CA Limoges, ch. corr., 30 juin 1999, n° 98-00537
LIMOGES
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renon
Substitut général :
M. Palermo-Chevillard
Conseillers :
MM. Vernudachi, Tcherkez
Avocats :
Mes Hervy, Fourtet-Barguillet
Rappel de la procédure:
B Jean Marie Guy est prévenu de:
- organisation de loterie prohibée,
- publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,
- participation à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis,
- établissement ou tenue en un lieu public de jeu de hasard non autorisé dont l'enjeu est en argent,
- colportage ou publicité pour une loterie prohibée,
faits commis du 15 septembre 1995 au 14 avril 1996, à Le Dorat - 87
- organisation de loterie prohibée,
- publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,
- participation à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis,
- établissement ou tenue en un lieu public de jeu de hasard non autorisé dont l'enjeu est en argent,
faits commis du 7 juin 1996 au 3 décembre 1996, à Montamise (86)
B Patrick Philippe Jean-François est prévenu de:
- organisation de loterie prohibée,
- publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,
- participation à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis,
- établissement ou tenue en un lieu public de jeu de hasard non autorisé dont l'enjeu est en argent,
- colportage ou publicité pour une loterie prohibée,
faits commis du 15 septembre 1995 au 14 avril 1996, à Le Dorat - 87
- organisation de loterie prohibée,
- publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,
- participation à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis,
- établissement ou tenue en un lieu public de jeu de hasard non autorisé dont l'enjeu est en argent,
faits commis du 7 juin 1996 au 3 décembre 1996, à Montamise (86)
Me U, mandataire de la SARL X, est prévenu de:
- participation à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis,
- établissement ou tenue en un lieu public de jeu de hasard non autorisé dont l'enjeu est en argent
faits commis du 15 septembre 1995 au 4 avril 1996 à Le Dorat (87) - du 7 juin 1996 au 3 septembre 1996, à Montamise (86)
Sur l'action publique:
Le tribunal a déclaré B Jean Marie Guy, B Patrick Philippe Jean-François et la SARL X coupables des faits qui leurs sont reprochés, en répression les a condamnés:
- B Jean Marie Guy à 12 000 F d'amende,
- B Patrick Philippe Jean-François à 12 000 F d'amende,
- LA SARL X à 8 000 F d'amende,
- ainsi qu'au paiement au paiement d'un droit fixe de procédure d'un montant de 600 F chacun.
Appels:
Appel de cette décision a été interjeté par:
- Monsieur B Jean Marie Guy, le 30 novembre 1998
- Monsieur B Patrick Philippe, le 30 novembre 1998
- Maître U, mandataire de la société X, le 30 novembre 1998
- M. le Procureur de la République, le 1er décembre 1998
LA COUR,
Le 1er septembre 1995, les frères B créaient et immatriculaient au registre du commerce la SARL "X" dont l'objet était la gestion et l'animation de salle polyvalente et le siège social fixé au Dorat, Patrick B en étant nommé gérant; la société louait à la commune moyennant 8 000 F par mois, une salle d'un bâtiment à destination industrielle, dans laquelle étaient organisés, tous les vendredi, samedi, dimanche soir, veilles et jours de fête des jeux de loto animés par les deux frères et leur entourage proche apportant une aide bénévole;
Il était convenu initialement mais sans aucun écrit que les associations locales seraient intéressées à l'opération sous forme de parrainage et percevraient une partie des gains mais il s'est avéré que seules trois associations avaient bénéficié d'une somme totale de 2 000 F;
Chaque réunion rassemblait plusieurs centaines de personnes (150 à 400) qui payaient les cartons 20 F, 50 F les trois et 100 F les huit, les pions étant vendus 10 F les cent;
La société diffusait une importante publicité par voie de presse, de radio et d'affiches apposées sur les pares brise des véhicules dans les départements de la Haute-Vienne, de la Vienne, de la Creuse, de l'Indre et de la Charente; il a pu être établi qu'elle avait dépensé à cette fin une somme de 156 491 F en quatre mois;
Certaines publicités mentionnaient un service de gardiennage de l'aire de stationnement des véhicules et il est même arrivé à la société de proposer un ramassage des joueurs au départ de deux villes limitrophes du département de la Haute-Vienne;
Selon son dirigeant la SARL X réalisait un chiffre hebdomadaire moyen de 35 000 F, ce qui a permis aux deux frères de percevoir, à compter de janvier 1996, chacun, une rémunération mensuelle de 5 000 F;
Le 14 avril 1996, les frères B cessaient leurs activités au Dorat suite à la résiliation du bail les liant à la commune qui avait été informée tant par les services de la sous préfecture de Bellac que par ceux de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du caractère délictueux des activités de la société et alors que la commission de sécurité avait relevé de nombreuses lacunes quant au respect des normes en vigueur;
Dès le lendemain, la société quittait Le Dorat pour s'installer à Montamise (Vienne) dans un ancien magasin de meubles placardé "Grand Loto" et ayant reçu l'agrément de la commission de sécurité locale; elle y poursuivait ses activités d'organisation de jeux de loto malgré l'intervention de la sous direction des courses et jeux de Paris;
Les enquêteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont par ailleurs relevé que différents supports publicitaires indiquaient une valeur vénale des lots de 10 000 F par soirée; or les vérifications opérées sur cinq soirées de novembre et décembre 1995 ont démontré que leur valeur effective se situait entre 7 359 F et 9 019 F;
Lors de la manifestation du 27 janvier 1996 ils ont constaté la mise en vente de sandwichs prétendument au jambon alors qu'il s'agissait d'épaule d'un prix sensiblement inférieur et l'annonce comme gain d'entrecôtes "boeuf limousin" alors qu'aucun document n'indiquait et à fortiori ne garantissait une telle origine;
Les frères B ont prétendu connaître parfaitement la législation en vigueur et ne pas être en infraction dès lors qu'il s'agissait de lotos traditionnels intervenant dans un cercle restreint bien qu'organisés par une société commerciale créée pour se départir d'individus douteux regroupés au sein d'associations à but faussement humanitaire;
Ils ont fait valoir que ces lotos qui se multipliaient surtout dans le sud de la France participaient à l'animation locale;
Ils ont soutenu que la valeur des lots n'excédait pas le plafond légal de 2 500 F et que les lots n'étaient pas constitués de sommes d'argent et ils ont contesté les calculs de l'administration sur la valeur réelle desdits lots;
Ils ont enfin expliqué que les sandwiches étaient composés de jambon-épaule et que l'erreur sur l'origine du boeuf avait été rectifiée oralement au micro lors de la soirée;
Appelants du jugement rendu le 25 novembre 1998 par le Tribunal correctionnel de Limoges dont le dispositif est ci-dessus rapporté Jean-Marie et Patrick B en sollicitent la réformation et demandent à la cour de les relaxer des fins de la poursuite en reprenant pour l'essentiel l'argumentation susvisée et en insistant sur:
- l'inopérance de la nature commerciale de la SARL X, organisatrice des lotos;
- le respect des conditions posées par l'article 6 de la loi du 21 mai 1836;
- l'animation créée par les lotos entre les habitants de localités voisines;
- l'implication de l'autorité publique et particulièrement de la commune du Dorat qui a délivré neuf autorisations provisoires d'occuper le local pour l'organisation de jeux de loto
- l'absence de définition de la notion de cercle restreint;
- l'existence de plus de 1 500 salles de lotos permanents à capacité importante,
- une publicité limitée aux départements limitrophes
Ils reprochent à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes d'avoir calculé la valeur des lots en fonction du prix d'achat sans tenir compte qu'ils avaient, à plusieurs reprises, bénéficié de prix de gros de la part des grandes surfaces;
Ils excipent de leur bonne foi et confirment avoir retiré de cette activité pour l'année 1996, une somme de 114 000 F qui a triplé en trois ans;
Maître U, ès qualités de mandataire de la SARL X sollicite également le bénéfice d'une relaxe en s'associant à l'argumentation développée par les consorts B;
Le Ministère public a requis une aggravation des sanctions prononcées et demandé à la cour d'ordonner l'affichage de sa décision;
Sur quoi,
Sur le délit de loteries prohibées et les infractions connexes:
Attendu que l'article 1er de la loi du 21 mai 1836 prohibe les loteries de toute espèce;
Que l'article 6 de la même loi dont se prévalent les prévenus dispose qu'échappent à cette prohibition les lotos traditionnels lorsqu'ils sont organisés dans un cercle restreint, dans un but social, culturel, scientifique, éducatif, sportif ou d'animation locale et se caractérisent par des mises et des lots de faible valeur;
Qu'il est constant que les notions de cercle restreint et d'animation locale ne sont pas légalement définies même s'il est de tradition que les lotos regroupent des personnes ayant des activités ou des affinités identiques avec pour finalité de procurer aux organisateurs, généralement des associations, une source de financement permettant la pérennité du tissu associatif indispensable à l'animation surtout en milieu rural;
Attendu qu'il résulte du dossier que les lotos organisés par la SARL X et ses deux associés ne constituent pas des lotos traditionnels au sens de l'article 6 susvisé même s'ils respectent la réglementation relative à la nature et à la valeur des lots et à la valeur des mises;
Qu'en effet l'importance des publicités réalisées, leur coût et leur zone de diffusion, la fréquence des jeux et leur systématisation générant une fidélisation de la clientèle et le nombre de participants à chaque manifestation, apprécié en fonction de la densité locale de population mais dépassant de loin les seuls membres des associations annoncées comme servant de support à ces lotos leur enlèvent la dimension restreinte voulue par la loi;
Qu'en outre le but recherché par Messieurs B n'était pas prioritairement la promotion d'une vie locale au travers du financement d'une activité déterminée à l'avance dès lors que les recettes dégagées, dont une part plus que symbolique était rétrocédée à trois associations, étaient destinées exclusivement à la société X et à ses deux seuls associés qui en retiraient leurs moyens d'existence;
Que ce mercantilisme est incompatible avec l'esprit qui préside à l'organisation des lotos traditionnels et doit guider leurs organisateurs;
Que le jugement entrepris sera ainsi confirmé en ce qu'il a retenu la culpabilité de Messieurs B du chef de loteries prohibées;
Attendu qu'il est constant que les lotos constituent des jeux de hasard;
Que dans le cadre de l'organisation de ces lotos prohibés, les prévenus ont nécessairement:
- participé à la tenue d'une maison de jeux où le public était librement admis,
- tenu, dans un lieu ouvert au public, des jeux de hasard non autorisés, dont l'enjeu était l'argent,
- organisé et mis en place une publicité relative à la tenue de lotos,
- colporté, distribué ou facilité l'émission de billets de loterie,
se rendant ainsi coupable des autres chefs de prévention articulés à leur encontre;
Attendu que la SARL X, représentée par Maître U désigné en qualité de mandataire de justice, a été justement retenue dans les liens de la prévention des chefs de participation à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public était librement admis et de tenue, dans un lieu ouvert au public, de jeux de hasard non autorisés dont l'enjeu était l'argent dès lors que ces infractions ont été commises, pour son compte, par ses organes;
Sur la publicité mensongère
Attendu que la prévention ne portant que sur la valeur des lots et leurs qualités substantielles ainsi que sur celles des produits proposés aux joueurs en l'espèce les sandwiches, il n'y a pas lieu, contrairement à ce qu'ont fait les premiers juges sous l'angle d'ailleurs erroné de la tromperie, d'examiner la référence faite à trois associations dans des publicités des 15, 16 et 17 septembre 1995;
Que les premiers juges ont par contre fait une exacte analyse des éléments qui leur étaient soumis et en ont justement déduit pour le surplus la culpabilité de Messieurs B, s'agissant d'un délit comportant un élément intentionnel pouvant résulter d'une simple erreur ou négligence;
Qu'en effet les prévenus ne peuvent utilement contester les calculs effectués par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes sur la valeur réelle des lots inférieure à celle annoncée en arguant avoir bénéficié de prix de gros pratiqués par des grandes surfaces qui sont, par essence, des détaillants pour lesquels une telle pratique est prohibée;
Attendu que le jugement querellé sera en conséquence confirmé sur la culpabilité tant de Messieurs B que de la SARL X;
Que les sanctions prononcées n'assurent pas, compte tenu de l'ensemble des éléments de la cause, une répression suffisante;
Qu'il convient de condamner Messieurs Jean Marie et Patrick B chacun à une amende de 50 000 F et la SARL X à une amende 100 000 F;
Qu'il y a lieu en outre d'ordonner la publication de la présente décision ainsi que la fermeture de l'établissement;
Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Déclare les appels recevables; Confirme le jugement entrepris sur la culpabilité; L'émendant quant à la peine et statuant à nouveau; Condamne Jean Marie et Patrick B chacun à une amende de cinquante mille francs (50 000 F); Condamne la SARL X à une amende de cent mille francs (100 000 F); Ordonne aux frais des condamnés la publication par extraits de la présente décision dans les quotidiens La Montagne et Centre Presse, le coût de ces publications ne devant pas excéder 5 000 F; Ordonne la fermeture définitive de la SARL X; Condamne B Jean Marie Guy, B Patrick Philippe Jean-François, la société X au paiement d'un droit fixe de procédure d'un montant de huit cents francs (800 F) chacun.