DĂ©cisions

Conseil Conc., 26 dĂ©cembre 2003, n° 03-D-69

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

DĂ©cision

Pratiques mises en Ɠuvre dans le secteur de la distribution de produits pour prothĂ©sistes dentaires

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Adjemian par M. Jenny, vice-président, Mme Pasturel, M. Nasse, vice-présidents.

Le Conseil de la concurrence (Commission permanente),

Vu la lettre enregistrĂ©e le 16 fĂ©vrier 1995, sous le numĂ©ro F 747, par laquelle les sociĂ©tĂ©s CAP-Centrale du prothĂ©siste dentaire et Dental Center ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en Ɠuvre par la SA Ivoclar Division France, dans le secteur de la distribution de produits pour prothĂ©sistes dentaires ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif Ă  la libertĂ© des prix et de la concurrence, le dĂ©cret n° 86-1309 du 29 dĂ©cembre 1986 modifiĂ© et le dĂ©cret n° 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce; Vu les articles 81 et 82 du traitĂ© de la CommunautĂ© europĂ©enne; Vu la dĂ©cision du Conseil de la concurrence n° 00-D-15 en date du 3 mai 2000; Vu les observations prĂ©sentĂ©es par le commissaire du Gouvernement et la sociĂ©tĂ© Ivoclar; Vu les autres piĂšces du dossier; La rapporteure, la rapporteure gĂ©nĂ©rale adjointe. Le commissaire du Gouvernement et les reprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© Ivoclar entendus lors de la sĂ©ance du 10 dĂ©cembre 2003 Adopte la dĂ©cision suivante:

I- Constatations

A. Le secteur concerné

1. Les entreprises

1. La société Ivoclar Division France, ci-aprÚs Ivoclar appartient au groupe Ivoclar Vivadent, établi au Liechtenstein. Composé des sociétés Ivoclar AG et Vivadent Ets, ce groupe fabrique des produits et fournitures pour dentistes et prothésistes dentaires qu'il commercialisait, au moment de la saisine du Conseil, par l'intermédiaire de filiales établies dans divers pays. La société Ivoclar vend en France deux familles de produits fabriqués par le groupe Ivoclar-Vivadent, les uns destinés aux laboratoires de prothÚses dentaires et les autres, aux dentistes. En 1995, la société Ivoclar réalisait un chiffre d'affaires de 96,5 millions de francs, dont environ 84 % réalisé avec les produits de la gamme Ivoclar.

2. La SARL CAP-La Centrale du prothésiste dentaire, créée en 1988, est un grossiste en produits et fournitures pour laboratoires de prothÚses dentaires, spécialisé dans la vente par correspondance. Elle comptait onze salariés en 1997. En 1998, la société a changé de nom et a diversifié ses activités. Elle s'appelle désormais CAP-Vente par correspondance de produits professionnels et, outre les produits dentaires, commercialise des produits de podologie. La société CAP n'a jamais appartenu au réseau des distributeurs agréés pour les produits Ivoclar.

3. La société Dental Center était spécialisée dans l'installation de cabinets dentaires. Elle a été dissoute en 1997.

2. Les produits

4. Les produits concernés par les pratiques dénoncées sont ceux de la gamme "Ivoclar", c'est-à-dire les produits entrant dans la composition des prothÚses dentaires ainsi que les matériaux et équipements nécessaires à la réalisation de ces prothÚses, à savoir les dents artificielles en porcelaine et en résine, les teintiers correspondants, les appareils nécessaires au travail des résines, les matériaux pour la prise d'empreintes, les appareils pour prothÚses totales et les différentes céramiques existantes avec les instruments dentaires correspondant à leur utilisation.

5. Sous la marque Vivadent sont commercialisés les produits de dentisterie conservatrice destinés aux dentistes (amalgames, ciments, accessoires, etc.).

6. En l'absence de production nationale, la plupart de ces produits sont importés. Les sociétés Dentsply Detrey, basée aux Etats-Unis et Vita, basée en Allemagne, sont avec la société Ivoclar, les plus importants fabricants mondiaux de produits pour laboratoires de prothÚses dentaires. La société allemande Heraeus Kulzer est également trÚs connue sur ce marché, notamment pour ses résines de base. Les fabricants japonais, comme Shofu, sont surtout présents sur le marché des céramiques et les marques Major (Italie), Ruthinium (Italie) et Myerson, sur le marché des dents artificielles.

3. La distribution

7. Les produits pour prothésistes dentaires ont longtemps été, comme les autres produits dentaires, essentiellement commercialisés par l'intermédiaire de dépÎts dentaires. Au moment de la saisine du Conseil de la concurrence, les produits de la marque Ivoclar étaient distribués en France uniquement par l'intermédiaire d'un réseau de 24 dépÎts dentaires agréés avec lesquels Ivoclar avait passé un contrat de distribution exclusive, dénommés "dépÎts SR".

8. Au cours de ces derniÚres années, La vente par correspondance s'est beaucoup développée et représenterait aujourd'hui prÚs de 50 % des ventes. Cinq sociétés de vente par correspondance sont spécialisées dans le matériel dentaire: CAP-La Centrale du prothésiste dentaire GEMA, GACD, Promodentaire et Henri Schein France. Les ventes de discounters et les importations parallÚles ont également pris de l'importance. La diversification des formes de distribution s'est traduite par une réduction du nombre de dépÎts dentaires, passant de plusieurs centaines à une petite centaine aujourd'hui, ainsi que par une compression des marges des distributeurs.

B. Les pratiques relevées: le systÚme de distribution de la société Ivoclar

1. Le contrat type de distribution exempté par la Commission européenne en 1985

9. La société Ivoclar a élaboré un contrat-type de distribution exclusive régissant l'approvisionnement des dépÎts SR dans la Communauté. Elle a notifié ce contrat type à la Commission européenne en 1983 et obtenu, par une décision du 27 novembre 1985, une exemption, au titre de l'article 85 paragraphe 3 du traité CE pour une durée de 10 ans du 1er février 1983 au 31 janvier 1993.

10. La Commission a, en effet, considĂ©rĂ© que ce systĂšme de distribution Ă©tait "basĂ© sur l'approvisionnement exclusif d'un nombre restreint d'entreprises de distribution professionnellement qualifiĂ©es, qui sont dĂ©signĂ©es sous le nom de dĂ©pĂŽts SR ("SR-DepĂŽt") (...) (chaque dĂ©pĂŽt SR se voit attribuer un "territoire central", oĂč il doit s'efforcer de vendre le mieux possible les produits Ivoclar. (...)" et "Dans ce territoire central, seul le dĂ©pĂŽt SR est autorisĂ© Ă  Ă©tablir d'autres points de vente (...). Le dĂ©pĂŽt SR peut Ă©galement agir en dehors de son territoire central, mais il ne peut Ă©tablir de succursales dans le territoire central d'un autre dĂ©pĂŽt SR".

11. La sélection des dépÎts SR s'effectuait également sur la base de critÚres de nature qualitative. Il était, notamment, exigé que le personnel du dépÎt SR dispose de certaines qualifications et compétences et que le dépÎt SR maintienne un stock complet et suffisant de tous les produits Ivoclar pour assurer l'exécution immédiate de toute commande.

12. En outre, les dépÎts SR ne pouvaient vendre les produits Ivoclar qu'aux dentistes, mécaniciens-dentistes, laboratoires, universités et établissements relevant des services de la santé publique. Etaient interdits l'approvisionnement des entreprises purement commerciales et des dépÎts dentaires non agréés, ainsi que la vente par correspondance.

13. La Commission a considéré que ce systÚme de distribution ne remplissait pas les conditions d'une exemption par catégorie conformément aux rÚglements n° 67-67-CEE et (CEE) n° 1983-83, notamment au motif qu'il combinait des éléments de distribution exclusive et des critÚres de sélection, elle a accordé une exemption individuelle, en application de l'article 85, paragraphe 3 (devenu l'article 81-3 du traité CE), estimant que ce contrat contribuait à améliorer sensiblement la distribution des produits Ivoclar et qu'il ne donnait pas la possibilité à Ivoclar d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause.

2. La demande de prorogation de l'exemption de 1992 et la modification du contrat type en 1995

14. La société mÚre Ivoclar AG a, dÚs juillet 1992, demandé la prorogation de son exemption qui arrivait à terme le 31 janvier 1993. La Commission a, le 15 septembre 1993, conformément à l'article 19, paragraphe 3, du rÚglement n° 17 du Conseil, annoncé avoir l'intention de répondre favorablement à la demande de prorogation et invité les tiers concernés a lui adresser leurs observations.

15. La société CAP a répondu à cet avis en adressant à la Commission, le 10 décembre 1993, une lettre dans laquelle elle s'opposait au renouvellement de l'exemption du contrat type de distribution Ivoclar.

16. Une enquĂȘte a en consĂ©quence Ă©tĂ© ouverte par la Commission et les discussions avec la sociĂ©tĂ© Ivoclar ont amenĂ© celle-ci Ă  notifier, le 29 novembre 1995, un contrat type de distribution modifiĂ©; les principales modifications portant sur la suppression de la clause d'exclusivitĂ© territoriale, la dĂ©finition des critĂšres de sĂ©lection et la suppression de l'interdiction de vente par correspondance qui ne concernait que les dĂ©pĂŽts français. Ce contrat a Ă©tĂ© introduit en France et en Allemagne en 1999.

3. La mise en Ɠuvre du rĂ©seau de distribution en France et la procĂ©dure devant le Conseil de la concurrence

17. Dans le cadre de la saisine du Conseil, le 16 février 1995, par les sociétés CAP-Centrale du prothésiste dentaire et Dental Center, deux griefs ont été notifiés à la société Ivoclar, Le 17 septembre 1999, sur le fondement des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenus les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce:

1er grief : " sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er dĂ©cembre 1986 pour s'ĂȘtre entendue avec ses distributeurs pour interdire la vente par correspondance de ses produits et avoir ainsi exclu une forme de distribution de son rĂ©seau de distribution et, donc, restreint la concurrence intramarque entre diffĂ©rentes formes de distribution, et sur le fondement de l'article 8 pour avoir ainsi abusĂ© de la position dominante qu'elle occupe sur le marchĂ© des dents artificielles",

2Úme grief: "sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 pour avoir diffusé un catalogue de prix utilisateurs, favorisant ainsi une uniformisation artificielle des marges de ses distributeurs, et sur le fondement de l'article 8 pour avoir ainsi abusé de la position dominante qu'elle occupe sur le marché des dents artificielles."

18. Le Conseil de la concurrence, par une décision n° 00-D-15 du 3 mai 2000, a prononcé un non-lieu à poursuivre la procédure en ce qui concerne la pratique de prix imposés (2Úme grief) et a sursis à statuer sur le grief relatif à l'interdiction faite aux distributeurs de vendre par correspondance jusqu'à ce que la Commission européenne ait rendu sa décision sur la demande de renouvellement d'exemption individuelle présentée par la société Ivoclar, le 31 juillet 1992.

4. La procédure contentieuse devant la Commission européenne

19. ParallĂšlement Ă  la saisine du Conseil, la sociĂ©tĂ© CAP a dĂ©posĂ©, le 7 juillet 1995, une plainte devant la Commission europĂ©enne. Dans une lettre du 23 fĂ©vrier 1999 adressĂ©e Ă  cette plaignante, la Commission lui dĂ©crivait le contrat notifiĂ© par la sociĂ©tĂ© Ivoclar le 23 novembre 1995 et estimait, notamment, que les marchĂ©s concernĂ©s par les produits Ivoclar Ă©taient de dimension communautaire et que la position d'Ivoclar AG sur ces marchĂ©s n'Ă©tait pas dominante. Elle prĂ©cisait qu'en admettant mĂȘme l'existence d'une telle position, " il ne saurait, d'ailleurs, ĂȘtre question d'un abus d'une telle position, du moment qu'Ivoclar pratique sans discrimination un systĂšme de distribution qui est techniquement justifiĂ©. Du reste, la Commission ne dispose pas d'indications permettant de conclure, comme vous l'avez affirmĂ© dans votre plainte, qu'Ivoclar contraint les dĂ©pĂŽts Ă  respecter certains prix". Elle considĂ©rait Ă©galement que les critĂšres de sĂ©lection dĂ©finis n'excluaient pas Ă  priori la vente par correspondance et que "c'est Ă  vous qu'il revient d'adapter votre distribution aux exigences imposĂ©es par Ivoclar". Examinant ensuite les critĂšres de sĂ©lection mis en place par la sociĂ©tĂ© Ivoclar, la Commission a relevĂ© que plusieurs d'entre eux tombaient sous le coup de l'interdiction Ă©noncĂ©e Ă  l'article 85, paragraphe 1 du traitĂ© CE, mais qu'a priori, ils Ă©taient nĂ©cessaires Ă  l'amĂ©lioration de la production et de la distribution des produits concernĂ©s, de telle sorte qu'ils ne restreignaient pas la concurrence pour une partie substantielle de ces produits et pouvaient donc bĂ©nĂ©ficier de l'exemption prĂ©vue Ă  l'article 85, paragraphe 3 dudit traitĂ©. Elle concluait que les Ă©lĂ©ments recueillis en l'espĂšce ne permettaient pas de donner une suite favorable Ă  la demande de CAP mais l'invitait nĂ©anmoins Ă  soumettre des commentaires Ă  cette lettre.

20. Une dĂ©cision formelle de rejet de sa plainte, Ă©cartant les objections de CAP et reprenant la mĂȘme analyse que celle dĂ©veloppĂ©e dans la lettre du 23 fĂ©vrier 1999, a Ă©tĂ© notifiĂ©e Ă  la sociĂ©tĂ© CAP, le 14 juin 2001.

5. La lettre de classement, en date du 20 juin 2001, adressée à la société Ivoclar par la Commission européenne

21. En rĂ©ponse Ă  la demande de renouvellement d'exemption notifiĂ©e en 1992, la Commission europĂ©enne a, le 20 juin 2001, adressĂ© Ă  la sociĂ©tĂ© Ivoclar une lettre administrative de classement, "sans qu'il soit nĂ©cessaire d'accorder une dĂ©claration d'exemption en application de l'article 81-3". Elle considĂšre dans cette lettre que la sociĂ©tĂ© Ivoclar a "suffisamment prouvĂ© que les conditions pour l'application de l'article 81-3 sont remplies" et que les restrictions rĂ©sultant de la mise en Ɠuvre de critĂšres de sĂ©lection des distributeurs sont justifiĂ©es. Elle retient encore que, la sociĂ©tĂ© Ivoclar dĂ©tenant moins de 30 % des marchĂ©s de produits concernĂ©s, son contrat de distribution relevait du rĂšglement d'exemption par catĂ©gorie concernant l'application de l'article 8l-3 du traitĂ© Ă  des catĂ©gories d'accords verticaux et de pratiques concertĂ©es (RĂšglement (CE) n° 2790-1999 du 22 dĂ©cembre 1999). La Commission n'a, en revanche, pas examinĂ© la clause interdisant aux dĂ©pĂŽts la vente par correspondance, en raison de sa suppression des contrats depuis 1995.

6. Proposition de non-lieu à poursuivre la procédure

22. Par lettre en date du 27 août 2003, le rapporteur général du Conseil de la concurrence a notifié aux parties un rapport de non-lieu à poursuivre la procédure ouverte par la saisine du 16 février 1995.

Il - Discussion

A. Sur la portée et l'autorité des actes de la Commission européenne et leurs conséquences sur la compétence du Conseil

23. Dans son mĂ©moire en rĂ©ponse, la sociĂ©tĂ© Ivoclar soutient que, contrairement Ă  l'analyse dĂ©veloppĂ©e dans le rapport de non-lieu, la lettre de classement de la Commission du 20 juin 2001 porte non seulement sur le nouveau contrat notifiĂ© en novembre 1995 mais aussi sur le contrat dont le renouvellement de l'exemption a Ă©tĂ© demandĂ© le 31 juillet 1992, ainsi que le prouverait la rĂ©fĂ©rence Ă  la date de la demande d'exemption du 31 juillet 1992. Elle fait aussi valoir que les lettres de classement de la Commission, attestant de l'inapplicabilitĂ© des rĂšgles du traitĂ© ou indiquant simplement qu'elle n'interviendra pas et classe l'affaire sans prendre de dĂ©cision formelle, revĂȘtent une autoritĂ© juridique suffisante, Ă©quivalente Ă  celle des attestations nĂ©gatives et des dĂ©cisions d'exemption. Selon elle, les lettres de classement lient donc les autoritĂ©s nationales, tant pour l'application du droit communautaire que pour celle du droit national. En consĂ©quence, le Conseil ne pourrait que s'en tenir aux termes de la dĂ©cision du 20 juin 2001 sans procĂ©der Ă  une nouvelle analyse au fond du grief.

24. Dans ses observations, le ministre considÚre, en revanche, que "concernant le grief relatif à l'interdiction de vente par correspondance et contrairement au rapporteur, la lettre du 14 juin 2001 ne fait pas obstacle à ce que le Conseil examine les pratiques en cause sur la période du 1er février 1993 au 16 février 1995".

25. La Cour de justice des CommunautĂ©s europĂ©ennes a dĂ©jĂ  jugĂ© que ne constitue ni une dĂ©cision d'attestation nĂ©gative, ni une dĂ©cision d'application de l'article 81, paragraphe 3, du traitĂ© CE, au sens des articles 2 et 6 du RĂšglement n° 17-62, une lettre administrative, expĂ©diĂ©e sans que les mesures de publicitĂ© prĂ©vues par ledit rĂšglement aient Ă©tĂ© effectuĂ©es et portant Ă  la connaissance de l'entreprise intĂ©ressĂ©e l'opinion de la Commission qu'il n'y a pas lieu, pour elle, d'intervenir Ă  l'Ă©gard d'accords dĂ©terminĂ©s et que l'affaire peut, dĂšs lors, ĂȘtre classĂ©e (affaire 253-78 du 10 juillet 1980, Procureur de la RĂ©publique et autres contre Bruno X... et Guerlain SA et autres). En l'espĂšce, la lettre du 20 juin 2001, qui n'a pas Ă©tĂ© publiĂ©e, ne peut ĂȘtre qualifiĂ©e que de lettre de classement.

26. Le rĂ©gime applicable et, notamment la force juridique des lettres de classement dĂ©livrĂ©es par la Commission, a Ă©tĂ© prĂ©cisĂ© par les juridictions communautaires et nationales. La Cour de justice des CommunautĂ©s europĂ©ennes a ainsi prĂ©cisĂ©, dans un arrĂȘt du 11 dĂ©cembre 1980 (aff. 31-80, NV L'OrĂ©al et SA L'OrĂ©al c/ PVBA "De Nieuwe AMCK), que si elle [la dĂ©cision de classement] ne lie pas les juridictions nationales, l'opinion communiquĂ©e dans une telle lettre constitue nĂ©anmoins un Ă©lĂ©ment de fait dont les juridictions nationales peuvent tenir compte dans leur examen de la compatibilitĂ© du systĂšme en cause avec le droit communautaire". La Cour d'appel de Paris, dans un arrĂȘt rendu par la 1re chambre - section A, le 16 janvier 1989 (Tecnisom France), a adoptĂ© une position conforme Ă  ces principes, en considĂ©rant qu'une lettre de classement "ne fait nullement obstacle Ă  ce que la pratique fondĂ©e sur la clause litigieuse soit apprĂ©ciĂ©e par le juge national au regard des dispositions du droit interne de la concurrence" et dans un arrĂȘt du 9 dĂ©cembre 1992 (sociĂ©tĂ© Michel Swiss c/ sociĂ©tĂ© Montaigne Diffusion), que "si l'avis Ă©mis ainsi par la Commission ne lie pas la cour, il constitue nĂ©anmoins un Ă©lĂ©ment d'apprĂ©ciation permettant de prĂ©sumer la validitĂ© de l'accord litigieux au regard du droit communautaire (...). ConsidĂ©rant que par l'effet du principe de primautĂ© du droit communautaire qui vise Ă  Ă©carter toute mesure nationale de nature Ă  compromettre l'effet utile du traitĂ©, la cour ne peut dĂ©clarer en tout ou en partie nul sur la base du droit français de la concurrence un accord-type estimĂ©, en l'Ă©tat, conforme aux paragraphes 1 et 3 de l'article 85 du traitĂ©".

27. Quant au contrat visé par la lettre de classement du 21 juin 2001, si celle-ci mentionne en effet la demande de prorogation de l'exemption, en date du 31 juillet 1992, l'analyse qu'y développe la Commission porte explicitement sur le nouveau contrat notifié par Ivoclar le 29 novembre 1995, aprÚs négociation avec la Commission.

28. Cependant, pour la période antérieure au 31 janvier 1993, la société Ivoclar bénéficiait pour son contrat type de distribution d'une exemption individuelle d'une durée de dix ans, obtenue le 1er février 1983 sur le fondement de l'article 85 paragraphe 3, devenu l'article 81 paragraphe 3, du traité CE. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes (notamment dans l'affaire 14-68 du 13 février 1969, Walt Wilhelm), l'application simultanée du droit national de la concurrence est compatible avec l'application du droit communautaire, pour autant qu'elle ne porte pas atteinte à l'efficacité et à l'uniformité des rÚgles communautaires de la concurrence.

29. Le Conseil relĂšve, en outre, que dans sa dĂ©cision de rejet de plainte adressĂ©e Ă  la sociĂ©tĂ© CAP le 14 juin 2001, la Commission, tout en notant que le contrat, qui avait rĂ©gi les relations de la sociĂ©tĂ© Ivoclar et de ses distributeurs entre 1983 et 1999, avait Ă©tĂ© modifiĂ©, n'a pas considĂ©rĂ© qu'il y avait lieu de constater une infraction aux articles 81 ou 82 du traitĂ© CE, du fait de cet ancien contrat ou de ses modalitĂ©s de mise en Ɠuvre.

30. Il y a donc lieu, en droit, de se prononcer sur la licéité, au regard des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, de la clause d'interdiction de vente par correspondance, qui figurait dans les contrats de distribution signés entre la société Ivoclar et ses distributeurs, sur le territoire français, pour la période comprise entre le 31 janvier 1993, date avant laquelle le contrat en cause bénéficiait d'une décision d'exemption accordée par la Commission sur le fondement de l'article 81 paragraphe 3 du traité CE, et le 16 février 1995, date de la saisine.

B. Sur le grief relatif Ă  la clause d'interdiction de la vente par correspondance.

Sur la délimitation du marché pertinent, la position de la société Ivoclar sur ces marchés et la licéité de la clause du contrat de distribution d'Ivoclar interdisant la vente par correspondance à ses distributeurs, au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce

31. Dans sa dĂ©cision n° 00-D-15 du 3 mai 2000, confirmĂ©e par la Cour d'appel de Paris dans son arrĂȘt du 28 novembre 2000, le Conseil de la concurrence a considĂ©rĂ©, qu'il existait, dans le secteur de la distribution des produits pour prothĂ©sistes dentaires, quatre marchĂ©s de produits : un marchĂ© des dents artificielles, un marchĂ© des produits pour prothĂšses, un marchĂ© des produits de revĂȘtement et un marchĂ© des appareils qui servent Ă  confectionner les prothĂšses. Il a Ă©galement notĂ© qu'aucun Ă©lĂ©ment spĂ©cifique au territoire français ne permettait de dĂ©velopper une analyse diffĂ©rente de celle de la Commission europĂ©enne qui a considĂ©rĂ© que ces marchĂ©s avaient une dimension communautaire.

32. Dans la mĂȘme dĂ©cision, le Conseil a fait Ă©tat des parts de marchĂ© relevĂ©es par la Commission:

EMPLACEMENT TABLEAU

33. Le Conseil a, en consĂ©quence, constatĂ© dans la dĂ©cision prĂ©citĂ©e, que la sociĂ©tĂ© Ivoclar n'occupait une position dominante sur aucun des marchĂ©s concernĂ©s. La Cour d'appel de Paris, dans son arrĂȘt du 28 novembre 2000, a confirmĂ© cette analyse: "la part dĂ©tenue par Ivoclar France sur le marchĂ© de rĂ©fĂ©rence n'est pas de nature Ă  lui confĂ©rer un pouvoir de domination sur ce marchĂ©". Il n'est donc pas Ă©tabli que la clause d'interdiction de vente par correspondance, figurant dans l'ancien contrat de distribution de la sociĂ©tĂ© Ivoclar, soit prohibĂ©e par les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Sur la licéité de la clause du contrat de distribution d'Ivoclar interdisant la vente par correspondance à ses distributeurs, au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce

34. Le rÚglement de la Commission européenne CE n° 2790-1999, relatif à l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité de Rome à des catégories d'accords verticaux, prévoit une exemption d'application du paragraphe 1 dudit article aux accords de distribution dits "accords verticaux" conclus entre des distributeurs et un fournisseur, notamment lorsque la part du marché pertinent sur lequel le fournisseur vend ses biens ou services ne dépasse pas 30 %. Ce texte constitue un guide d'analyse utile pour l'appréciation, en droit national, des effets sur la concurrence des accords verticaux conclus entre un fournisseur et des distributeurs.

35. L'exemption catégorielle ainsi accordée repose sur la constatation que les contrats de distribution peuvent améliorer l'efficience économique à l'intérieur d'une chaßne de distribution grùce à une meilleure coordination entre les entreprises participantes. La probabilité que de tels gains d'efficience l'emportent sur les éventuels effets anticoncurrentiels des restrictions contenues dans un accord de ce type, dépend du pouvoir de marché des autres entreprises concernées et, dÚs lors, du degré de concurrence des autres fournisseurs de biens et de services que l'acheteur considÚre comme interchangeables ou substituables. Le bénéfice de cette exemption est cependant conditionné par l'absence de clauses dites noires (article 4 du RÚglement (CE) n° 2790-1999 du 22 décembre 1999) dans le contrat, à savoir, notamment, l'imposition de prix de revente ou la protection territoriale absolue.

36. En l'espÚce, ni la clause d'interdiction de vente par correspondance qui figurait dans l'ancien contrat de distribution de la société Ivoclar, ni aucun autre élément de ce contrat ne constituent des clauses dites noires. En conséquence, les produits de la société Ivoclar représentant moins de 30 % des ventes sur les marchés concernés, les restrictions mises en place par ce contrat pour la distribution de ses produits n'ont pas eu d'effet sensible sur la concurrence.

37. Il en résulte qu'il n'est pas établi que la société Ivoclar ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

DĂ©cision

Article 1 : Il n'est pas établi que la société Ivoclar ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce

Article 2 : Il n'est pas établi que la société Ivoclar ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.