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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 5 décembre 2001, n° 00-07485

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gérôme Coiffure (SA)

Défendeur :

Harnois, Lelièvre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

Mme Nivelle, M. Poumarede

Avoués :

SCP Chaudet & Brebion, SCP d'Aboville, de Moncuit & Le Callonnec, SCP Guillou & Renaudin

Avocats :

Mes Douet, Abegg, Oger.

T. com. Saint-Malo, du 17 oct. 2000

17 octobre 2000

Exposé des faits - procédure - objet du recours:

La SA Gérôme Coiffure est titulaire des droits afférents au réseau de franchise des salons de coiffure "Jean-Louis David";

Suivant contrat en date du 6 janvier 1997 Jacques Harnois est devenu franchisé du réseau Jean-Louis David pour un salon de coiffure sis 1, rue Ville pépin à Saint-Malo;

le 28 décembre 1998 Jacques Harnois signait un compromis de vente de son fonds de commerce avec Patrick Lelièvre;

Celui-ci ayant demandé et obtenu l'agrément du franchiseur, la vente a été définitivement conclue suivant acte authentique signé le 9 février 1999 devant Maître Goutron, notaire à Saint-Malo.

Par lettre en date du 23 février 1999 Patrick Lelièvre informait Gérôme Coiffure de son intention de sortir du réseau Jean-Louis David.

Aucun accord n'ayant été trouvé entre les parties la SA Gérôme Coiffure a fait assigner Patrick Lelièvre et son vendeur Jacques Harnois devant le tribunal de commerce de Saint-Malo qui, par jugement en date du 17 octobre 2000, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et condamnée à payer, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, 15 000 F à Patrick Lelièvre et 5 000 F à Jacques Harnois

La même décision ordonnait sous astreinte la restitution par Patrick Lelièvre à la SA Gérôme Coiffure de tous les éléments matériels liés à l'enseigne de Jean-Louis David ;

La SA Gérôme Coiffure a interjeté appel de cette décision ;

Elle demande à la cour, réformant la décision entreprise, de dire et juger qu'en refusant de poursuivre l'exécution du contrat de franchise, Patrick Lelièvre a engagé sa responsabilité civile à l'égard du franchiseur ;

De le condamner en conséquence au paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts ainsi qu'à la restitution sous astreinte de tous les éléments caractéristiques de marque et du réseau;

Elle demande en outre la condamnation de Patrick Lelièvre à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Appelant incident, Patrick Lelièvre conclut pour l'essentiel à la confirmation de la décision attaquée ;

Subsidiairement il demande à la cour d'annuler sur le fondement des articles 1108 à 1110 du Code civil la cession du contrat de franchise que Jacques Harnois prétend avoir effectuée à son profit et de réformer le jugement en ce qu'il l'a condamné à restituer sous astreinte à la SA Gérôme Coiffure tous les éléments matériels à l'enseigne de Jean-Louis David faute par elle de justifier de la propriété de ce qu'elle revendique;

Très subsidiairement de constater l'inexactitude des mentions obligatoires de cession du fonds de commerce telles que prévues par l'article 12 de la loi du 29 juin 1935 ;

De dire en conséquence que Jacques Harnois est tenu de la garantie dans les conditions édictées par les article 1644 et 1645 du Code civil, de prononcer la résolution judiciaire de la vente du fonds de commerce et d'ordonner la restitution du prix ;

De condamner solidairement Patrick Lelièvre et la SA Gérôme Coiffure à lui payer 80 000 F à titre de dommages et intérêts outre 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Jacques Harnois, intervenant à titre d'appelant en garantie, conclut à titre principal à la confirmation de la décision attaquée ;

Il demande que Patrick Lelièvre soit condamné à lui verser 20 000 F à titre de dommages et intérêts pour manquement aux obligations contractuelles, 20 000 F pour procédure abusive et 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Subsidiairement de débouter Jacques Harnois et la SA Gérôme Coiffure de toutes leurs demandes dirigées contre lui ;

Moyens proposés par les parties:

Considérant qu'au soutien de son recours la SA Gérôme Coiffure, qui ne formule en appel aucune demande à l'encontre de Jacques Harnois reproche essentiellement à Patrick Lelièvre d'avoir rompu avant terme le contrat de franchise qui lui avait été cédé avec le fonds de commerce et fait valoir les conditions mêmes du contrat de franchise qui prévoient l'agrément du franchiseur pour toute cession de fonds de commerce du franchisé;

Elle fait observer que Patrick Lelièvre a expressément réclamé et obtenu l'agrément du franchiseur préalablement à l'achat du fonds de commerce ;

Que les stipulations tant de la promesse de vente que du contrat définitif de vente du fonds de commerce confirment que le contrat de franchise a été cédé à Patrick Lelièvre ;

Que les dispositions de la loi Doubin n'ont pas à s'appliquer en l'espèce, s'agissant non pas d'un nouveau contrat mais de la simple continuation d'un contrat existant ;

Qu'en tout état de cause Patrick Lelièvre a été parfaitement informé des termes du contrat de franchise par le vendeur du fonds, étant observé que le franchiseur est un tiers par rapport à cette vente;

Considérant enfin que la SA Gérôme Coiffure fait valoir que la rupture anticipée du contrat de franchise oblige le franchisé au paiement d'indemnité et à la restitution des kits ;

Considérant que Patrick Lelièvre, affirme au contraire qu'à aucun moment il n'a été fait état du contrat de franchise, pas plus dans la promesse de vente que dans le contrat de vente lui-même; que d'ailleurs la cession d'un tel contrat à un tiers est prohibée par le contrat lui-même;

Qu'il n'a d'ailleurs jamais eu communication de ce contrat de franchise passé entre Jacques Harnois et la SA Gérôme Coiffure ;

Que, faisant sienne l'argumentation du tribunal de commerce de Saint-Malo, il fait observer que contrairement aux obligations légales qui lui sont faites (loi Doubin) ce n'est que le 7 avril 1999 que la SA Gérôme Coiffure lui a adressé le document d'information précontractuelle que le 7 avril 1999 ;

Considérant que subsidiairement il invoque des manœuvres dolosives ayant vicié son consentement conduisant à la nullité du transfert du contrat de franchise voir à la nullité de la vente du fonds de commerce avec restitution du prix ;

Considérant que Jacques Harnois, qui fait observer que Patrick Lelièvre a acheté son fonds de commerce franchisé en toute connaissance de cause, reprend pour l'essentiel l'argumentation développée par l'appelante, y ajoutant qu'en tant que vendeur du fonds il n'est pas concerné par les dispositions de la loi Doubin;

Que par ailleurs il a fourni à son acheteur, professionnel averti tous les renseignements nécessaires relatifs au chiffre d'affaires, la demande en nullité de la vente apparaissant autant irrecevable que mal fondée ;

Considérant que, formant appel incident, il estime qu'en ne respectant pas les termes du contrat de vente Patrick Lelièvre a agit de façon déloyale ce qui justifie sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Considérant enfin qu'il demande qu'il soit pris acte de ce qu'il a délivré assignation en garantie à l'encontre du rédacteur de l'acte Maître Gautron;

Considérant que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions déposées ;

Motifs de l'arrêt:

Considérant en effet qu'il appartient à celui qui invoque le dol d'en rapporter la preuve et de démontrer qu'en l'absence de ces manœuvres il n'aurait pas contracté ;

Considérant en l'espèce que Patrick Lelièvre ne rapporte pas cette preuve ;

Que la décision attaquée sera réformée sur ce point ;

Sur la continuation du contrat de franchise:

Considérant que Patrick Lelièvre et Jacques Harnois, tous deux professionnels de la coiffure, ont signé le 28 décembre 1998 un compromis de vente d'un fonds de commerce de coiffure mixte à l'enseigne franchisée Jean-Louis David situé à Saint-Malo, secteur de Saint-Servant ;

Qu'il était bien précisé dans ce compromis que l'acquéreur avait l'obligation de demander l'agrément du franchiseur préalablement à son entrée dans les lieux ;

Qu'en annexe au compromis il était mentionné en des termes dépourvus de toute ambiguïté:

"Il est précisé que l'acquéreur entend prendre la suite et adhérer à la franchise Jean-Louis David";

Il a d'ailleurs rencontré Monsieur Patrick Morin, directeur de l'expansion de la franchise J. L. David le 9 décembre dernier afin de connaître les conditions d'adhésion";

Que le 29 décembre, Patrick Lelièvre écrivait à l'intention de Monsieur Patrice Morin, Jean-Louis David, Gérôme Coiffure SA une lettre sollicitant son agrément en tant que franchisé du réseau en précisant : "J'ai déjà été informé par Monsieur Morin des modalités d'accès à votre franchise";

Que par courrier du 4 janvier 1999 Gérôme Coiffure a confirmé à Patrick Lelièvre son agrément;

Considérant que l'acte authentique de vente a été signé le 9 février 1999 ; qu'il y est expressément stipulé, là encore sans aucune ambiguïté : "Le cessionnaire reconnaît être informé tant des droits que des obligations résultant pour lui du contrat de franchise Jean-Louis David" ;

Que, dès la signature de l'acte de vente Patrick Lelièvre a bénéficié de la formation Jean-Louis David destinée aux nouveaux franchisés; qu'il a passé commande de produits; que, le 17 février, le franchiseur a visité le salon de coiffure et dressé un "cheik list visite" sans que Patrick Lelièvre n'émette aucune réserve ;

Considérant cependant que le 23 février Patrick Lelièvre informait la SA Gérôme Coiffure de son intention de ne pas poursuivre le contrat de franchise, les techniques professionnelles de Jean-Louis David ne lui convenant pas ;

Considérant que l'on ne saurait contester que la commune intention des parties au moment de la signature de l'acte était que Patrick Lelièvre poursuive le contrat de franchise passé le 6 janvier 1997 entre la SA Gérôme Coiffure et Jacques Harnois, étant ici observé que ce dernier, qui n'était pas propriétaire de l'enseigne Jean-Louis David, ne pouvait la céder et que les dispositions mêmes du contrat de franchise interdisaient toute cession du contrat ;

Mais considérant qu'un contrat de franchise doit être passé par écrit etqu'aucune convention n'a en réalité été formalisée entre Patrick Lelièvre et la SA Gérôme Coiffure, qui n'est pas intervenue à l'acte de vente ;

Qu'il est indifférent en l'espèce que le franchiseur n'ait pas respecté les obligations d'information de la loi du 31 décembre 1989, dite Loi Doubin, dans la mesure où le contrat ne s'est pas formé en dépit des engagements de Patrick Lelièvre envers Jacques Harnois;

Considérant qu'une obligation de faire qui n'est pas respectée se résout en dommages et intérêts, mais que la SA Gérôme Coiffure n'apparaît pas fondée à réclamer à Patrick Lelièvre réparation pour l'inexécution d'un contrat qui n'a jamais existé entre eux;

Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer, mais par substitution de motifs, la décision déférée ;

Considérant en outre que c'est à bon droit que le tribunal a ordonné sous astreinte à Patrick Lelièvre la restitution à la SA Gérôme Coiffure de tous les éléments caractéristiques de la marques Jean-Louis David;

Sur les demande de Jacques Harnois:

Considérant que le tribunal de commerce de Saint-Malo n'a pas répondu aux demandes de Jacques Harnois;

Considérant qu'il est incontestable qu'en se dérobant à la promesse qu'il avait faite à son vendeur, Jacques Harnois devant notaire de reprendre en particulier le contrat de franchise, Patrick Lelièvre a causé à ce dernier un préjudice certain en tentant de dénaturer les termes de son engagement ;

Qu'un tel comportement qui a eu pour conséquence d'obliger Jacques Harnois à se défendre devant le tribunal de commerce, puis devant la cour d'appel, justifie que Patrick Lelièvre soit condamné à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts, tous préjudices confondus;

Considérant qu'il serait également inéquitable de laisser à la charge de Jacques Harnois l'intégralité des frais irrépétibles engagés à l'occasion de la procédure; qu'il convient de condamner Patrick Lelièvre à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant en revanche qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la SA Gérôme Coiffure et de Patrick Lelièvre l'intégralité des frais irrépétibles qu'ils ont dû engager à l'occasion de la procédure d'appel; qu'ils seront déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant que, succombant en son recours, la SA Gérôme Coiffure supportera les entiers dépens;

Par ces motifs, et ceux non contraires ayant déterminé les premiers juges, qu'elle adopte, LA COUR Confirme la décision déférée, Y additant, Condamne Patrick Lelièvre à payer à Jacques Harnois la somme de 20 000 F (soit 3 048,98 euros) à titre de dommages et intérêts ; Condamne Patrick Lelièvre à payer à Jacques Harnois la somme de 10 000 F (soit 1 524,49 euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires ; Condamne la SA Gérôme Coiffure aux dépens de première instance et d'appel.