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Décisions

CA Aix-en-Provence, 5e ch. corr., 26 mars 2003, n° 2003-321

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Coopérative Oignons doux des Cévennes, DGCCRF

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Varlamoff

Substitut général :

M. Pinelli

Conseillers :

M. Lacan, Mme Brejoux

Avocats :

Mes Pascal, Soulier

TGI Tarascon, ch. corr., du 29 janv. 200…

29 janvier 2002

Rappel de la procédure :

La prévention :

Henri G a été cité devant le Tribunal correctionnel de Tarascon par le Procureur de la République suivant acte d'huissier de justice délivré le 12 novembre 2001 à sa personne, pour avoir :

à Eyragues, courant 1997, 1998 et 1999, trompé ses contractants, sur les qualités substantielles et l'origine d'un produit, en l'espèce en commercialisant des oignons sous l'appellation " Cevenol "

infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation.

Le jugement :

Par jugement contradictoire en date du 29 janvier 2002, le Tribunal correctionnel de Tarascon a déclaré Henri G coupable des faits reprochés et l'a condamné :

Sur l'action publique :

- à une peine d'amende de 8 000 euros,

Sur l'action civile :

- a déclaré recevable la constitution de partie civile de la Coopérative " Oignons doux des Cévennes ",

- a condamné le prévenu à lui payer 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre 230 euros, au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Les appels :

Le prévenu a régulièrement interjeté appel de ce jugement en ses dispositions pénales et civiles par déclaration au greffe du 30 janvier 2002.

Le Ministère public a relevé appel incident le même jour.

Décision :

En la forme :

Attendu que les appels formés par le prévenu et le Ministère public sont recevables pour avoir été interjetés dans les formes et délais légaux ;

Qu'Henri G, régulièrement cité à personne, a comparu assisté de son conseil;

Que la coopérative " Oignons doux des Cévennes ", partie civile, citée à personne le 25 novembre 2002, est régulièrement représentée ;

Qu'il sera statué par arrêt contradictoire à l'égard d'Henri G et de la partie civile, la coopérative " Oignons doux des Cévennes ".

Au fond :

Rappel succinct des faits :

Le 4 novembre 1997, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) intervenait auprès d'Henri G, président directeur général de la SA X, sise à Eyragues (Bouches-du-Rhône), pour lui signaler que la variété d'Oignons" Cevenol", proposée sur son catalogue commercial de l'année 1997, n'était pas autorisée à être mise sur le marché, puisque non inscrite sur une liste du catalogue officiel des espèces et variétés des plantes cultivées, tenu par le ministère de l'Agriculture, selon les prescriptions du décret du 18 mars 1981 ;

La DGCCRF signalait, en outre, que du fait de sa connotation géographique, le terme utilisé, Cevenol, était susceptible de créer une confusion sur l'origine ou la provenance du produit final;

Pour sa défense, Henri G avait fait valoir que ces semences, pour lesquelles il avait déposé une demande d'inscription auprès du Comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées (CTPS), le 20 novembre 1995, étaient en cours d'inscription au catalogue et qu'elles pouvaient être commercialisées, ce à quoi la DGCCRF lui avait répondu qu'une demande d'inscription en cours ne valait pas inscription officielle et ne permettait pas la mise sur le marché des semences en cause ;

La situation n'ayant pas évolué au cours de l'année 1998, et à la suite d'une nouvelle plainte de la société agricole " Oignons doux des Cévennes ", dont le siège est à Sumène (Gard), les enquêteurs de la DGCCRF se présentaient à nouveau, le 19 novembre 1998, dans les locaux de la SA X;

Henri G reconnaissait avoir mis en vente, en 1998, toujours par la voie de son catalogue commercial, et pour la deuxième année consécutive, des semences d'Oignons sous le nom de variété Cevenol;

Moyens des parties :

Le prévenu a fait plaider sa relaxe, subsidiairement l'irrecevabilité de la partie civile, et a déposé des conclusions.

La partie civile a demandé à la cour de constater que le délit est bien constitué et de lui allouer la somme de 20 000 euros, à titre de dommages-intérêts, outre celle de 1 524,20 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le Ministère public conclut à la confirmation de la décision déférée.

Motifs de la décision :

Sur l'action publique :

Attendu :

- que l'article 2 du décret du 18 mai 1981 énonce que ne peuvent être mises sur le marché, en France, des semences avec indication de variété si elles n'appartiennent pas à l'une des variétés inscrites sur une liste du catalogue officiel des plantes cultivées ou, à défaut, sur un registre annexe";

- que l'article 5 du même décret précise que " l'inscription sur le catalogue est subordonnée à la triple condition que la variété soit distincte, stable et suffisamment homogène " et que " l'inscription sur les registres annexes est faite sur proposition du CTPS pour les espèces qui ne répondent pas aux conditions d'inscription à ce catalogue ;

- que l'article 2 de l'arrêté du 1er septembre 1982 formule que " la dénomination des variétés de plantes, prévue par les textes pour leur inscription au catalogue des espèces et variétés de plantes cultivées doit permettre d'identifier lesdites variétés sans risque d'erreur ou de confusion, notamment en ce qui concerne l'origine, la provenance, les caractéristiques ou la valeur de la variété ";

- que l'article 13 du décret susvisé énonce que "l'emploi de toute indication ... susceptible de créer dans l'esprit de l'acheteur une confusion sur ... l'origine, les catégories, les qualités substantielles ou des différentes caractéristiques des produits définis dans le présent décret, est interdit, en toutes circonstances, sous quelque forme que ce soit ;

Attendu qu'il est constant qu'en 1997, la SA " X" a mis, sur le marché, des semences d'Oignons avec indication d'une variété, alors qu'elle n'était pas inscrite au catalogue ;que cela a été formellement confirmé par le CTPS, la non-inscription résultant notamment d'une homogénéité insuffisante au niveau de la forme du bulbe ;qu'en outre, le CTPS avait jugé que le nom de variété " Cevenol" ouvrait un conflit avec une demande d'AOC déposée par la SCA " l'Oignons doux des Cévennes" qui commercialise un Oignons issu du terroir cévenol;

Attendu que l'indication d'une variété, sur un catalogue commercial, signifie pour l'acheteur que ladite variété a été inscrite au catalogue officiel et qu'elle répond, par là même, à des conditions et des normes justifiant cette inscription;que là, réside la première tromperie ;qu'en outre, ce qui constitue une deuxième tromperie, l'indication "Cevenol" laisse croire à une origine exclusive du produit, à savoir les Cévennes, alors que la SA X multiplie ses semences sur plusieurs régions;

Attendu que, courant 1998, Henri G a persisté à mettre en vente ces semences sous l'appellation " Cevenol ", alors qu'aucune inscription au catalogue du ministère de l'Agriculture n'avait été réalisée ; que si certes, le CTPS avait proposé l'inscription sur cette liste, estimant que le niveau d'homogénéité était devenu satisfaisant, il n'en demeure pas moins :

- qu'il ne s'agissait que d'une proposition s'appuyant sur les seuls caractères techniques,

- que d'autres éléments, tels une dénomination ambiguë ou de nature à induire en erreur, sont tout aussi déterminants,

- qu'en tout état de cause, le risque de confusion sur l'origine ou la provenance des semences d'Oignons n'avait pas été levé, et qu'aucune inscription n'avait eu lieu;

Attendu que l'intention frauduleuse d'Henri G apparaît évidente du fait :

- qu'il s'agit d'un professionnel, la société " X " étant spécialisée, de longue date, dans la sélection, la production et la distribution des semences de légumes, et, partant, parfaitement informée de la réglementation en la matière,

- qu'il a fait l'objet, en 1997, d'un premier contrôle et qu'il a persévéré, en toute connaissance de cause, dans la voie de ses agissements délictueux ;

Attendu que l'élément matériel et l'élément intentionnel du délit sont donc constitués, les agissements d'Henri G laissant penser à ses acheteurs :

- qu'il s'agissait de semences inscrites au catalogue officiel des espèces et variétés et qu'elles possédaient donc les qualités substantielles, requises pour cette inscription,

- que lesdites semences provenaient, du fait de leur dénomination, exclusivement de la région des Cévennes, ce qui n'était pas le cas ;

Attendu que c'est donc, à juste titre, que les premiers juges ont déclaré Henri G, coupable des faits reprochés ; que cette décision sur la culpabilité sera donc confirmée.

Sur la peine :

Attendu que, selon ses propres déclarations, Henri G a distribué, sous les dénominations "Cevenol" ou "Cébenol" :

- 78 600 kg en 1997,

- 65 740 kg en 1998,

- 66 125 kg en 1999;

Attendu que, malgré des demandes réitérées de la DGCCRF, Henri G n'a pas produit la liste de ses acheteurs ni aucune facture de vente ; que, toutefois, à l'occasion d'une enquête distincte, la DGCCRF a recueilli une facture de vente, émanant de la SA Y, en date du 19 décembre 1998, pour un prix unitaire de 1 024 F le kilo;

Attendu que, dès lors, si l'on tient pour exactes les déclarations du prévenu en ce qui concerne les quantités vendues, c'est une somme d'environ 215 000 F que la SA Y a retiré de la vente des semences d'Oignons "Cevenol" ou "Cébenol" ; que cet élément justifie le montant de l'amende (8 000 euros), prononcé par les premiers juges, laquelle sera dès lors confirmée ;

Sur l'action civile :

Attendu que la société coopérative agricole " l'Oignons doux des Cévennes ", dont l'objet, aux termes de ses statuts, consiste dans " la collecte, le conditionnement, la vente et la promotion " de l'Oignons doux des Cévennes et de ses dérivés, a subi du fait des agissements d'Henri G, un préjudice certain;

Qu'Henri G, pour contester la recevabilité de la partie civile et la possibilité d'un préjudice pour elle, objecte en vain que, lui, est producteur de semences, alors que la coopérative agricole, qui commercialise des oignons, n'a pas d'intérêt légitime, en l'espèce à préserver; qu'il est clair, en effet, que la dénomination abusive et déloyale de la semence "Cevenol" donne le nom, tout aussi abusif et déloyal de "Cevenol", au produit qui est issu de cette semence ;

Attendu que c'est donc tout à fait légitimement que le tribunal a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société coopérative agricole " l'Oignons doux des Cévennes " et lui a alloué 5 000 euros de dommages-intérêts et 230 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Attendu qu'il serait, en outre, inéquitable de laisser à la charge de la partie civile les frais irrépétibles que l'appel du prévenu l'a contrainte à exposer pour assurer la défense de ses intérêts et il y a lieu de condamner Henri G à lui payer, à ce titre, la somme de 1 000 euros;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard du prévenu et de la partie civile, la coopérative agricole "Oignons doux des Cévennes ", en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, En la forme : Reçoit les appels formés par le prévenu et par le Ministère public, Au fond : Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 29 janvier 2002 par le Tribunal correctionnel de Tarascon, Y ajoutant, Condamne Henri G à payer à la coopérative agricole " Oignons doux des Cévennes ", la somme de 1 000 euros, en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Le tout conformément aux articles visés au jugement, au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.