CA Toulouse, 2e ch., 29 juin 1993, n° 4541-91
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Crédit de l'Est
Défendeur :
André Bernis "Latitude 5" (Sté), Bouffard (ès-qual.), CMS (SARL), Cresus (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lebreuil
Conseillers :
MM. Milhet, Zavaro
Avoués :
SCP Boyer-Lescat, Me de Lamy, SCP Sorel-Dessart
Avocats :
SCP Farne Simon Jolly, Mes Grosbois, Zanier.
EXPOSE:
La société André Bernis " Latitude 5 " a acquis, auprès des sociétés Crésus et CMS, un système informatique. Elle contractait en même temps, à l'effet de financer son achat, un crédit-bail auprès de la société Locagest, aux droits de laquelle venait par la suite la société Crédit de l'Est.
Les sociétés Crésus et CMS manquaient à leurs obligations et étaient déclarées en liquidation judiciaire.
Par jugement en date du 26 juin 1991, le Tribunal de commerce de Toulouse prononçait la résiliation des contrats conclus avec les sociétés Crésus et CMS, ainsi que du contrat de location, à compter du 16 juillet 1990.
Par déclaration du 19 juillet 1991, la société Crédit de l'Est relevait appel de cette décision.
Par jugement rectificatif en date du 30 octobre 1991, le Tribunal de commerce de Toulouse, statuant sur une requête aux fins de rectification d'une omission de statuer présentée par la société Crédit de l'Est, prononçait la résiliation des trois contrats en cause, constatait que la résolution judiciaire du contrat de vente entraînait la résolution du contrat de location, constatait que la société Crédit de l'Est se trouvait créancière de la société Crésus, pour une somme de 111 128,20 F, et invitait celle-ci à produire entre les mains du mandataire liquidateur pour ce montant, condamnait la société André Bernis "Latitude 5" à garantir cette somme et à payer une somme de 21 031,58 F, représentant l'indemnité de résiliation du contrat de location.
Par déclaration du 21 novembre 1991, la société André Bernis "Latitude 5" relevait appel de cette décision rectificative.
Elle sollicite l'infirmation partielle des jugements en cause, en ce qu'ils l'ont condamnée à payer à la société Crédit de l'Est les sommes de 111 128,20 F et 21 031,58 F et sollicite 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Crédit de l'Est conclut à la confirmation des décisions déférées et sollicite 6 000 F du chef de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Maître Bouffard, en qualité de liquidateur des sociétés CMS et Crésus demande qu'il lui soit donner acte de ce qu'il s'en rapporte à justice sur les appels.
Les appels des deux jugements an cause ont été enregistrés sous deux numéros différents, alors qu'il s'agit d'une seule et même affaire. Il y a lieu en conséquence de prononcer leur jonction.
Discussion:
Sur le sort des clauses contractuelles
La résolution du contrat de vente entraîne nécessairement la résiliation du contrat de crédit-bail, sous réserve de l'application des clauses ayant pour objet de régler les conséquences de cette résiliation.
Or en l'espèce, le contrat de crédit-bail, en son article 5-3, comporte une clause prévoyant qu'en cas de résolution de la vente, le locataire devra verser au bailleur, pour indemnisation forfaitaire des pertes causées par cette résolution, une somme hors taxes égale au tiers du prix d'achat du matériel. En outre, le locataire, par cette même clause, se constitue garant solidaire du paiement au bailleur des sommes dont le vendeur serait redevable en vertu du jugement prononçant la résolution de la vente.
Toutefois, cette clause, qui a effectivement vocation à régler les conséquences, non pas tant de la résiliation du crédit-bail, que de la résolution de la vente, si elle survit donc au contrat résilié, ne saurait recevoir application que dans la mesure où elle serait valable indépendamment de la résiliation du contrat qui la porte.
Or il s'avère que le jeu de cette clause permettrait à la société de crédit-bail de jouir d'une position, en cas de résolution de la vente et donc de résiliation du contrat de crédit-bail, préférable à celle qu'aurait connu cette société si l'ensemble des contrats avaient été normalement exécutés. En effet, le crédit-bailleur aurait perçu dans cette dernière hypothèse une somme globale d'environ 130 000 F, pour un bien d'une valeur d'environ 110 000 F, alors que la résiliation du contrat de crédit-bail, consécutive à la résolution de la vente, lui permettrait, par le jeu de la clause en cause, de percevoir une somme globale d'environ 150 000 F.
Dès lors, si l'on ne saurait faire grief au crédit-bailleur de chercher à se protéger contre les conséquences de la résolution de la vente, il convient de constater qu'en l'espèce, il profite de sa puissance économique pour imposer à l'autre partie une clause qui lui confère un avantage excessif et qui, dans ces conditions, doit être considérée comme abusive et doit donc être réputée non écrite.
Sur les frais irrépétibles et les dépens:
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société André Bernis "Latitude 5" l'intégralité des frais non compris dans les dépens et il y a lieu de lui allouer, de ce chef, une somme de 5 000 F.
Il n'y a pas lieu de revenir sur le jugement déféré, en ce qu'il statue sur le sort des dépens de première instance, en revanche, il convient de condamner société Crédir de l'Est, qui succombe dans l'instance d'appel, aux dépens de la procédure au second degré.
Décision:
LA COUR, Prononce la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 4541-91 et 4013-92, reçoit les appels, jugés réguliers, infirme le jugement rendu le 26 juin 1991 et rectifié le 30 octobre 1991, par le Tribunal de commerce de Toulouse, en ce qu'il condamne la société André Bernis "Latitude 5 " à garantir solidairement an paiement à la société Crédit de l'Est, une somme de 111 128,20 F et en ce qu'elle condamne la société André Bernis "Latitude 5" à payer à la société Crédit de l'Est une somme de 21 031,58 F, dit que la clause figurant à l'article 5-3 de ce dernier contrat est abusive et doit être réputée non écrite, déboute la société Crédit de l'Est de ses demandas à l'encontre de la société André Bernis "Latitude 5 ", condamne la société Crédit de l'Est à payer à la société de André Bernis "Latitude 5", une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamne aux dépens d'appel en autorisant maître de Lamy, avoué, à recouvrer directement contre elle ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.