Conseil Conc., 26 décembre 2003, n° 03-D-69
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits pour prothésistes dentaires
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Adjemian par M. Jenny, vice-président, Mme Pasturel, M. Nasse, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (Commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 16 février 1995, sous le numéro F 747, par laquelle les sociétés CAP-Centrale du prothésiste dentaire et Dental Center ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la SA Ivoclar Division France, dans le secteur de la distribution de produits pour prothésistes dentaires ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce; Vu les articles 81 et 82 du traité de la Communauté européenne; Vu la décision du Conseil de la concurrence n° 00-D-15 en date du 3 mai 2000; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et la société Ivoclar; Vu les autres pièces du dossier; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe. Le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Ivoclar entendus lors de la séance du 10 décembre 2003 Adopte la décision suivante:
I- Constatations
A. Le secteur concerné
1. Les entreprises
1. La société Ivoclar Division France, ci-après Ivoclar appartient au groupe Ivoclar Vivadent, établi au Liechtenstein. Composé des sociétés Ivoclar AG et Vivadent Ets, ce groupe fabrique des produits et fournitures pour dentistes et prothésistes dentaires qu'il commercialisait, au moment de la saisine du Conseil, par l'intermédiaire de filiales établies dans divers pays. La société Ivoclar vend en France deux familles de produits fabriqués par le groupe Ivoclar-Vivadent, les uns destinés aux laboratoires de prothèses dentaires et les autres, aux dentistes. En 1995, la société Ivoclar réalisait un chiffre d'affaires de 96,5 millions de francs, dont environ 84 % réalisé avec les produits de la gamme Ivoclar.
2. La SARL CAP-La Centrale du prothésiste dentaire, créée en 1988, est un grossiste en produits et fournitures pour laboratoires de prothèses dentaires, spécialisé dans la vente par correspondance. Elle comptait onze salariés en 1997. En 1998, la société a changé de nom et a diversifié ses activités. Elle s'appelle désormais CAP-Vente par correspondance de produits professionnels et, outre les produits dentaires, commercialise des produits de podologie. La société CAP n'a jamais appartenu au réseau des distributeurs agréés pour les produits Ivoclar.
3. La société Dental Center était spécialisée dans l'installation de cabinets dentaires. Elle a été dissoute en 1997.
2. Les produits
4. Les produits concernés par les pratiques dénoncées sont ceux de la gamme "Ivoclar", c'est-à-dire les produits entrant dans la composition des prothèses dentaires ainsi que les matériaux et équipements nécessaires à la réalisation de ces prothèses, à savoir les dents artificielles en porcelaine et en résine, les teintiers correspondants, les appareils nécessaires au travail des résines, les matériaux pour la prise d'empreintes, les appareils pour prothèses totales et les différentes céramiques existantes avec les instruments dentaires correspondant à leur utilisation.
5. Sous la marque Vivadent sont commercialisés les produits de dentisterie conservatrice destinés aux dentistes (amalgames, ciments, accessoires, etc.).
6. En l'absence de production nationale, la plupart de ces produits sont importés. Les sociétés Dentsply Detrey, basée aux Etats-Unis et Vita, basée en Allemagne, sont avec la société Ivoclar, les plus importants fabricants mondiaux de produits pour laboratoires de prothèses dentaires. La société allemande Heraeus Kulzer est également très connue sur ce marché, notamment pour ses résines de base. Les fabricants japonais, comme Shofu, sont surtout présents sur le marché des céramiques et les marques Major (Italie), Ruthinium (Italie) et Myerson, sur le marché des dents artificielles.
3. La distribution
7. Les produits pour prothésistes dentaires ont longtemps été, comme les autres produits dentaires, essentiellement commercialisés par l'intermédiaire de dépôts dentaires. Au moment de la saisine du Conseil de la concurrence, les produits de la marque Ivoclar étaient distribués en France uniquement par l'intermédiaire d'un réseau de 24 dépôts dentaires agréés avec lesquels Ivoclar avait passé un contrat de distribution exclusive, dénommés "dépôts SR".
8. Au cours de ces dernières années, La vente par correspondance s'est beaucoup développée et représenterait aujourd'hui près de 50 % des ventes. Cinq sociétés de vente par correspondance sont spécialisées dans le matériel dentaire: CAP-La Centrale du prothésiste dentaire GEMA, GACD, Promodentaire et Henri Schein France. Les ventes de discounters et les importations parallèles ont également pris de l'importance. La diversification des formes de distribution s'est traduite par une réduction du nombre de dépôts dentaires, passant de plusieurs centaines à une petite centaine aujourd'hui, ainsi que par une compression des marges des distributeurs.
B. Les pratiques relevées: le système de distribution de la société Ivoclar
1. Le contrat type de distribution exempté par la Commission européenne en 1985
9. La société Ivoclar a élaboré un contrat-type de distribution exclusive régissant l'approvisionnement des dépôts SR dans la Communauté. Elle a notifié ce contrat type à la Commission européenne en 1983 et obtenu, par une décision du 27 novembre 1985, une exemption, au titre de l'article 85 paragraphe 3 du traité CE pour une durée de 10 ans du 1er février 1983 au 31 janvier 1993.
10. La Commission a, en effet, considéré que ce système de distribution était "basé sur l'approvisionnement exclusif d'un nombre restreint d'entreprises de distribution professionnellement qualifiées, qui sont désignées sous le nom de dépôts SR ("SR-Depôt") (...) (chaque dépôt SR se voit attribuer un "territoire central", où il doit s'efforcer de vendre le mieux possible les produits Ivoclar. (...)" et "Dans ce territoire central, seul le dépôt SR est autorisé à établir d'autres points de vente (...). Le dépôt SR peut également agir en dehors de son territoire central, mais il ne peut établir de succursales dans le territoire central d'un autre dépôt SR".
11. La sélection des dépôts SR s'effectuait également sur la base de critères de nature qualitative. Il était, notamment, exigé que le personnel du dépôt SR dispose de certaines qualifications et compétences et que le dépôt SR maintienne un stock complet et suffisant de tous les produits Ivoclar pour assurer l'exécution immédiate de toute commande.
12. En outre, les dépôts SR ne pouvaient vendre les produits Ivoclar qu'aux dentistes, mécaniciens-dentistes, laboratoires, universités et établissements relevant des services de la santé publique. Etaient interdits l'approvisionnement des entreprises purement commerciales et des dépôts dentaires non agréés, ainsi que la vente par correspondance.
13. La Commission a considéré que ce système de distribution ne remplissait pas les conditions d'une exemption par catégorie conformément aux règlements n° 67-67-CEE et (CEE) n° 1983-83, notamment au motif qu'il combinait des éléments de distribution exclusive et des critères de sélection, elle a accordé une exemption individuelle, en application de l'article 85, paragraphe 3 (devenu l'article 81-3 du traité CE), estimant que ce contrat contribuait à améliorer sensiblement la distribution des produits Ivoclar et qu'il ne donnait pas la possibilité à Ivoclar d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause.
2. La demande de prorogation de l'exemption de 1992 et la modification du contrat type en 1995
14. La société mère Ivoclar AG a, dès juillet 1992, demandé la prorogation de son exemption qui arrivait à terme le 31 janvier 1993. La Commission a, le 15 septembre 1993, conformément à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, annoncé avoir l'intention de répondre favorablement à la demande de prorogation et invité les tiers concernés a lui adresser leurs observations.
15. La société CAP a répondu à cet avis en adressant à la Commission, le 10 décembre 1993, une lettre dans laquelle elle s'opposait au renouvellement de l'exemption du contrat type de distribution Ivoclar.
16. Une enquête a en conséquence été ouverte par la Commission et les discussions avec la société Ivoclar ont amené celle-ci à notifier, le 29 novembre 1995, un contrat type de distribution modifié; les principales modifications portant sur la suppression de la clause d'exclusivité territoriale, la définition des critères de sélection et la suppression de l'interdiction de vente par correspondance qui ne concernait que les dépôts français. Ce contrat a été introduit en France et en Allemagne en 1999.
3. La mise en œuvre du réseau de distribution en France et la procédure devant le Conseil de la concurrence
17. Dans le cadre de la saisine du Conseil, le 16 février 1995, par les sociétés CAP-Centrale du prothésiste dentaire et Dental Center, deux griefs ont été notifiés à la société Ivoclar, Le 17 septembre 1999, sur le fondement des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenus les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce:
1er grief : " sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour s'être entendue avec ses distributeurs pour interdire la vente par correspondance de ses produits et avoir ainsi exclu une forme de distribution de son réseau de distribution et, donc, restreint la concurrence intramarque entre différentes formes de distribution, et sur le fondement de l'article 8 pour avoir ainsi abusé de la position dominante qu'elle occupe sur le marché des dents artificielles",
2ème grief: "sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour avoir diffusé un catalogue de prix utilisateurs, favorisant ainsi une uniformisation artificielle des marges de ses distributeurs, et sur le fondement de l'article 8 pour avoir ainsi abusé de la position dominante qu'elle occupe sur le marché des dents artificielles."
18. Le Conseil de la concurrence, par une décision n° 00-D-15 du 3 mai 2000, a prononcé un non-lieu à poursuivre la procédure en ce qui concerne la pratique de prix imposés (2ème grief) et a sursis à statuer sur le grief relatif à l'interdiction faite aux distributeurs de vendre par correspondance jusqu'à ce que la Commission européenne ait rendu sa décision sur la demande de renouvellement d'exemption individuelle présentée par la société Ivoclar, le 31 juillet 1992.
4. La procédure contentieuse devant la Commission européenne
19. Parallèlement à la saisine du Conseil, la société CAP a déposé, le 7 juillet 1995, une plainte devant la Commission européenne. Dans une lettre du 23 février 1999 adressée à cette plaignante, la Commission lui décrivait le contrat notifié par la société Ivoclar le 23 novembre 1995 et estimait, notamment, que les marchés concernés par les produits Ivoclar étaient de dimension communautaire et que la position d'Ivoclar AG sur ces marchés n'était pas dominante. Elle précisait qu'en admettant même l'existence d'une telle position, " il ne saurait, d'ailleurs, être question d'un abus d'une telle position, du moment qu'Ivoclar pratique sans discrimination un système de distribution qui est techniquement justifié. Du reste, la Commission ne dispose pas d'indications permettant de conclure, comme vous l'avez affirmé dans votre plainte, qu'Ivoclar contraint les dépôts à respecter certains prix". Elle considérait également que les critères de sélection définis n'excluaient pas à priori la vente par correspondance et que "c'est à vous qu'il revient d'adapter votre distribution aux exigences imposées par Ivoclar". Examinant ensuite les critères de sélection mis en place par la société Ivoclar, la Commission a relevé que plusieurs d'entre eux tombaient sous le coup de l'interdiction énoncée à l'article 85, paragraphe 1 du traité CE, mais qu'a priori, ils étaient nécessaires à l'amélioration de la production et de la distribution des produits concernés, de telle sorte qu'ils ne restreignaient pas la concurrence pour une partie substantielle de ces produits et pouvaient donc bénéficier de l'exemption prévue à l'article 85, paragraphe 3 dudit traité. Elle concluait que les éléments recueillis en l'espèce ne permettaient pas de donner une suite favorable à la demande de CAP mais l'invitait néanmoins à soumettre des commentaires à cette lettre.
20. Une décision formelle de rejet de sa plainte, écartant les objections de CAP et reprenant la même analyse que celle développée dans la lettre du 23 février 1999, a été notifiée à la société CAP, le 14 juin 2001.
5. La lettre de classement, en date du 20 juin 2001, adressée à la société Ivoclar par la Commission européenne
21. En réponse à la demande de renouvellement d'exemption notifiée en 1992, la Commission européenne a, le 20 juin 2001, adressé à la société Ivoclar une lettre administrative de classement, "sans qu'il soit nécessaire d'accorder une déclaration d'exemption en application de l'article 81-3". Elle considère dans cette lettre que la société Ivoclar a "suffisamment prouvé que les conditions pour l'application de l'article 81-3 sont remplies" et que les restrictions résultant de la mise en œuvre de critères de sélection des distributeurs sont justifiées. Elle retient encore que, la société Ivoclar détenant moins de 30 % des marchés de produits concernés, son contrat de distribution relevait du règlement d'exemption par catégorie concernant l'application de l'article 8l-3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées (Règlement (CE) n° 2790-1999 du 22 décembre 1999). La Commission n'a, en revanche, pas examiné la clause interdisant aux dépôts la vente par correspondance, en raison de sa suppression des contrats depuis 1995.
6. Proposition de non-lieu à poursuivre la procédure
22. Par lettre en date du 27 août 2003, le rapporteur général du Conseil de la concurrence a notifié aux parties un rapport de non-lieu à poursuivre la procédure ouverte par la saisine du 16 février 1995.
Il - Discussion
A. Sur la portée et l'autorité des actes de la Commission européenne et leurs conséquences sur la compétence du Conseil
23. Dans son mémoire en réponse, la société Ivoclar soutient que, contrairement à l'analyse développée dans le rapport de non-lieu, la lettre de classement de la Commission du 20 juin 2001 porte non seulement sur le nouveau contrat notifié en novembre 1995 mais aussi sur le contrat dont le renouvellement de l'exemption a été demandé le 31 juillet 1992, ainsi que le prouverait la référence à la date de la demande d'exemption du 31 juillet 1992. Elle fait aussi valoir que les lettres de classement de la Commission, attestant de l'inapplicabilité des règles du traité ou indiquant simplement qu'elle n'interviendra pas et classe l'affaire sans prendre de décision formelle, revêtent une autorité juridique suffisante, équivalente à celle des attestations négatives et des décisions d'exemption. Selon elle, les lettres de classement lient donc les autorités nationales, tant pour l'application du droit communautaire que pour celle du droit national. En conséquence, le Conseil ne pourrait que s'en tenir aux termes de la décision du 20 juin 2001 sans procéder à une nouvelle analyse au fond du grief.
24. Dans ses observations, le ministre considère, en revanche, que "concernant le grief relatif à l'interdiction de vente par correspondance et contrairement au rapporteur, la lettre du 14 juin 2001 ne fait pas obstacle à ce que le Conseil examine les pratiques en cause sur la période du 1er février 1993 au 16 février 1995".
25. La Cour de justice des Communautés européennes a déjà jugé que ne constitue ni une décision d'attestation négative, ni une décision d'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité CE, au sens des articles 2 et 6 du Règlement n° 17-62, une lettre administrative, expédiée sans que les mesures de publicité prévues par ledit règlement aient été effectuées et portant à la connaissance de l'entreprise intéressée l'opinion de la Commission qu'il n'y a pas lieu, pour elle, d'intervenir à l'égard d'accords déterminés et que l'affaire peut, dès lors, être classée (affaire 253-78 du 10 juillet 1980, Procureur de la République et autres contre Bruno X... et Guerlain SA et autres). En l'espèce, la lettre du 20 juin 2001, qui n'a pas été publiée, ne peut être qualifiée que de lettre de classement.
26. Le régime applicable et, notamment la force juridique des lettres de classement délivrées par la Commission, a été précisé par les juridictions communautaires et nationales. La Cour de justice des Communautés européennes a ainsi précisé, dans un arrêt du 11 décembre 1980 (aff. 31-80, NV L'Oréal et SA L'Oréal c/ PVBA "De Nieuwe AMCK), que si elle [la décision de classement] ne lie pas les juridictions nationales, l'opinion communiquée dans une telle lettre constitue néanmoins un élément de fait dont les juridictions nationales peuvent tenir compte dans leur examen de la compatibilité du système en cause avec le droit communautaire". La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu par la 1re chambre - section A, le 16 janvier 1989 (Tecnisom France), a adopté une position conforme à ces principes, en considérant qu'une lettre de classement "ne fait nullement obstacle à ce que la pratique fondée sur la clause litigieuse soit appréciée par le juge national au regard des dispositions du droit interne de la concurrence" et dans un arrêt du 9 décembre 1992 (société Michel Swiss c/ société Montaigne Diffusion), que "si l'avis émis ainsi par la Commission ne lie pas la cour, il constitue néanmoins un élément d'appréciation permettant de présumer la validité de l'accord litigieux au regard du droit communautaire (...). Considérant que par l'effet du principe de primauté du droit communautaire qui vise à écarter toute mesure nationale de nature à compromettre l'effet utile du traité, la cour ne peut déclarer en tout ou en partie nul sur la base du droit français de la concurrence un accord-type estimé, en l'état, conforme aux paragraphes 1 et 3 de l'article 85 du traité".
27. Quant au contrat visé par la lettre de classement du 21 juin 2001, si celle-ci mentionne en effet la demande de prorogation de l'exemption, en date du 31 juillet 1992, l'analyse qu'y développe la Commission porte explicitement sur le nouveau contrat notifié par Ivoclar le 29 novembre 1995, après négociation avec la Commission.
28. Cependant, pour la période antérieure au 31 janvier 1993, la société Ivoclar bénéficiait pour son contrat type de distribution d'une exemption individuelle d'une durée de dix ans, obtenue le 1er février 1983 sur le fondement de l'article 85 paragraphe 3, devenu l'article 81 paragraphe 3, du traité CE. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes (notamment dans l'affaire 14-68 du 13 février 1969, Walt Wilhelm), l'application simultanée du droit national de la concurrence est compatible avec l'application du droit communautaire, pour autant qu'elle ne porte pas atteinte à l'efficacité et à l'uniformité des règles communautaires de la concurrence.
29. Le Conseil relève, en outre, que dans sa décision de rejet de plainte adressée à la société CAP le 14 juin 2001, la Commission, tout en notant que le contrat, qui avait régi les relations de la société Ivoclar et de ses distributeurs entre 1983 et 1999, avait été modifié, n'a pas considéré qu'il y avait lieu de constater une infraction aux articles 81 ou 82 du traité CE, du fait de cet ancien contrat ou de ses modalités de mise en œuvre.
30. Il y a donc lieu, en droit, de se prononcer sur la licéité, au regard des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, de la clause d'interdiction de vente par correspondance, qui figurait dans les contrats de distribution signés entre la société Ivoclar et ses distributeurs, sur le territoire français, pour la période comprise entre le 31 janvier 1993, date avant laquelle le contrat en cause bénéficiait d'une décision d'exemption accordée par la Commission sur le fondement de l'article 81 paragraphe 3 du traité CE, et le 16 février 1995, date de la saisine.
B. Sur le grief relatif à la clause d'interdiction de la vente par correspondance.
Sur la délimitation du marché pertinent, la position de la société Ivoclar sur ces marchés et la licéité de la clause du contrat de distribution d'Ivoclar interdisant la vente par correspondance à ses distributeurs, au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce
31. Dans sa décision n° 00-D-15 du 3 mai 2000, confirmée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 28 novembre 2000, le Conseil de la concurrence a considéré, qu'il existait, dans le secteur de la distribution des produits pour prothésistes dentaires, quatre marchés de produits : un marché des dents artificielles, un marché des produits pour prothèses, un marché des produits de revêtement et un marché des appareils qui servent à confectionner les prothèses. Il a également noté qu'aucun élément spécifique au territoire français ne permettait de développer une analyse différente de celle de la Commission européenne qui a considéré que ces marchés avaient une dimension communautaire.
32. Dans la même décision, le Conseil a fait état des parts de marché relevées par la Commission:
EMPLACEMENT TABLEAU
33. Le Conseil a, en conséquence, constaté dans la décision précitée, que la société Ivoclar n'occupait une position dominante sur aucun des marchés concernés. La Cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 28 novembre 2000, a confirmé cette analyse: "la part détenue par Ivoclar France sur le marché de référence n'est pas de nature à lui conférer un pouvoir de domination sur ce marché". Il n'est donc pas établi que la clause d'interdiction de vente par correspondance, figurant dans l'ancien contrat de distribution de la société Ivoclar, soit prohibée par les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Sur la licéité de la clause du contrat de distribution d'Ivoclar interdisant la vente par correspondance à ses distributeurs, au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce
34. Le règlement de la Commission européenne CE n° 2790-1999, relatif à l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité de Rome à des catégories d'accords verticaux, prévoit une exemption d'application du paragraphe 1 dudit article aux accords de distribution dits "accords verticaux" conclus entre des distributeurs et un fournisseur, notamment lorsque la part du marché pertinent sur lequel le fournisseur vend ses biens ou services ne dépasse pas 30 %. Ce texte constitue un guide d'analyse utile pour l'appréciation, en droit national, des effets sur la concurrence des accords verticaux conclus entre un fournisseur et des distributeurs.
35. L'exemption catégorielle ainsi accordée repose sur la constatation que les contrats de distribution peuvent améliorer l'efficience économique à l'intérieur d'une chaîne de distribution grâce à une meilleure coordination entre les entreprises participantes. La probabilité que de tels gains d'efficience l'emportent sur les éventuels effets anticoncurrentiels des restrictions contenues dans un accord de ce type, dépend du pouvoir de marché des autres entreprises concernées et, dès lors, du degré de concurrence des autres fournisseurs de biens et de services que l'acheteur considère comme interchangeables ou substituables. Le bénéfice de cette exemption est cependant conditionné par l'absence de clauses dites noires (article 4 du Règlement (CE) n° 2790-1999 du 22 décembre 1999) dans le contrat, à savoir, notamment, l'imposition de prix de revente ou la protection territoriale absolue.
36. En l'espèce, ni la clause d'interdiction de vente par correspondance qui figurait dans l'ancien contrat de distribution de la société Ivoclar, ni aucun autre élément de ce contrat ne constituent des clauses dites noires. En conséquence, les produits de la société Ivoclar représentant moins de 30 % des ventes sur les marchés concernés, les restrictions mises en place par ce contrat pour la distribution de ses produits n'ont pas eu d'effet sensible sur la concurrence.
37. Il en résulte qu'il n'est pas établi que la société Ivoclar ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Décision
Article 1 : Il n'est pas établi que la société Ivoclar ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce
Article 2 : Il n'est pas établi que la société Ivoclar ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.