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Décisions

Cass. crim., 4 février 1998, n° 96-83.237

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roman

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Amiel

Avocats :

SCP Le Bret, Laugier, Me Ricard.

Versailles, 9e ch., du 20 juin 1996

20 juin 1996

LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par C Marie-Christine, épouse L, la société X, civilement responsable, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, 9e chambre, du 20 juin 1996, qui, pour vente de denrée alimentaire corrompue, falsifiée ou toxique, a condamné la première à 20 000 francs d'amende et a ordonné une mesure de publication et a déclaré la seconde civilement responsable; - Sur la recevabilité des mémoires produits en défense: - Attendu que les mémoires en défense produits pour la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, qui n'a pas la qualité de partie poursuivante ou intervenante à la procédure, ne sont pas recevables;

Vu le mémoire ampliatif produit ainsi que le mémoire additionnel et en réplique; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1, 2, 593 du Code de procédure pénale, ensemble de l'article 446 du même Code, des articles L. 213-1 du Code de la consommation, L. 215-1 du même Code, violation des droits de la défense;

"en ce que l'arrêt attaqué indique que la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes était "partie intervenante" et que postérieurement à l'audition du Ministère public en ses réquisitions, Mme Sancho, inspecteur de la DDCCRF a été entendue;

"alors, d'une part, que, en cas de poursuites fondées sur les dispositions des articles L. 213-1 du Code de la consommation, les agents de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ne tiennent d'aucun texte la possibilité d'intervenir comme partie à l'instance de sorte que Mme Sancho, inspecteur de cette administration, ne pouvait valablement intervenir à l'audience des débats devant la cour d'appel;

"alors, d'autre part, que les témoins entendus à l'audience d'une juridiction de répression doivent, avant de commencer leur déposition, prêter serment dans les formes de l'article 446 du Code de procédure pénale et cette disposition s'applique même aux agents assermentés d'une administration; que la cour d'appel, en se bornant à mentionner que Mme Sancho, inspecteur de la DDCCRF a été entendue ne permet pas à la Cour de cassation de s'assurer que les prescriptions du texte précité ont été respectées";

Attendu que l'arrêt attaqué, qui condamne la prévenue pour un délit de fraude, mentionne comme partie intervenante la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Yvelines; qu'il précise que le représentant de cette administration, entendu au cours des débats, confirme les constatations faites lors de l'enquête, sans fournir d'observation particulière;

Attendu que, si l'agent de l'administration intéressée aux poursuites, qui n'a pas la qualité de partie intervenante, ne pouvait être entendu qu'en qualité de témoin, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors qu'il n'est pas établi que l'omission de la formalité du serment ait eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la prévenue, les juges d'appel ne s'étant pas fondés sur les déclarations fournies par ce fonctionnaire pour asseoir en tout ou en partie leur conviction sur la culpabilité; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-3, alinéa 1er 2, L. 213-3, alinéa 2, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 du Code de la consommation, 113-3 du Code pénal, 1315 du Code civil, 427 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Marie-Christine Chevallier, épouse L, coupable d'avoir, courant 1993 et 1994, commercialisé ou détenu en vue de la vente des compléments alimentaires à base d'algues non autorisées par le Conseil supérieur de l'hygiène publique et a condamné celle-ci à une peine d'amende de 20 000 francs avec diffusion du jugement dans deux journaux des Yvelines;

"aux motifs que les fonctionnaires de la DGCCRF ont constaté que les produits commercialisés par Marie-Christine L, n'ayant fait l'objet d'aucun avis du Conseil supérieur de l'hygiène publique, procédaient régulièrement à deux prélèvements en trois échantillons; que l'analyse effectuée par le "laboratoire interrégional de la Répression des Fraudes" de Paris-Massy confirme la présence dans les échantillons de l'algue "Aphanizomenon Flos Aquae"; qu'il était précisé dans le rapport d'analyse que "la vente ou la détention en vue de la vente de cette algue est prohibée"; que le 15 février 1994, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France, après étude du dossier, a émis un avis défavorable à l'utilisation de l'algue litigieuse qui, dans certaines conditions, "peut produire des toxines qui ont déjà provoqué des troubles intestinaux chez l'homme et des décès chez l'animal"; que cet avis a été notifié à Marie-Christine L le 11 mars 1994, en sa qualité de gérante de la société X; que, néanmoins, les agents de la DDCCRF ont constaté, le 15 juillet suivant, que l'activité d'importation et de commercialisation du produit litigieux était poursuivie en dépit de l'avis défavorable régulièrement notifié; qu'en diffusant sous forme de gélules cette algue bleue lyophilisée, Marie-Christine L a mis sur le marché un aliment présentant des dangers pour la santé et dont elle connaissait officiellement la toxicité depuis le 11 mars 1994, mais dont elle avait été avisée en réalité dès le 17 juin 1992 par une lettre du sous-directeur de la DGCCRF; qu'elle a essayé néanmoins d'imposer ce produit aux autorités françaises en se fondant sur des avis émanant d'organismes américains qui sont inopérants au regard de la loi nationale qui, en matière de santé publique, doit être appliquée avec la plus grande rigueur;

"alors, d'une part, que les tribunaux répressifs ont le devoir de statuer sur les exceptions d'illégalité invoquées par le prévenu concernant les règlements auxquels il leur est demandé d'attribuer sanction; que spécialement, Marie-Christine L avait fait valoir dans ses conclusions d'appel que les textes visés par la prévention n'émettaient aucune obligation d'un avis favorable préalable du Conseil supérieur de l'hygiène publique de France à toute commercialisation de l'aliment litigieux et que cette exigence ressortait uniquement du règlement sanitaire départemental des Yvelines de 1979, cité par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, mais abrogé depuis la loi du 6 janvier 1986, laissant désormais la place à une réglementation nationale; qu'en se fondant sur ce seul avis sans répondre au moyen de légalité expressément soulevé de cet avis afin de déclarer Marie-Christine L coupable des faits reprochés, l'arrêt attaqué a entaché sa décision d'un défaut de motifs;

"alors, d'autre part, que la cour d'appel n'a pas caractérisé l'infraction reprochée à Marie-Christine L de la commercialisation d'un aliment toxique en se bornant à faire état du seul avis du Conseil supérieur de l'hygiène publique, lequel déclarait que l'algue litigieuse pouvait, dans certaines conditions seulement, produire des toxines nuisibles à la santé de l'homme; que l'arrêt attaqué manque de base légale, et a, en outre, inversé le fardeau de la preuve incombant au Ministère public, en l'absence de toute preuve établissant la toxicité du produit importé et vendu par la SARL X";

Et sur le moyen de cassation additionnel (subsidiaire), pris de la violation des articles L. 213-3, alinéa 1er 2°, L. 213-3, alinéa 2, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 du Code de la consommation, 113-3 du Code pénal, 150 du règlement sanitaire départemental des Yvelines, 427 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Marie-Christine C, épouse L, coupable d'avoir courant 1993 et 1994 commercialisé ou détenu en vue de la vente des compléments alimentaires à base d'algues non autorisées par le Conseil supérieur de l'hygiène publique et a condamné celle-ci à une peine d'amende de 20 000 francs avec diffusion du jugement dans deux journaux des Yvelines;

"aux motifs qu'il résulte de la procédure précédemment rappelée que l'algue bleue "Aphanizomenon Flos Aquae" est un produit naturel dangereux pour la santé au regard de la réglementation française; qu'en diffusant sous la forme de gélules cette algue bleue lyophilisée, Marie-Christine L a mis sur le marché un aliment naturel présentant des dangers pour la santé et dont elle connaissait officiellement la toxicité depuis le 11 mars 1994, mais dont elle avait été avisée en réalité dès le 17 juin 1992 par une lettre du sous-directeur de la DGCCRF lui précisant que l'algue bleue en cause "ne figure pas sur la liste ayant fait l'objet d'un avis favorable du Conseil supérieur d'hygiène publique en France pour une utilisation en alimentation humaine"; qu'elle a essayé néanmoins d'imposer ce produit aux autorités françaises en se fondant sur des avis émanant d'organismes américains, qui sont inopérants au regard de la loi nationale, qui doit, en matière de santé publique, être appliquée avec la plus grande rigueur;

"alors que, subsidiairement, dans l'hypothèse où il viendrait à être considéré que l'arrêt attaqué serait légalement justifié par application des dispositions du règlement sanitaire départemental des Yvelines, la cour d'appel n'a pas recherché, comme elle y était invitée par les conclusions d'appel des demanderesses, si l'aliment commercialisé par les soins de la société X, ne pouvait, en aucun cas, être soumis aux dispositions de ce règlement, dès lors qu'il ne constituait pas un aliment non traditionnel au sens de la définition posée par ce texte, en l'absence d'une transformation en vue de l'extraction d'une ou plusieurs substances nutritives, et faute d'appartenir à la catégorie des aliments non habituellement obtenus en agriculture;

que, dès lors, l'arrêt attaqué est entaché d'un manque de base légale";

Les moyens étant réunis; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société X importe des Etats-Unis et distribue sur le territoire national, directement auprès du public, une gamme de compléments alimentaires à base d'algue bleue d'eau douce conditionnés sous forme de gélules et présentés comme bénéfiques pour la santé; que Marie-Christine L, gérante de la société, est poursuivie, aux termes de la citation, pour "avoir en 1993 et 1994 commercialisé ou détenu en vue de la vente ces produits qui ne sont pas autorisés par le Conseil supérieur d'hygiène publique, faits caractérisant l'infraction de vente de denrée alimentaire falsifiée, corrompue ou nuisible à la santé, prévue par l'article L. 213-3 du Code de la consommation";

Attendu que, pour la déclarer coupable de ce délit, les juges du second degré relèvent que la prévenue a sciemment mis en vente les produits incriminés alors qu'ils sont impropres à la consommation humaine ou animale, l'algue bleue de l'espèce employée étant un produit naturel dangereux pour la santé; qu'ils ajoutent que Marie-Christine L avait reçu notification en mars 1994 de l'avis défavorable du Conseil supérieur d'hygiène publique en France pour une utilisation de l'algue incriminée en alimentation humaine, au motif que celle-ci peut, dans certaines conditions, produire des toxines qui ont déjà provoqué des troubles intestinaux chez l'homme et des décès chez l'animal;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui caractérisent en tous ses éléments le délit de vente de denrée alimentaire toxique, la cour d'appel, qui a souverainement déduit la preuve de la toxicité du produit de l'avis formulé, conformément à sa mission, par le Conseil supérieur d'hygiène publique en France, mais n'a pas, contrairement aux allégations des moyens, fondé sa décision sur la méconnaissance, par la prévenue, du règlement sanitaire départemental des Yvelines soumettant la vente des aliments non traditionnels à l'avis de ce conseil, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués; d'où il suit que les moyens, pour partie inopérants, doivent être écartés;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.