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Décisions

CJCE, 5e ch., 24 janvier 2002, n° C-372/99

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jann

Avocat général :

M. Alber

Juges :

MM. Edward, La Pergola

Avocats :

Mes Ferri, Leanza, de Bellis

CJCE n° C-372/99

24 janvier 2002

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 6 octobre 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en n'ayant pas adopté les mesures nécessaires pour:

- appliquer les dispositions de la directive 93-13-CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la "directive"), à l'ensemble des contrats conclus entre un consommateur et un professionnel;

- transposer l'article 5, troisième phrase, de cette directive, et

- transposer intégralement les articles 6, paragraphe 2, et 7, paragraphe 3, de la même directive,

la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.

La directive

2. Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

3. L'article 7 de la directive dispose:

"1. Les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu'ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d'une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l'utilisation de telles clauses.

3. Dans le respect de la législation nationale, les recours visés au paragraphe 2 peuvent être dirigés, séparément ou conjointement, contre plusieurs professionnels du même secteur économique ou leurs associations qui utilisent ou recommandent l'utilisation des mêmes clauses contractuelles générales, ou de clauses similaires."

4. Selon l'article 10, paragraphe 1, de la directive, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 31 décembre 1994.

La réglementation nationale

5. La directive a été transposée dans l'ordre juridique italien par la legge n° 52, Disposizioni per l'adempimento di obblighi derivanti dall'appartenenza dell'Italia alle Comunità europee - legge comunitaria 1994 (loi portant dispositions en vue de l'exécution des obligations résultant de l'appartenance de l'Italie aux Communautés européennes - loi communautaire de 1994), du 6 février 1996 (GURI n° 34, du 10 février 1996, supplément ordinaire n° 24). Cette loi a introduit les articles 1469 bis à 1469 sexies dans le Code civil italien (ci-après le "Code civil").

6. L'article 1469 sexies, premier alinéa, du Code civil prévoit:

"Les associations représentatives des consommateurs et des professionnels ainsi que les chambres de commerce, d'industrie, d'artisanat et d'agriculture peuvent attraire en justice le professionnel ou l'association de professionnels qui utilisent des conditions générales de contrat et demander au juge compétent d'interdire l'utilisation de telles conditions dont le caractère abusif est avéré au sens du présent chapitre".

7. Dans le cadre de la présente procédure, la République italienne a fait valoir que l'article 7 de la directive a également été transposé par l'article 3 de la legge n° 281, Disciplina dei diritti dei consumatori e degli utenti (loi portant réglementation des droits des consommateurs et des usagers), du 30 juillet 1998 (GURI n° 189, du 14 août 1998, ci-après la "loi n° 281-98").

8. L'article 3, premier alinéa, de la loi n° 281-98 dispose:

"Les associations de consommateurs et d'usagers inscrites sur la liste visée à l'article 5 ont la qualité pour agir afin de protéger les intérêts collectifs en demandant au juge compétent:

a) d'interdire les actes et comportements qui lèsent les intérêts des consommateurs et des usagers;

[...]"

9. L'article 5 de la loi n° 281-98 fixe les conditions que doivent remplir les associations de consommateurs pour pouvoir être inscrites sur la liste visée à l'article 3 de cette loi. Cette liste est établie par le ministre de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat.

La procédure

10. Considérant que la directive n'avait pas été transposée de manière complète en droit italien dans le délai prescrit, la Commission a engagé la procédure en manquement. Après avoir mis la République italienne en demeure de présenter ses observations, la Commission a, le 18 décembre 1998, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification. La réponse de la République italienne à cet avis ayant été jugée insatisfaisante par la Commission, cette dernière a introduit le présent recours.

11. Le Gouvernement italien ayant précisé, dans sa défense, que la legge n° 526, Disposizioni per l'adempimento di obblighi derivanti dall'appartenenza dell'Italia alle Comunità europee - legge comunitaria 1999 (loi portant dispositions en vue de l'exécution des obligations résultant de l'appartenance de l'Italie aux Communautés européennes - loi communautaire de 1999), du 21 décembre 1999 (GURI n° 13, du 18 janvier 2000, supplément ordinaire n° 15), a introduit dans le chapitre XIV bis du Code civil les modifications demandées par la Commission en ce qui concerne les trois premiers griefs du recours, cette dernière a, par mémoire déposé le 17 mai 2000, informé la Cour que, conformément à l'article 78 de son règlement de procédure, elle se désistait partiellement dudit recours, ne maintenant désormais celui-ci qu'au regard du seul grief relatif à l'article 7, paragraphe 3, de la directive.

Sur le fond

Sur la portée de l'obligation visée à l'article 7, paragraphe 3, de la directive

12. Pour la Commission, l'article 7 de la directive réglemente l'un des aspects fondamentaux de la protection mise en place par ce texte, à savoir la procédure qui a pour but de "faire cesser" l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs. Cet objectif commanderait que cette procédure puisse être intentée non seulement contre les professionnels qui utilisent de telles clauses, mais aussi contre les organisations professionnelles ou d'autres professionnels qui en recommandent l'utilisation. Il ne serait pas nécessaire d'attendre que des clauses rédigées en vue d'une utilisation généralisée soient concrètement utilisées dans des contrats individuels.

13. Le Gouvernement italien conteste cette interprétation. Il soutient que la procédure prévue à l'article 7 de la directive a pour objectif de faire cesser "l'utilisation" des clauses abusives. Une utilisation effective et non pas seulement potentielle de celles-ci constituerait ainsi une condition essentielle.

14. À cet égard, il convient de rappeler que, dans son arrêt du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C-240-98 à C-244-98, Rec. p. I-4941, point 27), la Cour a jugé que le système de protection établi par la directive repose sur l'idée que la situation inégale entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat. C'est la raison pour laquelle l'article 7 de la directive, qui, en son paragraphe 1, requiert des États membres qu'ils mettent en œuvre des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives, précise, en son paragraphe 2, que ces moyens comprennent la possibilité pour les associations agréées de consommateurs de saisir les tribunaux afin de faire déterminer si des clauses rédigées en vue d'une utilisation généralisée présentent un caractère abusif et d'obtenir, le cas échéant, leur interdiction.

15. La nature préventive et l'objectif dissuasif des actions devant être mises en place, ainsi que leur indépendance à l'égard de tout conflit individuel concret, impliquent, comme l'a reconnu la Cour, que de telles actions puissent être exercées alors même que les clauses dont l'interdiction est réclamée n'auraient pas été utilisées dans des contrats déterminés, mais seulement recommandées par des professionnels ou leurs associations (voir arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 27).

16. Il s'ensuit que l'article 7, paragraphe 3, de la directive doit être interprété en ce sens qu'il requiert la mise en place de procédures pouvant également être dirigées contre des comportements se bornant à recommander l'utilisation de clauses contractuelles à caractère abusif.

Sur la transposition de l'article 7, paragraphe 3, de la directive dans l'ordre juridique italien

17. La Commission fait valoir que l'article 1469 sexies du Code civil ne permet d'attraire en justice que les professionnels ou les associations de professionnels qui utilisent des clauses abusives, ce qui restreindrait les effets préventifs de la procédure d'interdiction prévue à l'article 7 de la directive.

18. L'article 3, premier alinéa, sous a), de la loi n° 281-98 ne permettrait pas de combler cette lacune. Tout d'abord, l'action prévue par cette disposition ayant un caractère plus général que celle prévue à l'article 1469 sexies du Code civil, ce dernier devrait prévaloir dans les procédures concernant des clauses abusives. Ensuite, à supposer que l'action prévue à l'article 3 de la loi n° 281-98 puisse être intentée contre les personnes qui recommandent l'utilisation de clauses abusives, il s'agirait d'une interprétation praeter legem, voire contra legem, qui ne satisferait pas aux exigences de clarté et de précision qui doivent caractériser des mesures nationales de transposition. Enfin, ladite disposition définirait la catégorie des personnes ayant qualité pour agir de manière plus restreinte que ne le fait l'article 1469 sexies, entraînant ainsi entre les utilisateurs de clauses abusives et les personnes qui en recommandent l'utilisation une disparité de traitement contraire à l'article 7 de la directive.

19. Le Gouvernement italien fait valoir que, dans l'hypothèse d'une utilisation effective de clauses abusives, il est possible d'appréhender un comportement recommandant l'utilisation de telles clauses sur le fondement de l'article 3 de la loi n° 281-98, lequel vise "les comportements qui lèsent les intérêts des consommateurs et des usagers". Le principe selon lequel la règle spéciale déroge à la règle générale serait sans pertinence pour définir les rapports entre les articles 1469 sexies du Code civil et 3 de la loi n° 281-98, dans la mesure où il s'agit de dispositions non pas matérielles, mais procédurales. Quant à la définition des personnes pouvant demander l'interdiction de clauses abusives, le Gouvernement italien relève que l'article 7, paragraphe 3, de la directive renvoie au droit national.

20. À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la portée des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales doit s'apprécier compte tenu de l'interprétation qu'en donnent les juridictions nationales (voir, notamment, arrêts du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni, C-382-92, Rec. p. I-2435, point 36, et du 29 mai 1997, Commission/Royaume-Uni, C-300-95, Rec. p. I-2649, point 37).

21. En l'espèce, s'agissant, en premier lieu, de l'article 1469 sexies du Code civil, il y a lieu de constater que le libellé de cette disposition n'ouvre de voie de recours qu'à l'encontre de l'utilisation de clauses abusives. M. l'Avocat général a cependant relevé, au point 30 de ses conclusions, que la jurisprudence italienne interprète la notion d'"utilisation" de manière tellement large qu'elle recouvre aussi la recommandation de clauses abusives.

22. Toutefois, il ressort des décisions des juridictions italiennes, citées dans les notes 10 et 11 des conclusions de M. l'Avocat général, que cette jurisprudence récente ne saurait être qualifiée d'unanime ou, à tout le moins, de suffisamment établie pour rendre certaine une interprétation en ce sens.

23. S'agissant, en second lieu, de l'article 3 de la loi n° 281-98, il convient de constater que le libellé de cette disposition n'exclut pas l'introduction d'un recours à l'encontre d'un comportement visant à recommander l'utilisation de clauses abusives. M. l'Avocat général a d'ailleurs relevé, au point 40 de ses conclusions, que la jurisprudence italienne admet la recevabilité de tels recours.

24. Cependant, la décision citée dans la note 14 des conclusions de M. l'Avocat général, qui ne concerne pas un simple comportement visant à recommander l'utilisation de clauses abusives, n'est pas de nature à réfuter l'interprétation de l'article 3 de la loi n° 281-98 qui a été faite par le Gouvernement italien dans le cadre de la présente procédure, selon laquelle la recevabilité d'un recours contre l'auteur d'une recommandation suppose une utilisation effective des clauses abusives qui ont été recommandées. Or, une telle condition serait incompatible avec l'interprétation qu'il convient de donner à l'article 7, paragraphe 3, de la directive (voir point 16 du présent arrêt).

25. Ces incertitudes sont d'autant plus graves que, ainsi que le fait observer M. l'Avocat général au point 54 de ses conclusions, la relation entre les articles 1469 sexies du Code civil et 3 de la loi n° 281-98 n'est pas dépourvue d'ambiguïté. Comme le relève ce dernier, il apparaît, en effet, que certaines juridictions italiennes considèrent que, en matière de clauses abusives, ledit article 1469 sexies, en tant que loi spéciale, prévaut sur l'article 3 de la loi n° 281-98. Or, une telle interprétation comporte des conséquences quant au cercle des entités habilitées à agir, les deux dispositions n'ayant pas le même champ d'application à cet égard.

26. Au vu des doutes suscités par l'ensemble de cette jurisprudence, constituée de décisions émanant de juridictions de première instance, il ne paraît pas établi que l'interprétation faite par les juridictions italiennes des articles 1469 sexies du Code civil et 3 de la loi n° 281-98 permette d'atteindre le but poursuivi par l'article 7, paragraphe 3, de la directive, tel que rappelé au point 16 du présent arrêt.

27. En tout état de cause, même à supposer que cette dernière disposition vise des personnes ou des organisations qualifiées qui possèdent des connaissances juridiques en matière de protection des consommateurs, il y a lieu de considérer que la transposition de l'article 7, paragraphe 3, de la directive dans l'ordre juridique italien ne tient pas suffisamment compte du principe de sécurité juridique.

28. Dès lors, il convient de constater que, en n'ayant pas adopté les mesures nécessaires pour transposer intégralement l'article 7, paragraphe 3, de la directive, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.

Sur les dépens

29. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens pour autant que le recours vise le grief tiré de l'article 7, paragraphe 3, de la directive.

30. En vertu de l'article 69, paragraphe 5, premier alinéa, du même règlement, à la demande de la partie qui se désiste, les dépens sont supportés par l'autre partie, si cela apparaît justifié compte tenu de l'attitude de cette dernière. Eu égard au comportement de la République italienne, qui n'a adopté les modifications nécessaires pour remédier aux trois premiers griefs énoncés dans la requête que postérieurement à l'introduction du recours, il y a lieu de la condamner aux dépens pour autant que celui-ci vise lesdits griefs.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

déclare et arrête:

1) En n'ayant pas adopté les mesures nécessaires pour transposer intégralement l'article 7, paragraphe 3, de la directive 93-13-CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.

2) La République italienne est condamnée aux dépens.