CA Lyon, 7e ch. corr. A, 26 mars 2003, n° 204
LYON
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fournier
Substitut général :
M. Dages-Desgranges
Conseillers :
M. Blaes, Mme Saleix
Avocat :
Me Arduin
Par jugement en date du 21 septembre 2001 le Tribunal de grande instance de Lyon a renvoyé Frédéric B des fins de la poursuite du chef d'avoir, à Chaponnay (69) et sur le territoire national, courant 1998 et 1999 :
- trompé ou tenté de tromper, par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, les sociétés Auchan, DDF Ruche Picarde, SA Atac, sociéré Distribution du Centre, SA Cora, sur les qualités substantielles et la composition du "Pâté en croûte traiteur foie canard truffé 1 %" en ce que ce produit contenait des brisures de truffe alors que par décret du 9 août 1993, l'utilisation des brisures ou pelures de truffe dans les préparations à base de foie gras n'est pas autorisée,
(articles L. 213-1. L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation);
- effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, sur les qualités substantielles et la composition du "Pâté en croûte traiteur foie canard truffé 1 %" en ce que ce produit contenait des brisures de truffe alors que par décret du 9 août 1993, l'utilisation des brisures ou pelures de truffe dans les préparations à base de foie gras n'est pas autorisée,
(articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1, L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation);
- trompé ou tenté de tromper, par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, les sociétés Auchan, DDF Ruche Picarde, SA Atac, sociéré Distribution du Centre, SA Cora, Leclerc, Sodiam, Leclerc Vitry, Leclerc Usseldis, SNC SCA Production du Traiteur, sur les qualités substantielles et la composition du "Pâté en croûte traiteur foie canard truffé 1 %", du "véritable saucisson brioché truffé lyonnais" et du "mini-cocktail truffé 1%" en utilisant la mention "truffé", ce qui, en vertu du Code des usages de la charcuterie, implique l'utilisation exclusive de truffes alors que ces trois produits contenaient également des champignons noirs"
(articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation)
- effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, sur les qualités substantielles et la composition du "Pâté en croûte traiteur foie canard truffé 1 %" du "véritable saucisson brioché truffé lyonnais" et du "mini-cocktail truffé 1%" en utilisant la mention "truffé", ce qui, en vertu du Code des usages de la charcuterie, implique l'utilisation exclusive de truffes alors que ces trois produits contenaient également des champignons noirs"
(articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1, L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation)
Et a mis hors de cause la société X.
La cause appelée à l'audience publique du 26 février 2003,
Attendu qu'il résulte des éléments du dossier et des débats les faits suivants :
Des analyses effectuées sur un " pâté croûte de qualité supérieure truffé 1,5 % " prélevé le 16 décembre 1998 au magasin Géant Casino de Narbonne et sur un "pâté croûte truffé 1 % au foie de canard NT" prélevé le 31 mars 1999 au magasin Intermarché de Pontcharra-sur-Turdine avaient révélé la présence majoritaire de champignons noirs (80%) par rapport aux truffes (20%) ;
Ces deux pâtés provenaient de la société "X" dont le siège social est à Chaponnay (Rhône) et qui a pour activité la fabrication et le commerce de produits de charcuterie.
En octobre 1999, les agents de la DDCCRF du Rhône ont procédé à trois contrôles dans les locaux de cette société. Le directeur de cette administration a exposé que l'enquête à laquelle il avait été procédé avait révélé que trois produits, le pâté en croûte truffé 1 % au foie de canard, le mini-coktail truffé 1,5 % et le véritable saucisson brioché truffé lyonnais contenaient à la fois des truffes et des champignons noirs alors que le Code des usages de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes impose l'utilisation exclusive de truffes pour avoir une telle dénomination de vente qui fait référence uniquement à la présence de truffes ; il soulignait que la présence de champignons noirs ne figurait qu'en petits caractères dans la liste des ingrédients.
Il a encore été relevé que la dénomination de vente du "véritable saucisson brioché truffé lyonnais" ne faisait pas état du pourcentage de truffes mises en œuvre, ce pourcentage de 1,5 % ne figurant qu'en dessous de la dénomination et en caractères quatre fois plus petits, alors que le Code des usages précité impose un minimum de 3 % de truffes à la mise en œuvre, sauf si la dénomination de vente est immédiatement suivie du pourcentage réel de truffes ajoutées.
Enfin il a été constaté que le "pâté en croûte traiteur au foie de canard truffé 1 %" ne renfermait que des brisures de truffes alors que le décret n° 93-999 du 9 août 1993 relatif aux préparations à base de foie gras n'autorise pas l'utilisation de brisures ou de pelures de truffes.
Attendu que sur les poursuites exercées à raison de ces faits à l'encontre de Frédéric B, directeur général de la société X, le Tribunal de grande instance de Lyon, par jugement en date du 21 septembre 2001, a renvoyé ce prévenu des fins de la poursuite et a mis hors de cause cette société citée en qualité de civilement responsable ;
Attendu que pour renvoyer le prévenu des fins de la poursuite, le tribunal énonce :
- que l'étiquetage des produits incriminés indiquait exactement le pourcentage des truffes mises en œuvre ;
- que la prohibition instituée par le décret du 9 août 1993 de l'utilisation des brisures de truffes dans les foies gras et les produits à base de foie gras ne s'applique pas aux produits de la société X, sur lesquels la mention " foie gras " ou "à base de foie gras" ne figure pas ;
- qu'enfin "aucune sorte de publicité" n'a été réalisée pour les produits incriminés ;
Attendu qu'il a été régulièrement interjeté appel de ce jugement par le Procureur de la République;
Attendu qu'à l'audience devant la cour le représentant du Ministère public n'a pas soutenu l'accusation en ce qui concerne le délit de tromperie, considérant que la société X avait contracté avec des professionnels ; qu'il a estimé en revanche, constituées les infractions de publicité de nature à induire en erreur ;
Attendu que les délits de tromperie et de publicité de nature à induire en erreur sont reprochés à Frédéric B à raison d'une part de la présence dans un produit rendu sous la dénomination "Pâté en croûte traiteur au foie de canard truffé 1 %" de brisures de truffes et d'autre part de la présence, dans ledit pâté ainsi que dans deux autres produits, "le véritable saucisson brioché truffé lyonnais" et le "mini-coktail truffé 1,5 %", de champignons noirs ;
Sur l'utilisation des brisures de truffes:
Attendu que l'article 9 du décret n° 93-999 du 9 août 1993 relatif aux préparations à base de foie gras prévoit que la dénomination de vente ne peut faire référence à la présence de truffes que s'il s'agit de Tuber Melanosporum et que si le taux de truffes est au minimum de 3 %, que pour les produits de charcuterie, le taux de truffes garanti peut être compris entre 1 % et 3 %, la dénomination de vente étant alors complétée par la mention "truffé à X %", et enfin que l'utilisation des brisures ou de pelures de truffe n'est pas autorisée;
Attendu que l'article 13 du même décret dispose que la dénomination de vente des produits de charcuterie peut faire référence au foie gras si la proportion de foie gras mis en œuvre est d'au moins 20 % et que, dans ce cas, la dénomination de vente est complétée par les termes "au foie d'oie" ou "au foie de canard" ;
Attendu que la fiche technique du pâté en croûte en cause mentionne la présence dans ce produit de 20 % de foie gras de canard, de sorte que les termes "foie de canard" peuvent figurer dans sa dénomination;
Attendu que la dénomination complète du produit telle qu'elle figure sur les étiquettes est: "pâté croûte truffe (1 %) au foie de canard - NT (20 % de foie gras de canard dans la farce) ; que ces étiquettes indiquent parmi les ingrédients la présence de "truffes (1 %)" ; que les agents de la DDCCRF ont constaté que cette farce au foie de canard renfermait en réalité des brisures de truffes ;
Attendu que la société "X", en indiquant sur les étiquettes de son pâté en croûte le taux de truffes garanti, comme l'exige l'alinéa 2 de l'article 9 du décret du 9 août 1993 ne se conforme qu'en apparence aux prescriptions de ce texte puisqu'elle fait entrer dans la composition de ce produit des brisures de truffes dont l'utilisation est prohibée par le dernier alinéa dudit article ;que c'est à tort qu'elle ne s'estime pas tenue par cette prohibition dès lors que la "dénomination de vente" du pâté en cause ne comporterait pas les termes de "foie gras" ;qu'en effet, il faut entendre par " dénomination de vente " l'intitulé complet de la désignation du produit qui en l'occurrence précise la présence de "20 % de foie gras de canard dans la farce" ;qu'au surplus, l'indication "au foie de canard" implique la mise en œuvre d'une proportion d'au moins 20 % de foie gras, la référence expresse au foie gras dans la dénomination n'étant qu'une faculté ;que ne pas user de cette faculté ne saurait dispenser la société X de l'observation des prescriptions de l'article 9 précité dans leur intégralité ;qu'en garantissant à ses co-contractants un pâté dont la farce comportant 20 % de foie gras de canard est "truffée à 1 %", cette société leur fait croire qu'elle se conforme aux entières prescriptions de ce texte, alors qu'en réalité elle utilise des brisures de truffes qui ne sont pas autorisées, ce qui caractérise le délit de tromperie sur les qualités substantielles du produit ;
Attendu qu'il résulte du procès-verbal établi le 31 mars 1999 que, dans les locaux de la SA Sabe Intermarché de Pontcharra-sur-Turdine, étaient mises en vente, deux pièces de ce pâté en croûte avec une étiquette ainsi libellée : Pâté croûte truffé 1 % au foie de canard NT (20 % de foie gras de canard dans la farce) ; que l'indication "truffé 1 %" qui est portée en violation des dispositions du décret du 9 août 1993, ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, est de nature à induire en erreur sur la composition et les qualités substantielles du produit ainsi mis en vente ;que le délit de publicité trompeuse est en conséquence constitué ;
Sur l'utilisation de champignons noirs:
Attendu que des constatations opérées par les fonctionnaires de la DDCCRF il résulte que trois produits de la société X, le mini-coktail truffé 1,5 %, le véritable saucisson brioché truffé lyonnais (1,5 % de truffes) et le pâté en croûte traiteur au foie de canard truffé 1 % comportaient des champignons noirs dans la même proportion que des brisures de truffes ;
Attendu que F. B a déclaré "Je considère que le Code des usages de la charcuterie ne m'interdit pas de mettre des champignons noirs dans mes produits dans la mesure où j'en fait référence dans la composition des produits";
Mais attendu que le Code des usages de la charcuterie prévoit que "la mention "truffe" ou "aux truffes" impose... l'utilisation exclusive de truffes du genre Tuber Mecanosporum variété VITT et Moschatum et Tuber Brumale à l'exclusion des variétés cibarium, aestivum, magnatum et uncinatum" ;
Attendu que cette disposition,qui réserve la mention "truffé" à l'emploi de deux genres de truffes bien déterminés et exclut des truffes de moindre qualité, interdit l'ajout de champignons noirs dans un produit vendu avec cette mention ;qu'admettre le contraire reviendrait à vider de tout sens la prescription précitée ; que l'adjonction de champignons noirs, dont l'aspect et la couleur évoquent la truffe mais dont les qualités gustatives et le prix sont très différents, a pour effet de tromper l'acheteur sur la nature "truffé" au sens de la réglementation des produits de vente ;
Que la double indication de l'adjonction de champignons noirs dans les ingrédients entrant dans la fabrication de trois produits incriminés et du pourcentage de "truffes", en réalité de brisures de truffes, que ceux-ci contenaient réellement, n'ôte pas aux faits leur caractère délictueux de tromperie sur les qualités substantielles desdits produits, dès lors que les exigences réglementaires attachées à la mention "truffé" n'étaient pas respectées ;
Attendu que constitue une publicité trompeuse de nature à induire en erreur, sur la composition et les qualités substantielles, les étiquettes de ces produits proposés à la vente, qui comportaient la mention "truffé" alors que lesdits produits renfermaient également des champignons noirs, ce que n'autorise pas une telle mention ;que l'acheteur qui ne prenait pas soin de lire la liste des ingrédients, imprimée en caractères minuscules difficilement perceptibles par le consommateur moyen, était d'autant plus induit en erreur que figurait sur les étiquettes du saucisson brioché une photographie représentant deux tranches de ce produit et faisant apparaître de nombreuses brisures de couleur noire qui ne pouvait qu'évoquer la présence de truffes eu égard à la mention figurant dans la dénomination;
Attendu qu'il convient d'ajouter que le Code des usages de la charcuterie prévoit que la mention "truffé" impose un minimum de 3 % de truffes à la mise en œuvre sauf si la mention est immédiatement suivie du pourcentage de truffes ajoutées ; qu'en ce qui concerne le "saucisson brioché truffé lyonnais" qui contenait 1,5 % de truffes, le pourcentage de truffes, inférieur à 3 %, était indiqué de manière décalée par rapport à la mention "truffé" et en caractères peu apparents ;
Attendu que Frédéric B, administrateur de la société anonyme X, a reconnu qu'à la date des faits son mandat de directeur général de cette société lui "conférait clairement la délégation de pouvoir et la responsabilité de la gestion de l'entreprise, ce qu'à confirmé le conseil d'administration dans sa délibération du 5 novembre 1999" ; que par cette délibération, F. B s'est vu déléguer tous pouvoirs aux fins de veiller au respect par la société et son personnel de l'ensemble des dispositions légales et réglementaires en matière notamment de publicité et de distribution ;
Attendu que l'élément intentionnel des délits reprochés à Frédéric B est caractérisé dès lors que celui-ci fait lui-même référence au Code des usages de la profession qui constitue la base des règles observées par les professionnels de la charcuterie ;
Attendu qu'il convient en conséquence de réformer le jugement et de déclarer Frédéric B coupable des infractions qui lui sont reprochées, de publicité trompeuse, délit prévu et réprimé par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 121-4 et L. 213-1 du Code de la consommation, et de tromperie, délit prévu par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du même Code;
Attendu qu'eu égard aux circonstances des infractions et à la personnalité de leur auteur, il y a lieu de condamner celui-ci à une amende de 3 000 euros et d'ordonner la publication du dispositif du présent arrêt ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, faisant application des articles sus-visés et de l'article 132-3 du Code pénal, Réformant le jugement du Tribunal de grande instance de Lyon en date du 21 septembre 2001, déclare Frédéric B, directeur général de la société X, coupable des délits de tromperie et de publicité de nature à induire en erreur, Le condamne à une amende de 3 000 euros, Ordonne la publication aux frais du condamné du dispositif du présent arrêt dans le journal "Le Progrès" de Lyon, Déclare la société X civilement responsable, Dit le condamné tenu au paiement du droit fixe de procédure. Prononce à l'encontre du condamné la contrainte par corps qui sera exécutée conformément aux dispositions des articles 749, 750, 752 à 762 du Code de procédure pénale.