Ministre de l’Économie, 7 novembre 2003, n° ECOC0400149Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Directeur général de la Bred Banque populaire
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Monsieur le directeur général,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 6 octobre 2003, vous avez notifié la prise du contrôle exclusif par la société Bred Banque populaire, auprès de l'Agence française de développement, (1) de la Société de crédit pour le développement de la Martinique (ci-après " SODEMA "), (2) de la Société de crédit pour le développement de la Guadeloupe (ci-après " SODEGA "), (3) de la Société financière pour le développement économique de la Guyane (ci-après " SOFIDEG "), et (4) de la Société financière pour le développement de la Réunion (ci-après " SOFIDER "). Cette opération a été formalisée par un protocole d'accord général signé le 19 septembre 2003.
I. - Les entreprises concernées et l'opération
La société Bred Banque populaire est une société anonyme coopérative de banque populaire ayant le statut d'établissement de crédit au regard des articles L. 511-1 et suivants du Code monétaire et financier (ci-après " CMF "). Implantée en Ile-de-France, en Normandie et en outre-mer, directement ou par le biais de filiales, Bred Banque populaire appartient au groupe Banques populaires (ci-après " BP "), dont les activités comprennent essentiellement la gestion et la réalisation de toutes opérations bancaires ainsi que l'ingénierie financière, le capital-investissement et l'assurance crédit. BP a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires total consolidé de plus de 13 milliards d'euros (1) (dont plus de 80 % en France).
SODEMA, SODEGA, SOFIDER et SOFIDEG sont toutes les quatre des sociétés anonymes d'économie mixte ayant le statut d'établissement de crédit au regard des articles L. 511-1 et suivants du CMF. Chacune d'entre elles est spécialisée dans le financement des investissements des entreprises et des particuliers du département d'outre-mer (ci-après " DOM ") où elle est implantée. L'ensemble de ces quatre entités a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires total d'un peu plus de 108 millions d'euros, exclusivement en France, dans les DOM de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion.
II. - Contrôlabilité de l'opération
Bred Banque populaire exercera, à l'issue de l'opération, un contrôle exclusif sur les quatre établissements de crédit que sont SODEMA, SODEGA, SOFIDER et SOFIDEG. Cette opération, en ce qu'elle emporte transfert de contrôle de ces quatre entités au profit de Bred Banque populaire, constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
Le protocole d'accord général prévoit également que Bred Banque populaire puisse dans un premier temps acquérir 35 % du capital de la Banque calédonienne d'investissement (ci-après " BCI "), entité qui exerce son activité en Nouvelle-Calédonie. Même si, à la suite d'une telle acquisition, la question de l'exercice d'une influence déterminante de Bred Banque populaire sur la BCI peut être posée à la lecture du protocole d'accord précité, il n'est pas besoin de trancher une telle question dans la mesure où le livre IV du Code de commerce ne fait pas partie des dispositions applicables en Nouvelle-Calédonie au sens de l'article L. 936-1 du même Code.
Compte tenu des chiffres d'affaires réalisés par les entreprises concernées, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique.
III. - Définition des marchés concernés
1. Les marchés de services bancaires
La pratique décisionnelle de la Commission européenne (ci-après " la Commission ") distingue, au sein du secteur bancaire, trois grandes catégories de services (2) : (i) les services bancaires de détail à l'attention des particuliers, (ii) les services bancaires aux entreprises et (iii) les opérations de banque d'investissement. La Commission considère en outre que ces trois catégories de services peuvent être, à leur tour, subdivisées en de nombreuses différentes prestations spécifiques.
Ainsi les services de la banque de détail comprennent " la banque universelle, qui regroupe les activités liées aux systèmes de paiement (comptes à vue) et les services connexes, les comptes courants, les comptes de dépôt, l'épargne (comptes à vue, bons de caisse, livrets et comptes à terme), l'épargne hors bilan (SICAV, fonds communs de placement et fonds de pension), les crédits aux particuliers (les prêts à la consommation et autres financements, les prêts hypothécaires) et le "private banking" " (3).
Les services bancaires aux entreprises incluent " divers produits tels que les crédits d'investissements, les produits à court terme, les dépôts, le leasing, les émissions de dettes " (4).
Enfin, les opérations de banque d'investissement comprennent " entre autres le conseil en fusions-acquisitions, les émissions de titres de sociétés, les émissions d'emprunts obligataires, les activités sur les marchés financiers (en actions, obligations, produits dérivés ou devises), les activités liées à la gestion d'actifs " (5).
Sans avoir tranché systématiquement la question de savoir si chaque prestation ainsi identifiée constituait un marché, la Commission a néanmoins été amenée à définir certains marchés appartenant aux grandes catégories de services bancaires évoquées.
Au cas d'espèce, il peut être noté que BP et les quatre sociétés objet de la présente opération ne sont présents concomitamment que dans deux grandes catégories de services bancaires : les services bancaires de détail à l'attention des particuliers, d'une part, et les services bancaires aux entreprises, d'autre part.
En matière de services bancaires de détail, l'opération conduit à un chevauchement d'activité significatif en matière de crédit immobilier (6). La Commission a laissé ouverte la question quant à l'existence d'un marché du crédit immobilier destiné aux particuliers (7).
Au cas présent, la question de la définition exacte des marchés concernés en matière de services bancaires de détail peut être également laissée ouverte car, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées. Toutefois, pour les besoins de la présente décision, il sera retenu, en matière de services bancaires de détail, un marché du crédit immobilier destiné aux particuliers.
En matière de services bancaires aux entreprises, l'opération conduit à un chevauchement d'activité pour ce qui concerne le crédit à l'investissement, d'une part, et le crédit immobilier, d'autre part.
S'agissant de ces deux catégories de crédit destinées aux entreprises, la question de la définition exacte des marchés (8) peut être également laissée ouverte car, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées. Toutefois, pour les besoins de la présente décision, il sera retenu, en matière de services bancaires aux entreprises, un marché du crédit à l'investissement, d'une part, et un marché du crédit immobilier d'autre part.
2. Marchés géographiques
La Commission considère que les services de banque au détail sont encore à ce jour, et malgré une certaine harmonisation communautaire, de dimension nationale (9). Le passage à la monnaie unique et l'émergence de la banque en ligne n'ont pas encore modifié de manière suffisamment substantielle le comportement des consommateurs pour pouvoir considérer que le marché des services de banque au détail a atteint une dimension supranationale.
De même, s'agissant des services bancaires aux entreprises, la Commission considère que certains services comportent toujours une dimension géographique nationale, dans la mesure où les prestations sont souvent offertes au niveau des agences nationales à des clients locaux. Le marché des services bancaires aux entreprises est généralement considéré comme étant plutôt de dimension nationale pour les petites et moyennes entreprises, et mondiale pour les grandes entreprises.
Le marché géographique pertinent est le " territoire sur lequel sont offerts et demandés des biens et des services, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines, parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable " (10). L'important éloignement géographique des DOM par rapport à la métropole, l'insularité de trois d'entre eux concernés par la présente opération (Martinique, Guadeloupe, Réunion) et l'existence d'un coût du crédit significativement plus élevé dans les DOM qu'en métropole (11) sont des éléments permettant de considérer que chaque DOM constitue un marché géographique pertinent, et ce pour chaque marché de services bancaires concerné par la présente opération.
IV. - Analyse concurrentielle
Il convient de noter que la distribution de crédits dans les DOM se fait, d'une part, via des établissements implantés localement et, d'autre part, via des établissements non implantés localement. BP, tout en étant implanté localement, distribue également des crédits via des établissements non implantés localement, au travers de deux filiales, à savoir la Casden et, dans une moindre mesure, Natexis Banques populaires. L'IEDOM (Institut d'émission des départements d'outre-mer) publie des statistiques relatives aux encours de crédits distribués par ces deux catégories d'établissements. Toutefois, s'agissant des établissements non implantés localement, l'IEDOM ne publie pas de statistiques exhaustives. En effet, d'une part, l'IEDOM ne publie pas de statistiques croisant les agents économiques destinataires des crédits (particuliers, entreprises) avec la catégorie de crédit distribuée (crédit de trésorerie, crédit immobilier) et, d'autre part, les statistiques publiées ne recensent pas la totalité des crédits distribués par les établissements non implantés localement. Il résulte de ce dernier point que les parts de marché publiées par l'IEDOM et reproduites dans les tableaux ci-après devront être considérées comme des estimations majorant les parts de marchés réelles des opérateurs.
On peut par ailleurs s'interroger sur l'existence d'un effet de réseau créé ou renforcé par l'opération (12). Toutefois, au cas particulier une telle analyse n'est pas nécessaire, dans la mesure où chaque société acquise, d'une part, ne possède qu'un nombre très réduit d'agences (13), et, d'autre part, ne fournit pas l'ensemble des prestations habituellement offertes par les agences bancaires (14).
Compte tenu de ces éléments, les positions de BP, de chaque société de crédit objet de l'acquisition sont les suivantes dans chacun des quatre DOM concernés :
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Il ressort des tableaux ci-dessus que l'opération renforcera de manière significative BP sur les trois marchés concernés par l'opération. Toutefois, ce renforcement doit être sensiblement relativisé pour les raisons suivantes.
En premier lieu, la nouvelle entité sera face à des concurrents significatifs implantés localement (notamment : groupes Crédit Agricole, Caisses d'Epargne, BNP Paribas, Crédit Mutuel, La Poste) avec pour certains d'entre eux des parts de marché comparables voire supérieures à celles de la nouvelle entité.
En deuxième lieu, ainsi que cela a déjà été noté supra, l'opération ne se traduit pas par un effet réseau puisque chaque société de crédit acquise ne dispose que d'un nombre réduit d'établissements dans chaque DOM.
En troisième lieu, lesdites sociétés ne sont pas autorisées à offrir certains services bancaires, tels que la réception des fonds du public et la mise à disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement, ce qui limite sensiblement la possibilité pour la nouvelle entité de bénéficier d'un éventuel effet de gamme qui lui conférerait un avantage concurrentiel.
En quatrième lieu, il convient de noter que des montants importants de crédits émanent d'établissements non implantés localement. Or, d'une part, la part de BP dans ces encours de crédit est relativement faible alors que ces derniers sont souvent nettement supérieurs à ceux émanant des établissements locaux et, d'autre part, les encours distribués à ce titre par BP proviennent pour l'essentiel de la Casden, qui ne s'adresse qu'à une clientèle limitée, à savoir les personnels de l'éducation nationale, de la recherche et de la culture.
Eu égard à ces éléments, il peut s'en conclure que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante ou par le jeu d'effets unilatéraux.
En conséquence, je vous informe que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le directeur général, l'expression de ma considération distinguée.
Nota. - Des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
(1) Chiffre d'affaires calculé conformément à l'article 5 du règlement du Conseil n° 4064-89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, auquel renvoie l'article 2 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce.
(2) Voir, par exemple, la décision n° IV-M.1096 du 6 février 1998 Société Générale/Hambros Bank.
(3) Décision n° IV-M.1096, précitée.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Les quatre sociétés objet de l'acquisition distribuent du crédit à la consommation mais pour des montants très faibles (moins de 1 % des encours de crédit à la consommation dans chaque DOM).
(7) Voir la décision n° IV-M.1279 du 3 septembre 1998, CDE/La Hénin.
(8) Voir les décisions de la Commission n° IV-M.1279, précitée, et n° IV-M.2578 du 12 novembre 2001, Banco Santander/Central Hispanico/AKB.
(9) Voir notamment l'affaire n° IV-M.1029-Merita/Nordbanken, 10 décembre 1997.
(10) Décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
(11) Voir par exemple le rapport annuel 2002 de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer ainsi que l'étude de ce dernier intitulée : " Les conditions d'exploitation de l'activité bancaire. Le coût du crédit aux entreprises dans les DOM en 2002 " (septembre 2003). Selon cette étude, en janvier 2003, les taux des concours à moyen et long terme destinés aux entreprises étaient à la Réunion, en Guadeloupe, à la Martinique et en Guyane respectivement supérieurs de 18 %, 23 %, 25 % et 42 % à ceux constatés en métropole.
(12) Voir la décision n° IV-M.1172-Fortis/Générale de banque du 24 juin 1998, dans laquelle la Commission prend en compte l'effet de réseau de l'opération dans toutes les provinces et régions de Belgique.
(13) 1 agence SODEMA en Martinique, 1 agence SOFIDEG en Guyane, 1 agence SODEGA en Guadeloupe, 2 agences SOFIDER à la Réunion.
(14) La SODEMA, la SODEGA, la SOFIDEG et la SOFIDER effectuent uniquement des opérations de crédits et ne sont pas agréées par le CECEI pour l'exercice des autres opérations de banque visées par l'article L. 311-1 du CMF, c'est-à-dire la réception des fonds du public et la mise à disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement.
(15) Banque française commerciale océan Indien, dont le capital est détenu à parité par la Société générale et par Mauritius Commercial Bank.