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Décisions

CA Chambéry, ch. civ., 22 septembre 1998, n° 9701786

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nouvelle génération (SARL), Multipromotions (SA)

Défendeur :

Comité national contre le tabagisme, Office du tourisme d'Avoriaz

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Uran

Conseillers :

Mme Manoha, M. Cathelin

Avoués :

Mes Delachenal, Dantagnan, SCP Vasseur-Bollonjeon-Arnaud

Avocats :

Mes Fourgoux, Bihl, SCP Pianta.

TGI Thonon-les-Bains, du 23 avr. 1997

23 avril 1997

Par ordonnance en date du 23 avril 1997 le juge des référés du Tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a ordonné la suppression sur tous les guides, prospectus ou dépliants distribués par l'Office du tourisme d'Avoriaz de la mention Peter Stuyvesant Travel dans le délai de 15 jours à compter de la signification de l'ordonnance et ceci sous astreinte de 300 F par infraction constatée passé ce délai et condamné l'Office du tourisme d'Avoriaz, la société Nouvelle génération et la société Multipromotions à payer au Centre national contre le tabagisme la somme de 5 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Nouvelle génération et la société Multipromotions ont interjeté appel de cette ordonnance le 30 mai 1997.

Elles exposent à l'appui de leur appel que la société Multipromotions a une activité de tour opérateur et qu'à ce titre elle a fait paraître par l'intermédiaire de la société Nouvelle génération, dans le guide de l'Office du tourisme d'Avoriaz de l'hiver 1997 une publicité portant la mention Peter Stuyvesant Travel.

Que le Comité national contre le tabagisme a estimé que cette publicité contrevient aux dispositions de la loi du 10 juin 1991 qui dans son article interdit toute publicité indirecte en faveur du tabac.

Les appelantes considèrent que la publicité litigieuse ne rappelle pas un produit du tabac ni par son graphisme ni par sa présentation, l'utilisation de la marque ou un signe distinctif et que la publicité faite en faveur d'une agence de voyage n'a pas pour objet de promouvoir un produit du tabac.

Elles soutiennent que la publicité litigieuse est totalement différente tant dans son graphisme que dans ses couleurs de la présentation des paquets de tabac Peter Stuyvesant et que la marque Peter Stuyvesant Travel est toujours présentée en association avec un produit de l'agence de voyage.

Elles prétendent enfin que la marque Peter Stuyvesant Travel est réelle et indépendante de la marque de tabac; que ses produits sont la conception et l'organisation de voyages et qu'elle ne saurait rappeler la marque de tabac mais uniquement les forfaits de voyage proposés pour la saison de sports d'hiver.

Elles prétendent encore que la société Multipromotions qui n'a aucun lien juridique ou commercial avec les sociétés de tabac et qui commercialise des produits de voyage depuis 1989 doit bénéficier de l'exception accordée par la loi du 10 juin 1991.

Elles concluent en conséquence à l'infirmation de l'ordonnance de référé aux motifs qu'il n'existe pas en référé de preuve du caractère manifestement illicite de la publicité.

La société Nouvelle génération appelée en cause par l'Office du tourisme d'Avoriaz sollicite sa mise hors de cause.

Les deux appelantes demandent enfin la condamnation du Comité national contre le tabagisme à leur verser une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'Office de tourisme d'Avoriaz a conclu qu'il a supprimé de tous ses dépliants la publicité litigieuse; il s'en rapporte à justice sur la contestation des sociétés Multipromotions et Nouvelle génération mais demande l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle l'a condamné au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le Comité national contre le tabagisme a conclu à la confirmation de l'ordonnance et à la condamnation des appelants à lui verser une indemnité supplémentaire de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il expose que Peter Stuyvesant est le nom d'une marque de cigarettes mondialement connue distribuée par le Groupe Rothmans qui multiplie les publicités indirectes en faveur du tabac; que la publicité litigieuse ne manque pas de rappeler la marque de cigarettes et entre dans le champ de la loi du 10 juin 1991.

Il soutient que la société Multipromotions ne peut bénéficier de l'exception de l'article 325-26 al. 2 du Code de la santé qui vise les produits et non les services existant avant le 1er août 1993.

Il conclut enfin qu'il était bien fondé à saisir le juge des référés car la publicité indirecte cause un trouble manifestement illicite en faveur du tabac.

Motifs de la décision:

Aux termes de l'article L. 355-25 du Code de la santé publique issu de la rédaction de la loi du 10 juin 1991, communément appelée loi Evin: "toute propagande ou publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac ... est interdite".

Aux termes de l'article L. 355-26 du même Code "est considérée comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit autre que le tabac ou le produit du tabac lorsque par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif elle rappelle le tabac ou un produit du tabac".

En l'espèce la publicité litigieuse consiste en l'usage de la marque Peter Stuyvesant Travel apposée sur des guides touristiques, des prospectus et des dépliants.

Au regard des dispositions légales précitées, sachant que la marque Peter Stuyvesant est celle de cigarettes mondialement connue, il suffit de constater que le seul emploi de cette dénomination rappelle un produit du tabac sans qu'il soit besoin de s'attacher au graphisme ou aux couleurs utilisées dans la publicité,ceux-ci n'étant qu'un élément parmi ceux énumérés à l'article L. 355-26.

Il est encore évident que la société Multipromotions ne promeut pas directement du tabac par l'usage de la marque Peter Stuyvesant Travel; cependant la circonstance selon laquelle la promotion sert une activité réelle sans lien avec le tabac n'est d'aucune incidence sur le fait que l'usage d'une marque qui rappelle le tabac interdit de l'utiliser pour quelque activité que ce soit à des fins publicitaires.

Enfin, la société Multipromotions ne justifie pas devant le juge des référés remplir les conditions lui permettant de bénéficier des dispositions de l'article L. 355-26 al. 2 du Code de la santé publique.

La publicité indirecte résultant de l'usage de la marque Peter Stuyvesant Travel cause un trouble manifestement illicite: c'est à bon droit que le premier juge a ordonné la suppression de cette mention, sous astreinte, dans les guides, dépliants et prospectus distribués par l'Office du tourisme d'Avoriaz: cette mesure est conforme à la réglementation de la publicité sur le tabac sans que la société Multipromotions puisse lui opposer son intérêt personnel.

L'ordonnance du 23 avril 1997 sera confirmée.

C'est à juste titre que le juge des référés a maintenu en la cause la société Nouvelle génération qui a traité avec l'Office du tourisme en qualité de mandataire de la société Multipromotions et a condamné solidairement les trois défendeurs au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les circonstances de la cause justifient la condamnation de la société Multipromotions à payer au Comité national contre le tabagisme une indemnité supplémentaire de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare l'appel recevable en la forme, Au fond, Confirme l'ordonnance du juge des référés du Tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains en date du 23 avril 1997 dans toutes ses dispositions, Condamne la société Multipromotions à payer au Comité national contre le tabagisme la somme de cinq mille francs (5 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel, Condamne la société Multipromotions aux entiers dépens qui seront recouvrés directement par l'avoué qui en fera la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.