CA Rennes, 2e ch. com., 28 février 2001, n° 00-01665
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
ODA (SA)
Défendeur :
Le Gastronome (SA), Boucheries 44 (GIE)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bothorel
Conseillers :
Mme Nivelle, M. Poumarede
Avoués :
SCP Chaudet & Brebion, Me Bourges, SCP Leroyer Gauvain & Demidoff
Avocats :
Mes Meyer, Friant, Tranchant Cavalin.
Exposé des faits - procédure - objet du recours
La société Pages jaunes (anciennement ODA) a régulièrement interjeté appel d'une décision rendue le 9 décembre 1999 par le Tribunal de commerce de Nantes qui a notamment, constatant le comportement parasitaire de la société ODA et du GIE Boucheries 44, condamné la société ODA à payer à la SA Le Gastronome la somme de 192 037,98 F avec intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 1997;
Dit que le GIE Boucheries 44 devra garantir la société ODA pour la somme de 76 815,19 F avec les mêmes intérêts au taux légal;
Débouté le GIE Boucheries 44 de sa demande de dommages-intérêts et de sa demande de nullité du bon de commande;
Ordonné l'exécution provisoire du jugement;
Condamné solidairement la société ODA et le GIE Boucheries 44 à payer à la SA Le Gastronome chacun la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle demande à la cour aux termes de ses dernières conclusions, de:
- débouter la SA Le Gastronome de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions et de la condamner à restituer les sommes versées par la société Pages jaunes au titre de l'exécution provisoire;
- débouter le GIE Boucheries 44 de l'ensemble de ses demandes dirigées contre elle;
A titre subsidiaire de prendre acte de ce que le GIE Boucheries 44 s'est engagé à garantir à la société Pages jaunes des conséquences qui pourraient résulter de l'action d'un tiers du fait de la parution litigieuse;
En conséquence de condamner le GIE Boucheries 44 à garantir la société Pages jaunes de toute condamnation éventuelle prononcée à son encontre;
En tout état de cause de condamner la SA Le Gastronome au paiement d'une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA Le Gastronome demande quant à elle, outre la confirmation du jugement en ce qu'il a décerné acte à Dominique Robin de son désistement d'instance, la condamnation in solidum de la société Pages jaunes et du GIE Boucheries 44 au paiement de la somme de 400 000 F à titre de dommages et intérêts outre 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le GIE Boucheries 44 demande:
- la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a donné acte à Dominique Robin de son désistement;
Pour le surplus de:
- débouter la SA Le Gastronome de l'intégralité de ses demandes;
- constater les manœuvres dolosives de la société Pages jaunes et prononcer la nullité du bon de commande souscrit par lui le 19 décembre 1995;
En conséquence de:
- condamner la société Pages jaunes à rembourser au GIE Boucheries 44 la somme de 893 899 F;
- condamner la société Pages jaunes à garantir le GIE Boucheries 44 de toute condamnation éventuelle prononcée à son encontre outre le paiement de la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts;
A titre subsidiaire de débouter la société Pages jaunes de son appel en garantie;
En tout état de cause de condamner solidairement la société Pages jaunes et la SA Le Gastronome au paiement de la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Moyens proposés par les parties
Considérant qu'au soutien de son recours la société Pages jaunes confirme que des pourparlers ont été engagés avec le photographe Dominique Robin qui ont abouti à un accord, Dominique Robin ayant consenti en contrepartie de cette transaction à se désister de son instance;
Considérant qu'après avoir fait remarquer que la SA Le Gastronome n'était pas titulaire des droits d'exploitation des photographies litigieuses tels que définis à l'article L. 122-1 du Code de la propriété intellectuelle, l'appelante fait valoir que l'on ne saurait lui reprocher un acte de concurrence déloyale dans la mesure où ses activités et celles de la SA Le Gastronome n'ont aucun rapport;
Que, d'autre part l'imitation de publicité ne constitue un procédé déloyal que s'il en résulte une confusion dans l'esprit du public ce qui ne saurait être le cas en l'espèce par l'utilisation de photographies somme toute banales et présentant des prestations offertes par tout traiteur dans le cadre de ses activités;
Que ces photographies ne constituent d'ailleurs pas des signes distinctifs de la SA Le Gastronome;
Que la SA Le Gastronome ne démontre pas que la baisse du chiffre d'affaires qu'elle invoque soit due à l'utilisation de ces photos par le GIE Boucheries 44;
Considérant que la société Pages jaunes conteste également que l'utilisation de ces photographies par le GIE Boucheries 44 puisse être qualifiée de comportement parasite dans la mesure où ces images ne traduisent pas un savoir-faire spécifique à la SA Le Gastronome;
Qu'elle fait valoir en outre que la SA Le Gastronome n'a consenti aucun effort particulier pour réaliser un investissement spécifique dont un concurrent aurait pu profiter;
Considérant qu'à titre subsidiaire la société Pages jaunes rappelle qu'au titre des stipulations du contrat le GIE Boucheries 44 s'est engagé à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre; qu'au demeurant l'annonceur est entièrement responsable de son annonce et que la nullité du contrat argué par le GIE Boucheries 44 n'est pas démontrée;
Considérant qu'en appel la SA Le Gastronome affirme que le trouble commercial existe, en particulier du fait du grand nombre d'exemplaires de l'annuaire en cause diffusé sur toute la Loire Atlantique et qui atteint obligatoirement une partie de la clientèle de Le Gastronome; qu'elle a en outre dû faire refaire sa plaquette publicitaire pour mettre un terme à tout risque de détournement d'image;
Considérant que de son côté le GIE Boucheries 44 conteste avoir eu un comportement parasitaire en faisant valoir notamment qu'il n'existe pas d'imitation de la publicité ni de possibilité de confusion dans l'esprit de la clientèle;
Qu'il estime également que la SA Le Gastronome ne justifie d'aucun préjudice;
Considérant, sur la demande de garantie présentée par la société Pages jaunes, que le GIE Boucheries 44 affirme que c'est cette société qui lui a fourni les photos et fait remarquer que la société Pages jaunes s'est engagée seule à indemniser le photographe Dominique Robin pour le préjudice supporté par ce dernier au titre de son droit d'auteur;
Considérant enfin que le GIE Boucheries 44 reproche à la société Pages jaunes un comportement dolosif l'ayant conduit à faire publier l'annonce litigieuse;
Considérant que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties la cour se réfère à la décision attaquée et aux écritures des parties régulièrement signifiées;
Motifs de l'arrêt
Considérant qu'au mois de juin 1996, le GIE Boucheries 44 a fait paraître dans les Pages jaunes de l'annuaire téléphonique de la Loire Atlantique une annonce à la rubrique "Traiteurs" illustrée de trois photographies en couleurs représentant des plats préparés;
Que ces photographies, œuvres de Dominique Robin, avaient déjà été utilisées par la SA Le Gastronome pour illustrer une plaquette publicitaire qu'elle distribuait à ses clients;
Considérant qu'assignés devant le Tribunal de commerce de Nantes par Dominique Robin, photographe auteur des photos, et la SA Le Gastronome, traiteur concurrent, la société Pages jaunes (anciennement ODA) et le GIE Boucheries 44 ont signé avec Dominique Robin un protocole d'accord mettant fin au litige les opposant, mais laissant subsister les entières demandes du Gastronome à leur encontre;
Sur la demande de la SA Le Gastronome contre la société Pages jaunes
Considérant que la violation de la propriété intellectuelle d'autrui étant réalisée dès lors qu'il y a utilisation d'une œuvre et indépendamment de tout élément intentionnel, la signature d'un protocole d'accord entre Dominique Robin et la société Pages jaunes ne saurait être considérée comme une quelconque reconnaissance de leur responsabilité à l'encontre de la SA Le Gastronome, ni par la société Pages jaunes, ni par le GIE Boucheries 44;
Considérant que le parasitisme économique se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est nullement établi que la société Pages jaunes, qui, au demeurant, n'a pas de pouvoir de contrôle sur la rédaction et la composition des annonces dont elle assure la publication, ait pu commettre un acte de parasitisme, dès lors que son secteur d'activité n'a aucun lien avec celui de la SA Le Gastronome; que l'on voit mal en effet quel avantage la société Pages jaunes pourrait tirer d'une publicité réalisée à partir de photographies représentant des plats cuisinés;
Sur la demande de la SA Le Gastronome à l'encontre du GIE Boucheries 44
Considérant que la SA Le Gastronome et le GIE Boucheries 44 sont deux entreprises exerçant chacune l'activité de traiteur et sont incontestablement en situation de concurrence;
Considérant que les trois photographies incriminées représentent l'une, une assiette contenant des magrets de canard, l'autre une assiette avec des côtelettes et des légumes et la troisième un plateau de canapés posé sur une table;
Qu'il n'est pas contesté qu'elles ont été utilisées par la SA Le Gastronome dans une plaquette publicitaire réalisée en 1992;
Mais considérant que ces préparations culinaires sont classiquement réalisées par tous les traiteurs, qu'elles ne présentent aucune originalité et que rien ne permet, à leur simple vue, d'identifier la SA Le Gastronome comme ce serait le cas si le GIE Boucheries 44 avait utilisé la photographie d'une spécialité du Gastronome aisément identifiable;
Considérant ainsiqu'il ne saurait être reproché au GIE Boucheries 44 de s'être approprié le savoir-faire de la SA Le Gastronome pour en tirer profit;
Considérant qu'il convient en conséquence, infirmant la décision critiquée, de débouter la SA Le Gastronome de l'ensemble de ses demandes, la demande en garantie de la société Pages jaunes contre le GIE Boucheries 44 et la défense de celui-ci devenant sans objet;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Pages jaunes et du GIE Boucheries 44 l'intégralité des frais irrépétibles engagés à l'occasion de la procédure d'appel; qu'il convient de leur accorder la somme de 10 000 F chacun sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Considérant que succombant en appel la SA Le Gastronome supportera les entiers dépens;
Décision
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Confirme la décision déférée en ce qu'elle a décerné acte à la société Pages jaunes et au GIE Boucheries 44 du désistement d'instance de Dominique Robin; La réformant pour le surplus, déboute la SA Le Gastronome de l'ensemble de ses demandes; Ordonne le remboursement par la SA Le Gastronome des sommes reçues par elle dans le cadre de l'exécution provisoire de la décision critiquée, avec intérêts de droit à compter de la signification de la présente décision; Condamne la SA Le Gastronome à payer à la société Pages jaunes et au GIE Boucheries 44 la somme de 10 000 F (1 524,49 euros) chacun sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la SA Le Gastronome aux dépens de première instance et d'appel, ceux-ci pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.