CA Poitiers, 1re ch. civ., 20 novembre 2001, n° 98-00180
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Brico-Brioude (SA)
Défendeur :
Domaxel Achats et Services (SA), Sapec (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Muller
Conseillers :
Mme Albert, M. Barthelemy
Avoués :
SCP Landry-Tapon, SCP Musereau-Mazaudon
Avocats :
Mes Sahuc, Château.
En 1993, la société Bric-Land (aujourd'hui Brico-Brioude) qui avait pour activité la vente de matériel pour le bricolage et pour PDG Monsieur Michel Rob, qui dirigeait également, dans le même centre commercial, en qualité de Président du Conseil d'administration, et sous l'enseigne Champion, la Sofedis, a sollicité son adhésion à la société Sapec, dont l'activité est le groupement d'achats et de services de commerçants détaillants, et qui a déposé des marques et enseignes dont "Bricosphère";
Une étude a été faite par Domaxel la centrale d'achats du groupe, en avril 1993;
Le 25 juin 1994, la société Bric-Land a adhéré à Sapec et notamment en acceptant les conditions générales de Domaxel Achats et Services, et de s'identifier aux normes du Groupe Domaxel dans les six mois suivant la date d'adhésion ;
Le règlement intérieur et les statuts de la Sapec étaient joints à ce contrat, tandis que ce même 25 juin 1994, Monsieur Rob a signé, au profit de la Sapec, un acte sous seing privé d'engagement de caution solidaire, dans la limite de 500 000 F pour les engagements de Bric-Land, cautionnement confirmé le 20 novembre 1995.
Trois mois plus tard, soit le 25 septembre 1994, Bric-Land a conclu avec Bricosphère France SA, autre société du groupe, un contrat d'enseigne, et le magasin a ouvert ses portes en novembre 1994 ;
Trois incidents de paiement sont intervenus fin 1995 début 1996 Monsieur Rob a justifié ses non-paiements par les manquements de Sapec-Domaxel à leurs obligations contractuelles, préjudiciables aux finances et notoriété de Bric-Land, tandis que Sapec-Domaxel ont contesté ces reproches et ont estimé que la cause des problèmes de l'adhérent était plutôt à rechercher dans la mauvaise gestion du magasin par Monsieur Rob ;
Par acte d'huissier du 12 août 1996 la société Bric-Land a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Poitiers la SA Bricosphère France en annulation du contrat de concession d'enseigne pour non-respect d'obligations précontractuelles de renseignements, selon les dispositions de la loi du 31 décembre 1989, et subsidiairement, sur le non-respect de ses obligations contractuelles, en résiliation dudit contrat, avec toutes conséquences de droit ;
Bricosphère, pour sa part, en date du 24 septembre 1996, a notifié par lettre recommandée avec accusé de réception à Bric-Land la résiliation du contrat de concession d'enseigne à ses torts et griefs au vu des dispositions de l'article 19 dudit contrat, résiliation motivée par la non-exécution des obligations financières, agissements portant atteinte à la marque et à l'enseigne, avec exclusion du groupe à la même date ;
Après intervention volontaire de la SA Domaxel Achats et Services pour obtenir le paiement des arriérés de factures impayées de marchandises et de cotisations d'enseigne, le Tribunal de commerce de Poitiers, par jugement en date du 1er décembre 1997, a statué comme suit :
* reçoit la société Domaxel Achats et Services en son intervention volontaire et joint la présente instance Bric-Land devenue Brico-Brioude contre Bricosphère à l'instance Domaxel Achats et Services contre Monsieur Rob,
* déboute la SA Bric-Land de toutes ses demandes, fins et conclusions,
* dit que Monsieur Rob non appelé à l'instance est considéré hors cause,
* constate la résiliation de fait du contrat de concession d'enseigne du 25 septembre 1994 aux torts de griefs exclusifs de Bric-Land devenue Brico-Brioude SA;
* condamne la SA Brico-Brioude à payer à la SA Bricosphère la somme de 100 000 F de dommages et intérêts en réparation de préjudice,
* condamne la SA Brico-Brioude à payer à la société Domaxel Achats et Services la somme principale de 537 142 F augmentée des intérêts légaux calculés à compter du 15 octobre 1996,
* Condamne la SA Brico-Brioude à payer à la SA Bricosphère la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
* Déboute la SA Bricosphère du surplus de ses demandes,
* Condamne la SA Brico-Brioude aux entiers dépens de l'instance qui comprendront notamment les frais de greffe liquidés à 371,50 F ;
La société Brico-Brioude, qui a relevé appel le 19 janvier 1998 de cette décision du 1er décembre 1997, a conclu en dernier lieu le 15 mars 1999 en demandant à la cour de :
Vu la nature des relations contractuelles ayant existé entre les parties et la chronologie des événements,
Vu les dispositions édictées par la loi Doubin impératives et d'ordre public,
Vu le non-respect par le concédant de ses obligations contractuelles,
Prononcer l'annulation pure et simple du contrat avec toutes conséquences que de droit,
A titre subsidiaire, prononcer sa résiliation qui emportera les mêmes conséquences que l'annulation,
En conséquence, condamner in solidum les sociétés Bricosphère et Domaxel à payer et porter à la société Brico-Brioude les sommes suivantes :
- 374 634,19 F en remboursement des redevances jusqu'alors payées sans contrepartie, et ce avec intérêts au taux létal à compter de la délivrance de l'assignation, soit à compter du 9 août 1996,
- 300 000 F à titre de légitimes dommages et intérêts en réparation du préjudice souffert résultant directement des violations et fautes contractuelles précitées,
- 37 000 F HT correspondant à la valeur de reprise du stock sous la marque Domaxel
Pour le cas où par impossible la cour s'estimerait insuffisamment informée pour déterminer le préjudice souffert par la société Brico-Brioude résultant des inexécutions contractuelles précédemment dénoncées, alors conviendrait-il d'organiser une mesure d'expertise comptable, en conférant à l'expert mission de se prononcer sur les dommages financiers subis vu le lien de causalité évident entre ces derniers et les inexécutions reprochées,
Dire et juger non fondées les prétentions des intimées, et plus particulièrement celle visant le paiement de la traite non réglée, la cour accueillant la légitime exception d'inexécution invoquée,
Condamner in solidum les sociétés Bricosphère et Domaxel à payer et porter à la société Brico-Brioude une somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La société Domaxel Achats et Services et la société Sapec (venant aux droits de la société Bricosphère France à la suite d'une opération de fusion absorption), le 8 février 2000, ont requis la cour de :
- dire et juger recevable mais mal fondé l'appel formé par la société Brico-Brioude, l'en débouter,
- confirmer partiellement la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société anonyme Brico-Brioude de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, constaté la résiliation du fait de contrat de concession d'enseigne du 25 septembre 1994 aux torts et griefs exclusifs de Brico-Brioude et condamné cette dernière à payer à la société Domaxel Achats et Services, reçue en son intervention volontaire, la somme principale de 537 142 F augmentée des intérêts légaux calculés à compter du 15 octobre 1996 et y ajoutant, condamner Brico-Brioude à verser les intérêts sur les intérêts conformément aux termes de l'article 1154 du Code civil,
- donner acte à la Sapec de son intervention aux lieux et place de la société Bricosphère France,
- réformer partiellement le jugement entrepris sur le montant des dommages et intérêts alloués à la société Bricosphère France et condamner la société Brico-Brioude à payer à la société Sapec la somme de 200 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 1997, date de la décision dont appel,
- condamner la société Brico-Brioude à payer à la société Sapec la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 10 mai 2001 ;
Sur la demande de Brico-Brioude en annulation du contrat de concession de l'enseigne "Bricosphère", pour violation de la loi du 31 décembre 1989
Si le contrat conclu entre Bricosphère France et Brico-Land met l'enseigne à la disposition de celle-ci, il n'existe en revanche à la charge de Bric-Land, aujourd'hui Brico-Brioude, aucun engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité auprès de Bricosphère France, ni auprès de l'une des sociétés du groupe ;
Il n'y a aucune obligation d'approvisionnement exclusif quasi-exclusif imposé aux adhérents, que ce soit dans le contrat de Bricosphère ou bien dans les statuts ou règlement intérieur Sapec ;
Il en résulte donc que le contrat conclu entre Bricosphère France et Bric-Land n'est pas soumis aux dispositions de la loi du 31 décembre 1989 ;et en conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Brico-Brioude en annulation du contrat de concession d'enseigne pour violation de la loi du 31 décembre 1989 ;
Sur la demande de Brico-Brioude en annulation du contrat de concession de l'enseigne "Bricosphère", sur le fondement de l'article 1131 du Code civil, pour défaut de cause (cf. Page 11 de ses conclusions) :
Brico-Brioude soutient que la société Bricosphère France n'aurait pas exécuté ses obligations contractuelles privant par là-même ses propres obligations de cause et justifiant en conséquence l'annulation du contrat de concession en application de l'article 1131 du Code civil ;
A la date de la signature de l'accord, les engagements contractuels de Brico-Brioude avaient une réelle contrepartie dans les différentes obligations souscrites par Bricosphère France de sorte que, et alors que seule l'absence de cause à la date de formation du contrat peut justifier l'annulation dudit contrat, Brico-Brioude n'est pas fondée en sa demande en annulation pour disparition de cause au cours de contrat, et doit être déboutée de ce chef;
Sur la demande de Brico-Brioude en résiliation du contrat de concession de l'enseigne "Bricosphère", pour manquements de la société Bricosphère à ses obligations contractuelles
Le présent litige a trouvé son origine dans le premier incident de paiement émanant de Brico-Brioude en date du 25 septembre 1995 ;
Les sociétés Bricosphère France et Sapec Domaxel justifient avoir apporté à Monsieur Rob les conseils et l'assistance nécessaires au redressement de la situation de la société Brico-Brioude et ce, alors même que Monsieur Rob multipliait les manquements à son obligation contractuelle de paiement des marchandises qui lui étaient livrées.
Ainsi, après le premier incident de paiement de septembre 1995, les sociétés Sapec-Domaxel et Bricosphère France faisaient le point des différentes mesures qui devaient être prises pour remédier aux difficultés rencontrées par la société anonyme Brico-Brioude. En contrepartie Monsieur Rob se devait de régulariser les retards de paiements du mois de septembre 1995 à la nouvelle échéance qui lui était accordée, soit le 15 janvier 1996. Or, cette contrepartie ne fut pas obtenue par les sociétés Sapec-Domaxel et Bricosphère France puisque Monsieur Rob ne respecta pas le nouveau délai de paiement qui lui avait été consenti. De leur côté, Sapec-Domaxel et Bricosphère France avaient commencé à prendre des mesures pour redresser la société anonyme Brico-Brioude (visite des magasins de Brioude pour recenser les éventuels produits à déstocker) jusqu'à ce qu'elle soit informée du retour impayé de la traite du 15 janvier 1996 ;
Malgré cela, les sociétés Sapec Domaxel et Bricosphère France accordaient à la société Brico-Brioude un échelonnement de sa dette pour alléger ses charges financières et établissaient un plan de relance de Brico-Brioude,
Et malgré un nouvel impayé du 25 janvier 1996, Bricosphère France et Sapec Domaxel maintenaient leur attitude de faveur vis-à-vis de Monsieur Rob en lui proposant des mesures de relance (notamment, lors d'un rendez-vous chez Brico-Brioude le 23 avril 1996, offre de report de la cotisation enseigne),
Celle-ci a au contraire adopté une attitude de blocage en ne respectant pas ses obligations financières ce qui a empêché la pleine mise en œuvre des mesures proposées pour redresser la situation de Brico-Brioude ;
Il ressort de pièces du dossier que la société Bricosphère France a procédé, dans le cadre du planning de relance, à un recensement des éventuels produits à déstocker de la société Brico-Brioude et ce au cours de la visite des 27 et 28 novembre 1995 au magasin de Brioude. Bricosphère France avait en outre entrepris toutes démarches utiles afin de satisfaire les réclamations de Monsieur Rob en ce qui concerne l'intervention auprès de Detamag (prestataire de service extérieur du programme informatique), le réaménagement du magasin et la mise en place d'un plan de formation ;
Les sociétés Bricosphère France et Sapec Domaxel ont ainsi toujours satisfait à leurs obligations contractuelles alors que leur co-contractant se refusait à remplir les siennes ;
La demande de la société Brico-Brioude en résiliation du contrat d'enseigne aux torts du concédant, doit donc être rejetée, avec toutes conséquences ;
Sur les demandes de la société Domaxel
Il convient, par adoption des motifs retenus par le tribunal, de confirmer la condamnation de la société Brico-Brioude à payer à la société Domaxel Achats et Services la somme principale de 537 142 F, augmentée des intérêts légaux calculés à compter du 15 octobre 1996, et sauf à ajouter la capitalisation des intérêts conformément aux termes de l'article 1154 du Code civil et qui interviendra pour la première fois le 8 février 2000, date de la première demande ;
Sur les demandes de Sapec, venant aux droits de Bricosphère France:
Si aucun manquement à ses obligations contractuelles ne saurait être reproché à la société Bricosphère France, il n'en est pas de même de la société Brico-Brioude,
Outre les manquements à ses obligations financières, la société Brico-Brioude a par ailleurs commis des actes de nature à porter atteinte à la marque et à l'enseigne Bricosphère violant ainsi notamment les articles 2 et 3 du contrat d'enseigne.
En particulier, l'adhérent n'a pas conformé son magasin aux normes de présentation de l'enseigne.
Ces manquements justifient la résiliation du contrat d'enseigne aux torts exclusifs de l'adhérent ainsi que l'a d'ailleurs jugé le tribunal, mais également l'octroi de dommages et intérêts à la société Sapec ;
Le préjudice résultant de l'atteinte portée tant à la marque et à l'enseigne qu'à l'unité de réseau doit être évalué à la somme de 100 000 F ;
Le jugement déféré doit donc également être confirmé de ce chef ;
Sur les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Les dépens de première instance et d'appel seront supportés par la société Brico-Brioude;
Au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la société Brico-Brioude doit être déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société Sapec la somme de 15 000 F pour la procédure de première instance (disposition confirmée) et la somme supplémentaire de 15 000 F pour procédure d'appel, étant observé que la société Domaxel n'a pas repris dans ses dernières écritures du 8 février 2000 la demande au titre de l'article qu'elle avait formée dans ses écritures du 26 novembre 1998 à l'encontre de Brico-Brioude, de sorte que la société Domaxel doit être réputée avoir abandonné cette demande, et alors que la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées ;
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, - Donne acte à la Sapec de son intervention aux lieu et place de la société Bricosphère France, - Déboute la société Brico-Brioude de toutes ses demandes, fins et conclusions y compris l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Rejette l'appel incident de la Sapec, - confirme le jugement entrepris, dans toutes ses dispositions; - Y ajoutant * Dit, en ce qui concerne la condamnation de la société Brico-Brioude à payer à la société Domaxel Achats et Services la somme principal de 537 142 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 octobre 1996, qu'il y a lieu à capitalisation des intérêts conformément aux termes de l'article 1154 du Code civil, et pour la première fois le 8 février 2000 - Condamne la société Brico-Brioude à payer à la Sapec la somme supplémentaire de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour la procédure d'appel ; Condamne la société Brico-Brioude aux dépens d'appel et autorise la SCP Musereau-Mazaudon à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.