CA Grenoble, ch. com., 16 janvier 2002, n° 99-01908
GRENOBLE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Becton Dickinson France (SA)
Défendeur :
Gallien (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Uran
Conseillers :
Mme Beroujon, M. Vignal
Avoués :
SELARL Dauphin & Neyret, SCP Grimaud
Avocats :
Mes du Gardin, Salmon
La SA Becton Dickinson France, domiciliée à Grenoble, fabrique et distribue, notamment, des produits à usage médical, tels que seringues et tubes de prélèvement sanguins.
La SA Périmédical, qui a pour objet la distribution de matériel médical, a assuré la distribution exclusive de la marque Becton Dickinson depuis 1985 sur un secteur limité à la Normandie dans un premier temps, puis progressivement étendu aux Pays de Loire.
Deux contrats sont ensuite conclus entre la SA Périmédical et la SA Becton Dickinson France, savoir:
- le 30 juin 1995, concernant la division des produits Vacutainer,
- le 27 septembre 1994, concernant la division du matériel médical.
Il était ensuite mis fin aux contrats susvisés par la SA Becton Dickinson France:
- par lettre du 24 septembre 1996, pour le contrat concernant les produits Vacutainer, à effet au 31 décembre suivant,
- par lettre du 27 septembre 1996, pour le contrat concernant la division du matériel médical, à effet au 30 septembre suivant.
La SA Périmédical, invoquant, notamment, les propositions indemnitaires qui lui auraient été faites par la SA Becton Dickinson France, et qui ne lui auraient pas été payées, a attrait cette dernière devant la juridiction commerciale pour obtenir paiement, d'indemnités de rupture de contrat et de préavis.
Par jugement en date du 2 avril 1999, le Tribunal de commerce de Grenoble a, pour l'essentiel:
- condamné la SA Becton Dickinson France à verser à payer à la SA Périmédical la somme de 2 751 050 F à titre d'indemnités de résiliation,
- condamné la SA Périmédical à payer à la SA Becton Dickinson France la somme de 2 546 486 F de fournitures restant dues,
- ordonné la compensation entre les deux sommes susvisées,
- constaté l'accord des parties sur la remise de documents à la SA Becton Dickinson France par la SA Périmédical,
- partagé par moitié les dépens entre les parties.
La SA Becton Dickinson France, qui a formé appel de ce jugement, sollicite, par dernières conclusions en date du 3 octobre 2001 et par réformation, le débouté des demandes de la SA Gallien, la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 2 546 486 F outre intérêts de droit, en paiement des fournitures restant dues, ainsi que l'allocation de la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Elle fait valoir que c'est bien la SA Périmédical, devenue la SA Gallien, qui a fait l'objet de l'appel, qu'elle avait parfaitement le droit de ne pas renouveler les contrats avec la SA Gallien en sorte qu'elle ne peut être condamnée pour brusque rupture car elle avait averti ladite société de son intention, que l'offre de préavis formée par elle a bien été acceptée et exécutée par les parties, qu'aucune modification substantielle des contrats n'est intervenue en sorte que la poursuite des relations commerciales fin 1996 et toute l'année 1997 constituait bien l'exécution d'un préavis et non l'exécution d'un nouveau contrat, que la convention du 27 septembre 1994 ne prévoit aucune indemnité en faveur de la SA Gallien, laquelle ne justifie aucunement du préjudice qu'elle invoque, qu'aucun accord n'est intervenu entre les parties sur l'indemnité de 1 440 000 F alors que, par courrier du 19 mars 1997 un préavis sans indemnité était proposé par la SA Becton Dickinson France lequel a été exécuté par la SA Périmédical, que l'indemnité complémentaire n'est pas due car le préavis a été effectivement exécuté par la SA Périmédical, l'indemnité complémentaire était uniquement destinée à favoriser une transaction entre les parties, et que la SA Périmédical avait parfaitement la possibilité d'exécuter tout contrat d'une durée inférieure à 12 mois conclu antérieurement aux dates de non-renouvellement.
La SA Gallien, qui vient aux droits de la SA Périmédical, par ses dernières écritures en date du 7 janvier 2000, demande la confirmation du jugement déféré et, par réformation partielle, la condamnation de la SA Becton Dickinson France à lui verser les sommes supplémentaires de 5 400 000 F à titre d'indemnité de rupture, de 1 311 049,98 F au titre des marchés non exécutés au 1er janvier 1998, sous déduction de la reprise des stocks pour 2 515 210,72 F, ainsi que l'allocation de la somme de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Elle soutient que le fonds de commerce de la SA Périmédical a été vendu à la SARL Périmédical qui est devenue, par changement de dénomination sociale, la SA Gallien qui a changé de siège social, ce qui ne pouvait être ignoré de l'appelante, que le préavis mentionné dans le courrier du 20 décembre 1996, pour produire effets, aurait dû être proposé avant la résiliation du contrat avec la division des produits Vacutainer , qu'elle est donc bien fondée à demander une indemnité de préavis correspondant au chiffre d'affaires sur les 18 mois précédents, qu'il en est de même avec la division du matériel médical, car la SA Becton Dickinson France a rompu brutalement le contrat 3 jours avant son expiration, qu'elle a formellement accepté l'indemnisation contractuelle proposée par la SA Becton Dickinson France, qu'elle a exécuté l'ensemble des engagements et marchés conformément aux deux contrats en cause, qu'après la rupture du contrat, l'appelante a imposé de nouvelles dispositions contractuelles pour une durée indéterminée qu'elle a ensuite rompu une nouvelle fois unilatéralement, qu'elle justifie de son préjudice très important ensuite de la désorganisation de son entreprise, que la somme de 1 440 000 F correspond à l'indemnisation proposée par la SA Becton Dickinson France qu'elle a formellement acceptée, que la somme de 5,4 millions de F correspond à la rupture sans préavis des relations commerciales et a été calculé à partir du chiffre d'affaires sur 18 mois, que la somme de 1 311 049,98 F correspond à la brusque rupture des nouvelles relations commerciales initiées à partir du 1er janvier 1997, qu'elle a subi un important préjudice ensuite de la brusque rupture des relations contractuelles par la SA Becton Dickinson France caractérisé par la dévalorisation de son fonds de commerce, et que les parties sont d'accord, à quelques F près sur les sommes dues par l'intimée au titre de la reprise des stocks.
Motifs de la décision:
1° - Sur l'exception de procédure
Attendu que le changement de dénomination de la SA Périmédical en SA Gallien et le déplacement de son siège social dans le même ressort du tribunal de commerce ne sont pas de nature à invalider l'appel de la SA Becton Dickinson France car la transformation régulière d'une société n'entraîne pas création d'une nouvelle personne morale, d'autant qu'il n'est pas établi que son n° d'immatriculation au RCS ait été changé;
2° - Sur la rupture des relations contractuelles
a) le contrat en date du 30 juin 1995 concernant la division Vacutainer
Attendu que ce contrat prévoit:
- une période contractuelle "qui commencera à courir le 1er janvier 1995 et se terminera le 31 décembre 1996",
- le versement par le fournisseur au distributeur, d'une indemnité à titre de dédommagement définitif égale à 8 % du chiffre d'affaires, dans le cas où le premier nommé ne désirerait pas renouveler le contrat à l'issue de la période contractuelle,
- la rupture possible du contrat à l'expiration de la période contractuelle, selon LR 3 mois au moins auparavant,
Attendu qu'il est constant que la SA Becton Dickinson France a rompu le contrat par LR en date du 24 septembre 1996, informant la SA Périmédical de sa volonté de ne pas renouveler celui-ci au-delà du 31 décembre 1996
b) le contrat en date du 27 septembre 1994 concernant la division du matériel médical
Attendu que ce contrat prévoit:
- une période contractuelle "qui commencera à courir le 1er octobre 1993 et se terminera le 30 septembre 1996",
- le versement d'aucune indemnité ensuite du non-renouvellement du contrat ou de sa résiliation,
- la rupture possible du contrat à l'expiration de la période contractuelle, sauf signature d'un nouveau contrat au cours des trois mois précédents la date contractuelle d'expiration,
Attendu qu'il est constant que la SA Becton Dickinson France a rompu le contrat par LR en date du 27 septembre 1996, informant la SA Périmédical de sa volonté de ne pas renouveler celui-ci au-delà du 31 décembre 1996;
Attendu que la SA Becton Dickinson France ayant rompu les relations contractuelles dans la stricte application des dispositions des deux contrats, il n'est pas possible, sauf manœuvres frauduleuses ou dolosives qui ne sont ni invoquées ni justifiées, de qualifier cette rupture d'abusive, même si les relations entre les parties se sont poursuivies pendant plus de dix années, et ce d'autant que, par lettres en dates de 27 septembre et 20 décembre 1996, la SA Becton Dickinson France proposait à la SA Périmédical la poursuite de chaque contrat jusqu'au 31 décembre 1997;
Attendu, cependant, que, par courrier en date du 3 janvier 1997, la SA Becton Dickinson France proposait:
- pour la division du matériel médical, une indemnité de 780 000 F, puisque la SA Périmédical lui avait fait connaître (la lettre ne se trouve pas au dossier) son intention de ne pas poursuivre le contrat après le 30 septembre 1996,
- pour la division des produits Vacutainer, le choix entre, soit:
* la cessation des relations commerciales au 31 décembre 1996 (fin de la période contractuelle) avec versement d'une indemnité de 660 000 F,
* le respect d'un préavis d'un an après le 31 décembre 1996 aux conditions contractuelles actuellement en vigueur, avec versement d'une indemnité compensatrice de 230 000 F à titre complémentaire;
Attendu que, par lettre en date du 9 janvier 1997 (laquelle vise expressément la lettre susvisée de la SA Becton Dickinson France) la SA Périmédical répondait à la fois:
- qu'elle refuse la continuation des contrats au-delà des termes contractuellement prévus,
- qu'elle accepte les indemnités de 780 000 F et de 660 000 F mais continuera d'exécuter les engagements déjà pris jusqu'au 31 décembre 1997;
Attendu que la lecture des dispositions qui précèdent, outre le fait qu'il n'est pas contesté que les contrats ont été exécutés jusqu'au 31 décembre 1997, car la SA Becton Dickinson France a livré du matériel médical et des produits Vacutainer à la SA Périmédical qui les a acceptés jusqu'à cette dernière date, amène à conclure, par réformation de la décision déférée, que:
- 1°) la SA Becton Dickinson France entendait conditionner le versement des indemnités de 780 000 F + 660 000 F à la fin des relations contractuelles au 31 décembre 1996, et, qu'ainsi, dans la mesure où elles se sont continuées, de l'accord des parties, ces indemnités ne sont pas dues,
- 2°) les relations contractuelles se sont poursuivies jusqu'au 31 décembre 1997 (comme il avait été proposé par lettres de la SA Becton Dickinson France en date des 27 septembre et 20 décembre 1997) sur la base des dispositions antérieures, en sorte que, d'une part, et contrairement à ce que prétend la SA Gallien, il n'y a eu aucunement conclusion d'un contrat nouveau, d'autre part, la fin "définitive" des relations contractuelles au 31 décembre 1997, prévue de longue date (depuis 15 mois ou 1 an selon les contrats) ne saurait être qualifiée ni d'abusive, ni de brusque,
- 3°) il est en revanche dû par la SA Becton Dickinson France une indemnité dite "complémentaire" de 230 000 F, en raison de la poursuite du préavis jusqu'au 31 décembre 1997, et ce conformément à la proposition formée par l'appelante dans sa lettre en date du 3 janvier 1997;
Attendu, en résumé, qu'il résulte des déclarations qui précèdent que, par réformation partielle du jugement déféré, la SA Gallien (aux droits de la SA Périmédical) sera déboutée de ses demandes en paiement:
- des indemnités de 780 000 F et de 600 000 F, puisque les relations contractuelles n'ont pas été définitivement rompues au 31 décembre 1996, mais il lui sera alloué celle de 35 063,27 euros (soit 230 000 F), outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
- des indemnités de 5,4 millions de F et de 1 311 049,98 F en raison de l'absence de brusque et abusive rupture des relations aux 31 décembre 1996 et 31 décembre 1997, et ce, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur le préjudice invoqué par la SA Périmédical, ni sur le respect ou le non-respect des clauses contractuelles sur l'exécution à cette dernière date des marchés antérieurement conclus;
3° - Sur la demande reconventionnelle de la SA Becton Dickinson France
Attendu que la SA Becton Dickinson France sollicite l'allocation de la somme de 2 546 486,34 F au titre de la reprise des stocks, alors que la SA Gallien reconnaît devoir 383 441,39 euros (soit 2 515 210,72 F), laquelle, faute d'autre élément, sera finalement allouée à l'appelante, également par réformation du jugement déféré;
4° - Sur l'application de l'article 700 du NCPC et les dépens
Attendu que la SA Gallien, qui est déboutée de l'essentiel de ses demandes en cause d'appel, le sera également de celle au titre de l'article 700 du NCPC, de même qu'elle devra supporter l'intégralité des dépens de première instance et d'appel;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la SA Becton Dickinson France la totalité des frais irrépétibles de justice;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare les appels recevables en la forme, Au fond, Confirme le jugement rendu le 2 avril 1999 par le Tribunal de commerce de Grenoble en ce qu'il a débouté la SA Gallien de sa demande d'indemnité de préavis, Réforme ledit jugement pour le surplus, statuant à nouveau et Y rajoutant: Déboute la SA Gallien de toutes ses demandes en paiement d'indemnités, à l'exception de celle de fin du contrat pour les produits Vacutainer, Condamne à ce dernier titre la SA Becton Dickinson France à verser à la SA Gallien la somme de 35 063,27 euros (soit 230 000 F), outre intérêts au taux légal à compter de ce jour, Condamne la SA Gallien à verser à la SA Becton Dickinson France la somme de 383 441,39 euros (soit 2 515 210,72 F), en paiement des stocks, Déboute la SA Becton Dickinson France de sa demande sur le fondement de l'article 700 du NCPC, Fait masse des dépens de première instance et d'appel, et condamne la SA Gallien à les payer, dont distraction au profit de la SELARL Dauphin et Neyret, avoués, qui pourra recourir aux dispositions de l'article 699 du NCPC.