Ministre de l’Économie, 17 avril 2003, n° ECOC0400147Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils des sociétés CIT et Alitalia
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 14 mars 2003, vous avez notifié le projet d'acquisition de 80 % des actions et autres valeurs mobilières de la société Italiatour SpA (ci-après " Italiatour ") par la société Compagnia Italiana Turismo SpA (ci-après " CIT ") auprès de la société Alitalia Linee Aeree Italiane SpA (ci-après " Alitalia "). Ce projet a été formalisé par un protocole d'accord signé entre les parties en date du 23 décembre 2002.
I. - Les parties et l'opération
Alitalia, société créée en 1947, est cotée en bourse en Italie. Elle assure une activité de transporteur aérien. Cette activité de transporteur aérien comprend le transport de personnes, de marchandises et de courrier à la fois par des vols réguliers et des vols charter. Alitalia a développé, directement ou par l'intermédiaire de filiales, des activités annexes au transport aérien telles que la maintenance, la révision et la réparation d'avions, les services au sol, les transmissions de données liées au transport aérien et au tourisme, l'élaboration de logiciels et de bases de données, les opérations de financement d'avions, les opérations d'assurances et l'industrie touristique. Cette dernière activité est exclusivement exercée par le biais de sa filiale Italiatour. Italiatour a été créée en 1986 par Alitalia dans le but de promouvoir et offrir à une clientèle non italienne des séjours et des services touristiques à destination de l'Italie en lien avec l'activité de transport aérien du groupe. Italiatour opère en France par l'intermédiaire d'une succursale établie depuis 1995 qui a développé de manière quasi exclusive une activité de tour-opérateur. Le capital d'Italiatour est actuellement détenu par Alitalia exclusivement. Italiatour a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires consolidé de 106 millions d'euros, dont 43 millions générés dans l'Union européenne. Le chiffre d'affaires réalisé par Italiatour auprès de clients situés en France s'élève, en 2001, à 5,3 millions d'euros.
En 2001, Alitalia a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 5 273 millions d'euros, dont 2 474 millions réalisés auprès de clients situés dans l'Union européenne. En France, le chiffre d'affaires réalisé par Alitalia sur la période considérée s'élève à 116 millions d'euros.
CIT est un holding de droit italien coté en bourse en Italie. Le groupe CIT a une activité dans le domaine de l'industrie touristique et plus particulièrement l'offre de produits touristiques concernant l'Italie. Il a développé, au travers de ses filiales, les pôles d'activité suivants : distribution de produits touristiques à travers un réseau d'agences de voyage, conception et vente de vacances à forfait au départ et à destination de l'Italie (tour-opérateur), gestion hôtelière en Italie et aménagement du territoire (développement et mise en valeur de différents sites touristiques en Italie). En France, le groupe est actif au travers de sa filiale CIT France SA dans la seule prestation de tour-opérateur. CIT a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires de 225 millions d'euros, dont 197 millions réalisés au niveau communautaire et 39,9 millions réalisés en France.
Aux termes du protocole d'accord précité, les parties ont arrêté les conditions d'acquisition par CIT de 80 % des actions et autres valeurs mobilières du capital de la société Italiatour et des sociétés filiales de cette société. Les 20 % restant seront conservés par la société Alitalia.
En outre, un pacte d'actionnaires relatif aux modalités de gestion d'Italiatour après la réalisation de l'opération a également été conclu entre Alitalia et CIT le 23 décembre 2002. Les principales dispositions de ce pacte permettent de conclure que Alitalia et CIT exerceront conjointement, suite à l'opération projetée, une influence déterminante sur Italiatour. L'opération, en ce qu'elle emporte le passage d'un contrôle exclusif d'Alitalia sur Italiatour à un contrôle conjoint d'Alitalia et CIT sur Italiatour, constitue une concentration économique au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
Conformément à la communication de la Commission du 2 mars 1998 sur la notion d'entreprises concernées au sens du règlement n° 4064-89 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration, notamment en son point 23, les entreprises concernées par la présente opération sont Alitalia et CIT. Au regard des chiffres d'affaires des entreprises concernées, il apparaît que les seuils communautaires ne sont pas franchis, mais qu'en revanche les seuils de chiffres d'affaires tels qu'énoncés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont quant à eux franchis. L'opération projetée entre donc dans le champ d'application des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce.
Par ailleurs, l'opération projetée a été autorisée par les autorités de concurrence allemande, belge et italienne, respectivement les 18, 21 et 3 mars 2003.
II. - Les marchés concernés
A. - Les marchés de produits
Au regard de la description des activités exercées par les parties à la concentration, l'opération concerne principalement l'activité de tour-opérateur, commune à CIT, d'une part, et Alitalia, via Italiatour, d'autre part, en France.
Dans la décision du 6 mai 1999 Kuoni/First Choice (1), la Commission européenne a mis en exergue la pertinence d'une segmentation entre les activités de prestation de services de voyages touristiques. Elle a notamment considéré que les voyages " clef en main ", ou voyages à forfait, principalement proposés par les tour-opérateurs, devaient être distingués des voyages dont les différents éléments sont articulés et achetés séparément par le consommateur lui-même. Dans l'affaire Airtours/First Choice (2), la Commission s'est de surcroît interrogée sur la pertinence d'une segmentation plus étroite de l'activité d'offre de voyages à forfait. Pour les besoins de l'affaire précitée, elle a circonscrit le périmètre de l'analyse concurrentielle à l'activité d'offre de voyages à forfait sur des destinations étrangères de courte distance. Pour autant, elle n'a pas tranché la question de savoir si une segmentation plus fine de l'activité est pertinente. Elle évoque notamment la possibilité d'opérer une distinction, s'agissant des voyages à forfait à l'étranger, entre le type de séjour (vacances à la montagne, vacances à la mer, court séjour dans les villes), ou en fonction de la destination (soit par pays, soit sur une base encore plus étroite).
Au cas d'espèce, la partie notifiante propose de retenir, pour les besoins de l'analyse concurrentielle, un marché pertinent de l'organisation de voyages à forfait à l'étranger. A l'appui de cette proposition, elle argue que compte tenu des très faibles positions occupées par Alitalia, via Italiatour, et CIT sur l'activité de tour-opérateur en France, il n'apparaît pas nécessaire d'envisager une sous-segmentation de l'activité.
Pour autant, force est de constater que les entreprises concernées par l'opération ne proposent, s'agissant de leur activité française de tour-opérateur, que des voyages à forfait à destination de l'Italie. Dans sa décision Airtours/First Choice précitée, la Commission souligne qu'il peut être envisagé de distinguer les offres de voyages à forfait en fonction des pays de destination. Une telle segmentation peut en effet trouver fondement dans la singularité du type de prestation attachée à certains pays de destination, voire à certaines destinations. Il peut être argué à l'appui d'une segmentation de l'offre de voyages à forfait selon le pays de destination que la disparité en terme de pouvoir d'achat des consommateurs français selon qu'ils optent pour tel ou tel pays de destination accentue l'imperfection de la substitution d'un pays à un autre. En l'occurrence, il peut être soutenu qu'un pays comme l'Italie, riche de son histoire, de sa culture et de ses " villes d'art ", présente pour les consommateurs français une identité difficilement substituable par une autre. Ainsi, à l'exception de quelques-unes de ses régions, l'Italie répond-elle à une demande différente de celle des voyages à forfait " mer/soleil " ou " neige ", et ce alors même que sa situation géographique l'autoriserait à présenter de tels forfaits. A titre illustratif, l'Espagne, considérée en tant que destination touristique, ne paraît que très imparfaitement substituable à l'Italie alors que les deux pays présentent un climat très proche et des centaines de kilomètres de côtes. Enfin peut-il être souligné que la destination touristique italienne est également la spécialité d'opérateurs concurrents des entreprises concernées par la présente opération, à l'exclusion de toute autre destination.
Mais par ailleurs, il est entendu, au sens de la décision Airtours/First Choice précitée, qu'il peut être opéré une distinction de l'activité d'offre de voyages à forfait à l'étranger selon le type de séjour. A cet égard, il convient de rappeler, ainsi qu'évoqué précédemment, que, d'une part, quelques régions italiennes, et notamment la Sardaigne, paraissent exclusivement tournées vers une offre de masse de voyages à forfait à destination de la clientèle " mer/soleil ", et que, d'autre part, les offres de court séjour à forfait se multiplient sur des villes destinations telles que Florence, Venise ou Rome. Il peut donc sembler légitime de s'interroger, au cas d'espèce, sur la pertinence d'une segmentation de l'activité d'offre de voyages à forfait selon le type de séjour.
Une telle segmentation aurait notamment pour incidence de " découper " l'Italie en autant de zones qu'il est de typologies de séjour propres à chacune. Ainsi, la Sardaigne, qui voit sur son territoire se concentrer une grande partie de l'offre de séjour en " hôtel-club " ou " village-résidence " italienne (3), devrait être distinguée des " grandes villes ". Mais s'il fallait distinguer l'offre de voyages à forfait à destination de la Sardaigne de celle à destination des grandes villes italiennes, il faudrait tenir compte, pour les besoins de l'analyse, d'une certaine substituabilité entre la Sardaigne et d'autres îles méditerranéennes, voire entre la Sardaigne et l'ensemble des destinations proches répondant à la demande " mer/soleil ". S'agissant des offres de voyages à forfait à destination des " grandes " villes italiennes, telles que Florence, Rome ou Venise, il peut être entendu que ces dernières, villes d'art toutes trois, se distinguent par leur image. Pour autant, l'offre de voyages à forfait sur chacune d'elles présente un caractère homogène et est organisée par les mêmes opérateurs, opérateurs proposant d'ailleurs l'ensemble des destinations italiennes. De surcroît, il pourrait être ajouté que, loin de constituer chacune un marché distinct, c'est a contrario la fusion de leurs caractères propres qui confère son identité à la péninsule italienne. Si toutefois une telle segmentation devait être avancée, il conviendrait alors de s'interroger sur la substituabilité des " villes d'art ", considérées en tant que destinations touristiques proches, entre elles.
En tout état de cause, il n'apparaît pas nécessaire, au cas d'espèce, de définir plus précisément l'activité d'offre de voyages à forfait à destination de l'Italie dans la mesure où, quelles que soient la ou les délimitations retenues, l'analyse concurrentielle demeurerait inchangée. Pour les besoins de la présente opération, l'analyse portera sur l'activité de tour-opérateur offrant des voyages à forfait à destination de l'Italie.
B. - Le marché géographique
La Commission européenne a estimé dans les décisions précitées que la délimitation géographique pertinente s'agissant de l'activité de tour-opérateur est de dimension nationale. La Commission a notamment retenu dans le cadre de son analyse qu'il est très difficile pour un résident d'un pays A d'acheter un produit à destination d'un pays B au départ d'un pays C. La dimension nationale de l'activité de tour-opérateur est de plus fondée sur l'existence de barrières linguistiques empêchant la compréhension de l'offre par les consommateurs étrangers.
III. - L'analyse concurrentielle
Nombre de tour-opérateurs proposent des voyages à forfait vers l'Italie, selon des formules identiques à celles des entreprises concernées par la présente opération. Selon des sources citées par la partie notifiante (4), le nombre de voyageurs transportés dans le cadre de voyages à forfait en partance de France et à destination de l'Italie s'est élevé, pour l'année 2001, à environ 480 000. Parmi eux, [...], soit [10-20] %, l'ont été par le biais de CIT, et [...], soit [0-10] %, par le biais d'Italiatour. Le nouvel ensemble représenterait donc en 2001 [10-20] % des ventes en volume de séjours à forfait en partance de France et à destination de l'Italie. Ce nouvel ensemble demeure donc confronté à la concurrence d'opérateurs (5) tels que le Club Méditerranée ([10-20] % des ventes en volume), Nouvelles Frontières ([10-20] %) et Donatello ([10-20] %). Par ailleurs, d'autres opérateurs parmi les plus importants en France toutes destinations confondues, notamment Fram, Jet Tours et Look Voyages, ont une représentativité significative sur le volume global des ventes de voyages à forfait en partance de France et à destination de l'Italie.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient de conclure que l'opération envisagée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du "secret des affaires", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
(1) Décision du 6 mai 1999 IV-M 1502 Kuoni/First Choice.
(2) Décision du 3 juin 1999 IV-M 1524 Airtours/First Choice. L'analyse de la commission en matière de définition des marchés n'a pas été remise en cause par l'arrêt du TPICE du 6 juin 2002, T-342-99, Airtours/Commission.
(3) De telles offres sont également proposées dans les régions " continentales " des Pouilles et de la Basilicate.
(4) Le magazine L'Echo touristique n° 2604 du 20 septembre 2002, le Guide professionnel des voyages et du tourisme, Icotour, édition 2002/2003 ; différents sites internets des tour-opérateurs.
(5) Dont certains (Club Méditerranée et Nouvelles Frontières) sont intégrés.