Ministre de l’Économie, 15 décembre 2003, n° ECOC0400136Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société Procter & Gamble
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 12 novembre 2003, vous avez notifié le projet d'acquisition par la société Procter & Gamble (ci-après "P & G") auprès de la société Colgate Palmolive (ci-après "Colgate") de plusieurs actifs dont la marque détergent Gama et la licence exclusive pour 20 ans renouvelable de la marque détergent Axion pour ce qui concerne la France (1). Cette acquisition a été formalisée par un accord signé le 20 octobre 2003.
I. - Les parties et l'opération
P & G est un groupe international actif dans le secteur des biens de consommation (produits de lavage et d'entretien, d'hygiène et de beauté, alimentaires, pharmaceutiques, de parfumerie, aliments pour chiens et chats). Il a réalisé, au 30 juin 2003, un chiffre d'affaires total de 38 milliards d'euros, dont 1,7 milliard en France.
Colgate est également un groupe international présent dans le secteur des biens de consommation (produits d'hygiène bucco-dentaire, de soin du corps, d'entretien de la maison, de soin du linge, et aliments pour chiens et chats). Les deux marques de détergents cédées à P & G ont réalisé, en 2002, intégralement en France, un chiffre d'affaires de 75 millions d'euros.
En vertu de l'accord précité, Colgate, le vendeur, et P & G, l'acheteur, se sont engagés, de manière irrévocable, à transférer la marque et la licence de marque précitées. L'opération constitue ainsi une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce en ce qu'elle entraîne le transfert partiel d'actifs du groupe Colgate au profit exclusif de P & G.
Compte tenu des chiffres d'affaires précités, réalisés lors du dernier exercice clos par le groupe P & G et par Colgate via les actifs cédés, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique. L'opération a également été notifiée en Italie.
II. - Marchés concernés
Les parties sont simultanément présentes sur les marchés de la production et de la vente de détergents destinés aux particuliers et commercialisés par le canal de la grande distribution à dominante alimentaire.Il ressort du test de marché qu'une segmentation entre d'une part les détergents universels (lessives standard) et d'autre part les détergents spécialisés (lessives couleurs, laine, textiles délicats...) semble pertinente en raison notamment des différences de prix, de structure de l'offre, de positionnement sur les linéaires des distributeurs et des besoins des consommateurs (2). Les parties ne fabriquant pas de détergents spécialisés, l'opération ne concerne que le marché national des détergents universels. Il est également possible de s'interroger sur une segmentation plus fine de ce marché selon la forme (poudre, liquide ou tablettes) ou selon le niveau de gamme. Toutefois, les réponses au test de marché ne permettent pas de conclure, à ce stade, à la pertinence de telles segmentations.
Les parties sont également simultanément présentes, en tant qu'acheteurs, sur les marchés amont de l'approvisionnement en matières premières nécessaires pour produire les détergents (principes actifs, enzymes, emballages...). Eu égard au faible poids de la nouvelle entité en tant qu'acheteur sur ces marchés, dont l'offre émane de grands groupes internationaux, l'opération n'est pas de nature à modifier le jeu concurrentiel sur ceux-ci.
S'agissant de la délimitation géographique du marché de produits identifié, les parties soulignent que le marché des détergents ménagers a tendance à devenir de plus en plus international en raison de la dimension mondiale des fournisseurs de matière première, de la structure de plus en plus internationale de la grande distribution et de la fabrication des détergents à une échelle supranationale. Il convient cependant, tout d'abord, de noter le caractère national tant des marques de lessives que des négociations commerciales. Il existe, d'autre part, un écart très important entre les marges réalisées en France et les marges réalisées dans les autres pays de l'Union européenne par les mêmes fabricants de détergents ménagers.
En définitive, au vu de ces différents éléments, l'analyse portera sur le marché français des détergents ménagers universels.
III. - Analyse concurrentielle
La présente opération, se traduisant par des additions de parts de marché entre les parties, conduit à la répartition suivante:
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L'opération permettra à P & G, qui détient déjà une part de marché de plus de [20-30] % en volume, de conforter sa position de leader sur le marché français des détergents universels en atteignant [30-40] % des parts de marché en volume.
Tout d'abord, compte tenu de cette addition de parts de marché, il est nécessaire d'analyser si l'opération est susceptible de porter atteinte à la concurrence par création ou renforcement de position dominante simple. Cette interrogation est d'autant plus importante que la lessive est un produit de première nécessité dont la demande présente une élasticité-prix faiblement positive.
Or, force est de constater que la nouvelle entité demeurera soumise à la pression concurrentielle de ses deux principaux concurrents sur le marché français des détergents ménagers universels. Il s'agit en effet de Henkel et Unilever, tous deux groupes d'envergure internationale, et donc disposant d'importantes capacités financières, qui sont actifs notamment dans le secteur des détergents/produits d'entretien et qui détiennent chacun des parts de marché importantes de l'ordre de [20-30] % sur le marché des détergents universels.
D'autre part, au-delà de l'addition de parts de marché entraînée par l'opération, il convient de remarquer que l'opération permet à P & G d'élargir sa gamme de produits et son portefeuille de marques sur le marché des lessives en acquérant la marque Gama et la licence de marque Axion. En outre, il détient actuellement dans son portefeuille une marque à très fort taux de fidélité, Ariel, qui représente à elle seule et en 2002 [20-30] % en valeur de l'ensemble des lessives (universelles et spécialisées).Il est dès lors nécessaire de déterminer si l'opération est susceptible de conférer à la nouvelle entité un avantage concurrentiel déterminant dans la mesure où elle serait à même d'offrir aux distributeurs une gamme plus large de produits. Même si le rôle des marques est important sur ce marché et qu'Ariel bénéficie d'une forte notoriété, il convient de noter qu'Unilever et Henkel disposent déjà chacun d'une gamme complète de lessives (3) (une marque premium, une marque milieu de gamme et une marque entrée de gamme), susceptible de faire face à la gamme de la nouvelle entité.
Si l'on analyse de possibles effets unilatéraux au profit de la nouvelle entité liés à l'opération, il convient de souligner qu'une stratégie consistant à augmenter certains de ses prix ne serait pas rentable pour la nouvelle entité. En effet, une très grande partie de la demande se reporterait sur l'offre des groupes concurrents Henkel et Unilever, qui possèdent des marques également notoires et une gamme complète de détergents universels. De plus, et bien qu'elles n'occupent pour le moment qu'une place très marginale (4), un éventuel développement des marques de distributeur ne peut être écarté.
Enfin, il convient de remarquer que l'opération se traduit par la disparition d'un concurrent sur le marché des détergents universels pour n'en faire subsister que trois et renforce ainsi la structure oligopolistique de l'offre sur ce marché. Il est dès lors nécessaire d'écarter le risque de constitution d'un oligopole collusif. Il apparaît cependant assez clairement qu'un équilibre collusif serait difficilement soutenable sur ce marché en raison, notamment, des modes de négociations des prix avec la grande distribution basées sur la coopération commerciale et les marges arrières, de la puissance de la demande adressée aux parties et du rôle de l'innovation (aussi bien en ce qui concerne le bénéfice d'usage qu'en ce qui concerne les progrès en matière d'environnement).
Il s'en conclut que l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par création ou renforcement d'une position dominante collective sur les marchés français détergents ménagers.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du "secret des affaires", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
(1) D'autres marques de détergents appartenant en Europe à Colgate sont parallèlement acquises par P & G: licence exclusive pour 20 ans renouvelable des marques Dinamo et Dynamo en Italie et au Danemark; licence exclusive pour 3 ans de la marque Ajax en tant que détergent uniquement en Suède.
(2) Les lessives universelles sont utilisées pour la même fonction et sont interchangeables, entre marques et/ou formes, alors que les lessives spécialisées ont une fonction différente et s'utilisent le plus souvent en addition d'une lessive universelle.
(3) Henkel dispose des marques: Le Chat, Super Croix et Xtra et Unilever des marques: Skip, Omo et Persil.
(4) Les marques de distributeur représentent en 2002 [0-10] % des parts de marché des détergents ménagers universels.