CA Paris, 11e ch. A, 5 mai 1998, n° 96-07061
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charvet
Avocat général :
M. Bartoli
Conseillers :
MM. Blanc, Deletang
Avocats :
Me Marais-Veyrat, SCP Carbonnier-Lamaze-Rasle.
Rappel de la procédure:
La prévention:
L Franck est poursuivi par le Ministère public pour:
1°) s'être à Noisy-Le-Sec, le 7 octobre 1994, livré sciemment à des opérations réservées aux pharmaciens sans réunir les conditions exigées pour l'exercice de la pharmacie en l'espèce en ayant vendu des plantes médicinales inscrites à la pharmacopée française et non autorisées par ailleurs en alimentation exigée par l'article L. 598 du Code de la santé publique,
Infraction prévue par les articles L. 517, L. 514, L. 512 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 517 du Code la santé publique
2°) avoir à Noisy-Le-Sec, le 7 octobre 1994, enfreint les dispositions de l'article L. 551 du Code de la santé publique en diffusant sans autorisation préalable du ministère de la Santé, des publicités concernant des produits autres que des médicaments présentés comme favorisant le diagnostic, la prévention ou le traitement des maladies, des affections relevant de la pathologie chirurgicale et des dérèglements physiologiques, le diagnostic ou la modification de l'état physique ou physiologique, la restauration, la correction ou la modification des fonctions organiques,
Infraction prévue par les articles L. 551, L. 552, L. 556, R. 5045 à R. 5054-3 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 556 al. 1 du Code de la santé publique
Le jugement:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré L Franck coupable des faits qui lui sont reprochés, et, en application des articles susvisés, l'a condamné à 4 mois d'emprisonnement, l'a condamné à 50 000 F d'amende, a dit que la présente procédure est assujettie à un droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
Me Rodrigue, avocat substituant Me Rasle, au nom de Monsieur L Franck, le 4 octobre 1996
M. le Procureur de la République, le 4 octobre 1996 contre Monsieur L Franck
Arrêt de la cour d'appel
Par arrêt de défaut du 25 mars 1997, cette chambre de la cour a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Opposition
Par courrier en date du 27 juin 1997, Franck L a déclaré former opposition à l'arrêt de défaut susvisé.
Décision;
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Sur la procédure
La cour constate le caractère régulier de l'opposition formulée à l'encontre de l'arrêt rendu, le 25 mars 1997, par cette chambre,
Dit que de ce fait l'arrêt est non avenu,
La cour constate le caractère régulier des appels interjetés la 4 octobre 1996 par Franck L, prévenu, et par le Ministère public du jugement sus-énoncé rendu contradictoirement par le Tribunal de grande instance de Bobigny le 3 du même mois.
Devant la cour,
Franck L, cité en mairie qui n'a pas retiré la lettre recommandée prévue par l'article 557 du Code de procédure pénale, est représenté par son conseil en vertu d'une lettre que celui-ci dépose. Cette représentation est possible par application des dispositions de l'article 411 du Code de procédure pénale.
Le conseil du prévenu dépose des conclusions.
Il sera statué contradictoirement.
Sur le fond
Le 7 octobre 1994 deux fonctionnaires de la Direction départementale de la Seine-Saint-Denis de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes effectuaient un contrôle à Noisy-le-Sec au siège social de la société à responsabilité limité X dont Franck L est le gérant.
Cette société conditionne et commercialise dans des magasins de diététique des compléments alimentaires et des produits de phytothérapie sous forme de gélules.
Les fonctionnaires relevaient, en premier lieu, que 7 produits comportaient sur leur étiquette des allégations thérapeutiques.
Or la publicité, sous quelque forme que ce soit, concernant ce type de produits doit, aux termes des articles L. 551 et R. 5047 du Code de la santé publique, faire l'objet d'une autorisation du ministre de la Santé. Franck L qui avait commercialisé ce type de produit entre juillet et octobre 1994 n'avait pas demandé cette autorisation.
En second lieu les fonctionnaires observaient que sur son tarif général des ventes X proposait une liste de produits dans lesquels étaient incorporées des plantes médicinales inscrites à la pharmacopée française et non autorisées en alimentation courante. Ces plantes médicinales ne figuraient pas, par ailleurs, sur la liste de celles dont la vente a été "libéralisée" établie par un Décret n° 79-480 du 15-06-1979.
Ainsi la vente de ces produits n'aurait pu être effectuée aux termes des articles L. 512 4°, L. 596, L. 598 et R. 6108 du Code de la santé publique que par un pharmacien ou un laboratoire de pharmacie, statuts que n'avaient ni X ni Franck L bien que ce dernier soit docteur en pharmacie.
Entendu par la police le prévenu reconnaissait la première infraction. Par contre il contestait la deuxième faisant valoir son diplôme de docteur en pharmacie et le fait que les quantités utilisées étaient infinitésimales.
L'administration a pour sa part souligné que Franck L qui avait demandé le statut de laboratoire pharmaceutique était parfaitement conscient de ce qu'il faisait.
Devant la cour,
M. l'Avocat général demande la confirmation de la décision en ce qui concerne la constitution des infractions et il requiert le prononcé d'une peine d'amende.
Sur ce
Sur le délit de publicité non autorisée
Le prévenu soutient que le délit n'est pas constitué et, subsidiairement, demande une dispense de peine.
Il fait valoir que la réglementation en vigueur est une atteinte à la liberté de la publicité et doit être interprétée strictement. Or son étiquetage, loin de présenter des allégations thérapeutiques ne "faisait que rappeler les bienfaits ancestraux des plantes et leurs vertus naturelles". Par ailleurs la présentation sous forme de gélules ne saurait, par elle-même, justifier l'obligation du visa préalable sinon il y aurait là un ajout à la loi créant une insécurité juridique.
Il est également souligné que la plupart des étiquettes portent la mention "Ceci n'est pas un médicament".
Le prévenu justifie sa demande de dispense de peine par le fait qu'il a modifié ses étiquettes et qu'ainsi il a été mis fin au trouble créé.
La cour constate qu'il résulte de la lecture des étiquettes apposées sur les produits vendus par le prévenu que chacun d'entre eux est présenté comme ayant des propriétés curatives ou préventives ou la capacité de restaurer, corriger ou modifier des facteurs organiques(ex: [produit A] "il augmente le débit urinaire et favorise l'excrétion des déchets. Il favorise un drainage complet des toxines qui encombrent l'organisme". [produit B] "favoriser l'élimination des charges hydriques"). Ils sont conditionnés sous forme de gélules. En outre figurent les mentions "Laboratoires X" et Dr L.
L'ajout de la mention "traditionnellement connu et utilisé" comme celle, au demeurant écrite en bas d'étiquette et en caractères modestes, "ceci n'est pas un médicament" ne peut soustraire ces produits à l'application de l'article L. 511 du Code de la santé publique car ils ont bien été présentés comme possédant des propriétés curatives ou préventives ou pouvant corriger ou modifier les fonctions organiques par la conjonction d'allégations précises et les références à la qualité de docteur ainsi qu'à l'intervention d'un "laboratoire";
Ces produits ne pouvaient ainsi faire l'objet de publicité que dans les conditions prévues par les articles L. 551 et R. 5047 du Code de la santé publique sans qu'il y ait là aucune interprétation extensive du droit pénal.
Le délit prévu par l'article L. 556 du Code de la santé publique est établi.
Le délit d'exercice illégal de la pharmacie
Le prévenu soutient que le délit n'est pas constitué matériellement et, en tous cas, qu'il était de bonne foi.
Il expose d'une part qu'une circulaire du ministère de la Santé et de la Famille du 2 juillet 1979 a indiqué que ne devaient être considérées comme plantes médicinales que celles qui avaient des usages exclusivement médicaux à l'exclusion de tout usage alimentaire, condimentaire ou hygiénique, et, d'autre part, qu'un arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 1995 a considéré que des plantes bien qu'inscrites à la pharmacopée et qui n'avaient pas été libéralisées par le Décret du 15 juin 1979 n'étaient pas des plantes médicinales dès lors qu'elles avaient un usage alimentaire, condimentaire ou hygiénique.
Le prévenu relève ensuite que certaines des plantes visées lors du contrôle à l'origine de la poursuite, ne figurent pas dans la pharmacopée: le passiflore, la prêle, le psyllium et la rhubarbe, et quant aux autres il n'est pas établi qu'elles aient un usage exclusivement médical. Or les plantes qu'il utilise n'ont qu'un usage hygiénique et non médical.
Le prévenu souligne qu'il existe une incertitude sur les qualifications de médicaments d'un certain nombre de produits, incertitude qu'il partageait d'autant plus qu'un précédent contrôle ne lui avait pas valu d'observations.
La cour constate que par la combinaison des articles L. 512 et L. 596 du Code de la santé publique est réservée aux pharmaciens et aux établissements pharmaceutiques la vente des plantes médicinales inscrites à la pharmacopée française sous réserve des dérogations établies par Décret.
Lesdites dérogations sont celles qui résultent du Décret 79-480 du 15 juin 1979 qui a autorisé la vente par des non-pharmaciens d'un certain nombre de plantes.
Il est constant que les plantes incorporées dans les produits vendus par le prévenu, figurent à la pharmacopée mais non pas sur la liste donnée par le Décret précité.
Encore faut-il, pour que ces plantes soient considérées comme médicinales, qu'elles n'aient pas essentiellement un usage alimentaire, condimentaire ou hygiénique pour reprendre, avec exactitude, la formulation de la Cour de cassation dans l'arrêt précité.
De ce point de vue on relèvera, comme l'a fait le procès-verbal, que ces plantes ne figurent pas sur la liste des produits aromatiques ou sapides utilisables sans inconvénients pour la santé publique du Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France. Mais, en outre, il convient de relever que les premiers juges n'ont retenu que l'harpagophytum, les feuilles de nénuphar, le cyprès Noix, la piloselle, le chrisantellum, dont il n'est pas établi qu'ils aient un usage essentiellement alimentaire, condimentaire ou hygiénique.
Il est constant que Franck L n'exerce pas les fonctions de pharmacien et que X n'est pas un laboratoire pharmaceutique. Le délit prévu par l'article L. 517 est donc établi.
La formation du prévenu, l'utilisation des termes " Laboratoire X" prive de fondement l'allocation de sa bonne foi. Il était en mesure de connaître précisément la réglementation applicable.
Sur la peine
Les peines applicables pour les délits poursuivis ne comportent, lorsque la récidive n'est pas visée, que des amendes.
Eu égard à l'activité de M. L déjà recherché pour des faits analogues et qui par l'ambiguïté qu'il entretient sur son laboratoire et son titre de docteur, se situe délibérément aux frontières de la légalité pour des objectifs de lucre, il sera prononcé le maximum de l'amende encourue.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement par application de l'article 411 du Code de procédure pénale, après en avoir délibéré conformément à la loi, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public, Confirme le jugement entrepris sur la culpabilité, Condamne M. Franck L à 30 000 F d'amende.