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Décisions

CA Douai, 6e ch. corr., 21 octobre 1993, n° 1126

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Plantin, Confédération syndicale des familles

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Michel

Substitut général :

M. Chaillet

Conseillers :

MM. Lambret, Kantor

Avocats :

Mes Perrin, Lefèvre, Puffet, Toulet

TGI Lille, du 27 mars 1992

27 mars 1992

Par jugement contradictoire en date du 27 mars 1992, le Tribunal correctionnel de Lille auquel il convient de se reporter pour l'exposé des demandes présentées par les parties à l'instance, a condamné Monsieur Daniel X et Monsieur Jean-Jacques Y chacun à la peine de 30 000 F d'amende et à titre complémentaire à la publication par extrait du jugement dans les journaux Le Figaro, Le Monde, 50 millions de consommateurs et le catalogue Z.

La SARL Z a été déclarée civilement responsable des condamnations prononcées. Monsieur X et Monsieur Y ont été condamnés au paiement des frais et dépens.

Pour avoir en leur qualité respective de gérant et de directeur commercial de la SARL Z à Lyon, courant septembre 1988, effectué une publicité comportant des présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la portée des engagements pris par l'annonceur, en l'espèce, en faisant croire à Monsieur Plantin qu'il avait gagné un prix en espèces d'une valeur supérieure à 500 F pouvant aller jusqu'à 100 000 F,

Faits prévus et réprimes par les articles 44-I, 44-II de la loi du 1er août 1905.

Au plan civil, le tribunal a reçu les constitutions de partie civile de Monsieur Plantin et de la Confédération syndicale des familles.

Monsieur X et Monsieur Y ont été condamnés à payer avec intérêts au taux légal à compter du jugement, à chacune des parties civiles les sommes de 2 500 F à titre de dommages-intérêts et de 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

La restitution à la partie civile de la somme consignée 17 août 1989.

Ont fait appel de cette décision :

- les prévenus le 31 mars 1992.

- le Ministère public le 3 avril 1992.

- la Confédération syndicale des familles le 9 avril 1992.

Sur l'exception de chose jugée

Monsieur X soulève comme il l'a fait en première instance l'exception de chose jugée au motif que les poursuites diligentées à Lille concernent le même message publicitaire que celles diligentées à Carcassonne et demande à la cour de relaxer le prévenu et subsidiairement de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive à intervenir à la suite des poursuites engagées à Carcassonne.

Au vu des éléments du dossier la cour estime que le premier juge a, sur l'exception de chose jugée, fait une exacte application des faits de la cause et de la règle de droit pour rejeter cette exception, il y a donc lieu de confirmer sur ce point la décision déférée par adoption des motifs.

Conclusions d'irrecevabilité de la citation et de disjonction de Monsieur Y

Avant toute défense au fond, le conseil de Monsieur Y a demandé que la citation soit déclarée " irrecevable " et que le cas de son client soit disjoint.

La cour, après avoir entendu les parties a joint l'incident au fond.

Il est exposé que la citation délivrée à Y serait irrégulière, que Y ne travaille plus depuis des années à Z alors qu'il a été cité au siège de cette entreprise et que les conclusions qu'il a déposées comportent son adresse, qu'il a reçu la citation de façon informelle et tardive et qu'il n'a pas été à même de préparer sa défense.

L'examen des pièces du dossier montre que Monsieur Y a été cité à comparaître en première instance au siège de l'entreprise Z, le jugement attaqué a été rendu contradictoirement à son égard. Le prévenu en a relevé appel dans le délai légal par l'intermédiaire de son conseil et a expressément donné comme étant son adresse le siège de l'entreprise Z <adresse>.

Y a été cité à cette adresse le 8 juin 1993 pour l'audience du 21 juin 1993, l'acte a été reçu par une employée de Z qui l'a retransmis au prévenu.

Devant la cour, Y a comparu assisté de son conseil.

Il est constant que la cour est saisie non par la citation qui n'a d'autre but que de faire connaître la date d'audience mais par l'acte d'appel.

Les griefs invoqués par la défense d'atteinte à ses droits ne sont pas établis alors qu'une citation régulière a été délivrée dans le délai légal, à l'adresse fournie par le prévenu dans l'acte d'appel et qu'il s'est présenté à l'audience assisté d'un avocat.

La citation attaquée n'est donc pas irrégulière.

En conséquence, la demande de déclaration d'irrecevabilité de la citation et de disjonction du cas de Y n'apparaît pas justifiée et sera rejetée, l'arrêt étant contradictoire à son égard.

Sur la délégation de pouvoirs

Il résulte des déclarations faites à l'audience par les prévenus que la SARL Z est dirigée par Monsieur X gérant salarié qui n'aurait aucune part dans le capital de cette entreprise, celui-ci serait détenu en totalité par une entreprise A ayant son siège aux Pays-bas.

L'objet de la SARL Z est la vente par correspondance, son chiffre d'affaires annuel est de 280 millions de francs, elle emploie 120 personnes dont douze cadres.

Monsieur Y exerçait la profession de directeur commercial et avait pour mission de promouvoir les jeux ou loteries qui accompagneraient systématiquement les envois de catalogue.

La part de la publicité selon les prévenus représentait environ 30 % du chiffre d'affaires annuel.

Monsieur Y, qui signait les jeux sous le nom de Vanneau, indiquait qu'il les remettait lors des réunions d'entreprises à la direction et que l'envoi massif des pièces aux particuliers résultaient de telles réunions.

Monsieur X prétend avoir donné une délégation de pouvoirs à Monsieur Y en date du 1er décembre 1987.

Dans cette pièce, il est indiqué "qu'à l'intérieur de ses fonctions de directeur commercial figure la responsabilité de prévoir, préparer, organiser et assurer l'exécution des différents jeux promotionnels organisés dans la société. Il va sans dire que ceci doit bien entendu être réalisé dans le cadre des lois, réglementations et déontologies professionnelles existantes".

Il s'agit en réalité d'une définition des fonctions et non d'une délégation réelle de pouvoirs déniée comme il a été indiqué ci-dessus par le fonctionnement de l'entreprise.

Au surplus, la délégation de pouvoirs est susceptible d'exonérer la responsabilité pénale du chef d'entreprise en matière de publicité mensongère s'il rapporte la preuve qu'il l'a donnée à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et de moyens nécessaires.

La preuve incombe à celui qui l'invoque en l'espèce à Monsieur X, lequel n'établit pas que Monsieur Y disposait des moyens notamment financiers utiles à l'accomplissement de sa mission. La responsabilité de Monsieur X est donc à bon droit recherchée.

Il apparaît en outre des pièces du dossier que Monsieur Y a concouru de manière active à la réalisation des faits en cause en liaison avec Monsieur X et doit être maintenu dans la cause.

Sur les faits reprochés et la culpabilité

Au mois de septembre 1988, Monsieur Plantin recevait un mini catalogue émanant de la société Z accompagné d'un "bon de commande participation" faisant état d'une loterie "Prix espèces présentant sept lots de 100 000 F à 500 F.

Un numéro dissimulé devait accompagner, après reconnaissance par grattage d'un autocollant gris, tout "bon de commande/participation" étant expressément stipulé que "tous les gagnants d'un prix en espèces recevront le montant qu'il avait découvert en frottant la surface grise". Ce montant dévoilé était de cent mille francs.

La seule restriction résultait d'un encart "à conserver soigneusement" intitulé "publication officielle" signé par Monsieur Jean-Jacques Vanneau déclarant "que si tous les détenteurs des numéros prix espèces ci-dessous (suivent 7 numéros) réagissent correctement et dans les délais, Z distribuera avec certitude de l'argent comptant. Les détenteurs de ces numéros sont donc instamment priés de coller leur autocollant "Argent" sur leur bon de commande/participation et de renvoyer celle-ci aujourd'hui encore.

Dès le 15 septembre 1988, Monsieur Plantin adressait le bon de commande muni de l'autocollant accompagné d'un chèque en paiement de l'objet choisi, objet livré sans difficulté.

Sans nouvelles du résultat de la loterie, Monsieur Plantin adressait plusieurs courriers à Z réclamant l'attribution du prix de 100 000 F dont il se prétendait gagnant. Après échange de lettres, la société de vente par correspondance lui répondait qu'il n'avait pas gagné et donnait la liste des heureux bénéficiaires.

Sur l'action publique

Les éléments constitutifs du délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur sont dès lors effectivement caractérisés à l'égard des prévenus.

Ces faits méritent d'être sanctionnés avec rigueur en raison de leur caractère professionnel et de la stratégie commerciale qu'elle implique qui vise non seulement le "consommateur moyen" mais aussi des personnes en situation de faiblesse morale ou matérielle, il sera tenu compte de la personnalité de chaque prévenu.

Le jugement doit être confirmé sur le principe de la culpabilité mais les pénalités seront adaptées aux éléments de l'espèce.

Sur l'action civile

La Confédération syndicale des familles, appelante, se verra allouer à titre de dommages-intérêts la somme obtenue en première instance, la décision déférée étant confirmée de ce chef.

Toutefois, il apparaît inéquitable de laisser à la charge des parties civiles appelantes ou intimées présentes ou représentées les frais irrépétibles du procès.

Monsieur Plantin, non appelant, demande la condamnation solidaire des prévenus à 200 000 F de dommages-intérêts et leur condamnation, chacun pris séparément, au paiement d'une somme de 10 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, le surplus des condamnations prononcées en première instance étant confirmé.

Il résulte des éléments de l'affaire que Z n'a pas malgré certaines apparences établi dans le jeu " prix espèces " à l'égard des destinataires une reconnaissance de dette valable en terme de contrats à hauteur des sommes indiquées alors surtout que la remise des prix est subordonnée à la participation effective dans les temps impartis au jeu des sept titulaires des numéros visés sous la rubrique " publication officielle " contenus dans la publicité, ce qui rend aléatoire l'attribution effective du prix.

Dans ces conditions, la cour estime que le premier juge a fait une exacte appréciation du préjudice réel subi par la partie civile et qu'il convient de confirmer sur ce point la décision déférée.

Sur les indemnités au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge des parties civiles les frais du procès non compris dans les dépens.

Il y a donc lieu de leur allouer à chacune d'entre-elles en cause d'appel une somme de 1 500 euros, les sommes allouées à ce titre en première instance étant confirmées.

Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges qui sont expressément adoptés, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties sauf du civilement responsable qui fait défaut. Rejette l'exception de chose jugée soulevée par Monsieur X. Rejette l'exception d'irrecevabilité de la citation et de disjonction de Monsieur Y et Confirme le jugement entrepris sur la culpabilité des prévenus. Et l'infirmant quant aux pénalités. Condamne : Monsieur X à six mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 F (trente mille francs) d'amende - Monsieur Y à trois mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 F d'amende. Ordonne la publication par extrait du présent arrêt dans Le Monde, Le Figaro, L'Evènement du Jeudi, 50 millions de consommateurs, La Voix du Nord et le catalogue Z sans que le coût de chaque insertion n'excède 6 500 F (six mille cinq cents francs). Sur l'action civile : Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions y compris celles relatives aux sommes allouées au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Déboute les parties civiles appelantes du surplus de leur demande. Condamne les prévenus et le civilement responsable à payer, en cause d'appel, solidairement aux parties civiles appelantes ou intimées, présentes ou représentées à l'audience telles que ces mentions figurent au présent arrêt, la somme de 1 500 F (mille cinq cents francs) à chacune d'entre elle au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Condamne les prévenus aux dépens de l'action civile. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F (huit cents francs) dont est redevable chaque condamné.