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Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 17 octobre 2003, n° 2002-01278

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

France Motors (SARL)

Défendeur :

Automobile Biterroise (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Betch

Conseillers :

Mmes Jaubert, Bernard

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Me Fauquet, Guillin.

T. com. Paris, 1re ch., du 29 nov. 2001

29 novembre 2001

Implantée à Béziers (34), la SARL Automobile Biterroise représentait la marque Mazda depuis 1983. Elle était liée, en dernier lieu, à la SARL France Motors par un contrat de concession conclu le 30 septembre 1996 pour une durée indéterminée.

Par lettre du 20 juillet 1999, la SARL France Motors a notifié à la société Automobile Biterroise la résiliation de son contrat de concession Mazda, à effet immédiat, pour trois motifs :

* non-fourniture d'une caution bancaire;

* exploitation d'une autre marque dans les locaux de la concession

* et refus d'adopter les moyens de communication du réseau de concessionnaires.

La SARL Automobile Biterroise a assigné le 25 février 2000 devant le Tribunal de commerce de Paris la SARL France Motors en résiliation abusive de contrat.

La demanderesse a réclamé la condamnation de la société France Motors à lui payer 1 280 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi qu'à lui racheter, à leur prix d'achat, sans abattement et à charge pour elle de les enlever dans les locaux de la concession, l'intégralité des pièces de rechange d'origine Mazda qui resteraient à sa charge à la date du jugement à intervenir.

La SARL France Motors a conclu au débouté de toutes les prétentions de la SARL Automobile Biterroise et subsidiairement à la limitation du préjudice subi par la demanderesse à la somme de 150 000 F.

Par jugement rendu le 29 novembre 2001, le Tribunal de commerce de Paris a retenu, et pour ce seul motif, que la SARL France Motors avait la faculté de dénoncer le contrat de concession, faute pour la société Automobile Biterroise d'avoir fourni une caution mais a estimé que l'absence de tout préavis n'était pas justifié.

Evaluant à 300 000 F le préjudice global subi par la SARL Automobile Biterroise, le tribunal a condamné la SARL France Motors à lui payer cette somme, équivalant à 45 734,70 euros, à titre de dommages-intérêts.

Le tribunal a ordonné l'exécution provisoire, à charge pour la SARL Automobile Biterroise de fournir une caution bancaire, couvrant jusqu'à l'exigibilité de leur remboursement éventuel, toutes les sommes versées en exécution du jugement ainsi que les intérêts pouvant avoir couru sur ces sommes.

Le tribunal a également condamné la SARL France Motors à payer à la société Automobile Biterroise 3 048,98 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a débouté les parties du surplus de leurs demandes.

LA SARL France Motors a relevé appel de cette décision

Dans ses dernières conclusions signifiées le 17 avril 2002 et auxquelles il est renvoyé, l'appelante conteste avoir commis un quelconque abus de droit. Elle déclare en premier lieu, n'avoir fait qu'appliquer un contrat clair et librement accepté par société Automobile Biterroise en réclamant une caution bancaire pour garantir le règlement du prix des véhicules et pièces détachées achetés par le concessionnaire et en résiliant le contrat, sans préavis ni indemnité, pour l'inexécution de cette obligation essentielle.

L'appelante affirme n'avoir pas renoncé à obtenir cette caution bancaire mais simplement avoir dispensé l'intimée de la fournir pour l'année 1996, parce qu'elle bénéficiait d'une garantie SFAC. Elle observe qu'à compter de 1997, elle n'a eu de cesse de la réclamer.

En outre, la société France Motors affirme que par cette exigence d'une caution bancaire, elle a tenu compte des obligations qui sont les siennes, en tant que concédant, pour ne pas encourir les griefs de soutien abusif ou de discrimination et pour répondre à des impératifs de gestion de son réseau, les résultats de la société Automobile Biterroise étant à la baisse depuis 1998.

La société France Motors ajoute encore que l'exigence de la fourniture d'une caution bancaire et le montant de cette caution sont sans relations avec la représentation de la marque Daewoo par la société Automobile Biterroise et que, par ailleurs l'intimée a disposé, de fait, d'un délai supérieur à deux ans pour s'exécuter, ponctué par cinq courriers de mise en demeure.

En second lieu, la SARL France Motors fait valoir que la société Automobile Biterroise, ayant entrepris, contrairement au contrat, la représentation de la marque Daewoo dans les locaux dévolus à l'exploitation de la marque Mazda à compter du 12 mai 1999, a violé de façon flagrante les conditions contractuelles, de sorte qu'elle était en droit de résilier sans préavis la convention pour ce second motif.

L'appelante en déduit que le jugement entrepris est aussi critiquable, en ce qu'il a dit que la résiliation n'était pas justifiée pour le motif tiré de la commercialisation d'une autre marque que Mazda.

En troisième lieu, la SARL France Motors reproche au tribunal de n'avoir pas jugé pertinent le motif de résiliation, tiré du refus par la société Automobile Biterroise, d'adopter le système de communication informatique interne au réseau préconisé par le concédant et indispensable à l'exécution du contrat.

L'appelante allègue que, dans ces conditions, s'agissant d'une résiliation pour faute, la société Automobile Biterroise n'a droit à aucun préavis ni indemnité.

Subsidiairement, elle remarque que le préjudice évalué par le comptable de l'intimée, n'est étayé par aucun élément probant et que les décomptes produits sont truffés d'erreurs.

La SARL France Motors estime que la base de référence du calcul ne peut être qu'une moyenne sur 1998 et 1999, représentant le potentiel actuel de l'activité commerciale et après vente de la société intimée et que le préjudice réel de cette dernière ne saurait être évalué à une somme supérieure à 22 867,35 euros.

Enfin la SARL France Motors confirme, comme le tribunal l'a jugé, que le contrat du 30 septembre 1996 ne met pas à la charge du concédant la moindre obligation de reprise des pièces en stock chez le concessionnaire.

La SARL France Motors sollicite ainsi, sauf de ce dernier chef, l'infirmation du jugement entrepris, le débouté de l'intégralité des demandes présentées par la SARL Automobile Biterroise et la condamnation de cette dernière à lui payer 11 433,68 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Subsidiairement elle demande de fixer le préjudice subi par l'intimée à 22 867,35 euros.

Dans ses dernières écritures signifiées le 11 septembre 2002 et auxquelles il y a lieu de renvoyer, la SARL Automobile Biterroise prétend qu'aucun des motifs invoqués par la société France Motors dans son courrier du 20 juillet 1999 ne pouvait justifier une résiliation immédiate du contrat de concession à durée indéterminée, en date du 30 septembre 1996.

L'intimée affirme, tout d'abord, qu'elle a accepté et exécuté les conditions initialement posées par la SA France Motors pour exploiter la marque Daewoo et qu'elle avait entrepris de satisfaire à la nouvelle exigence d'un site spécifique à la marque Daewoo lorsque la résiliation est intervenue, de façon ainsi déloyale.

Elle allègue ensuite, que la société France Motors avait renoncé à exiger une caution dans le cadre du dernier contrat de concession du 30 septembre 1996 et qu'elle ne justifie d'aucun motif légitime à sa demande de caution bancaire du 12 avril 1999. La SARL Automobile Biterroise fait observer surabondamment, que le lien entre la demande de caution bancaire et la volonté de l'empêcher de représenter la marque Mazda est patent, comme le montrent la chronologie des courriers, échangés entre les parties les 9 et 12 avril 1999 et le montant prohibitif de la garantie réclamée.

L'intimée conteste ainsi tout refus de se doter du système de communication préconisé par la SARL France Motors. Elle déclare qu'au contraire, elle a expressément accepté d'acheter ou de louer ledit système de communication, sous la seule réserve que les conditions financières exigées par la SARL France Motors ne soient pas excessives par rapport à des offres concurrentielles présentant des caractéristiques techniques équivalentes.

Elle prétend que c'était le cas et que la SA France Motors ne pouvait pas dans ces conditions lui imposer l'achat ou la location de produits non contractuels.

La SARL Automobile Biterroise estime donc être victime d'une résiliation abusive du contrat de concession et demande la confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Toutefois, elle est appelante incidente pour réclamer la condamnation de la société France Motors à lui payer, à titre de dommages-intérêts, 195 135 euros équivalents à deux ans de marge semi-brute qu'elle retirait de l'activité concédée, sur la base de la moyenne de trois exercices 1996/1997 et 1998, ainsi qu'à lui racheter à leur prix d'achat, sans abattement et à charge pour elle de les enlever dans les locaux de la concession, l'intégralité des pièces de rechange d'origine Mazda restant à sa charge à la date de l'arrêt à intervenir.

L'intimée requiert en outre l'octroi de 6 000 euros supplémentaires sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi

Considérant que le contrat de concession Mazda, à effet du 30 septembre 1996, était conclu pour une durée indéterminée entre la SARL France Motors, concédant et la SARL Automobile Biterroise. Qu'il pouvait donc être dénoncé à tout moment par l'une ou l'autre des parties, sauf à respecter un préavis de deux ans.

Qu'il était toutefois stipulé que le concédant pouvait résilier le contrat, sans préavis ni indemnité, en cas de non-respect par le concessionnaire d'obligations qualifiées " d'essentielles " par la convention ainsi que des obligations énumérées à l'article X. Qu'une résiliation était également prévue, en cas de manquement par l'une ou l'autre des parties, à l'une des obligations du contrat autres que celles susvisées, mais sous réserve du respect d'un préavis de 60 jours calendaires.

Considérant qu'il est avéré que la SARL France Motors a résilié, sans préavis ni indemnité, le contrat de concession Mazda, par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 juillet 1999, en se référant aux articles VII et VIII de la convention et au point n° 1 des normes générales de vente et d'organisation dudit contrat pour fonder les trois motifs de résiliation expressément précisé ; Que la SARL Automobile Biterroise a contesté par courrier du 27 juillet 1999 la réalité de ces motifs.

Considérant que la SARL France Motors a reproché, en premier lieu, à son concessionnaire de ne pas lui avoir fourni de caution bancaire.

Considérant que le contrat de concession institue comme une obligation essentielle la fourniture d'une caution solidaire par le concessionnaire, en garantie de règlement du prix des véhicules et pièces détachées achetés par ce dernier. Que la non-fourniture de cette caution ouvre droit à une dénonciation du contrat par le concédant sans préavis ni indemnité.

Considérant néanmoins qu'il ressort des éléments du débat que le montant de la caution n'est pas indiqué dans le contrat du 30 septembre 1996, que l'imprimé relatif à la caution bancaire et annexé au contrat n'est pas rempli et qu'après avoir rappelé à la SARL Automobile Biterroise son engagement à fournir une caution de 700 000 F avant le 31 décembre 1997, par courrier du 4 septembre 1997, la SARL France Motors a poursuivi ses relations contractuelles avec son concessionnaire sans autre rappel jusqu'au 12 avril 1999.

Qu'à cette date, la SARL France Motors a mis en demeure la SARL Automobile Biterroise de lui fournir une caution bancaire de 700 000 F par retour, n'envisageant cependant comme seule sanction qu'une livraison par paiement comptant des commandes. Qu'il en a été de même dans ses lettres du 29 avril 1999 et 4 mai 1999.

Considérant, cependant, que comme le tribunal l'a souligné, l'article XII 2 du contrat dispose que le fait pour le concédant de ne pas exercer un droit ou de l'exercer avec retard ne sera jamais considéré comme une renonciation à ce droit.

Que c'est donc justement que le tribunal a dit que la société France Motors avait toujours la faculté de dénoncer le contrat de concession, la SARL Automobile Biterroise n'ayant pas fourni la caution demandée.

Que le montant de cette caution fixé en 1997 n'était pas prohibitif, la SARL Automobile Biterroise ayant fourni une caution bancaire de 500 000 F en 1995 et ayant été récompensée en 1993 par la Charte service clients pour ses résultats sur le deuxième semestre. Que par ailleurs, il n'est pas démontré qu'en exigeant cette caution, la société France Motors voulait faire obstruction à la représentation d'une nouvelle marque par son concessionnaire.

Considérant qu'il reste que compte tenu des circonstances de la cause qui ont été indiquées ci-avant, un préavis était justifié pour cette cause de résiliation comme le tribunal l'a retenu.

Considérant qu'en second lieu, la SARL France Motors a fait grief à la société Automobile Biterroise de "ne pas avoir adopté les moyens de communication indispensables à la poursuite de leurs relations" et notamment de ne pas avoir loué le système " Business Intranet " mis en place dans l'intérêt du concédant et de son réseau courant 1998.

Qu'il est constaté, au vu des pièces produites, que sans opposer un refus caractérisé, la SARL Automobile Biterroise a été très réticente pour adopter ce système informatique bien qu'un contrat de prestation de services lui ait été adressé dès le 26 octobre 1998 sur insistance du concédant.

Que finalement, il apparaît qu'après avoir accepté le 27 avril 1999 sur une dernière relance d' "acheter" le système de communication qui n'était qu'à louer, la SARL Automobile Biterroise s'est empressée de louer le système proposé par la marque Daewoo (facture du 30 juin 1999), qu'elle commercialisait depuis le 12 mai 1999, malgré le litige existant sur les modalités de commercialisation de cette seconde marque avec la société France Motors.

Que par courrier du 12 avril 1999, la société France Motors répliquait que la concessionnaire devait mettre en place, conformément à l'article VIII du contrat des locaux de vente séparés, soumis à une gestion distincte sous une forme d'entité juridique distincte, pour éviter toute confusion de marques.

Que la société Automobile Biterroise a acquiescé le 29 avril 1999 et par courrier du 10 mai 1999 a affirmé procéder à cette mise en place d'une entité juridique autonome, de "show Rooms" séparés, de recrutement d'un vendeur spécifique, les investissements et moyens mis en œuvre pour la marque Kia, précédemment exploitée avec la marque Mazda étant utilisés pour la deuxième marque.

Considérant cependant qu'il est vérifié que la société Automobile Biterroise n'a pas satisfait à ses obligations contractuelles.

Que si l'EURL Ricard Automobiles a été constituée au vu des honoraires de constitution de mars 1999, il s'avère que les statuts de l'EURL ne sont pas signés et qu'il n'est pas établi qu'à la date de la résiliation, l'EURL ait été immatriculée au RCS de Béziers.

Que la société Automobile Biterroise n'a embauché que le 20 août 1999, soit après la résiliation, un vendeur spécifique Eric Sirventon dont le contrat d'embauche ne mentionne pas l'EURL Ricard Automobiles comme employeur.

Que la SARL Automobile Biterroise a pris à bail, à compter du 1er juin 1999, des locaux commerciaux à usage de parking de sorte que ce bail ne répondait pas à "l'exigence d'un site spécifique plus adapté à la représentation de la seconde marque, après étude de la configuration de vos locaux" exprimée par la société France Motors dans sa lettre du 17 juin 1999.

Que le constat d'huissier, diligenté le 7 juillet 1999 à la demande de l'appelante indique que des véhicules neufs de marque Mazda et de marque Daewoo se côtoient dans le même hall de vente réservé à Mazda ainsi que sur le parking d'exposition récemment loué, des panneaux mettant même en avant les véhicules Daewoo.

Que la SARL Automobile Biterroise a donc contrevenu à ses obligations, notamment en l'absence de locaux d'exposition et de vente séparés sur le même site, connue c'était le cas pour la marque Kia, qu'au demeurant elle ne commercialisait plus depuis le 14 février 1998, ce qui rend peu crédible son affirmation précitée de vouloir utiliser pour Daewoo les investissements et moyens mis en œuvre pour Kia, et en particulier le vendeur précédemment affecté à cette marque.

Que le constat d'huissier du 2 août 1999, que l'intimée a, cette fois, initié, ne contredit pas ces éléments dans la mesure où l'huissier a relevé que " l'espace véhicule neufs... est essentiellement occupé par des véhicules de marque Mazda."

Considérant ainsi que le contrat de concession Mazda a été résilié sans abus par la société France Motors.Que le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions hormis en celle disant que le contrat ne prévoyait pas le rachat des pièces de rechange par le concédant et déboutant l'intimée de sa demande à cet égard. Que la SARL Automobile Biterroise sera déboutée en conséquence de toutes ses prétentions.

Considérant que les sommes éventuellement payées par la SARL France Motors au titre de l'exécution provisoire lui seront restituées par la SARL Automobile Biterroise, majorées d'intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt.

Considérant que la SARL Automobile Biterroise sera encore déboutée de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel et sera condamnée à payer à la SARL France Motors 4 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant contradictoirement, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions hormis du chef du débouté du rachat des pièces de rechange par le concédant. Statuant à nouveau : Dit que le contrat de concession Mazda du 30 septembre 1996 a été résilié sans abus par la SARL France Motors, en raison de la violation par la SARL Automobile Biterroise d'une obligation contractuelle "essentielle ". Déboute la SARL Automobile Biterroise de toutes ses demandes. Ordonne s'il y a lieu, la restitution des sommes versées par la SARL France Motors, au titre de l'exécution provisoire, majorées des intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt. Condamne la SARL Automobile Biterroise à payer à la SARL France Motors 4 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à s'acquitter des entiers dépens de première instance et d'appel. Admet la SCP Bernabe-Chardin-Cheviller avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.