CA Paris, 5e ch. B, 15 mai 2003, n° 2001-11130
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Industrias JBC (Sté)
Défendeur :
MJB (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Conseillers :
MM. Faucher, Remenieras
Avoués :
Mes Fanet-Serra-Ghidini, Huyghe
Avocats :
Mes Pourre, Bouhenic, Huyghe, Montenay.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Industrias JBC contre le jugement contradictoire rendu le 6 mars 2001 par le Tribunal de commerce de Meaux qui a:
- dit que le contrat liant la société MJB et la société Industrias JBC avait été unilatéralement et abusivement rompu sans préavis par cette société,
- débouté Industrias JBC de toutes ses demandes,
- condamné cette société à payer à MJB la somme de 53 357,16 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une somme de 3 048,98 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire avec constitution d'une caution bancaire à due concurrence,
- condamné Industrias JBC aux dépens.
La société MJB, qui assurait la distribution exclusive des produits de la société Industrias JBC, entreprise de droit espagnol fabriquant de l'outillage électronique, l'a assignée en paiement de dommages-intérêts, lui reprochant d'avoir abusivement et sans préavis rompu le contrat de distribution qui les liait et de lui avoir, par suite, causé un grave préjudice commercial.
Vu les dernières conclusions signifiées, le 12 novembre 2002, par lesquelles la société Industrias JBC, appelante, demande à la cour, réformant le jugement déféré en toutes ses dispositions, de :
- constater que l'accord existant entre les sociétés MJB et JBC était un contrat à durée déterminée d'un an, venu à expiration,
- constater que la société JBC était bien fondée à suspendre l'exécution de ses obligations, celles-ci étant devenues sans cause du seul fait de la carence de la société MJB à remplir, dans le délai prescrit, son obligation contractuelle principale.
A titre subsidiaire
- constater que MJB, qui ne conteste pas qu'à l'issue de l'année écoulée, elle n'avait pas atteint le chiffre d'affaires fixé, ne peut, en conséquence, prétendre à la poursuite des dispositions contractuelles,
A titre infiniment subsidiaire,
- constater que, dans l'hypothèse où la qualification de rupture des relations contractuelles serait retenue, celle-ci ne présente pas un caractère abusif,
En tout état de cause,
- constater que la société MJB ne rapporte pas la preuve de son prétendu préjudice ni qu'une quelconque indemnisation ait été contractuellement prévue en cas de défaillance d'un des cocontractants,
- constater que la société JBC, qui a parfaitement respecté ses obligations contractuelles, est victime d'une procédure abusive,
En conséquence,
- débouter intégralement la société MJB de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société MJB à payer une somme forfaitaire de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner la société MJB à payer à la société JBC la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 10 janvier 2003, aux termes desquelles, la société MJB, intimée et incidemment appelante, demande pour sa part à la cour de:
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le contrat qui liait la société MJB et la société Industrias JBC a été unilatéralement et abusivement rompu sans préavis par la société Industrias JBC,
- le confirmer également en ce qu'il a reçu la demande de la société MJB au fond,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Industrias JBC au paiement de la somme de 3 048,98 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- l'infirmer du chef du quantum,
- dire et juger que la rupture du contrat est abusive et a créé un préjudice à la société MJB ouvrant droit à une réparation sur la totalité de sa demande,
Statuant à nouveau
- débouter intégralement la société Industrias JBC de ses demandes, fins et conclusions,
- la condamner à lui payer la somme de 75 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 4 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel,
- la condamner, enfin, aux dépens de première instance et d'appel.
Sur la rupture des relations contractuelles
Considérant que la société Industrias JBC a donné son accord à la société MJB pour la distribution de ses produits dans une lettre du 25 mai 1998 ainsi libellée:
" Nous faisons suite à nos divers entretiens concernant la distribution de nos produits, suite auxquels nous vous confirmons les conditions suivantes:
- pour un chiffre d'affaires de 500 000 F pour la première année de distribution
* Produits figurant sur le Tarif Advanced: 45 % de remise sur prix tarif
* Produits figurant sur le Tarif Classic: 40 % de remise sur le prix tarif
* Conditions de règlement: 60 jours date facture
* Encours de crédit maximum: Pour les premiers 12 mois de distribution, et dans l'esprit d'aider MJB à avoir le stock nécessaire qui vous permette de bien exercer la distribution des produits JBC: 170 000 F
Pour la suite des années de distribution: Deux mois de ventes"
Qu'à la suite de la réception d'une première commande, l'entreprise espagnole, dans un courrier du 26 octobre 1998 renvoyait son distributeur à ces mêmes conditions et lui indiquait, par ailleurs
"Jusqu'à présent nous avons été patients et avons accepté des commandes avec des quantités moindres avec ces conditions mais nous attendons dorénavant que vos commandes soient d'un niveau comparable à la demande de prix que vous nous avez faite";
Que, quelques mois plus tard, par lettre du 30 avril 1999, Industrias JBC faisait part à son cocontractant de son mécontentement à propos du chiffre d'affaires réalisé par MJB, estimé "complètement" ridicule par comparaison avec celui des autres distributeurs européens, et souhaitait connaître son avis sur les problèmes rencontrés;
Que dans sa réponse du 3 mai 1999, le représentant de MJB, qui s'estimait également "désolé" des résultats obtenus, demandait, en annonçant la mise en place d'une nouvelle structure commerciale, à pouvoir bénéficier d'un délai supplémentaire avant de "rompre leurs relations";
Que, dans un nouveau courrier du 27 mai 1999, JBC lui annonçait alors de nouvelles conditions, comme revendeur, et non plus comme distributeur agréé, comportant des remises d'un niveau inférieur;
Qu'elle lui réclamait ensuite le 1er juin 1999 le paiement anticipé de factures émises entre le 10 mars et le 18 mai 1999 puis lui notifiait le 7 juin 1999 qu'elle ne pourrait plus honorer de nouvelles commandes tant que le solde débiteur de son compte ne serait pas réglé;
Qu'enfin, la société intimée réagissait en revendiquant le maintien de conditions commerciales précédemment fixées et en annonçant, à défaut, une rupture brutale des relations contractuelles;
Considérant que l'appelante soutient, à l'appui de sa demande de réformation du jugement, que la lettre du 25 mai 1998 étant une offre de contracter limitée à un an et la réalisation d'un chiffre d'affaires de 500 000 F constituant, outre la cause de son offre, l'obligation principale de son cocontractant, le non-respect de cette clause justifiait la non-reconduction de ses conditions tarifaires préférentielles initiales;
Qu'en tout état de cause, la rupture des relations contractuelles ne peut, en raison de plusieurs mises en demeure adressées à son partenaire, qui a été informé des difficultés rencontrées et a même accepté le principe de la cessation de ces relations, être qualifiée de brutale et abusive;
Mais considérant que la lettre du 25 mai 1998, convention des parties, qui n'indique aucun terme, évoque au contraire explicitement la réalisation d'un chiffre d'affaires déterminé "pour sa première année de distribution" ainsi que des encours de crédit calculés de manière distincte- pour les "douze premiers mois de distribution" puis "pour la suite des années de distribution";
Que dès lors, Industrias JBC et MJB étaient, à l'évidence, engagées en vertu d'un contrat à durée indéterminée;qu'en outre, cette lettre, qui se borne à déterminer le pourcentage de remise sur les prix des produits distribués ainsi que les conditions de règlement et les encours par rapport à un chiffre d'affaires de 500 000 F, ne fait toutefois pas de ce chiffre une obligation, notamment en prévoyant, en cas d'insuffisance, une rupture des relations contractuelles;que dans ces conditions, l'intimée peut utilement soutenir qu'il s'agissait simplement de la réalisation d'un objectif commun auquel l'attribution de conditions préférentielles ou, le cas échéant, la poursuite de leurs relations commerciales n'étaient pas strictement subordonnées;
Considérant que Industrias JBC a, certes, dans les courriers cités, qui ne peuvent pour autant, faute d'interpellation suffisante, être qualifiés de mise en demeure, évoqué un niveau, estimé trop bas des commandes passées ainsi que du chiffre d'affaires réalisé; qu'elle ne peut cependant soutenir que MJB, qui s'est bornée à prendre note du grief et à annoncer la mise en œuvre de moyens supplémentaires en demandant un délai avant d'interrompre leurs relations, a elle-même accepté le principe d'une rupture pour cette cause;
Qu'au demeurant, le chiffre d'affaires développé par l'intimée sur les produits de Industrias JBC s'est élevé, comme l'attestent les relevés trimestriels communiqués et versés aux débats à 444 200 F à la fin de juin 1999 puis à 567 000 F à la fin du mois de septembre 1999, chiffres très voisins de l'objectif assigné, puis conformes à celui-ci;
Qu'en dépit de cette réponse et alors que la réalisation d'un chiffre d'affaires de 500 000 F ne constituait pas une obligation contractuelle, Industrias JBC a, presque aussitôt, unilatéralement, modifié de manière substantielle les conditions contractuellement consenties à MJB en lui attribuant, en outre, un statut de revendeur et non plus de distributeur;
Considérant, dans ces conditions,que le tribunal a, à bon droit, estimé que cette rupture, brusque et abusive, du contrat de distributeur liant les parties était constitutive d'une faute ouvrant droit à indemnisation;
Sur les dommages-intérêts
Considérant que Industrias JBC s'oppose aux réclamations de MJB en soutenant que, ne justifiant pas le développement d'une clientèle suffisante et distincte du fichier client dont elle prétendait disposer, elle n'établit pas l'existence d'un quelconque préjudice;
Que de son côté, la société MJB, pour solliciter l'infirmation du jugement dont appel du chef du quantum de ce préjudice et l'évaluer à 76 000 euros, toutes causes confondues, affirme que le développement d'une force de vente lui a coûté la somme de 56 000 euros et qu'en raison de la rupture abusive du lien contractuel, la filiale française de JBC a pu profiter de son travail de prospection, lui causant un préjudice commercial évalué à 15 000 euros;
Considérant que l'intimée, qui justifie au moyen de pièces versées aux débats (relevés, DADS) qu'elle a développé une "force de vente" spécialement consacrée aux produits JBC, peut, en effet, utilement soutenir qu'en raison de la brutale rupture par son partenaire de leurs relations contractuelles, elle ne peut opérer l'amortissement des frais engagés sur plusieurs années comme elle l'avait initialement envisagé;
Qu'en revanche, elle ne justifie pas que la rupture du lien contractuel aurait permis à des sociétés concurrentes, et notamment à la filiale française de JBC, de bénéficier de son travail de prospection;
Que, pour sa part, JBC n'établit pas l'existence d'un fichier préexistant à la mise en place de leurs relations commerciales, sur la base duquel elle aurait, eu égard au volume des ventes qu'il pouvait laisser espérer, accepté de concéder des remises;
Considérant qu'au vu des ces éléments et en se référant au critère d'une perte de marge brute sur deux années par rapport à un chiffre d'affaires estimé à 500 000 F, le tribunal a exactement évalué à 53 357,16 euros le préjudice, toutes causes confondues, de MJB;
Que dès lors le jugement dont appel mérite d'être confirmé en toutes ses dispositions;
Sur les demandes de Industrias JBC
Considérant que l'appelante, qui succombe, doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et de sa demande d'indemnité au titre de ses frais irrépétibles d'appel;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société intimée une indemnité supplémentaire de 4 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel;
Par ces motifs, Confirme le jugement dont appel; Y ajoutant, Condamne la société Industrias JBC à payer à la société MJB une somme de 4 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel, Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne la société Industrias JBC aux dépens d'appel et admet Me Huyghe, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.