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Décisions

CA Douai, 2e ch., 24 avril 1997, n° 95-01285

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Interbrew (SA)

Défendeur :

Le Rafiot (SARL), Baury (Consorts), Corraza, Société d'exploitation et de commercialisation des entreprises Renis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ludet

Conseillers :

Mmes Gosselin, Chaillet

Avoués :

Mes Le March'adour Pouille-Groulez, Cocheme-Kraut, Masurel-Thery

Avocats :

Mes Pollet, Vandermaesen, Raynaud Contamine.

T. com. Lille, du 13 oct. 1994

13 octobre 1994

Faits, procédure et prétentions des parties:

En contrepartie d'un cautionnement en sa faveur, la SARL Le Rafiot s'était engagée lors de son achat du fonds de commerce de bar-glacier-pizzeria à Saint-Jean Cap Ferrat à se fournir exclusivement en bières vendues par la société Interbrew France pendant 9 ans, approvisionnement devant se faire soit chez elle, soit par un entrepositaire désigné par la société Interbrew, la société Mauro à Antibes.

Cet engagement a été formalisé sur l'acte de vente dressé le 15 septembre 1984 par Maître Benne, notaire à Nice.

Par ailleurs, une convention de fourniture précisant les quantités minimales annuelles d'achat a été passée entre la SARL Le Rafiot et la société Mauro pour une durée de 5 ans. Le 18 avril 1990, les parts de la société Le Rafiot étaient vendues à Messieurs Milios et Dupupet, actuels actionnaires.

La société Interbrew France, constatant qu'à la suite de cette cession, la société Le Rafiot ne s'approvisionnait plus auprès de son entrepositaire, assignait cette société qui appelait en garantie ses anciens associés, soit M. Albert Baury, Mme Yvette Baury-Vignal, Mme Patricia Renis-Corraza et la société SECER.

Par jugement rendu le 13 octobre 1994, le Tribunal de commerce de Lille a:

- constaté qu'en raison du lien existant entre les deux contrats, la durée maximale d'exclusivité de fourniture de boissons ne pouvait être que de 5 ans, comme précisé sur le contrat,

- débouté la société Interbrew de ses demandes,

- condamné cette société à payer à la SARL Le Rafiot la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné la SARL Le Rafiot à payer à chacun des appelés en garantie les mêmes sommes.

Par acte du 25 janvier 1995, la société Interbrew France a relevé appel de ce jugement et, aux termes de conclusions déposées les 24 mai 1995 et 11 octobre 1996, elle demande à la cour, infirmant cette décision, de:

- constater que le contrat la liant à la SARL Le Rafiot avait une durée de 9 ans,

- constater que cette société a cessé d'exécuter ce contrat à compter du 18 avril 1990,

- lui allouer la somme de 250 000 F à titre de dommages et intérêts en application de la clause pénale du contrat ainsi que la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir:

- qu'il n'y a pas de contradiction entre les deux conventions qui portent l'une sur les bières l'autre sur les bières et d'autres boissons,

- que la clause d'approvisionnement exclusive incluse dans l'acte notarié prévoyant une durée de 9 ans est claire et ne nécessite aucune interprétation, les obligations des parties étant clairement définies,

- que la convention souscrite entre la SARL Le Rafiot et la société Mauro à laquelle elle n'était pas partie, ne lui est pas opposable.

Par acte du 22 février 1995, la société Interbrew France notifiait aux appelés en garantie son désistement d'appel à leur égard. La SARL Le Rafiot assignait donc ces derniers en appel provoqué aux fins de voir confirmer le jugement déféré sauf à dire n'y avoir lieu à condamnation à payer à chacun d'eux des dommages et intérêts ou indemnités fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et d'entendre déclarer commun l'arrêt à intervenir.

Par conclusions déposées les 10 janvier 1995, 5 août 1996 et 21 janvier 1997, la SARL Le Rafiot demande en outre à la cour de:

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société Interbrew France de ses demandes et l'a condamnée à lui verser 10 000 F à titre de dommages et intérêts et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Elle réclame par ailleurs une indemnité supplémentaire de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- infirmer cette décision en ce qu'elle l'a condamnée à verser à chacun des anciens actionnaires les mêmes sommes,

- dire que, vu l'ambiguïté des termes des conventions litigieuses, les appels en garantie ne présentent aucun caractère abusif,

- subsidiairement, en cas d'infirmation du jugement, débouter la société Interbrew France de ses demandes, notamment de l'indemnité sollicitée sur le fondement de la clause pénale, après l'avoir jugée excessive,

- dire que les appelés en garantie devront la garantir in solidum des condamnations à son encontre et lui régler 10 000 F à titre de dommages et intérêts et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose:

- que les deux conventions souscrites le même jour se complétaient, ne constituant en réalité qu'un seul et même engagement,

- que devant la contradiction existant au regard de la durée de l'engagement, la convention n'a de sens qu'en retenant la durée de 5 ans et en tout état de cause doit s'interpréter en faveur de celui qui s'engage, soit elle-même,

- que la clause pénale prévue au contrat est excessive en ce qu'elle représente la moitié du prêt dont elle se portait caution et alors qu'il existait d'autres cautions,

- qu'elle n'avait, lors de l'achat du fonds, aucune connaissance de ce contrat d'approvisionnement exclusif ce qui constitue une faute des cédants et justifie son appel provoqué à leur égard, ceci également en vertu de l'application de la convention de garantie d'actif et de passif.

Par conclusions déposées les 13 mars 1996 et 4 octobre 1996, M. Albert Baury, Mme Yvette Baury-Vignal, Mme Patricia Renis-Corraza et la société SECER, assignés en appel provoqué par la SARL Le Rafiot, demandent à la cour de:

- dire que les deux contrats ne constituaient qu'un seul et même engagement qui, quant à la durée, ne pouvait dépasser 5 ans,

- subsidiairement, dire que les acquéreurs des parts ont parfaitement connu, avant et au moment de la cession, l'accord passé avec la brasserie et l'établissement Mauro; qu'ils ont déclaré en faire leur affaire,

- condamner la SARL Le Rafiot à leur régler 40 000 F à titre de dommages et intérêts ainsi que 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en sus des condamnations de première instance.

Ils exposent:

- que la convention de fournitures exclusive a toujours été exécutée tant que M. Albert Baury était le gérant de la SARL Le Rafiot,

- que cette convention a continué à s'exécuter jusqu'au 31 mars 1990 alors que la société n'y était plus obligée,

- que les cessionnaires ont eu connaissance du contrat d'approvisionnement lors de l'achat de l'acte notarié dressé par Maître Benne.

Enfin par conclusions déposées le 29 janvier 1997, les consorts Baury demandent à la cour de rejeter des débats pour tardiveté les conclusions déposées le 21 janvier 1997 par la SARL Le Rafiot tendant à leur condamnation à une somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Aux termes d'écritures déposées le même jour, la SARL Le Rafiot s'oppose à une telle demande dans la mesure où les consorts Baury avaient agi de même lorsque l'affaire avait été fixée pour plaidoiries le 15 octobre 1996 puis le 23 octobre 1996 avant d'être renvoyée au 29 janvier 1997.

Sur ce:

A) Sur la demande de rejet des conclusions

Attendu que si la SARL Le Rafiot n'a déposé ses dernières conclusions que 8 jours avant la nouvelle et dernière date de fixation de l'affaire à l'audience, il apparaît que le principe du contradictoire n'a pour autant pas été violé dans la mesure où ces écritures n'apportaient aucun élément nouveau aux débats

B) Sur le fond

Attendu qu'il revient à la cour le soin d'apprécier l'existence et l'importance du lien existant entre les deux conventions sus-évoquées, signées le même jour, le 15 septembre 1984, soit:

- la convention commerciale de contrat d'approvisionnement exclusif incluse dans l'acte de vente authentique du fonds aux termes de laquelle la SARL Le Rafiot s'engage, (en contrepartie de l'engagement de caution souscrit par la Brasserie en garantie du prêt obtenu auprès de Lutetia), à s'approvisionner exclusivement auprès de la Brasserie ou d'un entrepositaire désigné par elle (en l'espèce la société Mauro) en bières de certaines marques pour un volume minimum de 100 hl par an, pour une durée de 9 ans,

- la convention sous seing privé par laquelle la SARL Le Rafiot s'engage pour une durée de 5 ans à s'approvisionner auprès de la société Mauro pour un certain nombre de marque de bières et d'autres boissons non alcoolisées (jus de fruits, eaux, cidre, vins rouge);

Attendu que si ces conventions souscrites le même jour avec référence dans les actes de l'une à l'autre ont un lien certain comme participant toutes deux aux modalités d'approvisionnement du fonds nouvellement acheté, il apparaît qu'il n'y a pas contradiction entre elles, chacune comportant tous les éléments lui permettant d'être exécutée séparément;

Que la première convention a prévu toutes les modalités de son exécution, notamment l'importance du volume de bières à acheter, la nature de ces bières, la durée des obligations et enfin la sanction en cas d'inexécution;

Que ces termes sont clairs et non susceptibles d'interprétation;

Qu'il en est de même pour la seconde convention;

Attendu qu'il résulte des pièces versés aux débats le fait que si ce contrat d'approvisionnement a été correctement exécuté par la SARL Le Rafiot jusqu'au 18 avril 1990 (donc pendant plus de 5 ans, ce qui confirme que cette société considérait bien être liée au-delà de ces 5 années) il ne l'a plus été à compter de la cession du fonds intervenue à cette date;

Qu'il y a donc eu rupture commerciale et anticipée de ce contrat justifiant l'application du droit à réparation du préjudice subi prévu par le contrat;

Que cependant la clause pénale contractuelle, que la cour peut réduire en application de l'article 1152 alinéa 2 du Code civil, apparaît excessive en raison des éléments suivants:

- elle est calculée à raison de 25 % du montant du prêt accordé par la société Lutetia (1 000 000 F) alors que la Brasserie ne s'est portée caution que pour 50 % de ce prêt,

- ce prêt était en outre largement garanti puisqu'il bénéficiait de la subrogation dans le privilège du vendeur, du nantissement du fonds, de la cession d'indemnités liées au bail, de la caution solidaire de M. Albert Baury et Mme Yvette Baury-Vignal, de la caution solidaire partielle du Crédit Municipal, de la participation au risque de la société Lyonnaise de Banque et enfin la Brasserie était cautionnée pour partie par la société Mauro pour son propre cautionnement;

Qu'ainsi compte-tenu de la relativité de ce risque pris par la Brasserie, il apparaît équitable de réduire la clause pénale à la somme de 100 000 F, de condamner la SARL Le Rafiot à lui payer cette somme ainsi que 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

C) Sur l'appel en garantie:

Attendu que les nouveaux acquéreurs du fonds affirment ne pas avoir eu connaissance de cette clause en invoquant la faute des cédants relative à ce manque d'information qui serait susceptible de les décharger de leurs condamnations;

Attendu qu'en leur qualité de cessionnaires, ceux-ci se devaient (et ont d'ailleurs déclaré dans l'acte de vente l'avoir fait) de prendre connaissance de l'acte d'acquisition antérieur et des charges par lui prévues dont ils devaient continuer à assurer l'exécution;

que cependant il est exact comme le soutient la société Le Rafiot, et cela résulte des pièces du dossier (notamment du constat d'huissier du 26 septembre 1991 et des propres écritures des appelés en garantie affirmant dans un premier temps que le contrat d'approvisionnement était limité à 5 ans), que les consorts Baury ont induit en erreur les cessionnaires en ne mettant pas en évidence la nécessité de poursuivre le contrat d'approvisionnement exclusif;

que cette faute justifie qu'ils soient condamnés à garantir la SARL Le Rafiot à concurrence de la moitié des sommes allouées à la Brasserie;

que cependant il apparaît équitable de laisser à la charge tant des cédants que de la SARL Le Rafiot leurs propres frais non compris dans les dépens, les déboutant par ailleurs de leurs demandes en dommages et intérêts respectivement présentées, faute de justification;

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit la société Interbrew France en son recours. Lui donne acte de son désistement d'appel à l'encontre de M. Albert Baury, Mme Yvette Baury-Vignal, Mme Patricia Renis-Corraza et la société SECER. Reçoit la SARL Le Rafiot en son appel en intervention forcée. Dit n'y avoir lieu à écarter des débats les dernières conclusions de la SARL Le Rafiot. Condamne cette société à régler à la société Interbrew FRANGE la somme de 100 000 F à titre de clause pénale ainsi que 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Dit que M. Albert Baury, Mme Yvette Baury-Vignal, Mme Patricia Renis-Corraza et la société SECER devront garantir la SARL Le Rafiot à concurrence de la moitié des sommes allouées. Déboute les parties de leurs demandes contraires ou supplémentaires. Condamne solidairement la SARL Le Rafiot et M. Albert Baury, Mme Yvette Baury-Vignal, Mmc Patricia Renis-Corraza et la société SECER aux dépens dont distraction au profit de la SCP Le Marc'hadour-Pouille-Groulez, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.