CA Rennes, 3e ch. corr., 29 avril 2003, n° 02-01631
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Le Pestipon
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Avocat général :
Mme Fiasella-Le Braz
Conseillers :
Mme Pigeau, M. Lourdelle
Avocat :
Me Warroux.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le Tribunal correctionnel de Lorient par jugement contradictoire en date du 15 mai 2002, pour
Tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise
a condamné F Roland à 4 mois d'emprisonnement avec sursis.
Sur l'action civile:
a condamné Roland F à payer à Joseph Le Pestipon la somme de 4 500 euros à titre de dommages et intérêts
Les appels:
Appel a été interjeté par:
Monsieur F Roland, le 21 mai 2002 à titre principal sur les dispositions pénales et civiles
Monsieur le Procureur de la République, le 21 mai 2002 à titre incident sur les dispositions pénales
La prévention:
Considérant qu'il est fait grief au prévenu:
d'avoir à Kervignac, le 26 mai 2000, trompé M. Le Pestipon Joseph, contractant, en vendant un véhicule Citroën AX, immatriculé 6623 TX 56, sans avertir le co-contractant qu'il avait subi des accidents.
Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation,
En la forme:
Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme;
Au fond:
Il résulte de la procédure et des débats les éléments suivants:
Monsieur F fait paraître fin mai 2000 une petite annonce pour la vente d'un véhicule Citroën AX 14 TD diesel blanche, présenté comme étant en très bon état, le prix avancé étant fixé à 26 000 F, à débattre.
Monsieur Le Pestipon achète ce véhicule le 26 mai 2000 pour le prix de 23 500 F.
Lui est remise par le vendeur la fiche d'un contrôle technique réalisé le 22 mai 2000 dans laquelle sont relevés quelques défauts sans contre-visite obligatoire (identification inhabituelle de la frappe à froid sur le châssis, dissymétrie importante du frein arrière, déformation mineure du longeron avant gauche.)
Dès juin 2000 et considérant qu'il ne répondait pas à ce qu'il pouvait en espérer, Monsieur Le Pestipon fait expertiser ce véhicule par un cabinet d'expertise qui demande au vendeur de participer à une réunion contradictoire.
Monsieur F se déplace effectivement mais refuse de signer la feuille de présence et le constat des désordres relevés, soutenant que le véhicule avait du être accidenté après l'achat et que son honorabilité était mise en cause de façon désagréable. Les désordres relevés par l'expert sont les suivants: déformations sur le support de la moitié du train avant gauche ainsi que sur le plancher et le pavillon; défaut d'alignement du capot et du pare choc avant, absence de produit contre la corrosion sur une soudure à l'avant, présence de traces de griffes sur les bas de caisse justifiant d'un passage au marbre avec choc préalable à ce passage.
De l'enquête réalisée, il ressort que:
L'AX a été achetée le 26 mai 1999 par Monsieur Philippe pour un prix de 29 000 F, il a eu un accident le 8 avril 2000 pour être rentré dans un plot et a décidé de céder son véhicule à la casse pour 300 F;
L'entreprise de dépannage ADL, sur demande des services de police, a pris le véhicule en charge le jour même de l'accident et Monsieur F l'acquis le 4 mai pour une somme de 2 500 F; il est venu le chercher lui-même;
Un passage au marbre a été réalisé par l'entreprise de carrosserie Auffret Le Mouel laquelle n'a cependant procédé à aucune frappe à froid;
Les réparations ont été réalisées par Monsieur F dans les locaux de l'entreprise de Monsieur Auffret avec des pièces achetées directement par le prévenu;
A la date de la revente à Monsieur Le Pestipon, le véhicule cotait 15 700 F et il a été vendu 7 800 F au-dessus de cette cote.
Dans le cadre de l'enquête de gendarmerie et le 15 novembre 2000, Monsieur F qui est fonctionnaire de police, a déclaré avoir acheté ce véhicule 2 500 F, avoir effectué lui-même les réparations: avec des pièces qu'il avait depuis plusieurs années et celles qu'il a achetées, la réparation lui ayant coûté environ 150 F,
Il a pareillement indiqué que la frappe à froid avait été réalisée par le concessionnaire Citroën de Lanester, il a soutenu ne pas avoir connaissance d'un passage au marbre et enfin avoir prévenu l'acquéreur de l'accident antérieur.
Ce que faisant, Monsieur F confirmait dans leur intégralité les déclarations qu'il avait faites le 27 septembre dans le cadre de l'enquête réalisée par la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.
Monsieur Le Pestipon a quant à lui toujours soutenu que son vendeur ne lui avait pas fait part de l'accident et que surpris par les contradictions existant entre les propos qui lui auraient été tenus le jour de la vente (véhicule régulièrement entretenu ce qui supposait que le vendeur l'avait en sa possession depuis un certain temps) et les dates portées sur le certificat de cession, il avait interrogé son vendeur qui lui aurait précisé qu'il pouvait lui restituer le véhicule s'il le souhaitait, que celui-ci avait ensuite changé d'avis et qu'il s'était trouvé dans l'obligation de porter plainte puisque Monsieur F ne voulait pas reconnaître la réalité.
Sur ce:
Sur l'action publique:
Monsieur F est poursuivi sur le fondement de l'article L. 213-1 du Code de la consommation lequel vise le délit de tromperie sur, entre autres, les qualités substantielles de la marchandise vendue.
Pour être punissable, la tromperie suppose la mauvaise foi du vendeur, donc son intention frauduleuse, laquelle peut résulter d'un défaut d'information suffisant ou d'un silence sur l'état réel de la marchandise vendue.
Au cas d'espèce doivent être relevés les éléments suivants à l'encontre de la version donnée par le prévenu:
Si dans ses premières dépositions (devant les services de gendarmerie et devant la DDCCRF) il a affirmé avoir avisé son acheteur de l'accident survenu antérieurement à la vente, cette certitude disparaît tant dans son courrier adressé courant août 2000 au conseil des époux Le Pestipon que dans le premier courrier qu'il a adressé à ACO Sécurité le 3 octobre 2000 (société contrôlant le centre technique auquel il a fait appel en mai 2000 pour assurer le dit contrôle technique); elle disparaît pareillement devant l'expert missionné par l'acheteur puisqu'il est indiqué par cet expert qu'il affirmait, pour s'opposer à tout règlement amiable, que Monsieur Le Pestipon avait eu un accident après l'achat.
Ce qui revient à dire que Monsieur F n'a évoqué l'hypothèse de l'accident survenu postérieurement à la vente qu'une fois la plainte déposée et la procédure d'enquête lancée.
Il a lui-même exécuté la frappe à froid du véhicule alors même qu'il affirmait que cette opération avait été faite par un concessionnaire Citroën -ce qui a été démenti par celui-ci-, il a aussi et effectivement fait passer le véhicule "au marbre" puisqu'une facture a été établie à son nom par l'entreprise ayant assuré ce passage (le responsable de cette entreprise ayant d'ailleurs indiqué que le prévenu ne souhaitait pas une telle facture); il a réalisé lui-même les réparations ce qui a impliqué une dépense qui n'a pas dépassé selon ses dires 150 F et lui a permis de revendre le véhicule, acquis pour 2 500 F, à un prix largement supérieur au prix argus.
Il a indiqué de plus que ce véhicule avait été acheté pour remplacer un véhicule R 25 qui lui apparaissait trop coûteux mais que finalement il n'avait pas réussi à vendre, ce qui aurait expliqué la revente de l'AX. alors même qu'il disposait à cette époque de 4 véhicules et qu'il venait aussi d'acheter, le 15 mai 2000, un véhicule du même type qui a été immatriculé cependant au nom de son frère le 17 juillet 2000 alors même qu'une petite annonce l'offrant à la vente était parue dès le 13 juillet.
Il ne peut de plus être retenu, ainsi que le soutient Monsieur F, que Monsieur Le Pestipon ait été avisé de l'accident survenu courant avril pour les motifs suivants:
- La mention "t. b. e." est en elle-même inconciliable avec la révélation d'un accident qui théoriquement justifiait l'envoi du véhicule à la "casse", sauf pour un amateur de mécanique à récupérer certaines pièces.
- Il est vraisemblable que l'acquéreur aurait demandé les factures de réparation faites surtout si, et ainsi qu'il l'avait dit à son vendeur qui ne le conteste pas, il avait déjà eu des déboires avec un véhicule acheté d'occasion.
- Il n'aurait pas manqué de le dire dès que Monsieur Le Pestipon a souhaité annuler la vente, ce qu'il n'a pas fait préférant soutenir que le véhicule avait été accidenté après l'achat réalisé.
Le délit de tromperie sur les qualités substantielles de la chose vendue est constitué dés que le vendeur n'a pas, de façon délibérée, révélé l'existence d'un accident antérieur et ce même si les réparations nécessaires ont été faites conformément aux règles de l'art; en effet par cette réticence, qui est une des formes de la tromperie, le vendeur n'a pas permis à l'acquéreur d'acheter en toute connaissance de cause et il importe peu que le véhicule soit de fait apte à son emploi puisqu'il ne correspond pas à ce qui était indiqué dans la petite annonce, savoir un véhicule en très bon état, qualité qui reste inconciliable avec la preuve rapportée d'un accident antérieur grave.
Par voie de conséquence, le jugement doit être confirmé tant sur la qualification que sur la culpabilité de Monsieur F. Celui-ci est fonctionnaire de police et Monsieur Le Pestipon a précisé qu'il avait été mis en confiance par cette qualité particulière, qualité qui est censée conférer au prévenu une honnêteté plus conséquente.
Cette circonstance justifie à elle seule une application légèrement différente de la loi pénale dans le sens d'une aggravation par le prononcé d'une peine d'amende, laquelle complétera la peine d'emprisonnement avec sursis à juste titre infligée par les premiers juges.
Sur l'action civile:
Le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice de Monsieur Le Pestipon et la décision doit être confirmée.
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoirement à l'égard de F Roland, Le Pestipon Joseph, En la forme Reçoit les appels, Au fond, Confirme le jugement sur la qualification et la culpabilité. Réforme sur la peine, Condamne Monsieur F à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 1 000 euros d'amende. Constate que l'avertissement prévu à l'article 132-29 du Code pénal n'a pu être donné au prévenu absent lors du prononcé de l'arrêt, Prononce la contrainte par corps, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable le condamné, Le tout par application des articles susvisés, des articles 800-1, 749 et 750 du Code de procédure pénale. Confirme le jugement en ses dispositions civiles.