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Décisions

CA Douai, 2e ch., 14 mai 1998, n° 96-08405

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Civad la Blanche Porte (Sté)

Défendeur :

Cammage

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gosselin

Conseillers :

Mmes Laplane, Fontaine

Avoués :

Mes Levasseur-Castille-Lambert, Masurel-Thery

Avocats :

Mes Grardel, Carpentier.

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 26 sept. 1…

26 septembre 1996

Procédure et prétentions des parties

Par jugement du 26 septembre 1996 auquel référence expresse est faite quant à l'exposé du litige, le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing:

- s'est déclaré compétent,

- a débouté la Civad la Blanche Porte de son exception de nullité de l'assignation,

- sur le fond, l'a déboutée de tous ses moyens et conclusions,

- condamné la Civad la Blanche Porte à payer à M. Georges Cammage la somme de 420 000 F en principal, outre la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Appel de la décision a été formé par la SCS Civad et Cie qui demande à la cour de la réformer et de débouter M. Cammage de toutes ses demandes.

Elle conclut à l'irrecevabilité de la demande pour absence de fondement juridique. Elle fait valoir que les documents adressés aux clients ne laissaient place à aucune équivoque sur la nature et le fonctionnement du jeu proposé, qu'elle a parfaitement rempli les obligations souscrites en terme du règlement et que sa responsabilité contractuelle ne saurait dès lors être recherchée.

Elle soutient en troisième lieu que le créancier d'une obligation contractuelle ne peut se prévaloir des règles de la responsabilité délictuelle quant bien même il y aurait intérêt. A titre subsidiaire, elle excipe de l'absence de toute faute de sa part.

M. Georges Cammage conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions sauf à retenir comme motivation les règles de la responsabilité contractuelle en principal et de la responsabilité quasi-délictuelle en subsidiaire et à la condamnation de la société Civad la Blanche Porte au paiement d'une indemnité procédurale de 15 000 F.

Elle réplique:

- que les conclusions régulièrement notifiées avant débats de première instance avaient défini de manière précise et complète le cadre juridique de sa demande;

- que les obligations contractuelles de la société Civad sont définies par le règlement de l'opération "Tirage exceptionnel du blanc"; qu'en application de l'article 6 dudit règlement, il a reçu une lettre de la Blanche Porte le déclarant gagnant du lot "maison" correspondant à son numéro personnel dans des conditions de précisions qui ne comportent aucune équivoque;

- que selon la jurisprudence, la faute délictuelle est caractérisée par la présentation personnalisée des documents et qu'il a subi un préjudice résultant de la vaine croyance en l'acquisition d'un gain née pour tout consommateur de la lecture des documents envoyés par la Blanche Porte.

Motifs

Sur la recevabilité de la demande

L'assignation, qui visait à obtenir condamnation au paiement de la somme représentant la valeur du lot que M. Cammage pensait avoir gagné faute pour la société Civad d'avoir exécuté son obligation de délivrance, a été complétée par des écritures invoquant à titre principal l'inexécution par la défenderesse de ses obligations contractuelles et à titre subsidiaire, l'application de l'article 1382 du Code civil. La demande de M. Cammage est parfaitement recevable.

Sur la recevabilité contractuelle

Selon M. Cammage, la société Civad la Blanche Porte lui a proposé un contrat d'adhésion engageant sa responsabilité unilatérale, qu'il a accepté en se conformant aux prescriptions du règlement du jeu.

Cependant, il ne résulte pas des documents qui lui ont été adressés par la société Civad le 5 octobre 1993 que celle-ci se soit engagée à lui remettre la maison constitutive du lot n° 1 sur simple renvoi du titre de propriété.

En effet, chaque participant recevait:

- un titre de propriété portant un numéro dit "personnel" et la mention "valable si votre numéro a été désigné par Me Bue, fait office de bon de participation",

- un bon de commande reproduisant les mêmes conditions dans l'explication de la règle du jeu au paragraphe 2), précisant au paragraphe 5) que pour savoir s'il avait gagné, le participant devait retourner son titre de propriété accompagné du bon de commande ou sans commande et au paragraphe 6), que la Blanche Porte s'engageait à vérifier si son numéro correspondait à l'un des numéros tirés au sort,

- une photographie de la maison "offerte par la Blanche Porte à la Grande Gagnante du tirage exceptionnel du Blanc",

- une lettre circulaire commençant par "chère Madame" et invitant le participant à vérifier dans la liste des dix titres de propriété correspondant aux dix lots offerts si le numéro personnel de son titre de propriété y figurait et dans l'affirmative à renvoyer le titre de propriété accompagné du bon de commande.

Si la lecture hâtive de ce document peut créer quelque équivoque en raison de la juxtaposition des deuxième et troisième paragraphes du texte de la lettre, la phrase: "si ce numéro a été désigné gagnant par Me Bue, vous êtes propriétaire!", partiellement soulignée pour attirer l'attention ne pouvait être interprétée comme l'assurance définitive de l'attribution du lot et préservait le caractère aléatoire propre à toute loterie.

Quant à l'identité des neuf autres numéros gagnants de la lettre circulaire et de la liste définitive des attributaires des lots, il résulte de l'arrêt du 12 octobre 1995 rendu par la Chambre des appels correctionnels de Poitiers que selon l'enquête pénale, 3 199 191 sur 3 200 000 exemplaires de publipostage comportaient des numéros de titre de propriété différents mais dont tous se rapportaient à la maison, le numéro gagnant ayant été tiré au sort avant même l'envoi du publipostage, ce qui est corroboré par les exemplaires versés aux débats par la société intimée.

En conséquence, c'est en vain que M. Cammage recherche la responsabilité contractuelle de la société Civad et Cie alors que pris dans leur ensemble, les documents ne lui donnaient aucune certitude sur l'attribution de la maison et ne contenaient aucun engagement formel de la société Civad en ce sens, le titre de propriété n'étant qu'un bon de participation à la loterie. En l'absence de volonté ferme résultant de promesses précises, il n'y a eu ni formation d'un contrat ni a fortiori manquement à une quelconque obligation contractuelle.

Sur la responsabilité délictuelle

Contrairement à ce que soutient la société Civad, le principe du non-cumul de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle ne s'applique pas en l'absence de relations contractuelles entre les parties tel qu'expliqué ci-dessus. C'est d'ailleurs sur le terrain de la responsabilité délictuelle que les premiers juges ont implicitement accueilli la demande de M. Cammage.

Cependant, l'analyse des documents rédigés par la société Civad qui ne présentent ni véritable personnalisation au nom du client, ni affirmation que le destinataire du titre de propriété était le gagnant du lot n°1 ne permet pas d'établir l'existence d'une faute à l'encontre de la société de vente par correspondance.

Si à des fins commerciales et publicitaires, la société Civad a cherché à susciter chez ses clients l'espoir d'un gain, elle a pris la précaution de rappeler dans le bon de commande la règle du jeu comportant un aléa comme toute loterie. Un examen attentif de l'ensemble des documents reçus permettait à n'importe quel destinataire d'un titre de propriété d'échapper à la vaine croyance qu'il était devenu propriétaire d'une maison gagnée sans aucune démarche préalable de sa part.Si méprise de M. Cammage il y a eu, son erreur résulte non de la volonté de la société Civad de le tromper mais de son propre manque de sagacité. En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement en sa totalité.

Sur l'indemnité procédurale

L'équité commande que la société Civad supporte la charge intégrale des frais irrépétibles exposés à l'occasion d'un litige généré par la rédaction ambiguë de la lettre circulaire.

Par ces motifs: Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Déboute M. Cammage Georges de toutes ses demandes. Déboute la SNC Civad et Cie de sa demande d'indemnité procédurale. Condamne M. Cammage aux dépens de première instance et d'appel. Autorise la SCP Levasseur-Castille-Lambert à recouvrer directement les dépens d'appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.