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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 5 février 2003, n° 2001-10097

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bes (ès qual.), Socotec (Sté)

Défendeur :

L'Oréal (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoué :

SCP Garnier

Avocats :

Mes Fouche, Fontaine.

T. com. Paris, 19e ch., du 8 févr. 2001

8 février 2001

Me Michel Bes ès qualités de liquidateur de la société Socotec, est appelant du jugement contradictoire rendu le 8 février 2001 par le Tribunal de commerce de Paris, qui

- a constaté que la société l'Oréal avait régulièrement mis fin au contrat de distribution exclusive à durée déterminée qu'elle avait conclu avec la société Socotec le 1er janvier 1988, et a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société l'Oréal pour rupture abusive de ce contrat,

- l'a débouté ès qualités de ses demandes de dommages-intérêts et l'a condamné à payer à la société l'Oréal ès qualités 20 000 F pour ses frais irrépétibles.

Dans ses dernières conclusions déposées le 27 novembre 2002 avant clôture de l'instruction, Me Bes Michel ès qualités de liquidateur de la société Socotec, poursuit l'infirmation totale de la décision déférée et demande à la cour:

* à titre principal,

- de constater la perte par la société Socotec du monopole de la revente des produits l'Oréal en Guyane française, et par suite de l'exclusivité attachée au contrat conclu le 1er janvier 1988 avec la société l'Oréal, reconnue par cette dernière dans une télécopie adressée à son courtier Algo France le 30 mars 1994, de dire que cette exclusivité a été perdue à compter du renouvellement du contrat le 1er janvier 1994 et de le requalifier en conséquence en un mandat d'intérêt commun,

- de dire que la rupture unilatérale à laquelle a procédé la société l'Oréal était en conséquence abusive, qu'elle a été brutale, le préavis de 6 mois notifié par la société l'Oréal étant insuffisant, et qu'elle a été accompagnée de deux refus de vente les 27 octobre et 21 novembre 1995,

- de condamner en conséquence la société l'Oréal à lui payer

* 1 343 558 euros correspondant à une année de chiffre d'affaires à titre de dommages-intérêts, pour rupture abusive du contrat,

* 457 347 euros à titre d'indemnité compensatrice de la perte de la totalité de sa clientèle et de ses investissements du fait de cette brusque rupture,

* 51 090 euros de dommages-intérêts pour la perte d'exploitation directe liée au refus par la société l'Oréal d'approvisionner son agent en octobre et novembre 1995,

* à titre subsidiaire, si la cour devait le déclarer mal fondé en sa demande de requalification du contrat,

- de dire que la société Socotec avait le statut d'agent commercial pour la partie de ses activités réalisée hors le cadre du contrat de distribution exclusive, subsidiairement de dire que ces activités ont été effectuées dans le cadre d'un mandat d'intérêt commun,

- de condamner la société l'Oréal à lui payer une indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture, égale à deux années de chiffre d'affaires soit la somme de 1 680 338 euros,

- de la condamner à lui verser ès qualités 9 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société l'Oréal, intimée, réplique, dans le dernier état de ses conclusions déposées le 30 octobre 2002,

- que le non-renouvellement du contrat a été notifié à la société Socotec conformément à ses dispositions, ce non-renouvellement ayant mis fin aux obligations des parties, étant observé que cette décision était en fait motivée par les graves défaillances du distributeur,

- que les refus d'approvisionnement qui lui sont reprochés ne sont pas établis, s'agissant de nouvelles commandes adressées en fin de période contractuelle, totalement disproportionnées par rapport au laps de temps restant à courir jusqu'à la fin du contrat,

- qu'il ne peut lui être reproché d'avoir engagé des pourparlers avec la société Falco qui était son distributeur exclusif en Guadeloupe, pour prendre la suite de la société Socotec,

- qu'elle ne détient aucune position de domination, ni sur le marché mondial des cosmétiques, ni sur le marché de la Guyane, les abus de domination et de dépendance économique qui lui sont reprochés n'étant pas établis,

- qu'il n'y a pas lieu de requalifier le contrat en un contrat d'agence commerciale ou en un mandat d'intérêt commun, dès lors que la société Socotec achetait les produits l'Oréal pour les revendre à ses clients, et qu'elle a constamment avalisé même tacitement les avenants résultant du lancement de nouveaux produits non mentionnés sur la liste initialement annexée au contrat,

- que les importations parallèles intervenues en Guyane ne peuvent lui être reprochées, la prise en charge par la société Socotec de la distribution des produits l'Oréal au Surinam ne pouvant s'analyser en un mandat d'intérêt commun.

Elle prie la cour de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, y ajoutant, de condamner Me Bes ès qualités, à lui payer 22 867,90 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive, et 15 244,90 euros pour ses frais irrépétibles d'appel.

Sur ce,

Sur la procédure

Considérant que par conclusions de procédure du 2 décembre 2002, la société l'Oréal demande à la cour, vu l'ordonnance de clôture du 27 novembre 2002, de rejeter des débats les pièces n° 39 et 42 visées aux conclusions déposées le 27 novembre 2002 par Me Bes ès qualités, non régulièrement communiquées, le bordereau de pièces annexé à ces conclusions listant 38 pièces qui seules lui ont été communiquées;

Considérant que Me Bes ès qualités demande à la cour de rejeter cette demande;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de rejeter la pièce numérotée 39, soit la sommation interpellative de la société Socotec, déjà communiquée en première instance; qu'en revanche la pièce numérotée 42 citée dans les conclusions déposées le 27 novembre 2002 par Me Bes ès qualités soit une télécopie accompagnée de son récépissé d'envoi adressée à la société l'Oréal par la société Socotec le 6 septembre 1993, n'a pu être communiquée à cette date, jour de la clôture de l'instruction, ainsi qu'en convient l'appelant;

Qu'il y a lieu d'écarter cette pièce des débats;

Considérant que Me Bes ès qualités a déposé de nouvelles conclusions récapitulatives le 6 décembre 2002 comportant une nouvelle numérotation de pièces, et demande à la cour la "rétractation" de l'ordonnance de clôture;

Mais considérant que cette demande ne peut qu'être rejetée, l'appelant ne justifiant d'aucune cause grave justifiant cette révocation;

Sur le fond

Considérant que la société Socotec et la société l'Oréal ont conclu le 1er janvier 1988 un contrat de distribution exclusive à durée déterminée portant sur l'importation et la vente en Guyane française de produits dont la liste est annexée au contrat; que la société l'Oréal a notifié à la société Socotec, par lettre recommandée du 20 juin 1995 dont la société Socotec lui a accusé réception par courrier du 30 juin 1995, sa décision de ne pas renouveler ce contrat au-delà du 31 décembre 1995;

Considérant que Me Bes ès qualités fait valoir que ce contrat qui doit être requalifié en un mandat d'intérêt commun ou en un contrat d'agent commercial a été abusivement rompu par la société l'Oréal, et forme contre cette dernière diverses demandes d'indemnisation fondées sur les préjudices liés à cette rupture ainsi que sur l'abus de domination qu'aurait subi son administrée;

*sur le non-renouvellement du contrat

Considérant que Me Bes ès qualités reproche à la société l'Oréal d'avoir abusivement rompu le contrat de distribution conclu avec son administrée, aucun des griefs énoncés par le concédant n'étant établi;

Mais considérant que le contrat litigieux a été conclu le 1er janvier 1988 pour une durée déterminée prenant fin le 31 décembre 1990; que selon son article VIII-2, il pouvait se renouveler par reconduction tacite annuelle sauf notification par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée expédiée au moins six mois avant la fin de la période en cours; que selon son article VIII-6, "à l'expiration du contrat par la survenance de l'échéance normale ou par la résiliation dans les cas ci-dessus prévus ..., le distributeur ne pourra réclamer à l'Oréal aucune indemnité de rupture, de goodwill (actifs incorporels et notamment clientèle du distributeur) ou autre cause de même nature"; que le courrier de la société l'Oréal notifiant à son distributeur sa décision de non-renouvellement au-delà de la période en cours, qui se réfère expressément à ces deux articles sans énoncer aucun grief à l'encontre de la société Socotec, a régulièrement mis fin au contrat, l'existence de défaillances éventuelles imputables à la société Socotec étant sans portée sur la validité de cette notification;

Que Me Bes ès qualités est mal fondé à contester le délai de six mois qui résulte de stipulations contractuelles convenues entre les parties lors de la signature du contrat, étant observé que ce délai n'est pas critiquable en soi, s'agissant d'un contrat d'une année renouvelable; que cette dénonciation d'un contrat conclu pour une durée déterminée ayant été notifiée dans le délai contractuellement prévu, la société l'Oréal n'avait pas à tenir compte des investissements réalisés par son distributeur, la demande d'indemnisation formée par l'appelant au titre de la perte de ces investissements devant être rejetée; que la violation, avant le terme du contrat, de l'exclusivité concédée à la société Socotec n'est pas démontrée, la société l'Oréal ne pouvant être critiquée d'avoir engagé des pourparlers avec la société Falco qui distribuait ses produits en Guadeloupe, pour reprendre la concession de la Guyane, et d'avoir livré cette dernière en fin d'année 1995 pour permettre cette reprise au début de l'année suivante;

Que les refus de vente reprochés à la société l'Oréal ne sont pas davantage établis, l'intimée étant fondée à refuser les commandes supplémentaires passées par la société Socotec les 27 octobre et 21 novembre 1995, compte tenu de leur volume disproportionné à l'activité du distributeur et ce à quelques semaines de l'expiration du contrat, les délais de livraison en Guyane étant en outre de un à deux mois, sauf livraison par avion proposée par l'Oréal le 5 décembre 1995 sans qu'il y soit répondu par la société Socotec; que l'intimée justifie avoir livré cette dernière pendant cette période (livraison des commandes "réexport" n°18621 du 13 septembre 1995 et n° 18626 du 13 novembre 1995); qu'ainsi que le relevait la société l'Oréal dans une télécopie du 5 décembre 1995 puis par courrier du 2 janvier 1996 en réponse aux protestations de son distributeur (lettres des 27 novembre 1995 et 26 décembre 1995), la société Socotec ne lui avait fourni aucun élément pouvant expliquer l'accélération exceptionnelle de ses ventes, aucun état des ventes locales depuis juin 1995 - soit depuis la notification du non-renouvellement du contrat - n'ayant été produit contrairement aux dispositions de l'article IV du contrat faisant obligation au distributeur de justifier mensuellement des ventes réalisées produit par produit et ce malgré une relance de l'Oréal le 30 août 1995, un inventaire contradictoire dressé à Cayenne le 31 octobre 1995 ayant confirmé au contraire l'existence de stocks correspondant à deux mois de ventes pour chaque référence; que la société Socotec, invitée dès le 5 décembre 1995 par l'Oréal à faire part des références pour lesquelles elle se trouverait en rupture de stock, n'a pas répondu à cette demande; qu'enfin le contrat autorisait la société l'Oréal à réduire "toute commande de produits du contrat ... pendant les six mois précédant l'expiration du contrat ... dont [elle] jugerait le volume disproportionné par rapport aux prévisions normales";

*sur l'abus de position dominante et de dépendance économique reproché à la société l'Oréal

Considérant que Me Bes ès qualités fait valoir que la société l'Oréal, "n° 1 mondial" sur le marché des produits cosmétiques, détient également une position dominante sur le marché de ces produits en Guyane française;

Mais considérant que cette domination n'est établie ni sur le plan mondial, les parts détenues par la société l'Oréal s'élevant à 18 % du marché en 1996 selon les éléments non contestés versés par l'intimée aux débats, ni au cas d'espèce dans le département de la Guyane Française; que le constat d'huissier versé aux débats, selon lequel "les produits l'Oréal" sans autre précision représenteraient 80 %, 95 % et 100 % des produits utilisés dans trois salons de coiffure situés à Cayenne, n'est pas suffisant pour caractériser une telle domination, alors que les importations totales de produits cosmétiques en Guyane réalisées par la société l'Oréal révèlent que sa part de ce marché local était de 13 % en 1994 et de 15 % en 1995;

Que l'état de dépendance économique allégué par Me Bes ès qualités n'est pas démontré, cette dépendance ne pouvant résulter des clauses d'approvisionnement exclusif et de non-concurrence - cette dernière étant d'ailleurs limitée à la durée du contrat-, contractuellement stipulées et acceptées par le distributeur, et trouvant leur contrepartie dans les engagements d'exclusivité pris par le concédant à son égard; que la société Socotec, qui pouvait contractuellement demander à la société l'Oréal l'autorisation de distribuer des produits concurrents ne justifie d'aucun refus que lui aurait opposé cette dernière; qu'enfin l'évolution du chiffre d'affaires de la société Socotec avec la société l'Oréal, passé en six ans de 99,84 % à 69,7 %, établit au contraire la diversification de ses activités depuis plusieurs années;

*sur les demandes tendant à la requalification du contrat

Considérant que l'appelant fait valoir que l'évolution des relations contractuelles entre les parties, soit en premier lieu la disparition de l'exclusivité qui lui avait été consentie du fait de l'existence de réseaux parallèles alimentés selon lui par le concédant, et en second lieu en raison des exceptions apportées à ce contrat du fait de la part croissante prise par les ventes de produits non contractuels dans le chiffre d'affaires de la société Socotec (46,52 %), et des ventes directes effectuées par l'Oréal moyennant une commission versée à son distributeur, enfin de la distribution au Surinam de produits l'Oréal confiée à Socotec justifie la requalification du contrat en un mandat d'intérêt commun, et subsidiairement, en un contrat d'agent commercial;

Considérant toutefois que l'implication de la société l'Oréal dans les ventes parallèles de ses produits sur le territoire concédé à la société Socotec n'est pas établie; que bien au contraire, l'intimée justifie de ses diligences, par son propre courrier adressé en télécopie le 30 mars 1994 à son courtier la société Algo France pour lui demander d'intervenir afin de stopper "l'invasion" de produits du groupe en Guyane française, soulignant le préjudice subi par son agent local, la société Algo France ayant aussitôt réagi début avril 1994 auprès de la société J and J Associés soldeur, qui a immédiatement mis en garde son client la société ETM sur la commercialisation par cette dernière de fins de séries l'Oréal en Guyane et a exigé de ce grossiste la cessation immédiate de toutes livraisons de produits l'Oréal en Guyane quel que soit le client, ainsi que le rachat de la totalité des produits actuellement vendus par son client dans les magasins traditionnels guyanais, sous peine d'une cessation d'approvisionnement en produits l'Oréal;

Considérant que l'augmentation des ventes de produits "non contractuels" par la société Socotec n'était pas de nature à modifier leurs relations commerciales, l'intimée précisant sans être démentie que les annexes au contrat conclu le 1er janvier 1988 n'ont pas toujours fait l'objet de remises à jour écrites lors du lancement de nouveaux produits sur le marché, dont l'exclusivité a été concédée à la société Socotec sans contestation de la part de cette dernière;

Considérant surtout qu'il est avéré que la société Socotec n'agissait pas "au nom et pour le compte" de la société l'Oréal, mais achetait et revendait les produits de cette dernière pour son compte propre, ces dispositions contractuelles étant exclusives d'un mandat conféré au distributeur par le concédant; que cette constatation exclut l'existence d'un mandat d'intérêt commun comme celle d'une relation d'agence commerciale; qu'elle n'est pas contredite par les dispositions convenues entre les parties dans le cas particulier de ventes directes effectuées soit par la société l'Oréal sur le territoire concédé avec l'accord de la société Socotec (ventes à la société Reynoird) en application de l'avenant signé le 6 janvier 1989, les parties convenant que "dans le cas où l'Oréal serait amenée à livrer les produits du contrat dans le territoire concédé sans passer par le canal de son distributeur, elle verserait à ce dernier une commission de 5 % du montant net ainsi facturé et recouvré", soit par la société Socotec dans le territoire voisin du Surinam, les marchandises étant dans ce cas facturées par la société l'Oréal à la société Socotec ainsi que l'établissent les factures portant la mention " Socotec - exportation en vente ferme" et les listes de colisage mentionnant "client Socotec" versées aux débats, puis refacturées par la société Socotec avec une marge à la société SIM société mère établie aux Pays-Bas et sans perception d'une quelconque commission versée par l'Oréal, ainsi que le confirme l'extrait du grand-livre de la société Socotec communiqué par cette dernière, ces "ventes de réexportation" ayant représenté 1 411 579 F pour l'exercice clos le 31 décembre 1995;

Considérant qu'il convient de confirmer la décision entreprise, en toutes ses dispositions; que la société l'Oréal ne justifie pas du caractère abusif de la procédure engagée à son encontre; qu'il est cependant équitable qu'elle soit indemnisée de ses frais irrépétibles d'appel dans les conditions fixées ci-après;

Par ces motifs; Rejette la demande de la société l'Oréal tendant à ce que la pièce numérotée 39 soit écartée des débats, Ecarte des débats la pièce numérotée 42 mentionnée dans les conclusions déposées par Me Bes ès qualités le 27 novembre 2002, ainsi que les conclusions récapitulatives déposées le 6 décembre 2002 par Me Bes ès qualités, Confirme la décision entreprise, en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute Me Michel Bes ès qualités de toutes ses demandes, et la société l'Oréal de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif, Condamne Me Michel Bes ès qualités à payer à la société l'Oréal 1 500 euros pour ses frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux dépens d'appel, Admet la SCP Garrabos-Gerigny-Freneaux, avoué, à bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.