CA Angers, ch. corr., 10 novembre 1998, n° 98-00449
ANGERS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chesneau
Substitut :
général: M. Féron
Conseillers :
MM. Liberge, Midy
Avocat :
Me Villeneuve.
LA COUR
Le prévenu et le Ministère public ont interjeté appel du jugement rendu le 19 février 1998 par le Tribunal correctionnel de Saumur qui, pour publicité mensongère, tromperie et détention de denrées corrompues et périmées, a condamné Dominique D à 30 000 F d'amende pour les délits, à une amende de 5 000 F et deux amendes de 1 000 F pour les contraventions.
La publication du jugement a été ordonnée dans deux journaux locaux et au journal officiel.
Régulièrement cité, le prévenu comparaît assisté de son avocat qui dépose des conclusions sollicitant la relaxe au motif principal qu'il existait des délégations de pouvoirs.
Le Ministère public requiert la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne la publication au journal officiel.
Dominique D est prévenu d'avoir à Saumur, le 20 novembre 1996:
- effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur le prix du rôti de boeuf conditionné en caissettes de deux kilos ainsi que sur la qualité de crevettes roses présentées comme un produit frais alors qu'il s'agissait de crevettes cuites dans une saumure;
- trompé les consommateurs, contractants, sur la quantité de kiwis vendus en barquette d'un poids net indiqué d'un kilo;
- omis de retirer des denrées animales ou d'origine animale altérables impropres à la consommation ou périmées, en l'espèce des huîtres et des sandres corrompus;
- détenu en vue de la vente, exposé à la vente ou vendu des produits altérables, en l'espèce deux barquettes de calamars, à une date postérieure à la date de péremption portée sur l'étiquette.
Motifs
A la suite de la réclamation d'un consommateur, les inspecteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes intervenaient le 20 novembre 1996 à Saint Lambert des levées au magasin à l'enseigne X exploité par la SA Y dont Dominique D est le président directeur général.
Ils constataient qu'une mention figurant sur un prospectus et sur un rayon réfrigéré indiquait: "rôti de boeuf tranché en caissette de 2 kg environ, origine France, 39,90 F".
De même, une étiquette mentionnait "crevettes roses fraîches" alors que les caisses d'emballage d'origine mentionnaient "crevettes cuites".
Au rayon fruits et légumes, les inspecteurs effectuaient un contrôle par sondage de barquettes de kiwis dont il était indiqué que le poids net était d'un kg.
Aucune des 15 barquettes pesées n'atteignait ce poids.
Au rayon poissonnerie, les inspecteurs constataient que 80 huîtres soit 4,4 kg étaient ouvertes et sans eau et ne se refermaient plus au test de percussion sur la coquille.
Par ailleurs, trois sandres offerts à la vente présentaient des écailles sèches, une robe terne, une chair flasque, des ouïes couvertes d'un mucus marron et des yeux concaves.
Enfin les inspecteurs constataient que deux barquettes de calamars présentaient une date limite de consommation fixée au 16 novembre 1996.
Dominique D convoqué par la gendarmerie, ne se présentait pas. Le directeur du magasin, Gabriel Drelon, répondait à la convocation et fournissait des explications techniques.
Il précisait qu'il avait été embauché postérieurement aux faits soit le 1er février 1997 et faisait reporter la responsabilité d'une partie des infractions sur les chefs de rayon concernés.
Dominique D présente pour la première fois ses explications en versant aux débats des délégations écrites de pouvoir pour prétendre que la responsabilité des infractions incombe aux délégataires.
Malgré l'absence d'enquête sur ce point, les pièces versées par Dominique D et les explications qu'il fournit sont suffisantes pour reconstituer l'organisation de son entreprise le 20 novembre 1996.
Dominique D expose de manière pertinente dans ses conclusions:
- que chaque chef de rayon au sein du magasin bénéficiait d'une délégation propre de pouvoirs, pour que ceux-ci puissent diriger, coordonner, animer et contrôler les activités des magasins dont il a la charge;
- qu'aux termes des délégations de pouvoirs versées aux débats, expressément acceptées par les délégataires, il est expressément indiqué notamment que le délégataire doit assurer et faire assurer le respect des lois et des règlements concernant l'application du droit du travail, respecter et faire respecter les normes ou accords légaux ou conventionnels, respecter et faire respecter les règles d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail, veiller au respect des lois et prescriptions administratives concernant les équipements de son rayon, l'utilisation des matériels et l'exercice des activités développées dans son rayon;
- qu'il est également expressément indiqué et accepté que la responsabilité pénale et pécuniaire du délégataire pourra se trouver engagée et sera alors la seule recherchée en cas d'infraction;
- qu'il en est ainsi notamment de la délégation de pouvoirs de Messieurs Jousset Thierry, responsable du rayon boucherie charcuterie et traiteur, Colin Vincent, responsable du rayon fruits et légumes, Dupont Thierry, responsable du rayon poisson et Monsieur Guilloussou Florent pour le rayon saurisserie;
Ces éléments, qui manquaient aux premiers juges pour apprécier la responsabilité pénale de Dominique D, sont de nature à l'exonérer de cette responsabilité en ce qui concerne le poids des kiwis, la présence, dans les rayons, de denrées corrompues ou périmées.
Les manquements relevés sont en effet, compte tenu du nombre d'articles référencés dans chacun des rayons, insuffisants pour traduire, malgré l'appréciation non étayée des enquêteurs, "une négligence généralisée du magasin".
Les délégations de pouvoir aux chefs de rayon correspondent à une pratique habituelle et sont la conséquence évidente de ce que le PDG d'un hypermarché n'a pas la possibilité de contrôler personnellement les produits vendus dans les rayons.
Par contre, même si les chefs de rayon peuvent avoir un certain pouvoir de proposition et de rectification en ce qui concerne les documents publicitaires, il est de la responsabilité du chef d'entreprise de s'assurer que les prospectus qui sont destinés à attirer une vaste clientèle, ne contiennent pas des indications mensongères ou de nature à induire en erreur.
Il lui appartient en particulier de prendre toutes les dispositions pour que de tels documents ne soient imprimés ou diffusés qu'après un contrôle rigoureux, par exemple au niveau du "bon à tirer".
Tel est le cas de la publicité figurant sur le dépliant saisi par les services enquêteurs.
Ce dépliant, diffusé à 30 000 exemplaires pour la semaine du 12 au 23 novembre 1996, présentait deux indications mensongères, la première concernant le prix du rôti de boeuf et la seconde concernant les crevettes roses.
Les crevettes étaient en effet présentées comme fraîches alors qu'elle étaient cuites dans la saumure.
Si cet élément pouvait avoir échappé à Dominique D, à qui il appartenait néanmoins de vérifier ce que le dépliant contenait, il ne peut sans mauvaise foi dire que c'est par erreur que le prix de la barquette de 2 kg de rôti de boeuf a été imprimé à 39,90 F alors qu'il s'agissait en réalité du prix du kg.
L'article en question est en effet le seul qui figure en première page du dépliant avec le prix en caractères très apparents qui en font la mention essentielle.
C'est ce prix particulièrement attractif qui a déterminé les lecteurs du prospectus à se rendre dans le magasin pour y acquérir le produit et qui ont ainsi été incité à l'acheter à un prix double de ce qui était annoncé.
Il est significatif de constater qu'aucune tentative de diffusion d'un rectificatif n'ait été faite ni qu'aucune affiche dans le magasin n'ait attiré l'attention du client sur cette inexactitude.
Dominique D sera donc déclaré coupable du délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur.
Il sera sanctionné d'une peine d'amende de 15 000 F.
Il sera également ordonné, par application de l'article L. 121-4 du Code de la consommation, la publication du présent arrêt dans les éditions de Saumur du Courrier de l'Ouest et de La nouvelle république.
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Réformant le jugement déféré, Déclare Dominique D coupable du seul délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur et le relaxe pour le surplus de la prévention; Le condamne à 15 000 F d'amende; Ordonne la publication du présent arrêt aux frais du condamné dans les éditions de Saumur du Courrier de l'Ouest et de La nouvelle république dans la limite de 3 000 F par insertion. Ainsi jugé et prononcé par application des articles L. 121-1, L. 121-4 et L. 121-6 du Code de la consommation.