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Décisions

CA Caen, ch. réunies, 3 décembre 2001, n° 00-02999

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Doc The Original (Sté)

Défendeur :

Ramond, LDMC (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Letouze

Conseillers :

MM. Villette, Sadot, Mmes Blanchevoy, Beuve

Avoués :

SCP Duhaze-Mosquet-Mialon, Me Tesnière

Avocats :

Mes Loyer, Lambert.

Cons. prud'h. Nantes, du 14 oct. 1996

14 octobre 1996

La société Doc The Original, agissant poursuites et diligences de son représentant légal et aux droits de laquelle vient la société LDMC, est appelante d'un jugement rendu le 14 octobre 1996 par le Conseil de prud'hommes de Nantes.

Aux termes de cette décision, les premiers juges, statuant sur les réclamations indemnitaires et salariales formées par Monsieur Ramond à la suite de son licenciement pour faute grave, ont fait droit dans son intégralité à sa demande d'indemnité compensatrice de préavis.

Ils ont également accueilli en partie ses demandes:

- d'indemnité compensatrice de congés payés (22 950 F demandés, 14 950 F alloués);

- de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (500 000 F demandés, 300 000 F alloués).

Ils l'ont en revanche débouté de ses demandes:

- de rappels sur commissions et retours sur échantillonnage (80 000 F sauf à parfaire) et d'expertise aux fins de détermination du montant des rémunérations dues de ce chef;

- de rappels sur commissions retenues en 1993 et 1994 (280 000 F);

- d'indemnité de clientèle (1 000 000 F);

- de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement.

Statuant en outre sur l'appel incident formé par le salarié contre cette décision, la Cour d'appel de Rennes l'a infirmée, aux termes d'un arrêt en date du 19 février 1998, déboutant ainsi Monsieur Ramond de toutes ses prétentions.

Pour casser cette décision, la Cour de cassation dispose aux termes de son arrêt rendu le 18 juillet 2000:

"Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble les articles L. 122-6 et L. 122-8 du Code du travail;

"Attendu que Monsieur Ramond a été embauché par la société Nuances, aux droits de laquelle se trouve la société Doc The Original, le 4 février 1992 en qualité de VRP multicartes; que, les 24 et 25 août 1994, la société a réuni l'ensemble des commerciaux pour négocier et fixer de nouveaux objectifs, compte tenu des contraintes de fabrication, de la forte demande et de l'impossibilité d'y faire face; que, par note du 13 septembre 1994, elle a fixé les objectifs de chiffre d'affaires à ne pas dépasser pour ses VRP; que, par lettre du 2 octobre 1994, Monsieur Ramond annonçait que, compte tenu de ses prises de commandes, il dépassait l'objectif; qu'il a reçu un avertissement le 5 octobre pour dépassement du chiffre d'affaires, puis un second le 17 novembre; que, le 25 novembre, la société lui a signifié une mise à pied conservatoire puis l'a licencié pour faute grave le 7 décembre; qu'il a saisi la juridiction prud'homale;

Attendu que, pour débouter le salarié de ses demandes, le Cour d'appel énonce qu'une note a été adressée à tous les représentants leur fixant des objectifs à ne pas dépasser; que cette note indiquait clairement que ces objectifs étaient fixés compte tenu des contraintes en terme de quantité mensuelle qui lui étaient imposées par le fabricant et par les contraintes de financement de production; qu'il était précisé qu'il était de l'intérêt de tous les représentants d'atteindre et de ne pas dépasser ces chiffres afin de ne pas engager l'entreprise sur des commandes qu'elle ne pourrait pas honorer, que ces objectifs étaient donc également des quotas; qu'enfin, il était donné pour instruction de visiter d'abord les clients existants et de n'envisager l'ouverture de nouveaux comptes dans la mesure où le quota le permettrait; que Monsieur Ramond n'a pas respecté le quota qui lui était assigné, provoquant de la part de la société deux avertissements, constatant que les prises d'ordres s'élevaient à 4 239 000 F; que la fixation des quotas relevait du pouvoir directionnel du chef d'entreprise dès lors qu'elle était nécessairement liée à des contraintes économiques de fabrication, de financement de la production et des cartes de distribution que seul l'employeur pouvait apprécier dans l'intérêt de l'entreprise; qu'en conséquence, la limitation des quotas n'a pas modifié les éléments essentiels de son contrat de travail, étant observé que le contrat lui-même prévoyait que les quotas de chaque saison seraient définis chaque semestre; qu'en refusant, malgré des mises en demeure réitérées d'exécuter les instructions de l'employeur, Monsieur Ramond a commis un acte d'insubordination, constitutif d'une faute grave, son maintien dans l'entreprise se révélant impossible, même pendant la durée du préavis, dès lors que manifestement il était déterminé à passer outre aux ordres donnés;

"Attendu, cependant, que le mode de rémunération d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord;

" Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que l'instauration d'un quota maximum non prévu au contrat de travail était de nature à avoir une incidence sur la rémunération du salarié et constituait une modification du contrat de travail, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ";

La cause et les parties ayant été ainsi remises dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et l'affaire renvoyée, pour être fait droit, devant la cour d'appel de ce siège, Monsieur Ramond a saisi celle-ci suivant déclaration reçue au greffe le 16 octobre 2000.

Aux termes de ses conclusions déposées le 15 février 2901, Monsieur Ramond demande à la cour de réformer la décision entreprise et de faire droit à ses prétentions de première instance qu'il reprend devant elle, portant à 150 000 F le montant de sa demande au titre des commissions et retour sur échantillonnages.

Il demande en outre que la société DTO soit condamnée à lui payer la somme de 80 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions déposées les 4 avril et 3 mai 2001, la société LDMC, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, demande par voie d'appel incident que la décision entreprise soit réformée et que Monsieur Ramond soit débouté de l'intégralité de ses demandes ou subsidiairement qu'il soit retenu que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Elle demande en outre que Monsieur Ramond soit condamné à lui payer la somme de 20 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi

Sur la cause du licenciement

Contrairement à ce que soutient la société LDMC, il ne résulte aucunement du contrat de travail qu'elle ait été autorisée à instaurer un quota maximum alors que bien au contraire l'article 16 dudit contrat, vanté par elle comme donnant un fondement contractuel à la pratique qu'elle affirme par ailleurs avoir fait l'objet d'un accord du salarié et procéder d'un usage au sein de l'entreprise, ne prévoit que des objectifs minimum, renégociés chaque semestre dont la non-réalisation pouvait justifier la résiliation du contrat.

Il ne saurait dès lors être sérieusement contesté que le fait d'instaurer, fût-ce avec l'accord des salariés, des quotas maximum de production, de nature à limiter le montant de leur rémunération proportionnelle au chiffre d'affaires réalisé dans le cadre de l'exécution d'un contrat ne prévoyant que des quotas minimum, constitue nécessairement une modification du contrat de travail.

A supposer que le quota de 3 700 000 F fixé à Monsieur Ramond pour la saison printemps-été 1995 l'ait été "sur la proposition de ce dernier", ce qu'aucune pièce ne vient établir, il n'est que de se reporter à son courrier du 2 octobre 1994 pour constater que sa prétendue acceptation n'a pu porter que sur un quota minimum, conformément aux tenues du contrat et non comme "quota à ne pas dépasser, contrairement à la saison dernière où il devait être un minimum".

L'employeur ne pouvait ainsi faire grief au salarié, pour prononcer à son encontre un licenciement disciplinaire, de l'" insubordination caractérisée " par laquelle il aurait manifesté son refus de la modification qui lui était imposée, sans qu'il y ait lieu de rechercher si la décision de modification dont les motifs n'ont jamais été invoqués comme cause du licenciement, était justifiée dans l'intérêt de l'entreprise.

Le licenciement étant ainsi dépourvu de cause réelle et sérieuse et les conditions d'application des dispositions de l'article L. 122-14-4 al. 2 du Code du travail étant réunies, il convient d'ordonner d'office le remboursement prévu par ce texte.

Sur le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Alors âgé de 27 ans, Monsieur Ramond a perdu le bénéfice de plus de 3 années d'ancienneté au sein d'une entreprise où il exerçait un emploi lui ayant procuré au cours des 6 derniers mois précédant la rupture un revenu brut de 299 008 F.

En considération des éléments dont il est ainsi justifié, il apparaît que les premiers juges ont fait une exacte appréciation de l'indemnisation du préjudice subi.

Sur la demande au titre de l'irrégularité de la procédure

Il ne saurait être fait droit à ce chef de demande alors qu'aucun moyen d'irrégularité de la procédure n'est spécialement énoncé, qu'au surplus l'examen des pièces produites ne permet pas de constater qu'elle puisse encourir un tel grief et qu'enfin l'indemnité éventuellement due de ce chef ne peut se cumuler avec l'indemnisation prévue à l'article L. 122-14-4 du Code du travail applicable en l'espèce.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis et sur l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante.

Les condamnations prononcées de ces chefs ne font pas l'objet de contestations autrement que dans leur principe et paraissent procéder, au regard des pièces justificatives produites, d'une exacte appréciation des droits des salariés.

Sur le rappel des commissions

Il résulte de l'article 9 du contrat que Monsieur Ramond devait recevoir des commissions sur toute commande directe ainsi que sur toute commande indirecte, calculées au taux de 6 % sur toute la gamme (à l'exception des chaussures à coque Air Wair pour lesquelles s'appliquait un taux de 4 %) et ce jusqu'à concurrence d'un chiffre d'affaires HT annuel de 4 millions de francs, le taux étant ramené à 4 % au delà de ce plafond.

Quoique Monsieur Ramond ne fournisse aucun décompte explicatif de la somme de 280 000 F qu'il réclame de ce chef, l'employeur ne conteste pour sa part aucunement que les commissions perçues par le salarié aient été indûment calculées en 1993 et 1994 au taux de 4 % en deçà du plancher de chiffre d'affaires HT fixé à 4 millions de francs, se contentant de relever, de manière tout à fait inopérante au regard d'une modification affectant la rémunération du salarié, que celui-ci avait travaillé pendant plusieurs années sans former la moindre contestation.

Il doit dès lors être fait droit dans son principe à la demande de Monsieur Ramond qui se verra allouer de ce chef, à titre provisionnel, une somme de 250 000 F paraissant constituer la mesure de l'obligation non sérieusement contestable de l'employeur, les parties étant pour le surplus renvoyées à faire le compte entre elles des commissions dues à Monsieur Ramond.

Sur les retours sur échantillonnages

Aucun élément ne venant établir que les droits à cet égard de Monsieur Ramond, tels que résultant de l'article 10 du contrat, excèdent la somme de 55 676 F qui lui a été réglée de ce chef, il apparaît que le salarié a été justement débouté de cette demande.

Sur l'indemnité de clientèle

Il ne saurait être fait droit à cette demande alors que, s'il est constant que la cessation de l'activité de Monsieur Ramond lui interdit de prospecter sa clientèle pour la distribution des produits de la marque dont son ancien employeur avait l'exclusivité, il n'est aucunement établi qu'il n'ait pas conservé la possibilité de prospecter la même clientèle pour la distribution de produits de marques concurrentes comme s'inscrivant dans le même secteur de consommation du sportswear.

Sur le bénéfice des intérêts au taux légal

Le bénéfice des intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées à titre salarial doit être alloué à compter de la réception par l'employeur de la convocation en conciliation valant mise en demeure tandis que la condamnation prononcée à titre indemnitaire portera intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris.

Sur les dépens et les demandes relatives à l'indemnisation des frais irrépétibles

Les dépens devront être supportés par la société LDMC qui succombe à l'appel.

Aucune considération d'équité ne s'oppose à ce qu'il soit fait droit aux prétentions de Monsieur Ramond fondées sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il lui sera alloué de ce chef une indemnité justement évaluée à 17 000 F.

Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande fondée sur les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, inapplicables en matière de procédure orale.

Par ces motifs, LA COUR, réforme le jugement entrepris, condamne la société LDMC à payer à Monsieur Ramond la somme de 250 000 F (38 112,25 euros) à titre de provision à valoir sur le montant des commissions retenues en 1993 et 1994 les parties étant renvoyées pour le surplus à faire entre elles, conformément aux stipulations contractuelles rappelées aux motifs ci-dessus, le compte définitif des sommes dues de ce chef à Monsieur Ramond. Confirme pour le surplus, l'obligation de délivrance des documents sociaux étant en outre assortie d'une astreinte de 100 F par jour de retard pendant 2 mois, passé un délai de 15 jours à compter de la notification du présent arrêt, passé lequel délai il pourra être à nouveau fait droit. Dit que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal comme il est dit aux motifs ci-dessus et ce jusqu'à parfait règlement. Condamne la société LDMC aux dépens. Condamne la même à payer à Monsieur Ramond la somme de 17 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.