CA Rennes, 3e ch., 18 octobre 2001, n° 00-01645
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Union départementale de la consommation du logement et du cadre de vie du Finistère, Union fédérale des consommateurs
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moignard
Avocat général :
M. Avignon
Conseillers :
Mme Jeannesson, M. Lourdelle
Avocats :
Mes Laraize, Coroller-Bequet, Kerneis, Cartron.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le Tribunal correctionnel de Quimper par jugement contradictoire en date du 6 septembre 2000, pour:
publicité mensongère ou de nature à induire en erreur a condamné X Franck à 100 000 F d'amende; a rejeté la demande de dispense au bulletin n° 2 du casier judiciaire; a ordonné la publication aux frais des condamnés dans "60 millions de consommateurs" et "Ouest-France" toutes éditions
publicité mensongère ou de nature à induire en erreur a condamné Y Dominique à 100 000 F d'amende; a ordonné la publication aux frais des condamnés dans "60 millions de consommateurs" et "Ouest-France" toutes éditions;
et, sur l'action civile, a condamné X Franck et Y Dominique à payer à:
- l'Union fédérale des consommateurs de Quimper les sommes de 15 000 F
à titre de dommages-intérêts et de 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale
- l'Union départementale de la consommation, du logement et du cadre de vie du Finistère les sommes de 15 000 F à titre de dommages-intérêts et de 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale
Les appels:
Appel a été interjeté par:
Monsieur X Franck, le 7 septembre 2000, sur les dispositions pénales et civiles, à titre principal
Monsieur Y Dominique, le 7 septembre 2000, sur les dispositions pénales et civiles, à titre incident
M. le Procureur de la République, le 8 septembre 2000, contre X Franck et Y Dominique, à titre incident;
CLCV Union départementale de la consommation, du logement et du cadre de vie et UFC l'Union fédérale des consommateurs, le 12 septembre 2000, à titre incident;
La prévention:
Considérant qu'il est fait grief à Franck X:
- d'avoir à Quimper et sur le territoire national, courant 1995, 1996 et 1997 et depuis temps non prescrit, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur grâce au matériel élaboré pour une loterie annonçant l'attribution d'une cuisine ou d'une salle de bains alors qu'il ne s'agissait que des meubles à l'exclusion de tout électroménager, de robinetterie et d'évier, lavabo, baignoire ou douche, constituant le délit de publicité mensongère
Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1, L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation.
Considérant qu'il est fait grief à Dominique Y:
- d'avoir à Quimper et sur le territoire national, courant 1995, 1996 et 1997 et depuis temps non prescrit, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur grâce au matériel élaboré pour une loterie annonçant l'attribution d'une cuisine ou d'une salle de bains alors qu'il ne s'agissait que des meubles à l'exclusion de tout électroménager, de robinetterie et d'évier, lavabo, baignoire ou douche, constituant le délit de publicité mensongère
Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1, L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation.
En la forme:
Les appels sont réguliers et recevables en la forme;
Au fond:
A la suite d'une plainte reçue à la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Loiret le 29 septembre 1997 de la part de la famille Lachaud demeurant à la Chapelle-Saint-Mesmin, ces services étaient amenés à opérer un contrôle au magasin "Z" à Saran.
Les plaignants indiquaient avoir participé à un jeu-concours et avoir reçu de la part de l'annonceur une communication téléphonique les avisant de ce qu'ils avaient gagné une salle de bains d'une valeur de 5 000 F. Au cours de leur visite au magasin on leur faisait alors savoir que cette salle de bains leur était effectivement acquise pour 1 F à condition d'acheter l'équipement complet, alors que le bulletin de participation mentionnait: "sans obligation d'achat".
Il apparaissait que la société W SA exploitant le magasin était une franchise de la centrale "Z" dont le siège social était à Quimper et dont le président était Dominique Y.
Les fonctionnaires de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes constataient ainsi que différents bons de participation étaient mis à la disposition des clients et indiquaient:
"Grand jeu national Gagnez une salle de bains par mois pour l'ensemble des magasins de France participants. Jeu gratuit par tirage au sort et sans obligation d'achat, règlement en magasin".
L'article 6 du règlement affiché dans le magasin décrivait la salle de bains à gagner. Celle-ci ne comportait pas les sanitaires (baignoire, douche, lavabo, etc.). Seuls les meubles étaient offerts.
La Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes estimait que l'expression "gagnez une salle de bains par mois" était, compte-tenu de la restriction connue ultérieurement, de nature à induire en erreur, dans la mesure où l'avantage proposé était substantiellement amoindri par des restrictions qui n'apparaissaient pas sur le bon de participation et en altéraient la portée. Elle estimait en effet que les sanitaires, essentiels à la fonction d'une salle de bains auraient dû être fournis.
Compte tenu du siège social, la procédure était adressée au parquet de Quimper qui confiait l'enquête au SRPJ.
Il apparaissait que la société "Z" avait eu comme PDG successifs Dominique Y puis Franck X: Dominique Y avait pris la suite de Denis M à compter d'un conseil d'administration daté du 2 juin 1993 et Franck X lui avait succédé à la suite d'un conseil d'administration en date du 31 octobre 1997.
De l'audition de l'huissier censé contrôler la régularité des opérations, il apparaissait que le rôle de celui-ci consistait simplement à contrôler le tirage au sort de l'un des magasins de la chaîne et qu'ensuite le gagnant était désigné par le magasin lui-même suivant des modalités qui lui échappaient totalement.
Après l'ouverture de l'information une série de commissions rogatoires permettait d'entendre dans les différents magasins franchisés les personnes ayant gagné soit une cuisine, soit une salle de bains. La valeur du gain s'étageait suivant les endroits entre 3 000 et environ 16 000 F avec des modalités d'applications différentes. Un certain nombre de clients se déclaraient satisfaits. Une dizaine d'autres s'estimaient non satisfaits et critiquaient l'ambiguïté de cette loterie.
Franck X était mis en examen le 21 avril 1999. Il indiquait qu'il avait été secrétaire général de la SA "Z" depuis 1993 et était devenu effectivement président directeur général depuis le mois de novembre 1997. Il indiquait s'occuper pour l'essentiel des relations avec les franchisés et s'occuper également de l'activité publicitaire du franchiseur avec M. Y
Il contestait que la publicité puisse avoir un caractère mensonger dans la mesure, où selon lui, les bulletins de jeu étaient indissociables du règlement et étaient physiquement présentés dans le même lieu du magasin, le règlement précisant bien pour sa part que seuls les meubles étaient gagnés. Après son audition par la police, il avait d'ailleurs fait changer le libellé des bulletins de jeu. Pour lui "A ou "B" était essentiellement un fabricant ou vendeur de meubles et il n'y avait pas d'ambiguïté au niveau de la clientèle, la désignation, s'il y avait eu des équipements complets, aurait été cuisine équipée ou salle de bains équipée. Il estimait la proportion de ventes de meubles à 70 % contre 30 % du chiffre d'affaires pour les appareils ménagers.
Dominique Y reconnaissait avoir été PDG de la société "Z" de juin 1993 à octobre 1997 et s'occuper spécialement de la gestion des réseaux et fournisseurs, tandis que Franck X s'occupait plus particulièrement de l'administration et de la communication. Il contestait avoir été associé concrètement aux opérations de communication, mais avoir donné son aval seulement pour les grosses opérations de "sponsoring" à la télévision en raison des gros budgets engagés, la publicité courante étant l'affaire de M. X Dans une société V spécialisée dans la publicité commerciale.
Il indiquait qu'à défaut de pouvoir donner le montant du budget publicitaire annuel, il pouvait dire que l'essentiel du financement publicitaire était collecté auprès des franchisés et représentait 2,5 % de leur chiffre d'affaires intégralement réutilisé pour des publicités nationales. Il n'avait par ailleurs pas consenti de délégation de pouvoir à M. X, mais avait essentiellement fait confiance à l'agence publicitaire V assistée de Maître Laraize, le matériel de loterie étant conçu par V et soumis aux franchiseurs par X avec l'aval de Me Laraize auquel obligatoirement tous les projets étaient soumis.
Maître Laraize fournissait pour sa part au nom de X des observations reprenant essentiellement les observations des mis en examen, comme par exemple le fait que la publicité des bulletins de participation était indissociable du règlement en lui-même affiché à proximité dans le magasin et qu'aucune publicité n'avait lieu en dehors de ces magasins, le mobilier à gagner étant par ailleurs exposé. La participation au jeu n'étant par ailleurs pas véritablement provoquée dans le cadre d'un acte publicitaire, beaucoup de participants n'ayant d'ailleurs même pas conscience de jouer, la publicité étant pour lui essentiellement une activité destinée à développer la vente et non pas à proposer, comme en l'espèce, des gains gratuits.
Par ailleurs, M. X n'était pas président directeur général de la société "Z" ne l'étant devenu qu'en novembre 1997.
Il faisait valoir en outre que beaucoup des gagnants étaient satisfaits. Enfin, il n'avait jamais été annoncé que le lot serait une cuisine aménagée ou une salle de bains équipée.
Il mettait en avant son enseigne de cuisiniste.
Les premiers juges, considérant le caractère publicitaire des bons de participation dont le message devait se suffire à lui-même, ont constaté que cette publicité comportait des indications ou présentation de nature à induire en erreur et portant sur la nature et la composition du bien offert.
Ils ont déclaré les prévenus coupables des faits.
Devant la cour, Franck X invoque les dispositions de l'article 121-2 du Code pénal en son premier alinéa et de l'article 3 de la loi du 12 juin 2001 créant un article L. 213-6 du Code de la consommation pour prétendre à une responsabilité pénale exclusive des personnes morales en la matière et à l'impossibilité de le condamner.
Il discute de l'application des dispositions de l'article 121-3 du Code pénal pour s'exonérer de ce délit qu'il qualifie d'imprudence.
A titre subsidiaire il conclut à la licéité de la loterie et au caractère contractuel du bon de participation, déniant à celui-ci le caractère de publicité.
Sur la signification des termes "cuisine" et "salle de bains" il fait observer que pour la plupart des consommateurs il s'agissait des meubles et que c'est la conception usuelle requise par les "3 Suisses" ou "Conforama" dans leurs catalogues, invoquant une note de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du 9 octobre 1987 et faisant observer que 70 % des clients préfèrent acheter leur électroménager à part.
Enfin, il fait valoir que le gain obtenu par le jeu était réel et non illusoire.
Par secondes conclusions déposées à l'audience Franck X argumente qu'il ne peut, en tant que franchiseur, qu'être complice du délit et non auteur principal.
Dominique Y a conclu qu'il n'était pas l'annonceur et qu'il ne pourrait être poursuivi que comme complice, or aucune poursuite n'a été engagée contre les annonceurs.
Par ailleurs, il prétend n'avoir pas été informé du caractère mensonger du message en cause.
Il conclut donc à sa relaxe.
Sur ce
Si la loi du 12 juin 2001 a créé un article L. 213-6 du Code de la consommation permettant de poursuivre et de condamner les personnes morales pour les infractions définies par les articles L. 213-1 à L. 213-4 du même Code, le 3e alinéa de l'article 121-2 du Code pénal dispose que la responsabilité des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits.
Dès lors, à supposer que les dispositions de la loi du 12 juin 2001 aient pu être appliquées à des faits de 1995/1997, elles n'excluaient pas les poursuites contre les décideurs, personnes physiques.
L'opération dont s'agit avait, selon les déclarations mêmes des intéressés un caractère incitatif et permettait de constituer des fichiers de clientèle.
Les prospectus ou bons de participation présentaient un message publicitaire visant à attirer les consommateurs quelque soit la ou les modalités présentées ou offertes.
Le message publicitaire doit se suffire à lui-même à l'exclusion de toute référence à un document extérieur qui préciserait son objet.
En l'espèce, le fait que le règlement de la loterie ait été plus ou moins clairement affiché à proximité des urnes est indifférent d'autant que la plupart des clients indiquent n'avoir jamais lu ledit règlement.
Les bulletins indiquaient "Gagnez une salle de bains" ou "Gagnez une cuisine" et se trouvaient à disposition du public dans les magasins franchisés à l'enseigne "Z": "A ou "B" commercialisant tant des placards et meubles divers que les appareils ménagers et éléments sanitaires.
Le consommateur moyen pouvait légitimement penser que le lot à gagner comprenait une cuisine ou une salle de bains complèted'autant que dans plusieurs magasins (Lens, Mulhouse, Vineuil, ...) les bulletins comportaient la photographie soit d'une cuisine ou apparaissait un four, une hotte aspirante et un plan de cuisson, soit d'une salle de bains avec miroir et lavabo.
Or, en cas de gain, le client se voyait offrir un maigre mobilier composé de quelques placards sur une largeur de moins de 3 mètres pour la cuisine ne permettant même pas de considérer qu'il s'agissait d'une "cuisine non équipée".
Le message publicitaire dont s'agit comportait des indications de nature à induire en erreur le client et portant sur la nature et la composition du bien offert.
La société "Z" dont les responsables étaient Dominique Y de 1995 au 31 octobre 1997 et Franck X après le 31 octobre 1997, a chargé une agence de publicité de créer et confectionner ce message publicitaire.
Franck X, secrétaire général, participait déjà activement à cette activité en 1995 et 1996.
Après conception et élaboration, l'opération était soumise pour approbation avant diffusion vers les magasins franchisés.
Ceux-ci contractuellement ne pouvaient refuser de participer à ladite opération, ainsi les décideurs et les dirigeants successifs de la société "Z" sont co-auteurs de cette publicité au même titre que les annonceurs apparents.
En l'espèce, les dirigeants dont s'agit ont recherché sciemment les limites de ce qui leur paraissait possible et ont joué avec l'aide d'un conseil sur l'ambiguïté des possibilités légales et jurisprudentielles.
Même si l'élément moral du délit ici poursuivi peut être caractérisé par une simple faute d'imprudence ou de négligence par absence de vérification de la sincérité du message, le cas de l'espèce démontre une intention caractérisée de frauder aux intérêts d'une clientèle vulnérable.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont déclaré les prévenus coupables des faits qui leur sont reprochés et le jugement sera confirmé de ce chef.
Les peines prononcées apparaissent adaptées à la gravité des faits, au contexte de leur commission et à la personnalité des intéressés.
Elles seront confirmées ainsi que les publications.
Franck X ne justifie pas de motifs particuliers permettant à la cour de faire droit à sa demande tendant à ce que la condamnation ne figure pas au bulletin n° 2 de son casier judiciaire.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes civiles
Les prévenus ne discutent pas sérieusement du quantum des préjudices.
Les parties civiles, si elles justifient agir dans l'intérêt des consommateurs, n'apportent pas d'élément permettant de modifier l'évaluation de leur préjudice faite par les premiers juges.
Le jugement sera donc confirmé en ses dispositions civiles.
Il serait inéquitable de laisser à ces associations la charge des frais engagés en cause d'appel et il leur sera alloué de ce chef à chacune la somme de 2 000 F.
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de X Franck, Y Dominique, l'Union départementale de la consommation, du logement et du cadre de vie du Finistère et l'Union fédérale des consommateurs, En la forme, Reçoit les appels, Au fond, Confirme le jugement en toutes ses dispositions. Prononce la contrainte par corps à l'égard des deux condamnés, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F (121,96 euros) dont est redevable chacun des condamnés, Le tout par application des articles susvisés, des articles 800-1, 749 et 750 du Code de procédure pénale. Y ajoutant, Condamne solidairement Franck X et Dominique Y à verser à chaque partie civile la somme de 2 000 F (304,90 euros) en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.