CA Bordeaux, ch. corr., 8 juillet 1986, n° 167-86
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
UFC de la Gironde, Delarabble, Lagarde, Mallet, Gendre, Lalarderie, Colin (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Rozier, de Bresis, Durand, Munsch.
Faits : Par actes en date des 31 janvier, 7 et 11 février 1986 reçus au secrétariat greffe du Tribunal de grande instance de Bordeaux, le Ministère public, les parties civiles et la prévenue ont relevé appel d'un jugement contradictoirement rendu par ledit tribunal le 29 janvier 1986 contre B Madeleine épouse H, poursuivie comme prévenue d'avoir à Bordeaux (Gironde) entre 1980 et 1985, en tout cas depuis temps non prescrit, effectué une publicité mensongère comportant des allégations, indications fausses ou de nature à induire en erreur en ce qui concerne notamment l'existence, la nature, les procédés de la prestation de service et la portée des engagements pris par l'annonceur et ce, sous le couvert du sigle "X"
- d'avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, trompé ou tenté de tromper les contractants, notamment sur la nature, l'espèce, l'origine, le résultat à attendre de la prestation de service offerte sous le sigle "X";
Faits prévus et réprimés par l'article 44 de la loi du 27 décembre 1983, 10, 711, 5 et 16 de la loi du 1er août 1905;
Le tribunal a relaxé la dame H du chef de délit de fraude ; l'a déclarée coupable du délit de publicité mensongère ; en répression l'a condamnée à vingt-cinq mille francs d'amende, aux dépens et a fixé au minimum la durée de la contrainte par corps;
A prononcé le relèvement de la mesure de publication;
Sur l'action civile, a débouté les parties civiles de leurs demandes;
Le Ministère public requiert condamnation aussi bien pour publicité mensongère que pour fraude ; il suggère comme peine l'insertion dans le bulletin Y de notes rectificatives signalant qu'en 1980-1981 et 1982, la firme n'avait pas rempli exactement son contrat vis-à-vis de ses clients;
Les parties civiles demandent la réformation du jugement qui les a déboutées, elles réclament en réparation de la publicité mensongère dont elles s'estiment victime l'UFC deux mille francs de dommages-intérêts et deux mille francs sur la base de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Delarable six mille cinq cents francs et mille francs, Clerc six mille cinq cents francs et mille francs, la dame Lagarde huit mille francs et mille francs, Mallet quatre mille cinq cents francs et mille francs, Gendre huit mille cinq cents francs et mille francs et Lalarderie six mille cinq cents francs et mille francs;
Les époux Colin réclament, pour leur part, en réparation de la publicité mensongère et de la fraude dont ils ont été victimes cinq mille neuf cent trente francs de dommages-intérêts et deux mille cinq cents francs sur la base de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
La dame B épouse H estime que la preuve n'a pas été rapportée des infractions qui lui sont reprochées ; elle sollicite sa relaxe et, subsidiairement, elle réclame une expertise pour voir dire si elle a ou non violé les usages ou pratiques habituellement suivis dans les entreprises identiques;
La cour reprend la relation des faits donnée par le premier juge et s'attachera à examiner si ces faits sont constitutifs des délits de publicité mensongère et de fraude.
Sur la publicité mensongère
Le travail de la dame B dans le cadre de son entreprise dénommée Y était de se rapprocher des personnes ayant à vendre un bien immobilier ou un fonds de commerce, de diffuser cette offre de vente selon des modalités géographiques variables et de mettre ensuite en relation ses clients, les vendeurs, avec d'éventuels acheteurs pour cela, il fallait d'abord attirer les vendeurs, ce qui était fait à l'aide d'annonces parues dans les journaux régionaux ; ces annonces étaient rédigées dans les termes suivants présentés à titre d'exemple "clients sérieux recherchent propriété, résidence ou belle villa", "urgent acheteurs sérieux France et étranger recherchent propriétés, belles villas, affaires commerciales saines", "vendez à nos clients France et étranger vos propriétés, résidences villas", "urgent acheteurs France et MC rech. propriétés, résid. villas", "urgent pour clientèle sérieuse, recherche affaires commerciales et industrielles", "clientèle France et Marché commun recherche, toutes régions propriétés, résid. villas" "Urgent 1. clients sérieux, recherche affaires commerciales et industrielles saines", "urgent, clientèle France et Marché commun recherche propriétés, aff. Cciales, Résid. et belles villas. Fichier national immobilier" ; suivaient toujours le sigle X et le numéro de téléphone de la firme pour permettre aux vendeurs de prendre contact; il ressort de ces publicités et des nombreuses autres du même genre que la dame B se présentait comme mandataire d'acheteurs qu'elle dépeignait comme attendant avec impatience le mot urgent revenant très souvent, alors qu'ils n'existaient pas et que le travail de l'agence, après le contact va justement consister à diffuser l'offre de vente aux personnes et organismes susceptibles de connaître d'éventuels acheteurs ; de plus, la dame B ne sera jamais la mandataire des acheteurs ; il ne s'agit pas d'une agence immobilière, ses clients sont des vendeurs qu'elle se contentera de mettre, le cas échéant, en rapport avec d' éventuels acheteurs qui n'auront jamais de liens juridiques avec elle et ne sont pas ses clients; en les représentant comme tels, alors qu'ils n'ont pas encore d'existence et en laissant entendre qu'elle était leur mandataire, la dame B a basé sa publicité sur des faits faux le délit de publicité mensongère est constitué;
Sur la fraude
Après avoir "appâté" les clients vendeurs dans les conditions décrites ci-dessus, qui frisait l'escroquerie, la dame B passait avec eux des contrats pour diffuser leur offre mais les services rendus ne correspondaient pas exactement à ce qui était contractuellement promis ;nous examinerons quelques cas où la différence entre les engagements et les réalisations constituent le délit de fraude ; dans les conditions spéciales du contrat, il était écrit "dans le cas où ce dossier est relatif à une affaire immobilière foncière ou commerciale, il sera expédié également aux principales agences immobilières et études notariales" ;les clients étaient tous vendeurs d'immeubles ou de fonds de commerce ; or le dossier n'était pas envoyé systématiquement la diffusion se faisait par le biais du journal périodique et le dossier proprement dit n'était expédié que quand un acheteur se manifestait ; ce n'est pas ce qui était contractuellement promis;
Dans ces mêmes conditions particulières, le client pouvait opter pour une diffusion soit sur la France, soit sur la France et les pays du Marché commun, soit sur la France et l'Afrique francophone, soit sur la France et l'Outre-Mer ou combiner ces possibilités ; quand était choisie la diffusion sur les pays du Marché commun, la publicité n'était faite ni en Italie, ni au Danemark, ni en Irlande ni en Grèce ; pour les pays d'Afrique francophone, six pays sur vingt-quatre étaient omis;
De plus, la diffusion était limitée en 1982 dans 214 agences immobilières sur 12 000 et dans 55 études notariales sur 6 000 ;bien que les conditions générales indiquent que seront touchées "les principales études notariales, agences immobilières françaises et étrangères, chambres de commerce et d'industrie etc." la cour estime que la diffusion réalisée ne correspondait pas à celle promise;
Enfin, la preuve est rapportée que les démarcheurs de la société ont trompé les clients en promettant des envois répétitifs alors que le journal n'était envoyé qu'une seule fois même s'il était recommandé aux destinataires de le conserver pour constituer "un fichier immobilier";
Ces agissements sont bien constitutifs du délit de fraude puisque les prestations ne correspondaient pas à ce à quoi l'agence s'était contractuellement engagée;
Il convient toutefois de souligner que, pour la cour, les faits les plus graves se situent en début de processus dans les annonces mensongères qui attiraient le client acheteur dans des conditions trompeuses;
La dame B sera condamnée à vingt-cinq mille francs d'amende et relevée des mesures de publicité;
Sur les constitutions de parties civiles
L'appréciation du préjudice est difficile ; si les clients ont été recherchés par des moyens frauduleux, l'agence leur a fourni des prestations certaines bien que ne correspondant pas aux contrats ; elle a constitué le dossier, souvent fait faire des photographies et assuré la diffusion dans les conditions ci-dessus relatées ; la cour estime faire reste de droit à chacune des parties civile en leur accordant mille francs de dommages-intérêts et mille cinq cents francs sur la base de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, sauf pour l'Union fédérale des consommateurs de la Gironde qui recevra un franc en tout et pour tout.
Par ces motifs et ceux non contraires du tribunal qu'elle adopte, LA COUR, après en avoir délibéré hors la présence du Ministère public et du greffier, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les parties civiles, le Ministère public et la prévenue en leurs appels, Infirmant le jugement du 29 janvier 1986 du Tribunal correctionnel de Bordeaux, Dit qu'outre le délit de publicité mensongère, la dame B a bien commis le délit de tromperie dans les mêmes conditions de lieu et de temps en trompant ou tentant de tromper les contractants notamment sur la nature, l'espèce, l'origine, le résultat à attendre de la prestation de service offerte sous le signe X, Confirme ledit jugement pour la condamnation prononcée et pour la peine et le relevé des mesures de publicité, L'infirmant sur les condamnations civiles, reçoit les parties civiles en leur constitution, Condamne la dame B épouse H à verser un franc de dommages-intérêts à l'Union fédérale des consommateurs de la Gironde et mille francs de dommages-intérêts et mille cinq cents francs sur la base de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à Roger Delarable, Alfred Clerc, la dame Lagarde, Raymond Mallet, Pierre Gendre, Léonce Lalarderie et aux époux Colin, Condamne la dame B épouse H aux dépens, dont ceux dus au Trésor, liquidés à la somme de 2 341,59 F, le tout en application des articles 44 de la loi du 27 décembre 1983 - 10, 711, 5 et 16 de la loi du 1er août 1905 - 418, 473, 749 du Code de procédure pénale - dit n'y avoir lieu à contrainte par corps en vertu de l'article 751 dudit Code.