond;
Par voie de conclusions conjointes Ian W, la société X et Monsieur Michel M liquidateur amiable pris en sa qualité de civilement responsable demandent à la cour, sur le fond; d'infirmer la décision entreprise et de prononcer la relaxe de Monsieur Ian W;
Ils font valoir que le document qui a été adressé au consommateur est clair et qu'après les mots "poids en or" figure un astérisque qui renvoie à la phrase suivante: "1 décigramme env., représentant 0,00981 N";
Ils soutiennent que n'importe quel consommateur moyen, qui ne connaît la valeur de l'or, imagine bien que l'on ne va pas, surtout dans la mesure où on ne demande aucune précision sur son poids, lui envoyer la contre-valeur du nombre de kilos qu'il représente en or;
Ils affirment que le consommateur moyen normalement intelligent et attentif était en mesure d'une part de comprendre très exactement ce qui allait effectivement lui adresser l'équivalent de son poids en or;
Monsieur l'Avocat général estime pour sa part que le délit de publicité trompeuse apparaît constitué en ce qui concerne l'opération "poids en or", l'ensemble du message étant volontairement ambigu;
Il observe par ailleurs que les opérations poursuivies pourraient même s'apparenter à de l'escroquerie dans la mesure où l'or est acheté en réalité par le prévenu pour la somme de 11 F alors qu'il est réclamé 39 F aux clients pour "frais d'envoi". Il requiert la cour de confirmer le jugement dont appel;
Madame Lucy Tyler, partie civile, sollicite la confirmation du jugement entrepris et la condamnation du prévenu à lui verser la somme supplémentaire de 1 000 F au titre des frais irrépétibles en cause d'appel;
Sur l'action publique:
Sur les conclusions conjointes de la société X et de M. Jean-Michel M liquidateur amiable pris en sa qualité de civilement responsab1e
Considérant que la cour observe que la société X SA et M. Jean-Michel M interviennent en cause d'appel par voie de conclusions;
Considérant cependant qu'il convient de constater que seul Ian W (et le Ministère public après lui) a relevé appel des dispositions civiles et pénales du jugement déféré;
Considérant en conséquence que la société X SA et M. Jean-Michel M liquidateur amiable pris en sa qualité de civilement responsable n'étant pas appelants, les conclusions déposées en leur nom seront déclarées irrecevables;
Sur l'exception "non bis in idem":
Considérant que vainement Ian W soutient qu'à l'occasion du même message publicitaire il a été poursuivi et relaxé par jugement du Tribunal correctionnel de Grasse du 16 mai 1997 devenu définitif et qu'il ne peut être poursuivi deux fois pour les mêmes faits;
Considérant que la cour observe en effet que si les faits qui lui sont déférés et ceux jugés par le Tribunal de grande instance de Grasse présentent un lien de connexité s'agissant d'une campagne publicitaire unique, il n'en demeure pas moins qu'ils sont distincts dans la mesure où la publicité se présente de manière individualisée, ainsi que parfaitement décrit par les premiers juges dans la décision attaquée;
Considérant que la cour relève, comme le tribunal, que même s'ils sont connexes par rapprochement à une même campagne publicitaire, les faits délictueux sont distincts dès lors que les documents publipostés ne sont pas standardisés, mais individualisés par la citation et la mise en scène de leur destinataire, objet des allégations trompeuses;
Qu'il s'agit dès lors de publicités distinctes pouvant faire l'objet de poursuites séparées;
Considérant que la cour, par ces motifs, et par adoption de ceux du tribunal qu'elle fait siens, rejettera l'exception soulevée;
Sur le fond:
Considérant que la cour ne saurait suivre Ian W en son argumentation;
Considérant en effet que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte et par une juste appréciation des faits et circonstances particulières de la cause exactement rapportés dans la décision attaquée, que les premiers juges ont à juste titre retenu Ian W dans les liens de la prévention;
Considérant qu'il échet de rejeter les conclusions de Ian W de confirmer le jugement dont appel sur la déclaration de culpabilité et également en répression le tribunal ayant fait au prévenu une juste application de la loi pénale;
Considérant que la cour n'estime pas devoir ordonner la publication du présent arrêt;
Sur l'action civile:
Considérant que la cour ne trouve pas motif à modifier l'estimation équitable des premiers juges du préjudice subi par la partie civile et découlant directement des faits tels que visés à la prévention;
Considérant que la cour confirmera le jugement déféré sur les intérêts civils;
Considérant qu'y ajoutant la cour condamnera Ian W à payer à Madame Tyler la somme supplémentaire de 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel;
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges qu'elle adopte expressément, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de Ian W et de Madame Lucy Tyler, Déclare irrecevable les conclusions de la société X et de monsieur Jean-Michel M liquidateur amiable pris en sa qualité de civilement responsable, Vu l'article 459 du Code de procédure pénale, Joint l'incident au fond, Rejette les conclusions de Ian W, Rejette l'exception "non bis in idem", Au fond Rejette les conclusions de Ian W, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Dit n'y avoir lieu à ordonner la publication du présent arrêt, Confirme la décision critiquée sur les intérêts civils, Y ajoutant, condamne Ian W à payer à Madame Tyler la somme supplémentaire de 1 000 F au titre des frais irrépétibles en cause d'appel, Rejette toutes autres conclusions plus amples ou contraires.