CA Montpellier, 2e ch. A, 15 janvier 2002, n° 00-02378
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Coron
Défendeur :
Entrepôts des Bières du Nord (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ottavy
Conseillers :
MM. Derdeyn, Bruyère
Avoués :
Me Garrigue, SCP Salvignol Guilhem Delsol
Avocats :
Mes Sagard, Madrenas
Faits et procédure
En mai 1995, Michel Coron achetait à la société Capsule le fonds de commerce de débit de boissons exploité à Thuir sous l'enseigne "Le Café".
Il reprenait alors à son compte le contrat d'achat exclusif de boissons qui liait la société Capsule à la société Entrepôts des Bières du Nord, dite ci-après société EBN, contrat d'une durée de 5 ans conclu le 1er juin 1992 et à expiration au 31 mai 1997.
Le 22 mai 1995 Michel Coron concluait avec la société EBN un contrat d'achat exclusif de boissons intitulé "additif contrat d'achat exclusif de boissons SARL Capsule signé le 1er juin 1992".
Ce contrat d'une durée de 5 ans prenait effet le 1er juin 1997 et prévoyait, outre un chiffre d'affaires minimum à réaliser, une clause pénale applicable, notamment, en cas de vente du fonds si le repreneur ne poursuivait pas le contrat d'achat exclusif de boissons.
En octobre 1998, Michel Coron avisait la société EBN qu'il avait cédé son fonds de commerce. Toutefois l'acheteur de ce fonds ne reprenait pas l'exécution du contrat d'achat exclusif avec la société EBN.
Sur assignation délivrée à la requête de la société EBN et tendant à voir condamner Michel Coron au paiement de l'indemnité contractuelle et de factures de fournitures impayées, le Tribunal de commerce de Perpignan a, par jugement en date du 28 mars 2000 :
- débouté Michel Coron de l'ensemble de ses demandes,
- donné acte à Michel Coron qu'il avait réglé la somme de 2 945,14 F au titre des factures impayées,
- condamné Michel Coron à payer à la société EBN la somme de 146 663 F, au titre de l'indemnité de résiliation avec les intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 1998,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- alloué à la société EBN la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le 25 avril 2000 Michel Coron a relevé appel de cette décision.
Prétentions et moyens des parties
Il est expressément fait visa aux conclusions déposées et notifiées le 24 août 2000 par Michel Coron et le 30 décembre 2000 par la société EBN.
Michel Coron demande à la cour de réformer le jugement déféré, de constater la nullité de la convention du 22 mai 1995, de débouter en conséquence la société EBN de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, Michel Coron soutient que lorsque le contrat de 1992 a été repris il y a eu novation et qu'en conséquence l'additif a porté la durée de l'engagement d'achat exclusif à 7 ans, ce qui est contraire à la réglementation européenne (règlement CEE 1984-83), qu'en conséquence le contrat du 22 mai 1995 est nul.
La société EBN demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner Michel Coron à lui payer la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes la société EBN fait valoir qu'il n'y a pas eu novation par substitution du débiteur en 1995, que de surcroît même à la supposer existante la novation ne peut avoir d'effets rétroactifs.
Elle fait également valoir que le contrat du 22 mai 1995 n'est pas soumis à la réglementation européenne mais à la loi du 14 octobre 1943, qu'il ne peut donc être atteint de nullité et qu'en conséquence l'indemnité contractuellement prévue est bien due.
Discussion
Il convient tout d'abord de noter que les parties s'accordent sur le fait que M. Coron a, après l'achat du fonds à la société Capsule, exécuté le contrat d'achat exclusif qui depuis 1992, pour une durée de 5 ans, liait la société Capsule à la société EBN.
Il apparaît, tant des éléments de fait, exécution personnelle du contrat d'achat exclusif par Michel Coron et impossibilité corrélative de l'exécuter par la société Capsule, que de la formulation même du contrat signé en 1992, qu'il y a eu novation par substitution de débiteur puisqu'en vertu de l'article 10 du contrat du 1er juin 1992, du fait même de la reprise par Coron Michel, la société EBN perdait tout droits et actions à l'encontre de la société Capsule qui était donc déchargée.
Cette novation du contrat entraîne que Michel Coron était tenu par son engagement d'achat exclusif pendant une durée de 2 ans de fin mai 1995 au 1er juin 1997.
D'ailleurs, force est d'ajouter que la société EBN ne s'était pas trompée puisque le terme même d'additif porté au contrat du 22 mai 1995 démontre amplement et suffisamment qu'il s'agissait de l'exécution d'un premier contrat.
En ce qui concerne ce second contrat, il y a lieu de noter que son préambule le place, de par la volonté des parties, sous l'emprise du règlement CEE 1984-83 du 22 juin 1983 alors applicable puisqu'il y est expressément mentionné " cette coopération prend la forme contractuelle d'une convention d'achat exclusif en application du règlement européen..."
Dès lors, il est inutile de se prononcer sur le point de savoir si l'accord est un accord d'importance mineure échappant au règlement d'exemption.
En faisant signer le 22 mai 1995 un accord d'achat exclusif pour 5 ans qui s'ajoutait à celui déjà conclu par novation à la même époque pour une durée de 2 ans et qui prenait effet à la fin de ces deux ans, la société EBN a méconnu les dispositions du règlement d'exemption CEE 1984-83 limitant à 5 ans la durée maximale des accords d'approvisionnement exclusif visant certaines bières et boissons puisque la durée du contrat global liant dès 1995 Michel Coron à la société EBN était de 7 ans.
Le non-respect de la réglementation européenne visée par le règlement d'exemption CEE 1984-83 est sanctionné par la nullité de la convention puisque ce règlement prohibe les engagements d'approvisionnement exclusif conclus pour une durée supérieure à 5 ans et que, selon l'article 85 devenu 81 du traité, les accords interdits sont nuls de plein droit.
Le jugement déféré doit donc être réformé et la société EBN débouté de ses demandes.
Michel Coron ne justifie pas que la somme à laquelle il avait été condamné en première instance a été bloquée ou a été pavée en vertu de l'exécution provisoire ordonnée. Il ne justifie donc pas du préjudice allégué et en conséquence il doit être débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts.
L'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile conduit à allouer une somme de 915 euros à Michel Coron.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, En la forme reçoit l'appel, Au fond, Reforme le jugement déféré et statuant à nouveau, Déboute la société EBN de ses demandes, Déboute Michel Coron de sa demande en paiement de dommages et intérêts, Condamne la société EBN à payer à Michel Coron la somme de 915 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société EBN aux entiers dépens de première instance et d'appel, Dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.