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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 24 avril 2003, n° 02-04898

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbarin

Avocat général :

M. Laudet

Conseillers :

Mme Fouquet, M. Waechter

Avocat :

Me Bensimon.

TGI Paris, 31e ch., du 6 déc. 2001

6 décembre 2001

Rappel de la procédure:

La prévention:

P Nicole est poursuivie pour avoir à Paris et sur le territoire national, en 1998 et 1999, tenté de tromper le consommateur contractant sur les qualités substantielles et les risques inhérents à l'utilisation d'ours marins en peluche, jouets non conformes au décret du 12 septembre 1989 en ce qu'ils présentent des boutons et des yeux pouvant être avalés ou inhalés alors qu'au surplus ils portent le marquage CE laissant penser à leur conformité, tromperie rendant l'utilisation de la marchandise dangereuse pour la santé de l'homme,

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré P Nicole coupable de tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme ou de l'animal, de / /1998 à / /1999, à Paris, infraction prévue par les articles L. 213-2 1°, L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-2, L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 du Code de la consommation, et, en application de ces articles, l'a condamnée à une amende délictuelle de 75 000 F soit 11 433,68 euros;

A rejeté la demande de non-mention de cette décision au B2

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Madame P Nicole, le 13 décembre 2001,

M. le Procureur de la République, le 14 décembre 2001, contre Madame P Nicole,

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par la prévenue et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré;

A l'audience du 13 mars 2002, Mme Nicole P épouse L, assistée de son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions, de la relaxer purement et simplement, subsidiairement de lui faire une application modérée de la loi pénale et de prononcer la non-inscription de la condamnation à son casier judiciaire.

Elle rappelle que, le 27 février 1998, la société "X" dont elle est la PDG, a acheté à la société Y, établie en Chine, 6 000 petits ours référencés STYW 6138 et 2 400 ours marins référencés NC5143 AB pour le prix total de 32 724,48 F. Que, lors de cet achat, la société vengeresse a remis à la société X un rapport du laboratoire chinois YTH accrédité Hoklas d'inspection des jouets concluant à la conformité des peluches au regard des normes européennes EN71. Qu'elle a vendu le 28 mai 1998, à la SARL "A", qui exploite le magasin à l'enseigne "B" à Quimper, 240 ours marins et 480 petits ours.

Elle fait valoir qu'elle s'est vue remettre, concomittament à la réception des deux types de peluches, un certificat de conformité de son fournisseur chinois provenant du laboratoire YTH Yagzhou Imp et Exp Institut d'inspection des jouets et qu'elle s'est fiée à ce certificat délivré par un laboratoire accrédité sous le label Hoklas. Elle explique, à cet égard, que le Cofrac, comité fiançais d'accréditation mis en place en avril 1994 par les pouvoirs publics français, permet aux laboratoires et organismes qu'il accrédite d'apporter la preuve de leur compétence et de leur impartialité; que le Cofrac a signé des accords multilatéraux de reconnaissance mutuelle, notamment avec l'organisme dénommé "European Coopération of Accréditation (EA) et que EA a signé un accord de reconnaissance mutuelle avec UKAS, la service d'accréditation de Hong Kong créé par The Hong-Kong Laboratory Accreditation Scheme (Hoklas). Elle en déduit que les tests réalisés par le laboratoire chinois ayant reçu l'accréditation Hoklas constituent un gage de qualité du produit testé et que le certificat émanant de ce laboratoire démontre la conformité des produits litigieux.

Elle souligne que la lecture de la facture qui lui a été remise par le fabricant démontre que les références des produits qu'elle a accrédité correspondent à celles des produits testés.

Enfin, elle soutient qu'elle ne s'est à aucun moment vu notifier par le Procureur de la République le droit de communication des analyses de laboratoire prévu par l'article L. 215-11 du Code de la consommation, ce qui constitue une violation du droit de la défense, puisqu'elle n'a pu réclamer une expertise contradictoire.

Sur ce, LA COUR,

I - Rappel des faits

Le 19 juillet 1999, un contrôleur de la DGCCRF dressait procès-verbal à l'encontre de Mme Nicole P épouse L, PDG de la SA "X", pour tromperie sur les qualités substantielles et les risques inhérents à l'utilisation d'un produit qui a pour conséquence de rendre son utilisation dangereuse pour l'homme.

Il exposait que, le 8 janvier 1999, il s'était présenté au magasin à l'enseigne "B", situé <adresse>à Quimper (29), qu'il avait été reçu par Mme Christine C, responsable du magasin, et avait constaté l'exposition en vue de la vente de deux sortes de peluches, portant le marquage "CE" et destinées aux enfants de moins de 36 mois: des ours marins en peluche et tissu; de petits ours en peluche et tissu mesurant environ 11 cm.

Compte tenu de l'absence de référence de l'étiquetage et des risques d'arrachement de certains composants de ces jouets, tels les boutons et les yeux, une peluche de chaque type était adressée au laboratoire de Marseille.

Les rapports d'essai indiquaient la présence sur le petit ours d'un bouton en plastique pouvant être avalé ou inhalé (le bouton se désolidarisant à une traction de 37 newtons contre 90 prévus par la norme française), et sur l'ours marin de boutons yeux en plastique dont la résistance à l'arrachement était également très inférieure à la norme.

Le laboratoire avait conclu à la conformité des deux peluches à la norme NF EN 71-1 d'avril 1989. La facture d'achat permettait d'identifier le vendeur, à savoir la société X dont le siège est situé <adresse>, qui a pour objet l'importation, la vente et l'exportation d'articles et cadeaux.

Mme Nicole P, PDG de cette société, était entendue par le contrôleur le 18 mai 1999; elle déclarait qu'elle avait importé ces produits de Chine en 1997 et que le stock en était épuisé, que ces jouets n'avaient pas été contrôlés par un laboratoire européen car elle avait reçu de son fournisseur un rapport du laboratoire Chinois Hoklas.

Le contrôleur concluait qu'en tant qu'importatrice de marchandises en provenance d'un pays tiers Mme L était responsable de leur première mise sur le marché français et qu'il lui incombait, dès lors, de s'assurer de leur conformité aux prescriptions réglementaires prévues par le décret n° 89-662 du 12 septembre 1989, lequel définit les exigences de sécurité auxquelles doivent répondre ces produits.

Or l'annexe 2 de ce décret dispose que les jouets et leurs composants, et les parties susceptibles d'être détachables des jouets manifestement destinés aux enfants de moins de 36 mois doivent être de dimension suffisante pour ne pas être avalés ou inhalés.

Par ailleurs, le marquage CE, apposé sur les peluches, qui fait présumer que la marchandise est conforme aux exigences du décret ne correspondait pas au graphisme défini à l'annexe IV.

Entendue le 6 avril 2000 par les services de police à la demande du parquet de Paris, Mme L confirmait qu'elle avait bien importé de Chine les deux catégories de peluche qui avaient été contrôlées, qu'elle n'avait pas fait procéder à des tests sur ces produits par un laboratoire agréé européen car son fournisseur chinois lui avait adressé un rapport d'analyse en date du 16 avril 1997 émanant du laboratoire chinois Hoklas qui a conclu à la conformité du produit. Elle observait que ce type de produit qu'elle n'importait plus, représentait une infime partie du chiffre d'affaires de sa société et qu'elle n'avait eu aucune intention de frauder.

Discussion

Mme L fait valoir, pour sa défense, qu'elle n'avait pas fait procéder à des tests, sur les jouets litigieux, par un laboratoire européen, du fait que le fabricant chinois lui avait fait parvenir un certificat de conformité émanant d'un laboratoire chinois ayant reçu l'accréditation Hoklas. Elle soutient, à cet égard, que le Comité français d'accréditation ayant passé des accords avec l'organisme European Coopération of Accreditation (EA) avec le Hong-Kong Laboratory Accreditation Scheme (Hoklas), qui dispense lui-même des accréditations à différents laboratoires chinois, dont celui qui a testé les produits qu'elle a importés, ceux-ci ne pouvaient qu'être conformes à la norme européenne EN 71.

Or, si le laboratoire chinois YTII indique dans son rapport qu'il a testé des ours en tissu portant les références NC5 143 A B (ours marins) et STY W 6138 (petits ours) qui sont identiques à celles portées sur la facture du fabricant chinois, force est de constater que cette facture ne comporte aucune description des produits exportés, dont on ignore même la nature, ce qui laisse planer un doute sur la similitude des articles vendus avec les jouets testés.

Par ailleurs, les tests effectués par le laboratoire de Marseille ont démontré que les jouets, destinés par nature à des enfants de moins de 36 mois (et testés pour cette tranche d'âge par le laboratoire chinois) n'étaient pas conformes à la norme européenne NF EN 711, d'application obligatoire. En effet, cette norme prévoit une résistance à l'arrachement de 90 newtons pour les composants susceptibles d'être arrachés par les doigts des enfants de moins de 36 mois.

Le décret n° 89-662 du 12 septembre 1989, qui est relatif à la prévention des risques résultant de l'usage des jouets dispose en son article 2 que "ne peuvent être fabriqués, importés, mis en vente que les jouets qui respectent les exigences essentielles définies à l'annexe II du présent décret et qui sont munis du marquage CE".

S'agissant des "exigences essentielles" l'article 1-d de l'annexe II prescrit que "les jouets et leurs composants et leur parties susceptibles d'être détachables des jouets manifestement destinés aux enfants de moins de 36 mois doivent être de dimension suffisante pour ne pas être avalés ou inhalés".

S'agissant du marquage CE, l'article 3 du décret précise que "peuvent être munis du marquage CE les jouets qui satisfont à l'une des deux obligations suivantes:

- avoir été fabriqués conformément aux normes les concernant, dont les références sont publiées au JO. Dans ce cas, le fabricant ou son mandataire ou, à défaut, toute personne qui met les jouets sur le marché, tient à la disposition des agents chargés du contrôle:

- une description des moyens pour lesquels le fabricant justifie la conformité de la production aux normes

- l'adresse des lieux de fabrication et d'entreposage

- des renseignements détaillés concernant la conception et la fabrication de ses jouets

- s'ils ne respectent pas toutes les normes visées au paragraphe 1° ci-dessus, être conformes à un modèle qui bénéficie de l'attestation "CE de type" (délivrée par un organismes habilité à cet effet par arrêt du ministre chargé de l'Industrie)."

Or il apparaît des constatations faites lors du contrôle que les prescriptions de sécurité de ce décret n'étaient pas, en fait, respectées, que le graphisme utilisé pour le marquage CE différent de celui exigé, et que l'entreprise responsable de la mise sur le marché n'était pas identifiable.

Par ailleurs, ce marquage CE ne peut s'appliquer qu'aux jouets fabriqués conformément aux normes, et, dans ce cas, le fabricant ou le responsable de la mise sur le marché doit tenir à la disposition des contrôleurs une description des moyens par lesquels le fabricant justifie la conformité de la production aux normes (or, en l'espèce, le rapport du laboratoire chinois ne porte aucune indication sur la nature des tests réalisés, aucune mesure de résistance des jouets à l'arrachage n'est produite), et des renseignements détaillés concernant la conception et la fabrication des jouets, que Mme L n'a pas pu produire.

Enfin, les jouets mis sur le marché français ne bénéficiaient pas non plus de l'attestation "CE de type".

Dès lors, l'élément matériel de la tromperie est constitué par le fait que Mme L a mis sur le marché des produits non conformes à la réglementation. La prévenue étant PDG d'une entreprise d'import-export qui en particulier avec la Chine aurait dû et aurait parfaitement pu faire contrôler les produits de façon à établir s'ils étaient ou non conformes à la réglementation, les rapports du laboratoire chinois n'étant ni suffisants ni probants, et aurait également dû exiger un dossier du fabricant; dès lors qu'elle s'en est abstenu, l'élément intentionnel de l'infraction visée à la prévention est également établie.

La prévenue ne saurait soutenir qu'elle n'a pas été en mesure de demander une expertise contradictoire dès lors que l'infraction lui a été notifiée par le contrôleur ainsi que par les services de police, le 6 avril 2000, à la demande du parquet, et qu'elle déclare expressément qu'elle ne demandait pas d'expertise contradictoire.

Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement déféré tant sur la déclaration de culpabilité que sur le montant de l'amende prononcée, qui est proportionnée à la gravité de l'infraction.

Mme L n'ayant jamais été condamnée jusqu'à présent, la cour fera droit à sa demande de non-inscription de la condamnation au bulletin n° 2 de son casier judiciaire, en réformant sur ce point le jugement déféré.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels de la prévenue et du Ministère public, Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité et sur le montant de l'amende prononcée, Le réformant pour partie pour le surplus: Ordonne la non-inscription de la condamnation au bulletin numéro 2 du casier judiciaire de Nicole P épouse L. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 120 euros dont est redevable la condamnée.