CJCE, 3e ch., 22 novembre 2001, n° C-541/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cape SNC
Défendeur :
Idealservice Srl & MN RE SAS, OMAI SRL
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Macken
Avocat général :
M. Mischo
Juges :
MM. Gulmann, Puissochet
Avocats :
Mes Del Gaizo, Chiericati
LA COUR (troisième chambre),
1. Par deux ordonnances du 12 novembre 1999, parvenues à la Cour le 31 décembre suivant, le Giudice di pace di Viadana a posé, en application de l'article 234 CE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 2, sous b), de la directive 93-13-CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la "directive").
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant respectivement Cape SNC (ci-après "Cape") à Idealservice SRL et Idealservice MN RE SAS à OMAI SRL (ci-après "OMAI") à propos de l'exécution de contrats-types contenant une clause attributive de compétence au Giudice di pace di Viadana, laquelle est contestée par Cape et OMAI sur le fondement de la directive.
Le cadre juridique
3. La directive a pour objet, selon son article 1er, paragraphe 1, de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.
4. Aux termes de l'article 2, sous b), de la directive:
"Aux fins de la présente directive, on entend par:
[...]
b) consommateur: toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle".
5. L'article 2, sous c), de la directive définit le terme "professionnel" comme visant "toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu'elle soit publique ou privée".
Le litige au principal et les questions préjudicielles
6. Idealservice MN RE SAS et Idealservice SRL (ci-après "Idealservice") ont conclu avec OMAI et Cape, respectivement les 14 septembre 1990 et 26 janvier 1996, deux contrats portant sur la fourniture à ces dernières de machines de distribution automatique de boissons, lesquelles ont été installées dans les locaux de ces deux sociétés et étaient destinées à l'usage exclusif de leur personnel.
7. Dans le cadre de l'exécution desdits contrats, Cape et OMAI ont formé une opposition à injonction de payer, en soutenant que la clause attributive de compétence qu'ils contiennent est abusive au sens de l'article 1469 bis, point 19, du Code civil italien et, par conséquent, inopposable aux parties aux contrats en vertu de l'article 1469 quinquies de ce même Code.
8. La juridiction de renvoi constate que sa compétence pour connaître des deux litiges qui lui sont soumis dépend de l'interprétation desdites dispositions du Code civil, lesquelles constituent une "transposition servile" de la directive. En particulier, les notions de "professionnel" et de "consommateur" visées à l'article 1469 bis du Code civil seraient une transcription littérale des définitions figurant à l'article 2 de ladite directive.
9. Dans les deux affaires, Idealservice soutient que Cape et OMAI ne peuvent être considérées comme des consommateurs aux fins de l'application de la directive. En effet, outre qu'il s'agit de sociétés et non de personnes physiques, Cape et OMAI auraient signé les contrats en cause devant la juridiction nationale dans l'exercice de leur activité d'entreprise.
10. Estimant que la solution des deux litiges portés devant lui dépend de l'interprétation de la directive, le Giudice di pace di Viadana a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, qui sont rédigées en des termes identiques dans les deux affaires:
"1°) Peut-on considérer comme un consommateur un entrepreneur qui, concluant un contrat avec un autre entrepreneur sur le modèle prévu par ce dernier dans la mesure où ce contrat s'insère dans son activité professionnelle spécifique, achète un service ou un bien, à l'usage exclusif de ses propres salariés,totalement dissocié et étranger à son activité professionnelle et commerciale typique ? Est-il possible de dire, dans ce cas, que cette personne a agi à des fins ne concernant pas l'entreprise ?
2°) En cas de réponse affirmative à la question précédente, peut-on considérer comme un consommateur toute personne ou organisme quand il agit à des fins étrangères ou ne pouvant servir à l'activité commerciale ou professionnelle typique qu'il ou elle exerce, ou la notion de consommateur se réfère-t-elle exclusivement à la personne physique, à l'exclusion de toute autre personne ?
3°) Peut-on considérer une société comme un consommateur ?"
11. Par ordonnance du président de la Cour du 17 janvier 2000, les affaires C-541-99 et C-542-99 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale et de l'arrêt.
Sur les deuxième et troisième questions
12. Par ses deuxième et troisième questions, qu'il convient d'examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de "consommateur", telle que définie à l'article 2, sous b), de la directive, doit être interprétée en ce sens qu'elle vise exclusivement les personnes physiques.
13. Idealservice, les Gouvernements italien et français, ainsi que la Commission, soutiennent que la notion de "consommateur" vise uniquement les personnes physiques.
14. En revanche, le Gouvernement espagnol prétend que, si le droit communautaire considère que, en principe, les personnes morales ne sont pas des consommateurs au sens de la directive, il n'exclut pas une interprétation conférant une telle qualité à ces dernières. Avec le Gouvernement français, il fait valoir que la définition du consommateur donnée par la directive n'exclut pas la possibilité pour les droits nationaux des États membres, lors de la transposition de celle-ci, de considérer une société comme un consommateur.
15. À cet égard, il convient de relever que l'article 2, sous b), de la directive définit le consommateur comme étant "toute personne physique" qui remplit les conditions énoncées par cette disposition, tandis que l'article 2, sous c), de la directive définit la notion de "professionnel" en se référant tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales.
16. Il ressort donc clairement du libellé de l'article 2 de la directive qu'une personne autre qu'une personne physique, qui conclut un contrat avec un professionnel, ne saurait être regardée comme un consommateur au sens de ladite disposition.
17. Dès lors, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que la notion de "consommateur", telle que définie à l'article 2, sous b), de la directive, doit être interprétée en ce sens qu'elle vise exclusivement les personnes physiques.
Sur la première question
18. Eu égard à la réponse apportée aux deuxième et troisième questions, il n'y a pas lieu de répondre à la première question.
Sur les dépens
19. Les frais exposés par les Gouvernements italien, espagnol et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (troisième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Giudice di pace di Viadana, par ordonnances du 12 novembre 1999, dit pour droit:
La notion de "consommateur", telle que définie à l'article 2, sous b), de la directive 93-13-CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clause abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu'elle vise exclusivement les personnes physiques.