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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 9 mai 2001, n° 98-02619

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Ghesquières (SA)

Défendeur :

Ardex (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Canivet

Conseillers :

MM. Raffejeaud, Dragne

Avoués :

SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Gas

Avocats :

Mes Delfy, Praquin

T. com. Versailles, du 18 févr. 1998

18 février 1998

La société Ghesquières fabrique et commercialise depuis 1992 des sachets pour emballer les poulets, sur lesquels figure un dessin original.

Elle a confié la représentation de ses produits à la société Ardex, d'abord aux termes d'une lettre en date du 25 octobre 1993, puis d'un contrat d'agent commercial en date du 1er janvier 1996.

La société Ghesquières s'est aperçue en 1995 qu'une société Ageplast Emballages commercialisait des sacs poulets contrefaisants fabriqués par une société de droit italien dénommée Sacma.

Une transaction est intervenue aux termes de laquelle la société Sacma s'est interdit à l'avenir tout autre acte de contrefaçon et a versé à la société Ghesquières en rémunération de l'utilisation du modèle déposé une somme de 115 000 F.

La société Ghesquières a découvert à l'occasion que la société Sacma livrait ses sachets contrefaisants à la société Ardex pour être écoulés sur le marché français et que c'était celle-ci qui lui aurait fourni le modèle.

C'est dans ces conditions que la société Ghesquières a notifié le 5 novembre 1996 à la société Ardex la résiliation du contrat d'agent commercial pour faute grave, puis l'a assignée le 20 janvier 1997 devant le Tribunal de commerce de Versailles en réparation de son préjudice.

Par jugement en date du 18 février 1998, le tribunal a dit que c'était à bon droit que la société Ghesquières avait résilié le contrat pour faute grave et il a condamné la société Ardex à lui payer la somme de 30 000 F à titre d'indemnité pour préjudice commercial.

Le tribunal a par ailleurs reçu la société Ardex en ses demandes reconventionnelles et a condamné la société Ghesquières à lui payer la somme de 38 000 F à titre d'indemnité pour clause de non-concurrence, ainsi que celle de 50 000 F au titre de commissions impayées.

La société Ghesquières a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 9 mars 1998.

Elle a reproché à la société Ardex tant la violation de son obligation de non-concurrence que celle de son obligation de loyauté et de devoir d'information, telles que posées aux articles 3 et 4 de la loi du 25 juin 1991 (articles L. 134-3 et L. 134-4 du Code de commerce).

Elle a conclu, en conséquence, à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il avait retenu la faute grave de la société Ardex.

Elle a sollicité, en revanche, sa réformation en ce qu'il avait minoré son préjudice et fait droit aux demandes reconventionnelles de la société Ardex.

Elle a, sur le premier point, sollicité le remboursement des commissions versées pour les ventes effectuées directement par elle en exécution du mandat d'exclusivité, soit 116 412,20 F hors taxes, et le paiement d'une somme de 146 224 F hors taxes au titre du manque à gagner sur la vente des "sacs poulet" pour l'exercice 1996, ainsi que d'une somme de 488 860 F au titre de son préjudice commercial.

Sur le second point, elle a fait valoir que le contrat étant résilié pour faute grave, la société Ardex ne pouvait prétendre à aucune indemnité de clientèle ou pour la clause de non- concurrence.

Elle a ajouté que n'ayant pas exécuté son obligation d'exclusivité, la société Ardex ne pouvait pas exiger d'elle-même qu'elle l'exécutât, de sorte qu'il ne lui était dû aucun rappel de commissions, mais que c'était elle qui, au contraire, devait un remboursement à ce titre.

Elle a sollicité enfin une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La société Ardex a répliqué qu'elle n'était tenue à aucune exclusivité et elle a réfuté les griefs articulés contre elle.

Elle a également contesté le préjudice allégué par l'appelante.

Elle a formé appel incident pour entendre la société Ghesquières déboutée de ses demandes et ses demandes reconventionnelles portées aux sommes suivantes:

- 500 000 F au titre de l'indemnité de rupture et de perte de clientèle;

- 250 000 F au titre du préjudice résultant de l'application de la clause de non-concurrence;

- 150 000 F au titre du préjudice subi du fait de l'impossibilité de facturation des commissions normalement dues.

Elle a sollicité, enfin, une somme de 40 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Sur ce,

Sur la résiliation du contrat d'agent commercial:

Considérant que la société Ghesquières a confié la représentation de ses produits à la société Ardex par lettre en date du 25 octobre 1993;

Que les parties ont formalisé leurs relations par la signature le 1er janvier 1996 d'un contrat d'agent commercial en bonne et due forme;

Que toutefois, il n'apparaît pas que ce contrat ait entraîné novation;

Qu'en particulier, il ressort des factures versées aux débats que la société Ghesquières reversait avant le 1er janvier 1996 des commissions à la société Ardex sur les ventes des "sacs poulet" qu'elle-même réalisait directement, ce qui implique qu'elle lui avait déjà consenti avant cette date l'exclusivité de la vente;

Qu'ainsi, les parties ont été liées par un seul contrat d'agent commercial conclu le 25 octobre 1993 et non pas par deux contrats distincts successifs;

Considérant qu'il résulte des dispositions des articles L. 134-3 et L. 134-4 du Code de commerce qu'un agent commercial ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de son mandant sans accord de ce dernier et que les rapports entre eux sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information;

Considérant que la société Ardex a signé le 1er janvier 1995 un contrat d'agent commercial avec la société Sacma, entreprise concurrente de la société Ghesquières, sans l'accord et même à l'insu de cette dernière;

Que cette société Sacma écoulait des "sacs poulet" contrefaisant ceux de la société Ghesquières, ainsi qu'elle l'a reconnu aux termes de la transaction intervenue entre les deux sociétés;

Que s'il n'est pas prouvé que c'est la société Ardex qui a fourni à la société Sacma le modèle de "sac poulet" de la société Ghesquières, il est en tout cas certain qu'elle savait que les produits de la société Sacma qu'elle écoulait sur le marché français étaient la contrefaçon des produits de la société Ghesquières qu'elle vendait parallèlement;

Qu'ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la société Ghesquières était fondée à résilier pour faute grave le contrat d'agent commercial;

Sur le préjudice de la société Ghesquières:

Considérant qu'il se déduit des dispositions des articles 1134 alinéa 3 et 1184 du Code civil que l'une des parties a droit de ne pas exécuter son obligation quand l'autre n'exécute pas la sienne;

Qu'en conséquence, la société Ghesquières est fondée à se prévaloir du non-respect par la société Ardex de ses obligations d'exclusivité et de loyauté rappelées ci-dessus pour refuser de lui rétrocéder les commissions qu'elle lui avait promises en vertu de la clause d'exclusivité, et pour lui réclamer le remboursement de celles qu'elle lui avait versées depuis le 1er janvier 1995, soit, selon factures 1186-95 du 12 septembre 1995, 1353-96 du 12 février 1996 et 1445-96 du 22 mai 1996, une somme totale de 116 412,20 F hors taxes;

Considérant que la société Ghesquières ne justifie pas que la perte de marge qu'elle allègue pour l'année 1996 puisse être imputée à la société Ardex, dès lors qu'il n'est pas établi que celle-ci ait continué à vendre en 1996 les sacs contrefaisants et qu'en toute hypothèse, l'indemnité versée par la société Sacma est réputée indemniser un tel préjudice;

Que le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef;

Qu'il sera également confirmé en ce qu'il a exactement apprécié le préjudice commercial subi par la société Ghesquières du fait des agissements de la société Ardex;

Sur les demandes reconventionnelles de la société Ardex:

Considérant que, conformément aux dispositions de l'article L. 134-13 du Code de commerce, la société Ardex ne peut pas prétendre à une indemnité compensatrice pour perte de clientèle;

Que de même, par application des articles 1134 alinéa 3 et 1184 du Code civil, la société Ardex ne peut pas réclamer une indemnité de non-concurrence, alors qu'elle a concurrencé de mauvaise foi son mandant pendant la durée du contrat et que celui-ci a été résilié à ses torts pour ce motif;

Qu'enfin, la société Ardex ne justifie pas du montant du rappel de commissions qu'elle réclame;

Qu'ainsi qu'il a déjà été dit, elle n'a pas droit à des commissions sur les ventes réalisées directement par la société Ghesquières, et il n'apparaît pas que sa réclamation porte sur des commissions autres;

Que le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit en partie aux demandes reconventionnelles de la société Ardex;

Sur l'article 700 du NCPC et les dépens:

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Ghesquières une somme de 20 000 F en compensation de ses frais non compris dans les dépens;

Considérant que la société Ardex qui succombe supportera les entiers dépens;

Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement: Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que c'était à bon droit que la société Ghesquières avait résilié pour faute grave le contrat d'agent commercial, en ce qu'il a condamné la société Ardex au paiement d'une somme de 30 000 F pour préjudice commercial et en ce qu'il a débouté la société Ghesquières de sa demande pour perte de marge, ainsi que la société Ardex de sa demande pour perte de clientèle; L'infirme pour le surplus; Statuant à nouveau, Condamne la société Ardex à payer à la société Ghesquières la somme de 116 412,20 F (cent seize mille quatre cent douze francs et vingt centimes) hors taxes en remboursement des commissions versées pour les ventes effectuées directement par la société Ghesquières en exécution du mandat d'exclusivité; Déboute la société Ardex de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles; La condamne à payer à la société Ghesquières la somme de 20 000 F (vingt mille francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC; La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et accorde pour ceux d'appel à la SCP Fievet-Rochette-Lafon, avoués, le bénéfice de l'article 699 du NCPC.