Livv
Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 14 novembre 2003, n° 03-01523

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbarin

Avocat général :

Mme Auclair

Conseillers :

Mme Fouquet, M. Nivose

Avocat :

Me Deprez.

TGI Paris, 16e ch., du 23 janv. 2003

23 janvier 2003

Rappel de la procédure:

La prévention:

L Philippe est poursuivi pour avoir à Paris, et sur et territoire national, depuis le 7 mars 2002, depuis temps non prescrit, organisé, en qualité d'auteur, d'entrepreneur ou d'agent, une loterie prohibée en vendant un ou plusieurs immeubles, meubles ou marchandises soit par la voie du sort soit en les assortissant de primes ou autres bénéfices dus, même partiellement, au hasard;

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré L Philippe coupable d'organisation de loterie prohibée, du 7-03-2002 au 03-04-2002, à Paris, infraction prévue par les articles 3 al. 1, 4 al. 1, 2 de la loi du 21-05-1836 et réprimée par l'article 3 de la loi du 21-05-1836, les articles 2 al. 1, 3 de la loi 83-628 du 12-07-1983,

Et en application de ces articles,

L'a condamné à 20 000 euros d'amende,

A assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 90 euros dont est redevable le condamné.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur L Philippe, le 27 janvier 2003,

M. le Procureur de la République, le 27 janvier 2003 contre Monsieur L Philippe.

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels du prévenu et du Ministère public, interjetés à l'encontre du jugement entrepris;

Rappel des faits et demandes:

Dans le but d'animer ses restaurants, exploités par des co-locataires gérants, la société X France SA dont Monsieur Philippe L est co-gérant a organisé entre le 7 mars et le 3 avril 2002, une opération promotionnelle sous la dénomination "Euros X"; ce jeu a fait l'objet d'un dépôt entre les mains d'un huissier de justice qui garantissait sa régularité; la publicité et les modalités de participation étaient énoncées par voie d'affichage dans les restaurants à l'enseigne X et par messages.

Les joueurs pouvaient découvrir dans des pailles spécifiques conçues pour le jeu, soit un billet de banque d'une valeur unitaire de 5, 10, ou 100 euros, soit un chèque cadeau d'une valeur unitaire de 3, 5, ou 50 euros, soit un coupon permettant d'obtenir gratuitement des produits X, soit un coupon non gagnant relatant des événements insolites; l'élément de jeu pouvait être obtenu en achetant un menu best of, ou un menu maxi best of, ou pour les personnes ne désirant pas consommer, sur simple demande écrite à la société Y, dans la limite d'un élément de jeu par semaine et par personne; les frais d'affranchissement étaient remboursés au tarif lent en vigueur sur simple demande;

Le montant total de la dotation était évaluée à 7 744 681 euros (soit 50,8 millions de francs);

16 500 000 pailles étaient mises en circulation, une paille sur quatre seulement, était gagnante, ce qui caractérise la notion de jeu de hasard;

Une enquête diligentée à la suite d'une note au ministère de l'Intérieur concluait que ce jeu entrait dans le champ des loteries prohibées car demandant un sacrifice financier du joueur;

Philippe L confirmait la matérialité des éléments ci-dessus mentionnés, mais il soutenait que le jeu Euro X était bien un jeu gratuit sans obligation d'achat, même s'il y avait un double accès, en raison de l'égalité entre le canal payant et le canal gratuit, lequel selon lui était en fait prioritaire;

A l'audience de la cour, Madame l'Avocat général relève que toute opération publicitaire est nécessairement une opération commerciale à but lucratif; qu'il appartient à la cour de vérifier si les conditions d'application des articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation sont ou non réunies; qu'en l'espèce, le canal gratuit permettant l'accès au jeu est bien réel et qu'il ne peut être reproché au prévenu une inégalité des chances entre ces deux voies; que le jugement déféré a ajouté à la loi en affirmant que le fait de devoir consommer les marchandises les plus chères pour accéder au jeu aurait eu pour conséquence de rendre illicite cette opération; et elle requiert, dès lors, l'infirmation du jugement et la relaxe du prévenu;

Philippe L comparaît, assisté de son avocat et demande à la cour, par voie de conclusions, de réformer la décision et de le relaxer des fins de la poursuite; il soutient que la cour, après avoir confirmé la licéité de principe des loteries à double accès, devra retenir que de telles loteries commerciales ont toujours pour finalité de favoriser l'activité commerciale d'une entreprise, que la question n'est donc pas de savoir si la loterie commerciale dynamise l'activité de l'entreprise, mais si elle contraint le client à un sacrifice financier; qu'en l'espèce tous les documents relatifs au jeu "Euro X" informaient clairement et abondamment le public sur le fait qu'il s'agissait d'un jeu gratuit sans obligation d'achat, information également portée à la connaissance du public au cours de la campagne publicitaire télévisée; que l'accès gratuit au jeu était bien effectif et qu'il était totalement indifférent que certains produits seulement soient mis en avant par le jeu puisqu'il n'y avait pas en toutes hypothèse de sacrifice financier pour y participer; qu'il ne saurait être exigé que seuls les produits les moins chers soient porteurs du jeu, ce qu'il conteste par ailleurs, démontrant que les produits porteurs via le canal payant n'étaient pas, en fait, plus onéreux, mais le plus souvent consommés;

Il affirme qu'il ne peut être fait grief à une loterie à double accès de ne pas "favoriser" le canal gratuit, l'examen des circonstances d'espèce devant seulement conduire à rechercher si la personne souhaitait participer au jeu est conduite à un sacrifice financier pour gagner les lots mis en jeu; que l'accès gratuit sur simple demande écrite est licite, et que le fait de faire l'avance d'un timbre remboursé au tarif lent ne constitue pas un sacrifice financier; que la réalité du remboursement a été attestée par la société Y par courriers du 3 avril 2002 et du 23 septembre 2002; que la possibilité d'obtenir gratuitement une paille par personne et par semaine correspondant aux conditions de l'accès payant; que les chances de gain des pailles remises aux participants sont exactement identiques dans les deux voies;

Enfin, il sollicite sa relaxe faisant valoir qu'il s'est entouré de toutes les précautions recommandées par les professionnels de la loi et de la jurisprudence existante en l'état, n'a eu ni l'intention ni même la conscience de violer la loi pénale, en application des articles 121-3 alinéa 1 du Code pénal et 7 de la Convention européennes de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;

Sur ce, LA COUR

Il est constant ainsi que l'a relevé, à juste titre, le jugement querellé, que le principe défini par le législateur est l'interdiction générale des loteries, par application de la loi du 21 mai 1836, qui fonde la présente poursuite; que "les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités de tirage au sort, ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière, ni dépense sous quelque forme que ce soit", aux termes de l'article L. 121-36 du Code de la consommation; de telles opérations ne peuvent dès lors, s'analyser que comme une dérogation au principe d'interdiction et doivent faire naître l'espérance d'un gain attribué à chaque participant; l'accès au jeu doit être totalement gratuit et ne doit s'analyser que comme une libéralité offerte par le commerçant; les loteries ne sont donc prohibées que lorsqu'elles réunissent cumulativement les quatre conditions suivantes: une offre au public, l'espoir d'un gain, l'intervention du hasard, un sacrifice pécuniaire pour pouvoir participer au jeu; enfin, comme en l'espèce, la loterie dite "à double entrée" offrant cumulativement, au choix du consommateur, deux accès de participation, l'un gratuit (bon de participation remis gratuitement sur demande), l'autre onéreux (bon de participation dans le conditionnement d'un produit ou lié à un achat) ne peut être considérée comme illicite;

Toutefois, il ne peut être contesté que toute opération publicitaire est nécessairement une opération commerciale à but lucratif et c'est donc à tort que la décision querellée en a déduit le caractère fictif de la voie gratuite;

L'organisateur choisit librement les produits qu'il souhaite mettre en avant dans le cadre d'une opération promotionnelle et il ne saurait être exigé que les produits les moins chers soient porteurs du jeu, puisqu'ils sont toujours acquis à titre onéreux; en effet le fait, par ailleurs non établi pour le jeu litigieux, que l'accès payant ait été réservé aux menus les plus chers, ne peut avoir de conséquence sur la réalité ou la licéité de l'une ou l'autre voie; par ailleurs l'analyse des éléments du dossier et du règlement du jeu considéré démontre que les chances de gain des pailles remises aux participants étaient exactement identiques dans les deux voies, puisqu'à chaque voie d'accès correspondait une paille gratuite pour 4 pailles acquises; enfin l'accès gratuit sur simple demande écrite est licite, le fait de faire l'avance d'un timbre remboursé au tarif lent ne constituant pas un sacrifice financier; la cour relèvera en outre qu'il n'est nullement exigé une égalité des conditions d'accès entre la voie gratuite et la voie payante, laquelle est par nature impossible à définir, mais un accès réel et effectif à la voie gratuite permettant de bénéficier d'une équivalence de chances de gain, conditions remplies par le jeu "Euro X";

Au surplus, si le jeu mettait en circulation 16,5 millions de pailles et si, par la voie gratuite, seulement 53 000 demandes ont été formulées or obtenir ces pailles, le fait que cet accès n'ait été ouvert qu'à raison d'une possibilité de jeu par personne et par semaine ne peut suffire à rendre inégalitaire cette voie d'accès, étant en outre observé que la société X démontre que la fréquentation moyenne de ses établissements est d'environ une fois toutes les 4 semaines; que les conditions d'accès n'apparaissaient donc pas inégalitaires entre les voies;

Dès lors la cour, estimant que l'opération publicitaire considérée ne constituait pas une loterie prohibée au sens de la loi du 21-05-1836, réformera la décision querellée et relaxera Philippe L des fins de la poursuite;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public; Infirmant le jugement entrepris, Relaxe Philippe L des fins de la poursuite.