CA Paris, 3e ch. B, 9 novembre 2001, n° 1999-04900
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
HPC (Sté)
Défendeur :
Nicol & Cie (Sté), Alter finance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rognon
Conseillers :
MM. Monin-Hersant, Pimoulle
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Varin-Petit
Avocats :
SCP Bredin, SELARL Marquet.
LA COUR,
Vu l'appel formé par la société HPC, venant aux droits de la société BBT Interbanques (ci-après BBT), du jugement du Tribunal de commerce de Paris (15e chambre, n° de RG 97106138), rendu le 22 janvier 1999, qui l'a condamnée, avec exécution provisoire, à concurrence de la moitié des condamnations prononcées, à payer vingt-cinq millions de francs de dommages-intérêts plus vingt-mille francs par application de l'article 700 NCPC à la SA Nicol et Compagnie (ci-après Nicol) et a débouté les parties de leurs autres demandes.
Vu les dernières conclusions de l'appelante, signifiées le 7 décembre 2000, demandant à la cour d'infirmer le jugement, de juger que Nicol a renoncé à sa créance litigieuse et de débouter en conséquence Alter finance de toutes ses demandes, à titre subsidiaire, visant l'article 1699 du Code civil, dans l'hypothèse où Prebon Yamane serait considérée comme titulaire de la créance litigieuse, de lui donner acte de ce qu'elle se réserve la faculté d'exercer le droit de retrait litigieux à l'égard de cette société pour 1 F, dans l'hypothèse où Alter finance serait considérée comme titulaire de la créance litigieuse, de juger qu'elle (HPC) est recevable et fondée en sa demande de retrait litigieux pour 1 F et de débouter en conséquence Alter finance de toutes ses demandes comme dépourvues de tout droit, qualité et intérêt à agir, plus subsidiairement, de désigner un expert afin d'évaluer le passif non révélé de Nicol au jour de sa fusion avec Alter finance, "dans l'hypothèse où il serait considéré que ce passif représente la contrepartie de la cession du droit litigieux, afin de lui (l'appelante) permettre d'exercer, le cas échéant, son droit de retrait", plus subsidiairement encore, visant l'article 1382 du Code civil, de débouter Alter finance de ses demandes, comme mal fondées, en tout état de cause, de condamner Alter finance à lui payer 50 000 F par application de l'article 700 NCPC;
Vu les dernières conclusions signifiées le 30 novembre 2000 par Alter finance, venant aux droits de Nicol et Compagnie, intimée et appelant incidemment, qui demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré HPC, venant aux droits de BBT Interbanques, coupable d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de Nicol et Compagnie mais, le réformant sur le montant des réparations allouées, de condamner HPC à lui payer 58 000 000 F au titre de la perte de marge brute et de la captation du fonds de commerce, de 10 000 000 F au titre du coût de restructuration, plus 100 000 F par application de l'article 700 NCPC.
Sur quoi:
Considérant qu'il résulte des pièces de la procédure que Nicol exerçait l'activité de courtier sur le marché interbancaire et réalisait 40 à 45 % de son chiffre d'affaires grâce à un service spécialisé dans la négociation d'échanges de taux d'intérêts;
Que, le 9 juin 1997, cinq des sept personnes composant ce service ont démissionné; qu'une sixième avait précédé ses collègues dans cette voie le 14 mai 1997; qu'une septième annonçait son départ pour le 18 août 1997, à l'issue de son congé maternité;
Que, après avoir sans succès diligenté une procédure en référé afin d'interdire préventivement à BBT de recruter ces salariés, Nicol, ayant fait constater par huissier que cinq d'entre eux avaient été embauchés par sa concurrente en septembre 1997, a assigné BBT au fond pour obtenir réparation du préjudice causé par des agissements qu'elle qualifiait d'actes de concurrence déloyale;
Considérant que le tribunal a jugé que BBT était parfaitement consciente, en recrutant la totalité du personnel de Nicol spécialisé dans le négoce des produits hors bilan, de la grave désorganisation qui en résulterait pour sa concurrente; que ce comportement était fautif et constitutif de concurrence déloyale; que, pour fixer le montant des dommages-intérêts, les premiers juges ont retenu que la forte réduction de l'activité et donc la marge de Nicol était liée au départ des sept salariés mais qu'il y avait lieu de tenir compte de l'instabilité notoire de ces catégories de personnels, de la crise générale et de la réduction globale du marché du courtage sur les opérations interbancaires en 1997;
Considérant que, depuis le prononcé du jugement entrepris, dont l'exécution provisoire a été arrêtée par ordonnance du premier président de cette cour, prononcée le 21 mai 1999, en contrepartie de la fourniture par HPC d'une caution bancaire de 12,5 MF, Nicol, après avoir cédé son fonds de commerce à la société britannique Prebon Yamane, a été absorbée par la société Alter finance, tandis que BBT a été absorbée par la société HPC;
Considérant que HPC soutient que Nicol a renoncé, au moins tacitement, à sa prétendue créance et que l'action d'Alter finance est par suite éteinte; que, subsidiairement, elle explique qu'elle serait fondée à exercer son droit de retrait litigieux, quoique la créance n'ait pas été valorisée, soit contre Prebon Yamane, soit contre Alter finance, selon que l'une ou l'autre de ces deux sociétés serait regardée comme titulaire de cette créance;
Considérant, compte tenu de la motivation qui suit et du sens de cet arrêt, qu'il est sans intérêt d'examiner la question de la prétendue renonciation de Nicol à sa créance ni celle de l'exercice d'un éventuel droit de retrait litigieux;
Considérant que Alter finance, pour imputer à BBT la responsabilité du départ des sept salariés de Nicol et du préjudice consécutif qu'elle allègue, fait valoir que les trois conditions requises pour caractériser la concurrence déloyale sont réunies en l'espèce: la simultanéité des démissions, l'embauche concomitante des salariés concernés, la conscience, de la part de la société concurrente, de la désorganisation provoquée au sein de l'entreprise victime;
Mais considérant que l'enchaînement chronologique de ces circonstances, si la preuve n'est pas rapportée d'une faute, même seulement d'imprudence, commise par BBT, ne suffit pas à caractériser à la charge de cette dernière un acte de concurrence déloyale;
Considérant que seules les dates des démissions des sept salariés de Nicol sont précisément connues; qu'il est constant, en tout cas, qu'ils ont résisté à l'offre de revenir sur leur décision que leur a présentée Nicol, à l'issue de la procédure de référé, alors que leur embauche par BBT n'était pas encore effective;
Considérant, en toute hypothèse, que la preuve n'est pas rapportée que BBT aurait pris d'elle-même l'initiative de les approcher;qu'il n'est pas prétendu que BBT aurait tenté de les séduire par des promesses de rémunérations plus élevées ou des conditions de travail meilleures et ainsi provoqué, par de semblables manœuvres, leurs démissions;
Considérant, par ailleurs, que Alter finance s'abstient apparemment de s'interroger sur les causes réelles de la désaffection des salariés de Nicol pour leur ancien employeur; qu'elle n'oppose en tout cas aucune réponse à l'argumentation développée par BBT selon laquelle ces salariés, comme d'autres avant eux, avaient conçu des doutes sur la capacité de Nicol à leur assurer un avenir professionnel sûr et conforme à leurs aspirations; que, en définitive, elle ne rapporte pas la preuve que les salariés de Nicol n'auraient démissionné que dans l'assurance que BBT leur aurait donnée de les embaucher;
Considérant qu'aucun élément du débat n'interdit de penser, au contraire, que les salariés concernés avaient eux-mêmes pris la résolution de quitter Nicol, comme plusieurs de leurs collègues l'avaient déjà fait avant eux; qu'il n'est pas discuté que, n'étant liés à Nicol par aucun engagement de non-concurrence et ayant exécuté leur préavis, ils se trouvaient eux-mêmes libres de rejoindre n'importe quel nouvel employeur; que, de son côté, BBT cherchait à embaucher, ainsi qu'en témoignent les annonces qu'elle avait fait paraître à cette fin dans la presse; que la rencontre de ces deux volontés ne suffit pas à caractériser un projet concerté de débauchage;
Considérant, au surplus, que Alter finance n'établit pas que, au moyen des embauches critiquées, BBT aurait détourné un savoir-faire spécifique ou une clientèle propre à Nicol;
Considérant qu'il en résulte que la baisse des résultats et de la rentabilité de Nicol après le départ de ses salariés, constitutive du préjudice invoqué par Alter finance, n'est dès lors pas imputable à BBT; qu'elle coïncide d'ailleurs avec une réduction globale du marché; que Alter finance ne démontre pas que Nicol se serait trouvée dans l'impossibilité de compenser les démissions de ses personnels par de nouvelles embauches; qu'elle n'indique même pas qu'elle aurait cherché à recruter de nouveaux opérateurs;
Considérant, en synthèse, que, s'il y a eu désorganisation des services de Nicol par suite du départ de ses salariés, le lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'embauche de ces salariés par BBT n'est pas établi dès lors que la preuve n'est pas rapportée que ce départ aurait été provoqué par une promesse d'embauche déloyale par BBT;que, dès lors, la circonstance que BBT, compte tenu de la transparence du marché et du nombre réduit de sociétés et d'opérateurs intervenant sur celui-ci, ait pu ne pas ignorer les difficultés causées à Nicol par le départ simultané de ses sept salariés ne suffit pas à lui faire porter la responsabilité de ces mêmes difficultés;
Qu'il s'ensuit que le jugement sera infirmé, la preuve d'aucun acte de concurrence déloyale n'étant rapportée à l'encontre de BBT; que Alter finance sera en conséquence déboutée de toutes ses demandes;
Considérant que la demande d'application de l'article 700 NCPC présentée par HPC sera accueillie à hauteur de 15 000 F; que celle présentée par Alter finance sera rejetée;
Par ces motifs: infirme le jugement entrepris; Condamne Alter finance, par application de l'article 700 NCPC, à payer 15 000 F (2 286,74 euros) à HPC; Rejette toute demande ou prétention contraire à la motivation; Condamne Alter finance aux dépens de première instance et d'appel, et admet, pour ces derniers, la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué, au bénéfice de l'article 699 NCPC.