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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 25 novembre 2003, n° ECOC0400062X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Préfall (SAS), Normandie Béton (Sté), Préfa 26 (Sté), Socarel (Sté), L' industrielle du Béton (Sté), MSA (Sté), Le Béton Mécanique (Sté), OPL (Sté), Lafarge Béton Préfa (Sté), Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mmes Kamara, Pezard

Conseiller :

M. Maunand

Avoués :

SCP Narrat-Peytavi, SCP Villars & Associés, Me Baufume

Avocats :

Mes Brunois, Charpentier, Apery, Laviron, Baudel, Tauvel, Lejeune, Ifac Selari.

CA Paris n° ECOC0400062X

25 novembre 2003

Saisi par lettre enregistrée le 8 janvier 1999 du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie de pratiques mises en œuvre dans le secteur des escaliers Préfabriqués en béton, le Conseil de la Concurrence a, par décision n° 03-D-12 du 3 mars 2003, dit que les sociétés Normandie béton, L'industrielle du béton, Préfall, le béton mécanique, Morin système architectonique, Préfa 26, Socarel, Produits béton du Maine, Préfabrication O-P Lafarge, Lafarge béton Préfa et Comptoir du bâtiment avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, a infligé des sanctions pécuniaires à neuf d'entre elles, à savoir 200 000 euros à la société Normandie béton, 200 000 euros à la société Préfall, 115 000 euros à la société Le béton mécanique, 500 000 euros à la société L'industrielle du béton, 400 000 euros à la société Socarel, 75 000 euros à la société Préfa 26, 675 000 euros à la société Morin système architectonique, 12 400 euros à la société Préfabrication O-P Lafarge et 10 000 euros à la société Lafarge béton Préfa, a dit que dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision les sociétés Normandie béton, L'industrielle du béton, Préfall, Le béton mécanique, Morin système architectonique, Préfa 26, Socarel, Préfabrication O-P Lafarge, Lafarge béton Préfa et Comptoir du bâtiment feraient publier la partie II de la décision et son dispositif, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires, dans une édition de l'hebdomadaire Le moniteur des travaux publics et du bâtiment, ladite publication étant précédée de la mention "décision n° 03-D-12 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques relevées dans le secteur des escaliers préfabriqués en béton", et a ordonné la transmission du dossier au Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Versailles en application de l'article L. 462-6 du Code de commerce.

Vu les recours en annulation, ou subsidiairement en réformation, formés à l'encontre de cette décision le 25 mars 2003 par la société Préfall, le 1er avril 2003 par la société L'industrielle du béton et le 4 avril 2003 par les sociétés Lafarge béton Préfa, Préfabrication O-P Lafarge et Morin système architectonique,

Vu les recours, contenant l'exposé des moyens, en annulation, ou subsidiairement en réformation, formés le 4 avril 2003 à l'encontre de cette décision par les sociétés Socarel, Préfa 26 et Normandie béton,

Vu le recours, contenant l'exposé des moyens, en annulation, ou subsidiairement en réformation, formé à l'encontre de cette décision le 4 avril 2003 par la société Le béton mécanique qui demande, très subsidiairement à la cour, de dire qu'il n'y a pas lieu de lui infliger la moindre sanction pécuniaire ni de transmettre le dossier au Procureur de la République,

Vu les moyens déposés le 28 avril 2003 par lesquels la société L'industrielle du béton demande à la cour d'annuler et subsidiairement de réformer la décision entreprise et, à titre infiniment subsidiaire, de réduire la sanction pécuniaire qui lui a été infligée et de ne pas ordonner la transmission du dossier au Procureur de la République,

Vu les moyens déposés le 2 mai 2003 par lesquels la société Morin système architectonique demande à la cour d'annuler et subsidiairement de réformer la décision entreprise, plus subsidiairement de constater que le Conseil de la Concurrence a prononcé deux amendes pour la même entente alléguée dont le montant, au surplus, ne se réfère pas à sa situation personnelle et de dire qu'il n'y a pas lieu de lui infliger la moindre sanction pécuniaire, ni de transmettre le dossier au Procureur de la République ou d'ordonner la publication de la décision ou de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris.

Vu les moyens déposés le 5 mai 2003 par lesquels la société Préfall demande à la cour d'annuler, subsidiairement, de réformer la décision entreprise et, à titre infiniment subsidiaire, de réduire la sanction pécuniaire qui lui a été infligée,

Vu les observations en date du 7 juillet 2003 par lesquelles le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie demande à la cour de rejeter les recours et de confirmer la décision entreprise,

Vu les observations écrites déposées le 8 juillet 2003 par le Conseil de la Concurrence,

Vu les mémoires en réplique des sociétés Socarel, Normandie béton, Préfa 26, Préfall, L'industrielle du béton et Morin système architectonique,

Vu la lettre du conseil des sociétés Préfabrication O-P Lafarge et Lafarge béton Préfa informant la cour que ces dernières ne poursuivaient plus leur recours,

Oui les observations du Ministère public à l'audience tendant au rejet des recours,

Les requérantes ayant eu la parole en dernier,

Sur ce,

Sur le désistement du recours formé par les sociétés Préfabrication O-P Lafarge et Lafarge béton Préfa

Considérant que les sociétés Préfabrication O-P Lafarge et Lafarge béton Préfa se sont désistées de leurs recours ;

Qu'il leur en sera donné acte;

Sur la procédure

Sur la prescription

Considérant qu'en vertu de l'article L. 462-7 du Code de commerce, le Conseil de la Concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction;

Considérant que les sociétés requérantes contestent tout caractère interruptif de prescription au procès-verbal de déclaration et de remise de documents dressé le 6 avril 1995 par lequel les services de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont recueilli la déposition faite spontanément par M. Hommel, ancien Président directeur général de la société Sodremat, qui dénonçait les pratiques existant dans le secteur des escaliers préfabriqués en béton; qu'elles soutiennent, pour la plupart d'entre elles, que le premier acte interruptif de prescription est constitué par la demande d'enquête formulée le 14 août 1997 par le ministre chargé de l'Economie au Directeur général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes;

Mais considérant que le recueil de déclarations et de documents, formalisé par un procès-verbal, constitue un acte tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction des faits et interrompt valablement la prescription triennale ; qu'en recueillant par procès-verbal les déclarations de M. Hommel, les fonctionnaires de la Direction de la Concurrence ont, en effet, manifesté leur intention d'y donner une suite en procédant à une enquête sur les faits dénoncés ; qu'il importe peu, à cet égard, que les déclarations aient été faites spontanément et non à la demande des services d'enquête ou que la personne entendue ait demandé à conserver l'anonymat alors qu'en l'espèce, M. Hommel a indiqué son nom et sa qualité dans le procès-verbal qu'il a également signé; que les raisons qui ont pu conduire M. Hommel à dénoncer les pratiques existant dans le secteur des escaliers préfabriqués sont également indifférentes; qu'est également sans incidence le fait que les services de la direction de la concurrence n'aient pas diligenté immédiatement une enquête à la suite des révélations de M. Hommel dans la mesure où il est constant qu'ils allaient procéder à leurs investigations avant l'expiration d'un délai de trois ans après avoir recueilli les premières déclarations de M. Hommel ; que le fait que ce procès-verbal n'ait pas été produit à l'appui de la demande d'autorisation judiciaire pour la réalisation d'opérations de visites et de saisies, formulée auprès du Président du Tribunal de grande instance d'Evry, et que l'administration n'ait produit que les procès-verbaux des 17 mars et 21 mai 1997 par lesquels M. Hommel a réitéré les déclarations qu'il avait faites le 6 avril 1995 est inopérant quant au caractère interruptif de prescription de l'acte en cause ; que la société Préfall ne peut valablement soutenir que le comportement de l'administration serait constitutif d'agissements déloyaux dans le cadre de l'enquête conduite sur les agissements dénoncés alors que, si l'article L. 450-4 du Code de commerce impose à l' administration de joindre à sa demande d'autorisation tous les éléments d'information en sa possession de nature à justifier la visite, il ne lui fait pas obligation de produire tous les éléments recueillis au jour de la demande ; qu'il se déduit de ces dispositions qu'il appartient à l'administration d'apprécier les documents qu'elle estime devoir produire au juge à l'appui d'une demande d'autorisation de visites et de saisies, au risque de voir rejeter cette dernière si les documents ne sont pas jugés suffisamment probants par le juge ; que la société Préfall ne peut pas davantage soutenir que l'administration se serait " pré-constitué " une preuve alors qu'il n'est pas contestable que M. Hommel a bien été entendu par les enquêteurs de la Direction de la Concurrence le 6 avril 1995 et qu'il a remis à ces derniers divers documents qui allaient être exploités dans le cadre des investigations effectuées par la suite; qu'enfin, la société Le béton mécanique ne peut dénier aux procès-verbaux d'audition de M. Hommel des 17 mars et 21 mai 1997 tout caractère interruptif de prescription alors que, tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction des faits, ils constituent des actes d'enquête au sens de l'article L. 450-3 du Code de commerce et interrompent valablement la prescription triennale ;

Qu'il convient, en conséquence, de rejeter les moyens tirés de l'acquisition de cette prescription ;

Sur le déroulement de l'enquête administrative

Considérant que les sociétés Normandie béton, Préfa 26 et Socarel font valoir que les enquêteurs de la Direction de la Concurrence ont outrepassé leur pouvoir en soumettant leur dirigeant à un véritable interrogatoire dont ils auraient dissimulé la réalité en ne consignant pas sur les procès-verbaux les questions posées ;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 450-3 du Code de commerce, les enquêteurs de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes peuvent recueillir, sur convocation ou sur place, les renseignements et justifications auprès des personnes qu'ils entendent;

Qu'il ne ressort, cependant, pas des pièces de la procédure que les enquêteurs auraient procédé à un interrogatoire des personnes dont ils ont recueilli les dépositions et qu'ils les auraient notamment forcées à témoigner contre elles-mêmes ou à s'avouer coupables alors que la preuve des agissements dénoncés ne peut résulter des seules affirmations des sociétés requérantes qu'en outre, aucune disposition légale ou réglementaire n'exige la transcription des questions dans les procès-verbaux d'audition et que la preuve d'une atteinte au principe de loyauté de l'enquête ne peut résulter de cette seule absence de transcription ;

Que ce moyen ne peut, dès lors, prospérer;

Sur l'instruction du dossier devant le Conseil de la Concurrence

Considérant que les sociétés Normandie béton, Préfa 26 et Socarel font grief au Conseil de la Concurrence de ne pas leur avoir permis de bénéficier d'un délai suffisant pour présenter des observations après la notification des griefs, de ne pas s'être vu accorder le délai supplémentaire d'un mois qu'elles avaient sollicité et de ne pas avoir reçu en temps utile la copie des pièces qu'elles avaient demandées;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 463-2 du Code de commerce, les parties disposent d'un délai de deux mois pour présenter des observations sur la notification des griefs, puis d'un nouveau délai de deux mois après la notification du rapport et, lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient le président du Conseil de la Concurrence peut leur accorder un délai supplémentaire d'un mois pour la consultation du dossier et la production de leurs observations ;

Qu'en l'espèce, les requérantes ne démontrent pas que le refus du président du Conseil de la Concurrence de leur octroyer le délai supplémentaire qu'elles avaient demandé ne leur aurait pas permis de réunir les éléments au soutien de leur défense alors qu'elles ont bénéficié du délai de deux mois pour présenter des observations après la notification des griefs et qu'elles ont déposé un mémoire en réponse dans le délai de deux mois de la notification du rapport ; qu'il ressort, par ailleurs, des énonciations non contestées de la décision entreprise que, le 25 septembre 2001, le conseil des requérantes s'est présenté au Conseil de la Concurrence pour consulter le dossier et qu'au cours de cette consultation, il a obtenu la communication de cent quatre-vingt-douze copies de documents; qu'il a, ensuite, demandé par télécopie, le 18 octobre 2001, la communication de nombreux autres documents qui lui ont été transmis par courrier du 25 octobre 2001 ; qu'eu égard à la date à laquelle la demande complémentaire de copies a été adressée au Conseil de la Concurrence, les sociétés requérantes ne peuvent faire grief à ce dernier d'avoir tardé à communiquer des documents qu'elles avaient réclamés peu de jours auparavant et qu'elles n'avaient pas estimé devoir obtenir en copie le 25 septembre 2001 qu'enfin, les sociétés requérantes ne contredisent pas utilement le Conseil de la Concurrence quand il retient dans sa décision que les pratiques concertées relevées ne présentaient aucune complexité et qu'aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait l'octroi d'un délai supplémentaire pour consulter le dossier;

Que le moyen tiré de la prétendue brièveté du délai dont ont disposé les sociétés requérantes pour faire connaître leurs observations ne peut prospérer;

Sur le respect du principe du contradictoire

Considérant que plusieurs sociétés requérantes soutiennent qu'en refusant d'assurer la contradiction des débats et, notamment, en s'abstenant de confronter M. Hommel ou M. Perrin aux personnes qu'ils accusaient, le Conseil de la Concurrence a violé le principe du contradictoire et les a privées d'un procès équitable;

Considérant, cependant, que l'audition de témoins est une faculté laissée à l'appréciation du Conseil de la Concurrence eu égard au contenu du dossier;qu'en l'espèce, le Conseil a passé outre aux demandes d'audition qui lui avaient été présentées en relevant, notamment, que les déclarations de M. Hommel, réitérées à deux années d'écart, étaient extrêmement claires et circonstanciées,qu'elles ne constituaient qu'un indice parmi d'autres etqu'elles avaient été confortées par de nombreuses pièces saisies dans les entreprises ;qu'en procédant ainsi, le Conseil de la Concurrence n'a fait qu'user des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 462-6 du Code de commerce sans encourir le grief du moyen alors, de surcroît, que les déclarations incriminées et les pièces saisies au cours de l'enquête ont pu faire l'objet d'un débat contradictoire tant devant lui que devant la cour d'appel saisie des recours contre sa décision;

Que le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire sera rejeté;

Sur les observations du Conseil de la Concurrence

Considérant que les sociétés Normandie béton, Préfa 26 et Socarel font valoir que les observations transmises par le Conseil de la Concurrence à la cour d'appel en application de l'article 9 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 ne leur assurent pas un procès équitable au sens de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dès lors que, d'une part, le Conseil en mettant en avant seulement certains des motifs ou des éléments qui l'ont déterminé peut apporter un éclairage ou une interprétation inconnus des entreprises concernées et que, d'autre part, ces observations sont de nature à exercer une influence sur l'appréciation que la cour d'appel peut avoir des faits et sont susceptibles de fausser le débat puisque le juge statuera en considération de motifs différents de ceux énoncés dans sa décision;

Mais considérant que le Conseil de la Concurrence n'a pas développé, dans les observations écrites qu'il a présentées le 8 juillet 2003 devant la cour en application de l'article 9 du décret du 19 octobre 1987, d'éléments qui ne figuraient pas dans la décision déférée et que les sociétés requérantes ne peuvent valablement soutenir qu'elles auraient été, du fait de ces observations, privées de l'effectivité de leur recours ;

Que ce moyen ne peut, en conséquence, prospérer :

Sur les preuves admises par le Conseil de la Concurrence

Considérant que la société Morin système architectonique soutient que la décision entreprise ne respecterait pas les règles de procédure applicables et aurait méconnu les droits de la défense dans la mesure où, d'une part, la décision, en ce qui concerne l'administration de la preuve, affirmerait des faits sans aucune preuve ou renverserait la charge de la preuve et où, d'autre part, la requérante n'aurait pas eu droit à un procès équitable dès lors que la décision trouverait son fondement dans la seule attestation mensongère d'un tiers dont elle n'a eu connaissance que par la notification des griefs sans qu'elle pût lui apporter la contradiction en raison de son caractère général ; que la société Préfall conteste également la validité du procès-verbal d'audition de M. Hommel du 21 mai 1997 au motif que ses déclarations ne seraient pas fiables, qu'elles ne relateraient pas des faits qu'il aurait vécus lui-même et qu'elles seraient dictées par un souci de vengeance;

Que les sociétés requérantes ne peuvent, cependant, valablement soutenir que la procédure aurait été viciée par le fait que le Conseil de la Concurrence aurait retenu à leur encontre des éléments de preuve dont elles contestent la pertinence alors qu'elles sont à même, dans le cadre d'une procédure contradictoire, de contester les éléments sur lesquels est fondée la décision entreprise;

Que ce moyen sera rejeté

Sur l'imputabilité des faits à la société L'industrielle du béton

Considérant que la société L'industrielle du béton fait valoir que la société Partek Morin, créée en 1973 et détenue à 99 % par la société de droit finlandais Partek concrète, exerçait deux types d'activité sur trois sites distincts, à savoir la fabrication d'éléments de structure industrielle, de plancher et d'ossature réalisée par l'usine de Boran-sur-Oise (60) et la fabrication d'éléments d'architectonique et d'escaliers effectuée par les usines de Montereau (77) et de Gilly-sur-Loire (71); que, par contrat d'apport partiel d'actifs du 25 mars 1996, à effet au 1er janvier 1996, la société Partek Morin a apporté à la société Morin système architectonique, constituée à cette fin le 16 décembre 1995, la branche complète d'activité de fabrication d'éléments d'architectonique et d'escaliers exploitée sur les sites de Montereau et de Gilly-sur-Loire; que, le 16 septembre 1996, la société Partek concrète a cédé à la société de droit beige Libra NV la société Partek Morin qui a changé de dénomination sociale pour devenir L'industrielle du béton ; que cette dernière a fait l'objet, le 3 juillet 1997, d'une procédure de redressement judiciaire, puis, le 18 février 1999, d'un plan de redressement par continuation ; que la société L'industrielle du béton soutient, d'une part, que les éléments matériels et humains ayant concouru à l'infraction sont ceux de Montereau et de Gilly-sur-Loire alors que le site de Boran-sur-Oise n'a jamais été visé dans la procédure et, d'autre part, que c'est la société Morin système architectonique qui a continué à exploiter les moyens matériels et humains ayant concouru à l'infraction; qu'elle demande, par voie de conséquence, que l'entente alléguée ne lui soit pas imputée et que sa responsabilité soit entièrement dégagée;

Mais considérant que l'entreprise dont les moyens humains et matériels ont concouru à la mise en œuvre d'une pratique prohibée par les dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce encourt les sanctions prévues à l'article L. 464-2 du même Code tant qu'elle conserve une personnalité juridique, indépendamment de la cession desdits moyens humains et matériels ;que la société L'industrielle du béton, anciennement dénommée Partek Morin avant la cession de cette dernière à la société Libra NV, doit, en conséquence, assumer la responsabilité des pratiques dénoncées pour la période antérieure à la cession partielle de ses actifs à la société Morin système architectonique;

Que le moyen de la société L'industrielle du béton ne peut donc être accueilli;

Sur le fond

Sur le marché pertinent

Considérant que les sociétés Préfall et Le béton mécanique soutiennent que la définition du marché pertinent faite par le Conseil est erronée au motif qu'il est indispensable, selon elles, d'opérer une distinction au sein du marché des escaliers préfabriqués entre les différentes catégories d'escaliers ;

Mais considérant que les pratiques examinées concernent l'ensemble des escaliers préfabriqués quand bien même la société Préfall, compte tenu de sa petite taille, serait obligée de ne fabriquer que des escaliers droits et de sous-traiter la fourniture d'escaliers hélicoïdaux à ses concurrents ; qu'il n'y a pas lieu, en conséquence, de distinguer les différents types d'escaliers pour permettre de délimiter le marché économique de référence affecté par ces pratiques ; que le Conseil de la Concurrence a, à juste titre, rejeté les arguments tirés d'une délimitation insuffisamment précise du marché pertinent ; qu'il convient, dès lors, de confirmer la décision du Conseil;

Sur l'existence des pratiques et la participation des requérantes à celles-ci

Considérant que les requérantes soutiennent qu'aucun élément probant ne permet d'établir la concentration prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Que, néanmoins, d'une part, l'existence d'une concertation entre les sociétés Normandie béton, Préfall, Partek Morin et Le béton mécanique, au sein d'un "club escaliers" pour la région parisienne, se trouve attestée, pour les années 1993/1995:

- par les déclarations faites par M. Hommel, ancien président directeur général de la société Sodremat, le 6 avril 1995 auprès des enquêteurs de la DNEC, et réitérées dans les mêmes termes le 21 mai 1997,

- par plusieurs notes internes saisies dans le bureau du président directeur général de la société Préfall, ainsi que par les mentions de rendez-vous ou réunions figurant sur ses anciens agendas,

- par des tarifs identiques saisis dans les locaux de plusieurs des sociétés,

- par les déclarations recueillies auprès de certains clients des entreprises en cause ;

Que, d'autre part, la persistance de cette concertation en 1998, au sein d'un club escaliers pour la région Centre, entre la société Morin système architectonique, à qui avait été transféré en 1996 l'ensemble de l'activité de fabrication d'escaliers préfabriqués de la société Partek Morin, la société Préfa 26, appartenant au groupe Normandie béton, et la société Socarel, rachetée début 1998 par Normandie béton, est établie par les déclarations recueillies par le rapporteur du Conseil auprès de M. Perrin, ancien salarié de la société Socarel, et par les documents remis par lui ;

Considérant que, contrairement à ce que tentent de faire admettre plusieurs sociétés requérantes, les déclarations de MM. Hommel et Perrin ne sont pas de vagues dénonciations anonymes mais des déclarations précises, confortées par des preuves documentaires recueillies au cours de l'enquête, particulièrement les notes saisies dans les locaux de la société Préfall, et confirmant de manière expresse l'existence de l'objet anticoncurrentiel des concertations tenues au sein des "clubs escaliers" évoqués par M. Hommel, en région parisienne et en région Centre ; qu'au surplus, le témoignage de M. Perrin en 1998 est concordant avec les déclarations de M. Hommel sur la constitution d'un club escaliers rassemblant, dans la zone Lyon, les sociétés Partek Morin, Socarel et Préfa 26, et se trouve conforté par les documents produits par lui ;

Considérant également qu'en premier lieu, les sociétés requérantes ne peuvent tirer argument de l'absence de preuves documentaires saisies dans leurs locaux propres, alors qu'un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu ou il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu comme à celles qui y sont mentionnées, et peut être utilisé comme preuve par le rapprochement avec d'autres indices concordants ;qu'en second lieu, les sociétés requérantes ne peuvent se prévaloir de l'existence d'échanges commerciaux entre elles pour justifier la communication de tarifs, alors que ces derniers avaient un caractère anonyme, et ne portaient que sur des produits, les escaliers droits, qu'elles fabriquaient toutes, et que des mentions manuscrites étaient portées sur certains;

Considérant dans ces conditions que la cour retiendra que les éléments recueillis au cours de l'enquête sont pertinents et suffisants pour établir l'existence d'une pratique concertée, ainsi que le Conseil de la Concurrence en a justement décidé ;

Sur l'absence d'effet de ces pratiques

Considérant que l'ensemble des requérantes invoque l'absence d'effets sur les prix des pratiques en cause;

Mais considérant que des pratiques dont l'objet ou l'effet potentiellement anticoncurrentiel est avéré sont qualifiables, de ce seul fait, au regard des règles de concurrence ; qu'au demeurant, les données produites par les sociétés Préfall, Morin système architectonique et Le béton mécanique, reprises dans la décision du Conseil (page 23) font apparaître que les prix des produits en cause ont enregistré en 1995 une très forte hausse (de 10 % en moyenne nationale), hausse qui s'est poursuivie, bien que dans des proportions moindres, en 1996, 1997 et 1998, et que cette constatation confirme l'existence d'un effet potentiel, voire réel, des pratiques en cause, d'autant plus que les sociétés visées occupaient une place importante sur le marché des escaliers préfabriqués ;

Qu'en conséquence, la cour, comme le Conseil, écarteront les arguments tirés de l'absence d'effet sur les prix des pratiques en cause;

Sur le protocole d'accord passé entre les sociétés Produits béton du Maine, Le béton mécanique, Préfabrication O-P Lafarge et Lafarge béton Préfa

Considérant que la société Le béton mécanique conteste le grief retenu à son encontre, du fait de sa participation au protocole de cession d'activité signé le 6 juin 1996 avec les sociétés Préfabrication O-P Lafarge et Lafarge béton Préfa, dont une clause prévoyait que "les dirigeants des sociétés Préfabrication O-P Lafarge et Lafarge béton Préfa s'interdisent à l'avenir toutes activités de fabrication et commercialisation d'escaliers sur l'ensemble de la France", au motif que cette clause était applicable postérieurement à la cession;

Considérant, toutefois, qu'en signant le protocole d'accord, la société Le béton mécanique a souscrit à un accord dont l'objet anticoncurrentiel n'est pas contestable et ne peut trouver de justification compte tenu de l'absence de limitation géographique et temporelle de la clause précitée ;que, la volonté anticoncurrentielle étant manifeste, la cour ne pourra que confirmer la décision du Conseil en ce qui concerne le grief retenu à l'encontre de la société Le béton mécanique;

Sur le montant des sanctions

Considérant qu'outre les moyens relatifs à l'existence des pratiques anticoncurrentielles retenues par le Conseil de la Concurrence, les parties condamnées contestent également les sanctions prononcées par celui-ci, notamment en ce qu'elles seraient très disproportionnées par rapport à leur chiffre d'affaires, au regard des dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause;

Mais considérant que les sanctions infligées, à l'exception de celles prononcées à l'encontre des sociétés Morin système architectonique et L'industrielle du béton, ont été exactement appréciées par le Conseil de la Concurrence qui a adapté par des motifs pertinents que la cour fait siens, leur montant à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation des sociétés sanctionnées ; que les sanctions, à l'exception de celles visant les sociétés MSA et l'Industrielle du béton, doivent dès lors être confirmées;

Considérant que, s'agissant de la situation particulière des sociétés Morin système architectonique et l'industrielle du béton, la cour tiendra compte du fait que ces deux sociétés ont en partie successivement participé aux pratiques sanctionnées, la société L'industrielle du Béton ayant repris en 1996 l'activité de fabrication d'escaliers préfabriqués de la société Morin système architectonique ; que, dans ces circonstances, quand bien la société Morin système architectonique a participé en 1998 aux concertations de la région Centre et la société L'industrielle du béton, en 1993/1995, sous son ancienne dénomination Partek Morin, aux concertations de la région parisienne, les montants des sanctions prononcées par le Conseil de la concurrence doivent être minorés ; que la cour infligera une sanction de 400 000 euros à la société Morin système architectonique et une sanction de 300 000 euros à la société L'industrielle du béton, et réformera, en conséquence, la décision du Conseil de la Concurrence de ce chef;

Considérant qu'aucun élément ne justifie l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant qu'il y a lieu de confirmer la publication de la décision dans les conditions prévues par le Conseil de la Concurrence et la transmission du dossier au Procureur de la République prés le Tribunal de grande instance de Versailles en application de l'article L. 462-6 du Code de commerce;

Par ces motifs, LA COUR, Donne acte aux sociétés Préfabrication O-P Lafarge et Lafarge béton Préfa de leur désistement; Rejette les recours formés contre la décision n° 03-D-12 du 3 mars 2003 prise par le Conseil de la Concurrence, sauf en ses dispositions concernant le montant des sanctions pécuniaires infligées à la société Morin système architectonique et à la société L'industrielle du béton; La réformant de ces chefs, prononce les sanctions suivantes : - 400 000 euros à l'encontre de la société Morin système architectonique, - 300 000 euros à l'encontre de la société L'industrielle du béton, Rejette toutes autres demandes, Condamne les requérantes aux dépens.