CA Rouen, 2e ch., 6 novembre 2003, n° 03-01489
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Adaro (SA)
Défendeur :
Delta Energie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bignon
Conseillers :
Mme Brumeau, M. Lottin
Avoués :
Me Couppey, SCP Colin-Voinchet-Radiguet-Ernault
Avocats :
Mes Mariscal, Challan-Belval.
Par acte en date du 8 novembre 2001, la société de droit espagnol Adaro SA a assigné la société Delta Energie SA, avec laquelle elle avait passé en 1995 une convention de distribution exclusive de ses produits en France, aux fins de la voir condamner à lui payer diverses sommes au titre de factures restées impayées.
Par jugement rendu le 13 décembre 2002, le Tribunal de commerce de Pont-Audemer a:
- dit recevable et bien fondée en sa demande initiale la société de droit espagnol Adaro SA,
- dit recevable et partiellement bien fondée la société Delta Energie SA en ses demandes reconventionnelles,
- condamné la société Delta Energie SA à payer à la société Adaro la somme principale de 13 750,89 euros en règlement de ses factures de fournitures de marchandises demeurées impayées,
- condamné la SA Adaro à payer à la SA Delta Energie la somme principale de 80 139,10 F soit 12 217,13 euros à titre d'indemnité de préavis et celle de 160 278,200 F soit 24 434,25 euros à titre d'indemnité de rupture contractuelle fautive,
- décidé d'ordonner la compensation de plein droit entre ces sommes dues réciproquement, à due concurrence,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la SA Adaro à payer la somme de 1 100 euros à la société Delta Energie par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- laissé les entiers dépens à la charge exclusive de la société Adaro,
- débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions.
Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal a estimé que l'accord concernant la diffusion de ses produits en France conclu par la société Adaro avec la société Delta Energie le 9 mars 1995 constituait un contrat de distribution exclusive à durée déterminée d'un an renouvelable par tacite reconduction pour une même période. Il a considéré que ce contrat s'était trouvé renouvelé d'année en année et que la rupture initiée par la société Adaro le 10 avril 2001, sans préavis d'usage et malgré l'absence de faute contractuelle de la société Delta Energie, contrevenait aux dispositions de l'article 14 de la loi du 1er juillet 1996 relative à la loyauté et l'équilibre des relations commerciales applicables en la cause.
Le tribunal a en effet estimé que la tolérance passée de la société Adaro, qui avait maintenu les relations contractuelles bien que la société Delta Energie n'ait jamais atteint les objectifs de vente prévus dans la convention, ne lui permettait pas d'invoquer cette absence de réalisation des objectifs comme une faute contractuelle de nature à justifier la rupture unilatérale de son chef.
La société Adaro a interjeté appel de cette décision.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2003.
Par conclusions récapitulatives signifiées le 22 septembre 2003, qui ne font que reprendre sur le fond ses conclusions antérieures signifiées le 26 août 2003, la société Adaro sollicite sur le fondement des articles 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile que soient écartées des débats les pièces communiquées par la société Delta Energie et numérotées 11 à 13, au motif que la communication en a été faite le jour de la clôture et qu'étant domiciliée en Espagne, elle n'a pas eu le temps utile pour les examiner et y répondre le cas échéant.
Toutefois la société Adaro a indiqué lors de l'audience et avant le déroulement des débats qu'elle renonçait à invoquer ce moyen.
Par ailleurs les parties ont précisé à l'audience avant le déroulement des débats, en application des dispositions prévues par la Convention de Rome en date du 19 juin 1980, qu'elles revendiquaient d'un commun accord l'application du droit français.
Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 26 août 2003 par la partie appelante et le 13 août 2003 par la société Delta Energie.
La société Adaro fait valoir que la contrepartie de l'exclusivité accordée à la société Delta Energie pour la commercialisation en France de ses produits était la réalisation des objectifs fixés dans le document contractuel (fax) du 9 mars 1995. Elle souligne avoir constamment rappelé à son distributeur cette obligation d'atteindre les objectifs, et considère qu'il s'agissait d'une obligation de résultats, que n'a jamais exécuté la société Delta Energie au cours des années qui ont suivi l'accord initial.
La partie appelante en déduit, s'agissant d'un contrat synallagmatique, qu'il existait une clause résolutoire en cas de non-respect de ces objectifs et qu'elle était en conséquence fondée, au vu des manquements de son cocontractants, à rompre le contrat sans qu'une résolution judiciaire soit nécessaire.
La société Adaro conteste en conséquence que puisse lui être imputée une rupture abusive, alors qu'elle a fait preuve de bienveillance en tolérant pendant des années les résultats insuffisants de son distributeur et en offrant même à ce dernier lors de la rupture du contrat de pouvoir s'approvisionner à des conditions avantageuses auprès de son successeur la société Gallin.
Elle réfute également les accusations de rupture brutale en produisant différents courriers adressés à la société Delta Energie en 1999, menaçant de mettre fin à l'exclusivité de cette dernière au cas où les objectifs resteraient insuffisants. La lettre adressée le 21 juin 1999 constitue selon elle un préavis. Elle soutient en outre que la négligence et la désinvolture de la société Delta Energie qui n'a pas cru devoir répondre à ces observations constituent une faute grave qui l'autorisait à résilier unilatéralement le contrat sans préavis.
Sur ce, LA COUR,
Sur les modalités de rupture applicables à l'espèce:
L'analyse du contrat résultant du jugement déféré, selon laquelle il s'agit d'un contrat à durée déterminée d'une année renouvelable par reconduction tacite, n'est nullement contestée devant la cour par les parties et doit être adoptée.
L'examen de l'accord initial ne fait nullement apparaître l'existence d'une clause résolutoire puisque la seule sanction prévue en cas de non-réalisation des objectifs est la suppression du caractère automatique du renouvellement du contrat de distribution exclusive.
Si les objectifs annuels mentionnés dans le contrat n'ont pas été atteints la première année, ni d'ailleurs les suivantes, la société Adaro n'a pas utilisé la sanction prévue dans ce cas, à savoir le non-renouvellement de l'exclusivité. Au contraire, elle a toujours continué à accorder la distribution exclusive de ses produits à la société Delta Energie, ainsi que l'indiquent les courriers adressés à son distributeur, et a renouvelé chaque année l'accord par tacite reconduction.Le dernier renouvellement en date du 5 mars 2001 et pour une durée d'un an résulte de ce que la société Adaro, qui avait menacé par plusieurs courriers émis en juin 1999 de mettre fin à l'exclusivité voire de négocier un devis pour l'année 2000, n'a ensuite proposé aucune modification du contrat à cette échéance et ne s'est manifestée d'une quelconque façon jusqu'à la rupture du 10 avril 2001.
En l'absence d'une clause résolutoire, l'inexécution par une partie de ses obligations ne peut justifier la résiliation unilatérale par l'autre partie d'un contrat à durée déterminée comme en l'espèce, excepté en cas de manquement grave rendant impossible le maintien des liens contractuels.
Sur le caractère abusif et brutal de la rupture:
En l'espèce aucun manquement grave ne peut être reproché et la lettre de rupture du 10 avril 2001 vient le confirmer qui, loin de faire un quelconque reproche à la société Delta Energie, ne fait qu'informer cette dernière de la conclusion d'un nouvel accord de distribution exclusive conclu avec la société Gallin,en remerciant la société Delta Energie "du travail que vous avez réalisé tout au long de ces années afin d'introduire nos produits sur le marché français".
La société Adaro aurait d'ailleurs été mal fondée, ainsi que l'a souligné le tribunal, à justifier cette rupture par une faute de son distributeur français alors qu'elle avait laissé le contrat se renouveler par tacite reconduction un mois auparavant comme les années précédenteset sans avoir fait aucune remarque depuis juillet 1999 sur la non-réalisation des objectifs de vente.
Or la société Adaro, tout au long de ces 6 années, n'avait jamais émis de critiques à l'encontre de la société Delta Energie autres que ce non-respect des objectifs, la félicitant même à de nombreuses reprises pour son travail, dans plusieurs courriers versés aux débats.
La responsabilité de la rupture incombe dés lors, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, à la société Adaro.
La rupture des relations contractuelles en dehors de toute faute de la société Delta Energie commise depuis le renouvellement du contrat un mois auparavant doit en conséquence être qualifiée d'abusive, sans que la tolérance antérieure et la bienveillance consistant à offrir à la société Delta Energie des conditions privilégiées d'achats auprès du nouveau distributeur, d'ailleurs sans aucune précision sur ces avantages, puissent atténuer ce caractère abusif.
Par ailleurs, le courrier adressé le 21 juin 1999 par la société Adaro à la société Delta Energie ne peut être considéré comme le prétend la partie appelante comme un préavis de six mois puisqu'il n'en résulte pas que le fabricant ait pris la décision à ce moment de retirer l'exclusivité de la distribution de ses produits pour la France à la société Delta Energie: comme le dit explicitement la société Adaro dans ses écritures analysant ce courrier (page 19), le maintien de l'exclusivité était conditionné à la réalisation de certains objectifs, et elle se réservait de voir sa position en fin d'année en fonction des résultats de vente. Toutefois, la société Adaro n'a pas persisté dans son intention fin 1999 en notifiant une décision de rupture, mais a laissé au contraire se renouveler le contrat en mars 2000 pour une nouvelle année.
La télécopie de la société Adaro en date du 6 juillet 1999 n'a fait que confirmer le courrier du 21 juin puisqu'elle y confirme que "il ne tient qu'à vous de décider si vous serez toujours notre distributeur exclusif dans l'avenir".
Au vu de ces éléments, la cour, qui adopte les motifs pertinents du jugement entrepris, considère que la société Adaro a commis une faute contractuelle en mettant fin de façon abusive et brutale aux relations avec la société Delta Energie.
Sur les préjudices de la société Delta Energie:
La société Delta Energie sollicite les sommes suivantes:
- 32 739 euros au titre de l'indemnité de préavis correspondant au chiffre d'affaires réalisés sur les lampes Adalit (produits de la société Adaro) pendant les 6 derniers mois précédent la rupture;
- 397 952,35 euros au titre de l'indemnité pour rupture illicite et abusive correspondant aux pertes de marge, perte sur rechange pièces et service après-vente non assuré, stock non écoulé, perte de clientèle, investissements non amortis et coût de la recomposition du catalogue;
- 152 449,02 euros au titre de son préjudice moral et financier.
S'agissant de l'indemnité de préavis, ni le délai de 6 mois retenu par le tribunal ni le calcul de l'indemnité à partir de la marge brute pondérée ne font l'objet de critiques précises émanant des parties. Il ne peut être attribué à ce titre comme le sollicite la société Delta Energie une somme correspondant au montant du chiffre d'affaires, lequel ne peut être confondu avec le préjudice subi. Il sera en conséquence alloué de ce chef une somme de 12 217,13 euros.
L'indemnité pour rupture illicite et brutale répare en l'espèce le préjudice causé au cours de l'année pendant laquelle le contrat de distribution aurait dû continuer à s'appliquer en l'absence de rupture, soit du 10 avril 2001 au 9 mars 2002.
Le calcul de perte de marge effectué à cet égard par l'expert comptable de la société Delta Energie, établi par comparaison entre les périodes du 1er octobre 2000 au 30 septembre 2001 d'une part et du 1er octobre 2001 au 30 septembre 2002 d'autre part, ne peut dans ces conditions être retenu.
Le principe du calcul sur la base de la marge brute pondérée, adopté par le tribunal et non critiqué directement par la société Adaro, sera également repris par la cour, étant toutefois observé que ce préjudice doit être chiffré pour 11 mois et non pour une année entière. Ce poste sera en conséquence ramené à la somme de 22 398,06 euros.
La perte de marge supplémentaire dans le cadre du marché public avec la Direction Départementale des Services d'Incendie et de Secours (DDSIS) de la Moselle, du fait de l'obligation pour la société Delta Energie de s'approvisionner auprès de la société Gallin à un prix supérieur au tarif précédemment consenti par la société Adaro, qui est également la conséquence directe de la rupture fautive par cette dernière des relations contractuelles, n'est pas justifiée par pièces puisque la société Delta Energie ne produit aucune facture des établissements Gallin ni la facture établie par elle à destination du DDSIS de la Moselle. Ce poste de préjudice ne pourra en conséquence être retenu.
La société Delta Energie ne donne aucune explication sur les raisons pour lesquelles elle n'a pu honorer la totalité de la commande avec la DDSIS de la Moselle alors qu'elle aurait pu se fournir pour la totalité de ce marché auprès de la société Gallin. Ce poste de préjudice lié à "l'impossibilité de livrer" sera en conséquence également écarté.
Il en sera de même en ce qui concerne le poste relatif à la "perte sur rechange pièces et SAV non assuré", qui n'est pas justifié par les pièces produites.
Le poste relatif à la perte de clientèle, qui correspond à des commandes en cours à l'époque de la rupture, est déjà réparé par l'indemnité évoquée ci-dessus et ne peut donner lieu à une double indemnisation.
Il ne saurait être retenu au titre des investissements non amortis que les coûts engagés lors de l'année précédent la rupture, dés lors que l'accord de distribution n'était renouvelable que pour une durée d'un an. Or aucune des dépenses invoquées à ce titre pendant cette période ne présente un lien direct et exclusif avec la promotion ou la commercialisation des produits fabriqués par la société Adaro.
Le coût de la recomposition du catalogue éclairage n'est pas justifié puisque seul un devis datant du 17 juillet 2001 est produit.
La société Delta Energie, du fait de la rupture du contrat, s'est trouvée dans l'impossibilité d'écouler son stock, résultant notamment d'achats effectués auprès de la société Adaro au début de l'année 2000. Elle justifie par inventaire de ce que le montant de ce stock s'élève à 13 716,74 euros, somme qui lui sera allouée au titre de ce préjudice.
La société Delta Energie ne justifie pas d'un préjudice moral et ne démontre pas l'existence d'un préjudice commercial distinct des postes de préjudices qui lui sont par ailleurs alloués.
Son préjudice total sera en conséquence fixé à la somme de 48 331,93 euros.
Sur les autres demandes:
La cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Delta Energie à payer à la société Adaro les factures restées impayées, dont le montant n'est pas contesté. Le préjudice invoqué à cet égard par la société Delta Energie, qui donne lieu par ailleurs à indemnisation, ne saurait justifier que ces marchandises livrées restent impayées.
La société Adaro sera déboutée de ses autres demandes en raison de son comportement fautif. S'agissant de la demande relative au manque à gagner, pour un montant de 455 845 euros, il doit être rappelé que l'accord conclu avec la société Delta Energie n'obligeait pas cette dernière à réaliser un chiffre de 1 000 ventes par an, mais précisait seulement qu'au cas où cet objectif ne serait pas atteint, la société Adaro ne serait pas tenue de renouveler l'accord d'exclusivité.
Il y a lieu d'allouer à la société Delta Energie la somme fixée au dispositif sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs: Constate que la SA Adaro a renoncé à sa demande de rejet des pièces numéros 11 à 13 communiquées par la SA Delta Energie, Constate que les parties revendiquent toutes deux l'application de la loi française, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SA Delta Energie à payer à la SA Adaro la somme principale de 13 750,89 euros en règlement de ses fournitures de travaux impayées, Le réformant pour le surplus, Statuant à nouveau, Dit que les intérêts de droit sur la somme de 13 750,89 euros courront à compter du 2 juillet 2001, date de la mise en demeure, Déboute la SA Adaro de ses autres demandes, Condamne la SA Adaro à payer à la SA Delta Energie une somme de 48 331,93 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 2002, Déboute la société Delta Energie de ses autres demandes, Ordonne la compensation de plein droit entre ces sommes dues respectivement, à due concurrence, Condamne la société Adaro à payer à la SA Delta Energie une somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Adaro à payer les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.