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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 20 septembre 2001, n° 98-2498

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lemee (ès qual.), Guérin Automobiles (EURL)

Défendeur :

Nissan France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Laporte

Conseillers :

MM. Coupin, Fedou

Avoués :

SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Jullien-Lecharny-Rol

Avocats :

Mes Fourgoux, Reynaud.

T. com. Versailles, du 22 mars 1996

22 mars 1996

Faits, procédure et moyens des parties:

Selon un contrat en date du 13 février 1989, dont la durée qualifiée d'indéterminée est controversée, la société Guérin Automobiles est devenue concessionnaire de la marque Nissan pour la distribution de véhicules automobiles dans les départements de la Mayenne, de l'Orne et de la Sarthe. Par lettre du 8 janvier 1991, la société Nissan France dénonçait ce contrat à effet du 8 janvier 1992.

Faisant grief à la société Nissan France d'une résiliation irrégulière, d'un comportement déloyal et de manœuvres pendant le préavis, la société Guérin Automobiles a saisi le Tribunal de commerce de Versailles. Au cours de cette procédure elle a fait l'objet d'un jugement de redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire. Maître Lemee a été désigné aux fonctions de liquidateur.

Par jugement en date du 22 mars 1996, la juridiction consulaire a débouté la société Guérin Automobiles d'une partie de ses demandes mais a condamné la société Nissan France à lui payer la somme de 100 000 F à titre d'indemnité pour la réduction unilatérale des encours financiers.

Maître Lemee qui, ès-qualités, a interjeté appel de cette décision soutient que le contrat doit être considéré, compte tenu des objectifs et des effets des annexes annuelles, comme un contrat à durée déterminée d'une année qui ne respecte pas les dispositions de l'article 5-2.1 du règlement CEE 123-85 de la Commission de la Communauté européenne exigeant qu'un tel contrat soit conclu pour un minimum de quatre années.

Il fait grief à la société Nissan France d'avoir gravement manqué à ses obligations contractuelles, et d'avoir violé ses engagements de livraison par des retards croissants dans les livraisons de véhicules, et par l'absence de livraison de vingt deux véhicules commandés et d'avoir fait des discriminations dans l'affectation des véhicules au profit d'autres concessionnaires, d'avoir provoqué la désorganisation des commandes par substitution de véhicules, en bloquant de manière intempestive les encours de commandes alors que le plafond d'un million de francs n'était pas atteint, et en refusant de livrer des commandes passées.

Il soutient que la société Nissan France a manqué à son obligation de loyauté en ne respectant pas le délai de préavis et a tenté de justifier a posteriori sa décision par une motivation fallacieuse en faisant état, mensongèrement selon lui, d'incidents de paiement.

Il expose que le contrat de concession présente des irrégularités, tombant sous le coup de l'article 81-1 du traité CE, qui l'empêche de bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le règlement CEE 123-85. Il souligne, à cet égard, que Nissan détermine unilatéralement les objectifs du concessionnaire selon des critères arbitraires et donne à la clause d'objectifs le caractère d'une obligation de résultat, assortie de sanctions abusives et de conséquences sur les primes. Il relève que le contrat ne reconnaît, selon lui, qu'une exclusivité théorique et aléatoire aux concessionnaires dont l'action peut se trouver réduite et affirme que l'exclusivité n'est qu'apparente compte tenu du comportement du concédant. Il fait en outre grief à Nissan de contrôler les prix pratiqués par les concessionnaires, d'imposer des taux de remise sur les pièces détachées vendues aux loueurs, de limiter abusivement les possibilités de prospection du concessionnaire, de se réserver un droit de veto sur la constitution de sous-réseaux d'agents, de restreindre la liberté du concessionnaire, de gérer ses approvisionnements en pièces détachées, de s'octroyer enfin des conditions déséquilibrées et excessives de résiliation.

Il en infère, par l'effet de la nullité des clauses non exemptables, celle du contrat de concession de la société Nissan laquelle a commis, selon lui, une faute en fondant ses relations avec ses concessionnaires sur un contrat d'adhésion dont les clauses sont illicites.

Il fait valoir qu'en imposant à la société Guérin Automobiles un tel contrat, en créant un état de dépendance absolue et en ne respectant pas même les obligations de ce contrat exécuté de mauvaise foi, la société Nissan France a causé à son concessionnaire des préjudices correspondant:

- à la perte de vingt deux commandes et de ventes potentielles, la privant d'une marge qu'il évalue à 600 000 F et des primes d'objectif de 86 076 F qui en seraient résultées,

- à la non-continuation du contrat qui aurait dû, selon les exigences du règlement CEE 123-85, se poursuivre pendant quatre années, estimée à 500 000 F,

- à la rupture abusive, estimée à 540 000 F, somme équivalente aux résultats d'exploitation des années 1990 et 1991, par analogie aux modalités d'indemnisation des agents commerciaux,

- au dépôt de bilan de la société Guérin Automobiles et à sa liquidation judiciaire, évalués à 1 150 000 F,

- à l'atteinte à sa réputation professionnelle et aux fausses imputations d'incidents de paiement, évaluées à 200 000 F.

Maître Lemee, ès-qualités, conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit fautive la réduction unilatérale des encours, à son infirmation pour le surplus, à la condamnation de la société Nissan France au paiement de la somme de 2 876 600 F à titre de dommages et intérêts et de celle de 100 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.

La société Nissan France répond que la société Guérin Automobiles a saisi la Commission européenne de la non-conformité du contrat de concession au règlement 123-85 et demande à la cour de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il soit justifié de la décision rendue par la Commission.

Au fond, elle explique que, disposant d'une caution de 350 000 F, elle n'était aucunement tenue de consentir un encours supérieur à cette somme, qu'elle avait remis en dépôt à la société Guérin Automobiles huit véhicules neufs dont la valeur devait être prise en compte dans le montant global de l'encours, ainsi porté à environ 1 500 000 F. S'estimant, dans ces conditions, fondée à refuser des livraisons complémentaires à proximité de la fin du contrat, elle forme appel incident et demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 100 000 F.

Rappelant le contingentement imposé aux véhicules importés du Japon et les contraintes de gestion découlant de cette situation, elle réfute point par point les griefs articulés par maître Lemee, ès-qualités, sur les allocations de véhicules neufs et sur les prétendues discriminations et souligne l'absence de pièces justifiant le préjudice allégué de 600 000 F comme de tout lien de causalité avec les retards prétendus de livraison.

Elle confirme que la durée du contrat était bien indéterminée et n'était pas modifiée par les fixations annuelles d'objectifs qui permettent de tenir compte de l'évolution des relations entre les co-contractants. Elle conteste subsidiairement, le préjudice allégué à ce titre.

Elle dénie tout manquement à ses obligations contractuelles et de loyauté comme tout abus dans la résiliation pour laquelle elle a respecté le préavis d'un an.

Elle soutient que les clauses du contrat de concession sont parfaitement licites au regard du règlement CEE 123-85. Elle fait valoir en outre que la société Guérin Automobiles n'établit pas que son état de cessation des paiements aurait pour cause une ou plusieurs clauses, qui seraient illicites, du contrat de concession et souligne l'absence de justification du préjudice de 1 150 000 F allégué.

Expliquant que la clause d'objectif imposée au concessionnaire a toujours le caractère d'une obligation de résultat, elle indique que la majorité des membres du réseau encaisse les primes de réalisation des objectifs. Elle observe que seule la pénétration insuffisante du marché, rattachée à la réalisation des objectifs, peut entraîner la modification du territoire concédé. Elle précise que l'exclusivité contractuelle ne concerne que les produits de sa marque et n'a pas pour effet de limiter les possibilités de prospection du concessionnaire pour les autres produits.

Elle justifie par la protection nécessaire de son image de marque, le droit de regard sur le choix des sous-concessionnaires ou agents. Elle réfute enfin les griefs tenant aux conditions d'approvisionnement en pièces détachées. Elle conclut à la parfaite conformité de son contrat aux exigences du règlement CEE 123-85 et dénie toute responsabilité sur ce fondement.

Elle demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une somme de 100 000 F, le sursis à statuer sur les demandes de maître Lemee, subsidiairement la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté ce dernier de ses demandes et une indemnité de procédure de 50 000 F.

La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 5 avril 2001 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 5 juin 2001.

Motifs de la décision

* Sur le sursis à statuer

Considérant que, par lettre recommandée en date du 25 avril 1997, la Commission des Communautés européennes a fait part à de son intention de ne pas poursuivre l'examen de la plainte déposée par la société Guérin Automobiles à l'encontre de la société Nissan France; que le recours contre cette décision a été déclaré irrecevable par le Tribunal de première instance des Communautés européennes le 13 février 1998; que le pourvoi formé contre cette décision a été rejeté le 5 mars 1999 par la Cour de justice des communautés européennes; que les recours formés par la société Guérin Automobiles ont été déclarés irrecevables par décision de la Cour européenne des droits de l'homme le 4 juillet 2000;

Qu'il suit de là que la société Nissan France doit être déclarée mal fondée en sa demande de sursis à statuer;

* Sur la durée du contrat

Considérant que le contrat stipule, en son article 6- Durée: "Le présent contrat est conclu pour une durée indéterminée. Il prendra effet le 1er janvier 1989. Il pourra être résilié à tout moment moyennant un préavis d'un an donné par lettre recommandée avec accusé de réception.";

Que cette stipulation, claire, n'est pas contredite par le fait que le contrat fixe, pour la première année d'exécution, des objectifs de volumes de ventes à réaliser dont il prévoie, pour les années suivantes la détermination d'un commun accord entre les parties au début de chaque année civile, et alors que les objectifs pour 1990 et 1991 ont été explicitement approuvés par la société Guérin Automobiles, respectivement les 21 février 1990 et 4 avril 1991;

Considérant que l'objet du contrat est d'assurer la distribution des véhicules Nissan et le service après-vente sur un territoire défini dans le cadre d'une concession de la marque, et ne se limite pas à un engagement de volume minimum; Que chaque détermination annuelle des objectifs n'a pas pour effet de créer un lien contractuel nouveau; Que le fait que le contrat ne prévoie pas de mécanisme de conciliation ou de règlement de conflit en cas de désaccord sur une révision des objectifs n'a pas nécessairement pour conséquence de priver le contrat de son exécution;

Considérant que la clause contractuelle de durée n'est pas contraire aux dispositions de l'article 5-2-2° du règlement CEE 123-85 du 12 décembre 1984 qui fixe à la validité d'un accord conclu pour une durée indéterminée la seule condition d'un délai de résiliation ordinaire d'au moins un an pour les deux parties;

Que l'article 4 - I - 3° dudit règlement précise que ne fait pas obstacle à l'application de l'exemption de la prohibition des ententes, l'engagement par lequel le distributeur s'oblige à s'efforcer d'écouler dans une période déterminée un nombre minimal de produits; qu'il laisse en outre au fournisseur la faculté de le fixer à partir d'estimations prévisionnelles si les parties ne se mettent pas d'accord à ce sujet;

Qu'il en résulte que maître Lemee est mal fondé à soutenir que le contrat doit être considéré comme à durée déterminée et devait donc être poursuivi sur les mêmes bases pendant quatre ans;

* Sur les retards de livraisons et l'inexécution des commandes

Considérant que maître Lemee ne saurait contester la réalité des exigences gouvernementales qui ont amené les importateurs de véhicules, en provenance notamment du Japon, à instituer une règle d'autolimitation en volume; que l'absence de caractère réglementaire de ce contingentement ne lui retire pas sa réalité économique que la société Guérin Automobiles, professionnel de l'automobile, ne pouvait ignorer;

Considérant que la société Nissan France était en conséquence contrainte de répartir entre tous les concessionnaires français les véhicules dont elle pouvait disposer, tant ceux contingentés en provenance du Japon que les modèles fabriqués en Espagne et en Grande Bretagne; qu'à cet égard, la distinction sémantique entre véhicules alloués et affectés est sans effet, chacun des accords de volume minimum des trois années du contrat détaillant les trois catégories de véhicules selon leur provenance géographique;

Considérant que, par lettre circulaire du 4 avril 1991, la société Nissan France a indiqué à tous ses concessionnaires les difficultés rencontrées par l'usine britannique pour faire face au surcroît de production induit par le succès commercial des modèles de la gamme Primera et Sunny générant des délais de livraison de 4 à 5 mois et les a informés que la répartition se ferait en tenant compte des quotas mais également d'une analyse du marché et en soulignant que la satisfaction des commandes serait soumise à des aléas dépendant de la capacité de production de l'usine; qu'il n'est pas allégué que la société Guérin Automobiles aurait protesté à cette circulaire;

Considérant que pour justifier des griefs de retards de livraison perturbant la concession, maître Lemee ne fait état que de trois commandes; qu'il résulte toutefois des documents produits à l'appui de ces critiques que si la commande 91026 du 30 mars 1991 n'a pu être livrée que le 30 août, les deux autres commandes 90046 du 15 décembre 1990 et 91022 du 30 mars ne sauraient être invoquées au titre des retards de livraison par maître Lemee qui vise les mêmes commandes pour démontrer leur mauvaise exécution par substitution de véhicules;

Considérant que maître Lemee expose que 22 commandes passées en 1991 n'ont pas été exécutées par la société Nissan France; que l'analyse détaillée de la liste correspondante montre que la commande 91048 du 1er juillet 1991 a été annulée comme faisant double emploi avec la même faite le 29 juin et que les 21 autres n'ont pas pu recevoir exécution avant la fin du contrat de concession et ont été, en conséquence annulées par la société Nissan France;

Que trois de ces commandes datent d'avril et de juin 1991 et traduisent à l'évidence un retard excessif à leur exécution qui n'était toujours pas satisfaite au jour où le contrat de concession s'est achevé; Qu'il en est de même des dix commandes passées en septembre 1991;

Qu'en revanche, le grief de retard excessif ou d'inexécution ne peut être valablement formulé à l'encontre des huit commandes passées entre le 4 octobre et le 27 décembre 1991, c'est à dire dans les trois mois précédant la fin du contrat; Qu'à cet égard, il convient de relever la lettre en date du 27 décembre 1991, par laquelle la société Guérin Automobiles se plaint de ne pas recevoir les véhicules commandés, sans toutefois viser les six commandes faites dans le courant du mois de décembre;

Considérant que les objectifs acceptés par la société Guérin Automobiles pour l'année 1991 faisaient état de 80 véhicules répartis entre 46 en provenance du Japon, 12 d'Espagne et 22 de Grande Bretagne; que la société Nissan France ne conteste pas sérieusement le relevé de maître Lemee qui laisse apparaître les déficits de livraisons et l'impossibilité de respecter les minima de ventes convenus au titre de l'année 1991;

Qu'il est ainsi établi que la société Nissan France n'a pas été en mesure de respecter ses obligations contractuelles en ne procédant pas, dans un délai raisonnable n'excédant pas trois mois, à la livraison de 13 véhicules commandés par maître Lemee;

Considérant que maître Lemee affirme que les retards ont gravement porté atteinte à la réputation commerciale de la société Guérin Automobiles et que plusieurs commandes ont été annulées par des clients lassés d'attendre; qu'il ne justifie toutefois seulement que de deux annulations par les clients Discovery et Noël; que les protestations de Madame Descaves ont été adressées directement à la société Nissan France qui les a répercutées sur la société Guérin Automobiles, laquelle ne fournit aucune précision sur la suite qui a été donnée sauf à indiquer, sans en justifier, qu'elle a été contrainte de rembourser à sa cliente une augmentation contestée du prix de vente;

Considérant cependant que l'absence de livraison dans un délai raisonnable, avant la fin du contrat, de treize véhicules a nécessairement causé à la société Guérin Automobiles un préjudice financier résultant de la perte de marge et de celle de la prime de réalisation des objectifs et un préjudice commercial constitué de l'inévitable insatisfaction de sa clientèle;

Considérant que maître Lemee fait grief à la société Nissan France d'avoir défavorisé la société Guérin Automobiles en pratiquant à son préjudice une discrimination; qu'il fait toutefois état, pour tenter d'en justifier, de taux de satisfaction des commandes des autres concessionnaires sans produire aucun document de nature à justifier ses calculs; qu'il réfute les tableaux comparatifs produits par la société Nissan France en faisant toutefois une confusion regrettable entre modèles et gammes;

Qu'il en résulte que le jugement doit être réformé en ce qu'il a débouté maître Lemee de sa demande d'indemnité au titre des manquements de la société Nissan France au respect de son obligation d'approvisionnement;

Considérant en revanche que maître Lemee est mal fondé à invoquer un préjudice résultant de la livraison de deux véhicules différents de ceux commandés sous les références 91022 et 91026 le 30 mars 1991, alors que la société Guérin Automobiles a accepté ces livraisons sans protestation et qu'il n'est produit aucun élément de nature à établir que les clients auraient renoncé à leur commande ou que les véhicules n'auraient pas pu être revendus;

* Sur le blocage des encours

Considérant que le contrat du 13 février 1989 prévoit l'octroi par la société Nissan France d'un crédit fournisseur à concurrence du montant d'une caution bancaire mise en place, mais stipule également qu'un encours supérieur au montant de la caution peut être accordé afin de faciliter momentanément des problèmes de trésorerie;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les engagements de la société Guérin Automobiles étaient garantis par une caution bancaire de 350 000 F; que les très nombreux relevés d'encours financiers dressés par la société Nissan France sur la période du 31 juillet 1991 au 7 janvier 1992, montrent que le crédit accordé s'élève à la somme de 1 000 000 F; que la situation du solde débiteur du client maître Lemee dans les livres de la société Nissan France, sur cette période, est rarement supérieure à 500 000 F et que le plafond de l'encours de 1 000 000 F n'est jamais atteint ou même approché;

Considérant que le contrat ajoute aux conditions de fonctionnement de l'encours la stipulation suivante: "Il (le concessionnaire) pourra en outre bénéficier de mises en dépôt caution pour un certain nombre de véhicules restant la propriété de Richard-Nissan et ne pouvant être vendus qu'après achat et paiement par le concessionnaire"; que l'emploi de la locution "en outre" indique clairement que l'encours n'inclut aucunement la valeur des véhicules confiés en dépôt; que la société Nissan France est en conséquence mal fondée à ajouter la valeur de ces derniers au compte débiteur de son concessionnaire pour soutenir un dépassement de l'encours qui l'aurait autorisée à refuser la livraison de véhicules;

Considérant que les différents relevés des commandes en cours édités entre le 2 août 1991 et le 8 janvier 1992 font apparaître que certaines sont affectées de la mention "ben" dont les parties s'accordent sur la signification "blocage encours";

Considérant qu'en refusant d'exécuter les commandes ou en apportant un retard excessif à la livraison des véhicules, pour cause alléguée à tort d'encours atteint, la société Nissan France a engagé sa responsabilité contractuelle;

* Sur le refus de vente

Considérant que maître Lemee fait grief à la société Nissan France d'avoir refusé de vendre à la société Guérin Automobiles un véhicule Micra dont cette dernière lui avait passé commande le 30 décembre 1992;

Mais considérant d'une part que ces faits ne peuvent s'inscrire dans le cadre de l'exécution du contrat de concession puisqu'ils sont intervenus près d'un an après sa cessation; qu'au surplus la demande de la société Guérin Automobiles en date du 15 décembre 1992 est ainsi libellée: "Désirant acheter une Micra 1,3 L - LX 5 portes - 5 vitesses, je voudrais connaître vos conditions et délai" ne constitue pas une commande mais une simple demande d'information puisque, notamment, rédigée au conditionnel;

Que la réponse de la société Nissan France en date du 30 décembre ne saurait dès lors être constitutive d'un refus de vente entre professionnels, lequel n'est plus, au demeurant, par l'effet de la loi du 1er juillet 1996 d'application immédiate, susceptible d'être sanctionné;

Que maître Lemee doit, en conséquence être déclaré mal fondé en ce moyen;

* Sur la résiliation du contrat

Considérant que le contrat à durée indéterminé conclu le 13 février 1989 ouvrait à chacune des parties la faculté d'y mettre fin à tout moment à la condition d'un préavis d'un an signifié par lettre recommandée avec accusé de réception;

Considérant que c'est par une lettre recommandée en date du 8 janvier 1991, compostée à Trappes le jour même, que la société Nissan France a confirmé à son concessionnaire sa décision de résilier le contrat;

Que maître Lemee fait grief à cette résiliation de n'avoir pas respecté le délai d'un an au motif qu'elle indique "La cessation de nos relations interviendra donc le 8 janvier 1992";

Mais considérant que le premier paragraphe est ainsi libellé: "... nous vous confirmons que nous entendons mettre fin à votre contrat de concessionnaire avec préavis de 12 mois"; que le délai de présentation de cette lettre recommandée et la règle de computation en jours F, a pour effet de reporter d'un jour ou deux la date effective de la résiliation; que l'indication de celle du 8 janvier 1992 ne traduit pas, comme le soutient maître Lemee, l'absence de loyauté de Nissan dans la mise en œuvre de dispositions contractuelles;

Considérant qu'en décidant de mettre fin au contrat de concession, la société Nissan France n'a fait qu'user des dispositions contractuelles qui font la loi des parties; qu'elle n'était pas tenue de donner de motifs à sa décision;

Considérant qu'il importe toutefois de rechercher si, comme le soutient maître Lemee à qui incombe la charge de la preuve, cette résiliation ne revêt pas un caractère abusif au regard de la nécessaire loyauté d'exécution des conventions au sens des dispositions de l'article 1134 du Code civil;

Mais considérant que maître Lemee n'apporte aucun élément de nature à établir un abus de la société Nissan France; qu'au jour de l'envoi de la lettre de résiliation le contrat venait d'achever sa deuxième année d'exécution; que maître Lemee ne fait pas état de la réalisation par la société Guérin Automobiles d'investissements nécessaires à son exécution, ni de l'embauchage d'un personnel supplémentaire ou spécialisé; qu'il expose que la société Nissan France aurait été animée par des motifs fallacieux ou malveillants, sans pour autant les préciser davantage;

Considérant que, même si le caractère fantaisiste des allégations d'incidents de paiements faites au détriment de la société Guérin Automobiles est aujourd'hui avéré par une lettre de sa banque le Crédit Lyonnais, il est toutefois établi que, comme le soutient la société Nissan France, celles-ci n'ont été formulées que dans le cadre de la procédure, en réplique à des arguments et sont largement postérieures à la décision de résiliation dont rien ne démontre qu'elles en seraient le fondement;

Qu'il s'ensuit que maître Lemee doit être déclaré mal fondé en sa demande de voir déclarer abusive la résiliation du contrat de concession;

* Sur la nullité alléguée du contrat

Considérant que maître Lemee soutient que le contrat Nissan comporte des clauses qui ne peuvent bénéficier de l'exemption de la prohibition des ententes et se trouve, de ce fait, en infraction aux dispositions de l'article 81-1 du traité CE et encourt la nullité;

Considérant que le contrat de concession fixe, pour le premier exercice, les objectifs de volume à réaliser et prévoit, pour les exercices suivants, leur détermination d'un commun accord; qu'il est produit aux débats les lettres de propositions de volumes à réaliser pour les exercices 1990 et 1991, explicitement approuvées par la société Guérin Automobiles qui les a respectivement signées le 21 février 1990 et 4 avril 1991; qu'il s'ensuit que, contrairement à ce qu'affirme maître Lemee, les objectifs du concessionnaire n'étaient pas déterminés de façon unilatérale selon des critères arbitraires et qu'il n'y avait, pour celui-ci, aucune possibilité de discussion; qu'il n'est nullement démontré que le contrat n'aurait pas été renouvelé si le concessionnaire s'opposait à la proposition du concédant; qu'à cet égard, maître Lemee ne saurait faire grief au contrat de n'avoir pas mis en place l'arbitrage d'un tiers expert qui n'a été rendu obligatoire que par le règlement CE 1475-95 lequel n'est pas applicable au contrat litigieux;

Considérant que les difficultés rencontrées par les importateurs de véhicules japonais à l'égard des exigences gouvernementales d'en contingenter les volumes et les retards à la livraison de certains modèles à succès, tels qu'ils se sont révélés dans le courant de l'année 1991 sont des phénomènes conjoncturels qui ne sauraient avoir pour effet de démontrer le caractère illicite de la clause de volume;

Considérant que le contrat de concession détermine des objectifs à réaliser mais n'impose en aucune manière des quantités minima de ventes; qu'un "objectif" constitue un but à viser et à s'efforcer d'atteindre; que le contrat envisage d'ailleurs une telle hypothèse et prévoit que "si les volumes ou le pourcentage de pénétration n'étaient pas atteints, cela justifierait éventuellement de la part de Richard Nissan une modification du territoire"; que l'emploi du conditionnel et de l'adverbe "éventuellement" a pour effet de priver de tout caractère systématique la sanction de la non-réalisation des objectifs fixés d'un commun accord qui se révèlent ainsi constituer pour le concessionnaire une obligation de moyens;

Considérant que c'est sans en justifier que maître Lemee affirme que les primes pour dépassement d'objectifs sont fixées à un niveau les rendant inaccessibles; que les primes de quotas, qui ne sont pas prévues par le contrat, résultent, comme les objectifs eux-mêmes, des propositions formulées par la société Nissan France et approuvées par la société Guérin Automobiles pour chacun des exercices 1990 et 1991; que l'objectif 1991 aurait d'ailleurs été atteint si Nissan n'avait pas retardé l'exécution des commandes;

Qu'il s'ensuit que la clause d'objectif convenue est conforme aux dispositions de l'article 4 - I - 3° du règlement CEE 123-85 qui stipule que ne fait pas obstacle au bénéfice de l'exemption visée par l'article 85 du traité CEE, l'engagement par lequel le distributeur s'oblige à s'efforcer d'écouler dans une période déterminée un nombre minimal de produits que le fournisseur fixe à partir d'estimations prévisionnelles des ventes du distributeur si les parties ne se mettent pas d'accord à ce sujet;

Considérant que maître Lemee soutient que le contrat ménage au concédant la possibilité de déstabiliser le concessionnaire car, selon lui, Nissan peut réduire la zone concédée ou imposer au bénéficiaire de l'exclusivité un concessionnaire concurrent; mais considérant que maître Lemee fait, par-là, une lecture inexacte du contrat de concession qui stipule que "toutefois, les parties se réservent la possibilité en cours de contrat de revoir et éventuellement modifier la zone du concessionnaire si l'intérêt de la marque l'exigeait"; qu'il en résulte que la modification du périmètre de la concession ne peut intervenir qu'avec l'accord des deux parties et n'est, en aucune manière, réservée à la seule volonté de Nissan; qu'une telle convention qui vise simplement à prévoir l'évolution économique des relations dans le cadre du contrat à durée indéterminée n'a aucun caractère d'un traitement discriminatoire;

Considérant que l'article 3-3° du règlement 123-85 réserve au concédant la possibilité d'imposer au distributeur de ne pas vendre de véhicules neufs concurrents des produits contractuels et de ne pas vendre des véhicules neufs offerts par d'autres constructeurs dans des exploitations commerciales dans lesquelles sont offerts des produits contractuels; qu'est parfaitement conforme à cette disposition la clause qui interdit, sauf dérogation, au concessionnaire de représenter des véhicules de toute autre marque que celle importée par le concédant, dès lors qu'est autorisé au concessionnaire, sous la condition d'une exigence de sa situation financière, de prendre la représentation d'une autre marque sous réserve d'y procéder dans des locaux différents;

Considérant que c'est vainement que maître Lemee soutient que Nissan a laissé le concessionnaire voisin concurrencer la société Guérin Automobiles de façon déloyale dès lors que la seule pièce produite à l'appui de cette affirmation est une lettre qui émane du concessionnaire AMS et qui vise une situation postérieure à la résiliation du contrat la société Guérin Automobiles; que l'immatriculation en "transit temporaire" d'un véhicule vendu à un client localisé en Mayenne contredit l'affirmation de fictivité de son adresse martiniquaise; que les protestations du groupement des concessionnaires Nissan sur des ventes réalisés hors réseau, n'ont aucun caractère probant sur les allégations de non-respect de l'exclusivité accordée à la société Guérin Automobiles qui ne soutient ni ne démontre la localisation, sur son territoire, de loueurs de voitures susceptibles de s'être portés acquéreurs de véhicules directement auprès de l'importateur;

Considérant que l'article 6-2° du règlement CE 123-85 exclut le bénéfice de l'exemption lorsque le concessionnaire oblige le distributeur à ne pas sous-coter certains prix ou à ne pas dépasser certains taux de remise lors de la vente des véhicules; que dans le contrat incriminé, le concessionnaire s'engageait à ne pas consentir de rabais ou de remises abusifs; qu'une telle disposition n'apparaît pas illicite au regard du règlement 123-85 dès lors que les taux de remises envisagés ne sont aucunement précisés mais sont seulement susceptibles d'être appréciés au regard des éventuels discrédits du produit ou abaissement de la notoriété de la marque qu'ils pourraient causer; qu'à l'égard de l'exécution du contrat litigieux, le contenu d'une lettre circulaire en date du 31 mai 1988 est inopérant puisque antérieur de plusieurs mois à sa conclusion; qu'il en est de même d'une "note au réseau" relative aux taux de remise applicables aux pièces détachées puisque, datée du 22 février 1994, elle est postérieure de plus de deux ans à la cessation du contrat;

Considérant que maître Lemee fait valoir que Nissan limite abusivement les possibilités de prospection du concessionnaire qui n'a pas, selon lui, les moyens de satisfaire sa clientèle; que le contrat litigieux dispose, en son article 1er que la société Guérin Automobiles s'appliquera à vendre des voitures de marques importées par Richard Nissan et s'interdira toute protection hors de la zone définie; qu'à l'évidence cette interdiction ne s'étend pas aux produits dont il n'est pas question dans cet article c'est à dire aux produits concurrents; qu'elle est en conséquence conforme aux dispositions de l'article 3 paragraphes 8° et 9° du règlement CE 123-85; que les difficultés d'approvisionnement du réseau, ci-dessus exposées, liées au contingentement et à l'insuffisance des capacités de production des usines européennes ne saurait constituer, en ce qu'elles sont purement conjoncturelles et extérieures à la société Nissan France, une critique sérieuse du non-respect de cette disposition réglementaire;

Considérant que maître Lemee ne démontre pas en quoi le fait de subordonner à l'agrément de Nissan la faculté de la société Guérin Automobiles de nommer un agent serait contraire aux dispositions du règlement 123-85 dès lors qu'un tel agrément vise à garantir à la clientèle utilisatrice les qualités d'accueil, de compétence et de sérieux qu'elle est en droit d'attendre et, par conséquent, à permettre au concessionnaire de mieux assurer la distribution des produits et des services;

Considérant que le contrat litigieux ne comporte aucune disposition contraignante en ce qui concerne la détention d'un stock minimum de pièces de rechange et autorise expressément l'emploi de pièces détachées non agrées par le constructeur; que le grief de non-conformité de ces conditions contractuelles au règlement CE 123-85 n'est pas établi;

Considérant que la clause résolutoire insérée au contrat de concession se réfère aux circonstances et conditions habituelles en la matière en visant, principalement, outre le caractère intuitu personae du contrat, le non-respect par le concessionnaire de ses obligations et le non-paiement de ses dettes; que les circulaires unilatéralement établies par Nissan sont sans portée sur les conditions contractuelles dont il n'est pas démontré que, comme le soutient maître Lemee, elles laisseraient au concédant une marge de manœuvre excessive;

Qu'il résulte de ce qui précède que le caractère illicite du contrat de concession, au regard des dispositions du règlement CEE 123-85 n'est pas établi; que ce moyen de nullité du contrat doit être rejeté;

* Sur les préjudices

Considérant qu'il a été établi que la société Nissan France n'a pas été en mesure de respecter ses obligations contractuelles en ne procédant pas, dans un délai raisonnable n'excédant pas trois mois, à la livraison de treize véhicules commandés par la société Guérin Automobiles;

Que ce manquement a causé à cette dernière un préjudice certain constitué de la perte de marge sur les véhicules dont la vente n'a pu être réalisée et de la perte de la possibilité de bénéficier des primes financières pour dépassement d'objectifs, au titre de l'exercice 1991;

Que treize véhicules ont vu leur livraison, d'abord retardée de manière excessive, puis leur commande résiliée après la cessation du contrat; que s'ajoutant aux 67 déjà commercialisés par la société Guérin Automobiles sur l'exercice 1991, ils auraient permis d'atteindre l'objectif de 80 voitures, ouvrant au concessionnaire le bénéfice d'une prime de 1,3 % pour réalisation à 100 % de l'objectif cumulé; que le chiffre d'affaires de la société Guérin Automobiles, pour l'exercice du 1er juin 1990 au 31 mai 1991, s'établit à 6 300 000 F alors que l'objectif 1990 était de 58 voitures; que le prix de vente moyen d'un véhicule peut être ainsi retenu pour une somme de 90 000 F; que le taux de marge s'établit à environ 15 %; que la perte de marge pour treize véhicules doit être estimée à 175 000 F; que la perte de la prime de 1.3% sur 80 véhicules à 90 000 F est d'environ 95 000 F; qu'il en résulte que le préjudice total subi par la société Guérin Automobiles de ce chef doit être estimé à 270 000 F;

Considérant que maître Lemee ne peut alléguer un préjudice pour cause de rupture du contrat et de sa non-continuation pendant quatre ans dès lors qu'il a été établi le caractère indéterminé de sa durée et la régularité de sa résiliation; que le contrat ne prévoyant pas le transfert au concédant d'une quelconque clientèle, aucune indemnité ne saurait être réclamée de ce chef par analogie avec un contrat d'agent commercial;

Considérant que faute par maître Lemee d'établir la démonstration du caractère non exemptable du contrat à l'égard des dispositions du règlement CEE 123-85, et d'établir la réalité du lien de causalité entre l'attitude de la société Nissan France et la déclaration par la société Guérin Automobiles de l'état de cessation de ses paiements, la demande d'indemnisation du préjudice constitué de la liquidation judiciaire doit être rejetée; qu'il en est de même du préjudice moral prétendu dont la réalité n'est au surplus étayée d'aucun élément probant;

* Sur les autres demandes

Considérant que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant que les deux parties succombant l'une et l'autre partiellement en leurs prétentions supporteront, par moitié, la charge des dépens d'appel;

Par ces motifs: Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Dit n'y avoir lieu à sursis à statuer, Confirme le jugement en ce qu'il a dit que la résiliation du contrat a été effectuée conformément aux clauses contractuelles, et qu'il n'est pas démontré que le redressement judiciaire de la société Guérin Automobiles soit consécutif à l'exécution du contrat par la société Nissan France, Le réforme pour le surplus, Dit que la société Nissan France a manqué à ses obligations contractuelles en ne procédant pas dans un délai raisonnable, à la livraison de treize véhicules commandés par la société Guérin Automobiles; Condamne la société Nissan France à payer à maître Xavier Lemee, ès-qualités, la somme de 270 000 F (41 161,23 euros) en réparation du préjudice en résultant, Déboute maître Xavier Lemee, ès-qualités, du surplus de ses demandes, à l'exception de celle relative aux dépens, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne chacune des parties aux dépens d'appel, après masse, par moitié, qui pourront être recouvrés directement par leurs avoués respectifs conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.