CA Paris, 5e ch. A, 5 novembre 2003, n° 2002-10461
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SCP Bruart (ès qual.), Docutique (Sté)
Défendeur :
Xerox The Document Company (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Faucher, Picque
Avoués :
Me Pamart, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Corone, Leloup, SCP Corone & Barassi.
La SA Docutique a été admise le 18 avril 2000, au bénéfice du redressement judiciaire, la SCP Bayle Geoffroy étant désignée administrateur judiciaire. Le redressement a été converti en liquidation judiciaire le 27 juin suivant, la SCP Pierre Bruart étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Antérieurement, la SAS " Xerox The Document Company " (société Xerox) avait le 22 janvier 1999, unilatéralement résilié le contrat de concession initialement souscrit à effet du 1er avril 1997 pour une durée de cinq années.
Estimant cette résiliation abusive, l'administrateur judiciaire a, ès qualités, attrait le 11 mai 2000, la société Xerox devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de l'entendre:
- d'une part, condamner à lui payer 6 525 000 F et 481 200 F en réparation des préjudices subis par son administrée,
- d'autre part, re-qualifier le contrat de concession en contrat d'agent commercial et en conséquence, condamner en outre la société Xerox à lui verser ès qualités, 4 647 333 F au titre de l'indemnité de " fin de contrat "
La SCP Bayle Geoffroy a aussi requis 70 000 F de frais irrépétibles.
Le liquidateur judiciaire est ensuite volontairement intervenu à l'instance devant le tribunal en déclarant reprendre l'action primitivement engagée et en en modifiant partiellement les prétentions, dans le dernier état de leur formulation devant les premiers juges, de la manière suivante:
- en portant à 6 955 720 F, augmentés des intérêts au taux légal à compter de l'assignation sur 6 525 000 F et sur la totalité, à partir du dépôt de ses écritures récapitulatives en première instance le 7 mai 2001,
- en re-qualifiant le contrat litigieux de mandat d'intérêt commun emportant le bénéfice "des dispositions régissant les rapports entre les agents commerciaux et leur mandant ",
- en portant l'indemnité de fin de contrat à 4 909 920 F, majorés des intérêts au taux légal sur 4 647 633 F à dater de l'assignation et la totalité à partir du dépôt de ses écritures récapitulatives du 7 mai 2001,
- la capitalisation des intérêts échus, année par année, étant en outre requise.
La société Xerox s'est opposée aux demandes et a sollicité la condamnation de la SCP Bruart, tant ès qualités, que personnellement tenue in solidum, à lui verser 70 000 F de frais non compris dans les dépens.
Par jugement contradictoire du 28 mars 2002, le tribunal a rejeté toutes les demandes et a condamné la SCP Bruart, ès qualités seulement, à payer 1 000 euros de frais non-taxables à la société Xerox.
Appelante le 7 mai 2002, la SCP Bruart indique que la société Docutique a été constituée par deux anciens cadres de Xerox et que le contrat litigieux était lui-même la suite d'un précédent contrat de trois ans. Elle prétend que la société Xerox n'a pas exécuté ses obligations de bonne foi et a exploité abusivement la situation de dépendance économique dans laquelle elle la tenait et estime que la fixation des objectifs est arbitraire en ce que le coefficient (dénommé PDZ -poids de zone-) attribué au territoire concédé, est unilatéralement déterminé par la société Xerox.
La SCP Bruart fait valoir ès qualités
- que la plupart des autres concessionnaires du secteur n'ont pas davantage atteint leurs objectifs, sans pour autant voir leur contrat résilié, ce qui la conduit à estimer que la résiliation litigieuse est abusive,
- qu'au prétexte qu'elle ne faisait plus partie du réseau, la société Xerox a refusé à sa liquidée, le bénéfice des conditions tarifaires antérieurement pratiquées,
- que, selon l'analyse de l'appelante, la clause résolutoire insérée à l'article 4 du contrat ne peut pas recevoir application parce que :
* les informations pré-contractuelles prévues par l'article L. 330-3 du Code de commerce, n'ont pas été intégralement fournies,
* le motif invoqué pour la résiliation n'est pas légitime,
* et les objectifs fixés par Xerox ne sont pas susceptibles d'être atteints.
Elle en déduit que la société Xerox doit indemniser la perte de marge brute entraînée par la résiliation abusive du contrat.
La SCP Bruart sollicite également la requalification du contrat, en observant que ce dernier fait expressément référence à l'intérêt commun des parties, et soutient:
- que, comme en matière de distributeurs de presse, le contrat litigieux est marqué par un certain degré de dépendance économique conduisant à la qualification d'intérêt commun puisque la diminution significative de la valeur du fonds concerné résulte de la résiliation du contrat litigieux,
- qu'on doit dès lors déduire de l'existence de cet intérêt commun, la qualification de mandat, alors que sa liquidée ne disposait d'aucune autonomie, en ce que les prix de vente au public étaient en fait, déterminés par le tarif Xerox, la marge réalisée par le prétendu concessionnaire étant dès lors assimilable à une commission dont le seuil théorique était défini par le pourcentage de remise qui lui était accordé,
- que la société Docutique était directement mandatée par Xerox pour le placement des contrats d'entretien exécutés par cette dernière, et pour la vente des gros matériels et leur financement par la filiale Xerobail du fabricant,
- que la rémunération de ces missions représentait 33 % de la marge réalisée avec les produits Xerox au cours de l'exercice social clos le 31 mars 1999 ce qui empêche la qualification d'accessoire au sens de l'article L. 134-15 du Code de commerce.
La SCP Bruart conclut ès qualités, à l'infirmation du jugement entrepris, renouvelle, en les libellant en euros, les prétentions antérieurement formulées à titre principal devant les premiers juges, les intérêts moratoires au taux légal étant désormais demandés à compter du 11 mai 2000 sur le tout.
L'appelante sollicite aussi 15 000 euros de frais irrépétibles.
Intimée, la société Xerox réplique, aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 4 février 2003, que précisément le nouveau contrat du 1er avril 1997 n'a été conclu qu'en considération d'engagements précis de la part de la société Docutique, après plusieurs mois de négociation, cette dernière ayant proposé les 22 et 25 janvier 1997, un plan d'actions commerciales en vue d'améliorer la couverture du marché sur tous les segments de clientèle.
Elle fait valoir:
- que l'article 4 du contrat qualifiant d'essentielle l'atteinte de l'objectif annuel, son défaut étant susceptible d'entraîner la résiliation, la société Docutique a été alertée dès le 30 juin 1998, de la nécessité de redresser la situation des ventes,
- qu'en résiliant le 22 janvier 1999, elle a ménagé les intérêts du concessionnaire en prolongeant de trois mois le préavis contractuel et en renonçant au bénéfice de la clause de non-concurrence,
- que l'évaluation des préjudices invoqués n'est pas étayée de pièces probantes et est incohérente par rapport aux résultats réels de l'appelante au cours de la période considérée,
- qu'en outre la preuve d'une prétendue atteinte à la concurrence n'est pas rapportée, ce qui rend inopérante la référence à l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
La société Xerox s'oppose tout autant à la requalification du contrat de concession et fait essentiellement valoir
- que la société Docutique agissait pour son propre compte en lui achetant les matériels et en les revendant à ses propres clients selon des prix qu'elle fixait librement,
- que la rémunération du mandat accessoire de signer des contrats d'entretien exécutés par Xerox ne lui procure pas une part déterminante de sa marge brute d'exploitation et qu'en tout état de cause, c'est la vente d'un matériel qui permet au concessionnaire de placer un contrat d'entretien,
- que l'article 2.2 du contrat de concession exclut expressément l'application de la législation sur l'agence commerciale, en remplissant les conditions de validité posées par l'article L. 134-15 du Code de commerce, l'intimée contestant la part de la rémunération des activités accessoires dans la marge brute annoncée par l'appelante.
La société Xerox indique encore, qu'au cours des quatre exercices sociaux de 1994 à 1998, les actionnaires-dirigeants de la société Docutique ont procédé à la distribution de 94 % des bénéfices réalisés en ne consacrant que 6 % de ceux-ci à l'investissement. Elle y voit l'origine essentielle des difficultés ayant conduit la société appelante au dépôt de bilan et en déduit que le recours en appel à l'encontre de la décision des premiers juges est abusif et " mérite sanction ".
La société Xerox conclut à la confirmation du jugement déféré. Formant en outre appel incident, elle sollicite 5 000 euros de dommages et intérêts et une indemnité de pareil montant au titre des frais non compris dans les dépens.
SUR CE,
Considérant que la SCP Bruart n'articule aucune prétention particulière concernant la prétendue intervention de la société Xerox dans sa gestion, le débauchage d'un membre de son personnel et le refus de la faire bénéficier des anciennes conditions tarifaires, postérieurement à son éviction du réseau suite à la résiliation de la concession;
Que par ailleurs, en vertu de la relativité des contrats, les conditions d'application des résiliations contractuelles par la société Xerox dans le cadre de ses rapports avec d'autre concessionnaires, sont sans incidence dans les rapports contractuels des parties litigeantes de la présente instance;
Sur la résiliation du contrat
Considérant que l'article 4 du contrat de concession qualifie le respect de l'objectif annuel "d'élément essentiel" dont le défaut de réalisation justifie "de plein droit" la résiliation du contrat et que le concédant invoque le bénéfice de l'article 9, permettant à l'une quelconque des deux parties, de le résilier unilatéralement en cas d'inexécution par l'autre de ses obligations, la stipulation contractuelle visant expressément l'hypothèse du non-respect des objectifs par le concessionnaire ;
Que pour échapper à la sanction contractuellement prévue, la mandataire judiciaire soutient que le seul article 4 serait nul, au motif que l'information pré-contractuelle prévue par l'article L. 330-3 du Code de commerce et le Décret n° 91-337 du 4 avril 1991, aurait été incomplète, tout en prétendant que la reconnaissance par le concessionnaire, à l'article 15 du contrat, de la réception antérieure des informations, serait dépourvue de valeur, le contrat étant qualifié par l'appelante, de " contrat d'adhésion " ;
Mais considérant, outre que la mandataire judiciaire de la société Docutique ne justifie pas du caractère invoqué d'adhésion, ni ne s'explique davantage sur la nullité automatique qu'elle semble y attacher, que la méconnaissance par une partie des dispositions susvisées ne peut entraîner la nullité de la convention souscrite, qu'autant qu'elle a eu pour effet de vicier le consentement du destinataire de l'information;
Que celui-ci supporte la charge de la preuve du vice ayant pu affecter son consentementet que la mandataire judiciaire n'a pas démontré en quoi l'omission prétendue du nombre de concessionnaires ayant cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédente et les raisons de ces éventuels départs, était de nature à priver réellement d'une information éclairée sa liquidée lors de l'échange des consentements, étant observé qu'il est reconnu que les actionnaires fondateurs et dirigeants de la société Docutique étaient antérieurement à la constitution de la société et à la souscription du premier contrat de concession, l'un "conseiller en développement et management des concessionnaires " et l'autre "chef de marché grands comptes " au sein de la société Xerox;
Qu'il s'en déduit qu'ils étaient préalablement détenteurs de cette information;
Qu'en conséquence, la demande d'annulation de l'article 4 du contrat ne sera pas accueillie;
Considérant par ailleurs, que, contrairement à ce qu'affirme sans le démontrer le liquidateur les objectifs commerciaux n'étaient pas unilatéralement fixés par le concédant, ceux-ci étant arrêtés d'un commun accord au moment de la souscription du contrat, par l'adoption d'un coefficient applicable à partir des performances de la concession type, lesquelles étaient révisées annuellement en fonction de l'ensemble des réalisations du réseau de concessionnaires au cours de l'exercice précédent;
Considérant qu'il appartient au distributeur qui se prétend victime d'un abus de dépendance économique d'en rapporter la preuve ; qu'il apparaît en l'espèce que les objectifs de vente et le " poids de zone " attribué au concessionnaire ont été négociés et librement acceptés par les parties, observation étant faite que les animateurs de la société Docutique, anciens salariés de Xerox auparavant en charge l'un du réseau des concessionnaires et l'autre des grands comptes, étaient parfaitement informés des conditions de la distribution des produits du concédant; qu'enfin la SCP Bruart ès qualités ne peut faire grief à la société Xerox d'avoir fait application des stipulations contractuelles prévoyant, dans le cas où ces objectifs ne seraient pas atteints, la résiliation du contrat;
Que l'appelante ne démontre pas non plus que les obligations de publicité souscrites par la société Xerox n'auraient pas été accomplies tant au plan national que régional ou local et qu'elle ne conteste pas que les objectifs annuels n'ont pas été atteints ;
Qu'il en résulte que la résiliation est intervenue dans les conditions contractuelles, sans que la SCP Bruart ne démontre l'abus qu'elle allègue;
Sur la requalification du contrat
Considérant, comme l'ont pertinemment relevé les premiers juges, que le contrat litigieux comporte les éléments habituels de la concession commerciale exclusive concernant notamment, l'indépendance des parties, le droit exclusif de distribuer les produits concernés sur le territoire défini, l'autorisation d'utiliser l'enseigne et les marques du concédant et l'obligation d'approvisionnement exclusif, les rapports des parties étant ceux d'un fournisseur à un acheteur;
Que, nonobstant la livraison directe des matériels par Xerox, alléguée sans que la matérialité en soit démontrée par l'appelante, il n'est pas contesté que ceux-ci étaient juridiquement achetés par le concessionnaire, lequel les revendait à ses clients selon le prix qu'il déterminait, ce qui exclut la qualification invoquée du mandat, pour le contrat litigieux;
Considérant au surplus, qu'il n'a pas été allégué que la société Docutique aurait bénéficié d'une clause de reprise de ses éventuels invendus par la société Xerox ;
Que dès lors, si les deux entreprises avaient un intérêt commun au développement, dans le secteur concédé, de la vente des matériels fabriqués par Xerox, elles le faisaient chacune à des niveaux différents, l'une auprès du réseau de ses concessionnaires, l'autre auprès de la clientèle qu'elle démarchait directement dans le périmètre géographique qui lui était affecté, chaque société fixant librement le prix de vente à son acheteur;
Considérant que la société Docutique était également titulaire des mandats accessoires de signer les contrats d'entretien au nom de Xerox, de vente des gros matériels au nom de cette dernière en prévoyant, le cas échéant, leur financement par la filiale Xerobail;
Qu'en revanche leur caractère prétendument principal ou déterminant n'est pas démontré;
Qu'au contraire, l'article 2.2 du contrat stipule expressément que le mandat de signer les contrats d'entretien "est strictement accessoire à la concession de distribution des produits " et qu'il n'entre pas dans le champ d'application de la législation spécifique des agents commerciaux, les conditions requises par l'article L. 134-15 du Code de commerce étant réunies;
Que la demande de requalification du contrat et de l'indemnité requise de fin de contrat ne sont, dès lors, pas davantage fondées;
Sur les dommages et intérêts réclamés par l'intimée et les frais irrépétibles
Considérant que la société Xerox ne rapporte pas la preuve du préjudice personnel qu'elle invoque concernant les conséquences de l'exercice du présent recours par la SCP Bruart, mais qu'en revanche, il ne serait pas équitable de lui laisser la charge définitive des frais supplémentaires non compris dans les dépens, qu'elle a dû exposer, étant observé que l'instance a été engagée postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, par l'administrateur judiciaire et a régulièrement été reprise par le liquidateur;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la SCP Pierre Bruart ès qualités aux dépens d'appel et, sous les mêmes qualités, à verser 3 000 euros de frais irrépétibles à la SAS " Xerox The Document Company " Admet la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.