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Décisions

Ministre de l’Économie, 23 décembre 2002, n° ECOC0300462Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société française Saint Louis Sucre SA

Ministre de l’Économie n° ECOC0300462Y

23 décembre 2002

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 20 novembre 2002, vous avez notifié le projet d'acquisition de certains actifs du groupe français Béghin-Say SA (ci-après " Béghin-Say ") par la société française Saint-Louis Sucre SA (ci-après " SLS ").

I. - Les parties et l'opération

SLS est une société anonyme de droit français dont le contrôle est détenu par la société belge Raffinerie Tirlemontoise SA, elle-même contrôlée par le groupe allemand Südzucker AG (ci-après " Südzucker "). La prise de contrôle de SLS par Südzucker a été autorisée par une décision de la Commission européenne du 20 décembre 2001 (1). SLS produit en France du sucre, de la mélasse, de l'alcool agricole et du bioéthanol. Outre la France, SLS est également présente en République tchèque, Slovaquie et Hongrie, via sa filiale à 50 % Eastern Sugar. SLS détient par ailleurs une participation de 13,76 % dans le capital du premier sucrier espagnol Ebro Puleva. Lors du dernier exercice, SLS a réalisé un chiffre d'affaires de 928 millions d'euros, dont 494 en France.

Béghin-Say, né en juillet 2001 de la scission de la société Eridiana-Béghin-Say, est le premier producteur français de sucre. Béghin-Say produit également en France de la mélasse et de l'alcool. En dehors de la France, le groupe Béghin-Say, avec sa filiale Açucar Guarani, dispose au Brésil de deux unités de production de sucre et en Hongrie de trois sucreries, les activités italiennes ayant été cédées en avril 2002. Béghin-Say est actuellement contrôlé par le groupe italien Edison, qui détient 53,8 % de son capital. Lors du dernier exercice, Béghin-Say a réalisé un chiffre d'affaires mondial de 1 871,8 millions d'euros, dont 876,7 en France.

L'ensemble des actifs de Béghin-Say est actuellement en cours d'acquisition par un consortium (ci-après " le consortium ") formé par deux unions de coopératives agricoles, l'Union des sucreries et distilleries agricole (ci-après " Union SDA ") et l'Union des planteurs de betteraves à sucre (ci-après " Union BS ") et leur véhicule d'acquisition Origny-Naples, société détenue à parité par Union SDA et Union BS. Ce projet d'acquisition a été notifié au ministre le 31 octobre 2002 et a fait l'objet d'une lettre d'autorisation en date du 5 décembre 2002.

La présente opération consiste en l'acquisition par SLS de certains actifs du groupe Béghin-Say auprès du consortium, à savoir :

67 000 tonnes de quotas A et B de production de sucre ;

des droits de commercialisation de 16 970 hectolitres de bioéthanol, ainsi qu'une participation financière de 1,32 % dans le capital de Nord-ETBE, société produisant du biocarburant.

Le consortium doit par ailleurs céder à la société Cristal Union les sucreries de Sillery et de Châlons-en-Champagne et des droits de commercialisation d'alcool et de bioéthanol. Il doit également céder à la société Sucrerie Distillerie des Hauts-de-France (ci-après " SDHF ") les sucreries d'Abbeville et de Pont-d'Ardres, ainsi que 3 000 tonnes de quota de sucre " A/B " en provenance de l'usine de Boiry, et des droits de commercialisation d'alcool et de bioéthanol. De plus, ces deux entreprises doivent se voir octroyer une participation au capital de la société Nord-ETBE, à proportion des quotas de sucre cédés. Ces deux projets d'acquisition ont été notifiés au ministre le 5 novembre 2002 et ont fait l'objet de lettres d'autorisation en date du 9 décembre 2002.

La présente opération consiste donc en un transfert de quotas de sucre A et B et de droits de commercialisation de bioéthanol.

Les quotas de sucre A et B sont des quantités de sucre attribuées à chaque producteur par les autorités nationales, et qui peuvent être écoulées au sein de l'Union européenne en bénéficiant d'un prix d'intervention (2) (prix minimum garanti par l'organisme d'intervention de chaque Etat membre à tout fabricant qui n'aurait pas pu trouver d'acquéreur pour sa production dans les limites des quotas A ou B). Ce prix d'intervention est actuellement de 63,19 euros par quintal.

Les Etats membres peuvent procéder à des transferts de quotas A et B entre entreprises en prenant en considération les intérêts de l'ensemble des parties concernées, en particulier celui des producteurs de betteraves à sucre. Au cas d'espèce, le transfert des quotas de Béghin-Say à SLS devra faire l'objet d'un arrêté du ministre de l'agriculture.

Pour ce qui est de la qualification juridique d'un tel transfert au regard du contrôle des concentrations, l'article L. 430-1-I du Code de commerce dispose qu'" une opération de concentration est réalisée (...) lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participations ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs entreprises ". Par ailleurs, le point 11 de la communication de la Commission européenne sur la notion de concentration (3) au sens du règlement communautaire n° 4064-89 précise que " le contrôle peut porter sur une ou plusieurs entreprises dotées de la personnalité morale, sur des actifs de ces personnes morales ou sur certains éléments de ces actifs. Les actifs concernés, qui peuvent être des marques ou des licences, doivent constituer une activité à laquelle on puisse rapporter un chiffre d'affaires déterminé ".

On peut noter que les quotas sucriers constituent des éléments d'actifs qui sont inscrits au bilan des entreprises sucrières en tant qu'immobilisations incorporelles. En second lieu, du fait de l'existence d'un prix d'intervention, le transfert de ces quotas permettra à SLS de réaliser au minimum un chiffre d'affaires de 43 millions d'euros, correspondant au montant de la garantie d'intervention pour 67 000 tonnes de sucre. Le sucre fabriqué en application des quotas transférés à SLS peut être vendu aussi bien en France que dans les autres pays de l'Union européenne ou être exporté vers des pays tiers, avec, dans ce dernier cas, la mise en œuvre d'un système de restitution de la différence entre le prix mondial et le prix d'intervention. En adoptant pour ce chiffre d'affaires la même clé de répartition que pour le chiffre d'affaires total de SLS (53 % du chiffre d'affaires mondial de SLS est réalisé en France), on peut estimer que la cession de ces quotas à SLS constitue un transfert d'actifs auquel on peut rapporter un chiffre d'affaires en France d'au moins 23 millions d'euros.

Dès lors, compte tenu du fait que le transfert de ces quotas consiste en l'acquisition par SLS d'éléments d'actifs incorporels auquel on peut rapporter un chiffre d'affaires déterminé, cette opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Les seuils exprimés en chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis, et l'opération n'est pas de dimension communautaire. Cette concentration relève ainsi du contrôle national des concentrations.

II. - La définition des marchés

Marchés de produits

Selon la pratique, tant de la Commission européenne (4) que du Conseil de la Concurrence (5) ou du ministre (6), les marchés de produits suivants peuvent être définis dans le cadre de l'analyse de la présente opération : (i) le marché du sucre industriel, (ii) le marché du sucre de bouche, (iii) le marché de la mélasse et (iv) le marché du bioéthanol. Seul le marché du sucre industriel est, dans une faible mesure, affecté par l'opération. SLS intervient par ailleurs en amont dans l'achat de betteraves à sucre auprès des planteurs. Toutefois, ainsi qu'il a été établi lors de décisions ministérielles précitées concernant le secteur du sucre (7), les relations commerciales entre betteraviers et sucriers sont encadrées de façon stricte par la réglementation communautaire et des accords interprofessionnels qui protègent les betteraviers. Dès lors, l'opération ne sera pas de nature à modifier sensiblement la situation qui prévalait avant l'opération sur le marché de l'approvisionnement, sans qu'il soit nécessaire d'en préciser davantage la dimension géographique.

Marchés géographiques

Selon la pratique communautaire et nationale, le marché du sucre industriel est de dimension nationale, compte tenu de l'existence de quotas nationaux et de l'importance des coûts de transport. Le test de marché mené dans le cadre de l'instruction a confirmé cette délimitation. La dimension géographique des marchés du sucre de bouche, de la mélasse et du bioéthanol peut rester ouverte, l'opération n'ayant pas d'impact concurrentiel significatif sur ces marchés.

III. - Analyse concurrentielle

Le volume du marché du sucre industriel est d'environ 1,6 million de tonnes annuel pour un chiffre d'affaires correspondant de 1,2 milliard d'euros.

Sur ce marché, la part de SLS en 2001 s'est élevée approximativement à [20-30] %, derrière Béghin-Say avec environ [20-30] %. L'acquisition des 67 000 tonnes de quota permettra à SLS de porter cette part de marché à [20-30] %, les principaux concurrents étant le consortium Union SDA/Union BS avec [20-30] % et Sucre Union avec [20-30] %. Compte tenu de la faible augmentation de parts de marché et de la présence de concurrents puissants, il apparaît que l'opération n'est pas de nature à aboutir à la création d'une position dominante simple au profit de la nouvelle entité.

Par ailleurs, le test de marché mené dans le cadre de l'acquisition des actifs de Béghin-Say par le consortium Union SDA/Union BS, Cristal Union et SDHF a permis d'établir que ces opérations, bien que consolidant la structure oligopolistique de l'offre et rééquilibrant les capacités de production entre offreurs, n'aboutissaient pas à la création d'une position dominante collective au profit des trois principaux opérateurs (Union SDA, Sucre Union et SLS), compte tenu notamment de la part croissante des importations et du pouvoir de la demande.

En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

(1) Décision M 2530, Südzucker/Saint-Louis Sucre du 20 décembre 2001.

(2) Conformément aux dispositions du règlement du Conseil n° 1260-2001 portant organisation commune de marché dans le secteur du sucre.

(3) JOCE C 66 du 2 mars 1998.

(4) Décision M 2530, Südzucker/Saint-Louis Sucre précitée.

(5) Avis n° 97-A-02 du 14 janvier 1997 relatif à l'acquisition de la Compagnie française de sucrerie par la société Eridiana Béghin-Say.

(6) Lettre du 5 février 1997 relative à l'acquisition de la Compagnie française de sucrerie par la société Eridiana Béghin-Say.

Lettre du ministre relative à l'acquisition de la sucrerie de Colleville par la Société vermandoise de sucreries du 21 août 2002, en instance de publication.

Lettre du ministre concernant l'acquisition du groupe Béghin-Say par les sociétés Union SDA et Union BS du 5 décembre 2002, en instance de publication.

(7) Lettre du ministre du 5 décembre 2002 précitée ; lettres du ministre du 9 décembre 2002 concernant l'acquisition de certains actifs du groupe Béghin-Say par les coopératives Cristal Union et SDHF, en instance de publication.