Livv
Décisions

CA Rouen, ch. corr., 18 octobre 1999, n° 99-00217

ROUEN

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Catenoix

Conseillers :

MM. Massu, Bisot.

CA Rouen n° 99-00217

18 octobre 1999

Rappel de la procédure

Prévention

Patrice L a été à la requête du Ministère public cité directement par exploit délivré le 25 septembre 1998 à sa personne devant le Tribunal correctionnel d'Evreux à l'audience du 1er décembre 1998 sous la prévention d'avoir à Tourny, courant 1996 et en tout cas le 21 novembre 1996 :

- falsifié des denrées servant à l'alimentation des animaux destinés à être vendus, à savoir en traitant ces aliments avec une substance non autorisée (le Digrain) afin d'agir sur les caractéristiques de conservation des denrées ;

- trompé le co-contractant sur la composition de la marchandise vendue en ne mentionnant pas sur les denrées dont s'agit, l'addition de Digrain ;

Infractions prévues et réprimées par les articles L. 213-1, L. 213-2, L. 213-3, L. 213-4 du Code de la consommation, 3, 4 du décret 73-1101 du 28 novembre 1973 modifié, arrêté ministériel du 13 février 1992.

Jugement

Le tribunal par jugement contradictoire du 1er décembre 1998 a déclaré Patrice L coupable des faits reprochés et l'a condamné à une amende de 30 000 F.

Appels

Par déclarations au greffe du tribunal en date du 9 décembre 1998 le prévenu et le Ministère public ont interjeté appel de ce jugement.

Décision

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi.

En la forme

Au vu des énonciations qui précèdent et des pièces de la procédure les appels interjetés par le prévenu et le Ministère public dans les formes et délais des articles 498 et suivants du Code de procédure pénale sont réguliers ; ils sont donc recevables.

Patrice L a été cité devant la cour par exploit d'huissier délivré à sa personne le 10 mai 1999. Il défère devant la cour et l'arrêt à intervenir sera donc rendu contradictoirement à son égard.

Au fond

Des pièces de la procédure résultent les faits suivants :

Le 18 novembre 1996, parvenait à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de l'Eure, une demande d'enquête de son homologue de l'Essonne, suite au contrôle du magasin "Truffaut" de La Ville-du-Bois. Il était fait état d'étiquetages d'aliments pour animaux commercialisés par la société "X SA" à Tourny non conformes à la réglementation.

A l'occasion de leur contrôle effectué dans les locaux de la société X SA" à Tourny, le 21 novembre 1996, les contrôleurs de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes apprenaient que la SA X produisait uniquement des graines destinées à l'alimentation des animaux domestiques commercialisées dans la grande distribution et il était procédé au contrôle des ateliers de production.

Il était ainsi constaté que les graines de diverses espèces végétales (blé, millet, alpiste, tournesol...), avant leur conditionnement passaient pair une mélangeuse au niveau de laquelle était pulvérisé un insecticide pompé de façon automatique à partir de son conditionnement d'origine. Sur le bidon de 25 litres de cet insecticide, étaient notamment portées les mentions :

" "Digrain" Homologation n° 8100566 Salodi <adresse>Le Bord Haut de Vigny 95450 DDVP (Dichlorvos) Lot 96028 "

Ces graines, après avoir subi cette pulvérisation de "Digrain", spécialité insecticide contenant du Dichlorvos, étaient emballées immédiatement après dans leurs conditionnements finaux (films plastiques thermoscellés, boites en cartons...). Au vu des préemballages détenus, il était constaté :

- qu'aucun étiquetage ne comportait le nom et l'adresse de la société X qu'il s'agisse des produits façonnés pour des tiers ou de ceux directement commercialisés pour son propre compte;

- que le code emballeur mentionné ("EMB 27681") ne correspondait pas à une localisation du conditionneur sur la commune de Tourny mais à l'ancienne implantation géographique de l'entreprise à Vernon;

- qu'aucune liste des ingrédients ne mentionnait la présence de Dichlorvos dans les denrées.

A la demande des contrôleurs, Melle Bugeau, responsable "qualité" au sein de la société, présentait une fiche technique sur laquelle figuraient les mentions suivantes :

"Digrain Instantané Homologation : 81000566 Digrain Instantané est un insecticide prêt à l'emploi à effet de choc, homologué pour la protection des céréales stockées et cellules de stockage. Composition : 100 g/l DDVP QSP : Solvants Toxicologie DL50 sur Rat 560 mg/1/kg. Precautions Avant de pulvériser, écarter les animaux domestiques, oiseaux, aquariums, personnel, aliments de la pièce à traiter".

Il est constaté que sur les trois dernières années 600 litres de " Digrain " avaient été achetés, correspondant à une consommation annuelle de 200 litres et au vu de la production annuelle d'aliments (50 tonnes) il était établi que la teneur moyenne des aliments en dichlorvos était de l'ordre de 76,9 mg par kilo d'aliment.

Dans le procès-verbal d'infractions établi le 24 mars 1991, il était indiqué par l'inspecteur chargé du contrôle que l'emploi de cet insecticide contenant du dichlorvos, homologué pour la protection des céréales stockées et des cellules de stockage, était rigoureusement interdit pour l'alimentation animale en raison de ses effets nocifs sur le système nerveux de certains animaux et de sa toxicité aiguë à l'égard de certaines espèces animales et contraire aux dispositions du décret modifié N73-1101 du 28 novembre 1973 et de l'arrêté modifié du 13 février 1992 relatifs aux additifs autorisés en alimentation animale.

Patrice L, qui est Directeur général de la SA X depuis le 10 avril 1996 et était titulaire d'une délégation de pouvoir du Président directeur général Pierre L, lors de son audition par les gendarmes le 22 avril 1997 déclarait qu'il avait ignoré jusqu'à la visite de l'inspecteur de la DDCCRF, que l'emploi de cet insecticide était interdit lors des mélanges de graines destinées à l'alimentation animale et que son utilisation avait cessé consécutivement à la venue de ce contrôleur.

A l'audience, Patrice L réitère cette déclaration. Il soutient que les infractions reprochées ne sont pas établies et, produisant aux débats des fiches techniques sur les diverses formulations homologuées du Digrain, expose que la fiche technique accompagnant le "Digrain instantané - homologation 8100966", produit qui était utilisé jusqu'à la venue de l'inspecteur de la DDCCRF, indique que les céréales traitées par ce produit peuvent être consommées 48 heures après le traitement", qu'il s'agit donc d'un produit à effet instantané, que les manipulations effectuées par la société après le mélange opéré et le temps nécessaire pour acheminer les produits vers les lieux de vente représentaient au minimum 8 jours, que l'ensachage réalisé au moyen d'emballages micro-perforés permettait l'élimination du produit par contact avec l'air. Il en déduit qu'en raison du délai écoulé, Cet insecticide était éliminé lors de la mise en vente des aliments et qu'il n'avait donc pas à avertir son cocontractant de l'adjonction d'un produit qui n'existait plus lors de la réception et de la mise en vente des aliments.

Ceci étant exposé

La Cour rappelle:

- que l'article 3 du décret modifié n° 73-1101 du 28 novembre 1973 interdit "...la détention en vue de la vente, la mise en vente, la vente ou la distribution à titre gratuit d'aliments pour animaux auxquels ont été incorporés des additifs autres que ceux qui auront été reconnus à la fois comme contrôlables au point de vue de leur nature et de leur teneur dans les aliments, comme ayant un effet favorable sur les caractéristiques desdits aliments ou sur la production animale, connue n'ayant pas d'influence défavorable sur la santé humaine ou animale ou sur l'environnement et n'altérant pas les caractéristiques des produits animaux sous réserve de certaines conditions d'emploi et de teneur..."

- que l'article 4 de ce même décret précise que "La liste des additifs répondant aux conditions mentionnées à l'article 3 est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de la Consommation, de la Santé et de l'Agriculture, après avis du Conseil supérieur d'Hygiène Publique de France et de la Commission Interministérielle et Interprofessionnelle de l'Alimentation animale..."

- que l'annexe 1 de l'arrêté ministériel du 13 février 1992, pris en application des dispositions sus mentionnées, fixe la liste et les conditions d'incorporation des additifs en matière d'aliment pour animaux ;

- constate que le dichlorvos ne figure pas dans cette liste.

S'agissant d'une énumération stricte ou "liste positive", l'emploi de toute substance non expressément autorisée par cet arrêté est interdit et en conséquence la pulvérisation de Digrain, spécialité insecticide contenant du dichlorvos, effectuée sur les graines destinées à l'alimentation d'animaux domestiques clans les conditions sus rappelées était rigoureusement interdite.

A cet égard, il convient d'ailleurs de relever que la fiche technique accompagnant le "Digrain instantané homologation 8100566" précise qu'il s'agit d'un insecticide prêt à l'emploi à effet de choc homologué pour la protection des céréales stockées et cellules de stockage et notamment recommandé pour le traitement des volumes ; aucune indication ne laisse penser qu'il puisse être utilisé pour le traitement des graines destinées à l'alimentation des animaux domestiques préalablement au conditionnement de ces denrées en vue de leur mise en vente immédiate.

Le fait que les céréales traitées par le "Digrain instantané homologation 8100566" puissent être consommées 48 heures après le traitement selon la fiche technique du produit est un argument dépourvu en l'espèce de toute pertinence, s'agissant d'une part du traitement de céréales effectué dans un lieu de stockage et non pas d'un traitement d'aliments pour animaux réalisé préalablement à leur conditionnement, d'autre part d'un produit ne figurant pas sur la liste des produits autorisés par l'arrêté précité.

En traitant ces denrées servant à l'alimentation animale à l'aide d'une substance non autorisée, nocive et de nature à leur conférer une toxicité à l'égard de certains animaux qui les ingèrent dans un souci, à moindre de frais, d'agir sur les caractéristiques de conservation de ces denrées et d'éviter à la société "X SA" qu'il dirige depuis le 10 avril 1996, les désagréments dus au développement possible d'insectes alors qu'elles sont mises en vente, Patrice L a bien falsifié ces denrées et ainsi contrevenu aux dispositions de l'article L. 213-3 du Code de la consommation qui répriment notamment toute falsification des denrées servant à l'alimentation des animaux.

De même, en ne mentionnant pas la présence de cette substance dans la liste des ingrédients desdits aliments ou sur un étiquetage de l'emballage, Patrice L a bien trompé ses co-contractants sur la composition de ces denrées et ainsi contrevenu aux dispositions de l'article L. 213-1 du Code de la Consommation réprimant cette infraction.

Patrice L, qui avait l'obligation en sa qualité de Directeur général de la société de s'assurer que le traitement était licite, n'est pas fondé à arguer de sa bonne foi ; en effet, la cour relève que la fiche technique indique très clairement qu'il s'agit d'un produit réservé au traitement des céréales stockées, que l'enquête a permis d'établir que la société avait en sa possession le texte concernant l'emploi des additifs depuis un précédent contrôle effectué au siège social par la DDCCRF de la Somme et dans conditions Patrice L ne pouvait pas ne pas connaître les règles d'incorporation des additifs en alimentation animale.

Dans ces conditions, la cour confirmera le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité.

Au vu du degré de gravité des infractions commises, de leurs implications économiques au travers de l'atteinte portée à la concurrence et des dangers que font encourir de telles pratiques à l'espèce animale, la peine de 30 000 F d'amende prononcée par le tribunal loin d'être excessive, est adaptée aux circonstances de la cause et sera donc confirmée.

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, En la forme Déclare les appels recevables, Au fond Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions pénales. Fixe la durée de la contrainte par corps conformément à l'article 750 du Code de procédure pénale. La présente procédure est assujettie à un droit fixe de huit cents francs (800 F) dont est redevable Patrice L.