Cass. crim., 3 novembre 1993, n° 89-86.497
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tacchella
Rapporteur :
M. de Mordant de Massiac
Avocat général :
M. Galand
Avocats :
SCP Boré, Xavier.
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par D Gérard, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 20 octobre 1989, qui, pour infractions aux articles 1 et 3 de la loi du 1er août 1905, a condamné le prévenu à 10 000 francs d'amende, a ordonné sa publication par extrait et a prononcé sur les intérêts civils; - Vu le mémoire ampliatif et le mémoire complémentaire produits; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 4 du Code pénal, de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen et de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, des articles 1er et 3 de la loi du 1er août 1905, des articles 1er et 2 du décret du 15 avril 1912 et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré D coupable des délits de vente de denrées alimentaires qu'il savait falsifiées ou toxiques et de tromperie sur la nature et la composition des marchandises vendues;
"aux motifs que l'échantillon SA 137 contient à raison de 53 mg/kg une proportion d'acide benzoïque supérieure à celle que l'on peut expliquer par les réactions naturelles du lait lors de la fabrication des fromages; que les échantillons SA 132, SA 134 et SA 139 contenaient 7 à 12 mg/kg d'acide sorbique lequel n'existe pas naturellement dans le lait; que l'emploi de présure comportant cet additif dans des limites autorisées ne peut fournir qu'un apport insignifiant; que les fromages n'étaient donc pas conformes à la réglementation interdisant la mise en vente d'aliments additionnés à d'autres produits chimiques que ceux déclarés licites par arrêtés (arrêt attaqué p. 6 alinéas 1er, 2, 3); qu'il appartenait à D de vérifier par lui-même ou un laboratoire compétent la conformité du produit qu'il mettait en vente; qu'il n'est pas démontré que les fromages fabriqués en Allemagne sous la dénomination Mainzer Käze contiennent naturellement de l'acide benzoïque en quantité excédant 50 mg/kg; que l'interdiction de détention et de mise en vente en France de ce produit ne peut être considérée comme une mesure discriminatoire faisant échec aux règles de libre-circulation des marchandises entre les Etats de la CEE (arrêt attaqué p. 6 alinéas 5, 6, 7, 8); que si la législation italienne autorise l'acide sorbique pour les fromages à raison de 1 000 mg/kg elle prévoit également des normes relatives aux indications à porter sur les emballages; que cette réglementation témoigne du caractère toxique du produit; que les normes françaises relatives aux additifs dans les fromages sont nécessaires à la protection des consommateurs et évitent des tromperies qui faciliteraient l'absence d'indication des additifs (arrêt attaqué p. 7 alinéas 1er, 2);
"1°) alors que le délit visé à l'article 3 de la loi du 1er août 1905 n'est constitué que si le prévenu a mis en vente des produits qu'il savait être "falsifiés, corrompus ou toxiques"; qu'en s'abstenant de rechercher si les prétendues adjonctions d'acide sorbique et d'acide benzoïque avaient altéré les qualités substantielles des fromages allemands et italiens importés, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision, en violation des textes susvisés;
"2°) alors que le délit de tromperie visé à l'article 1er de la loi du 1er août n'est constitué que si le prévenu a trompé son cocontractant sur la "nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principe utile" de la marchandise; que la cour d'appel s'est bornée à relever que le taux d'acide benzoïque et d'acide sorbique constaté dans les échantillons excédait les limites autorisées sans rechercher si l'absence ou un taux réduit de ces acides constituaient une des qualités recherchées par l'acheteur en violation des textes visés au moyen;
"3)) alors que le principe de légalité des délits et des peines interdit de sanctionner l'importateur d'un produit comportant des additifs au seul motif que ceux-ci ne seraient pas expressément autorisés; qu'à défaut de réglementation prohibant l'adjonction d'acide benzoïque et d'acide sorbique l'importation de fromages comportant de tels acides ne pouvait pas être pénalement sanctionnée; qu'en déclarant D coupable des délits reprochés, la cour d'appel a méconnu les principes de légalité criminelle et d'interprétation restrictive de la loi pénale en violation des textes susvisés;
"4)) alors que l'adjonction d'acide sorbique dans la présure servant à la fabrication du fromage est licite; que selon l'Administration (cf. mémoire introductif p. 6 et 7) le taux d'acide sorbique provenant de la présure peut être de 0,112 ppm à 0,225 ppm sans qu'il y ait adjonction prohibée; que les experts ont relevé que ces chiffres provenaient d'une erreur de calcul et que le taux d'acide sorbique toléré pouvait être de 11,2 ppm à 22,5 ppm; que D, invoquant le rapport d'expertise en a déduit que, les taux relevés dans les échantillons litigieux étant de 7 et 12 ppm, la teneur en acide sorbique se situait en deçà des limites maximales autorisées; qu'en se bornant à énoncer que la présence d'acide sorbique ne pouvait résulter que d'une adjonction prohibée motif pris de ce que l'emploi de présure contenant cet additif ne pouvait fournir "qu'un apport insignifiant, la Cour n'a pas réfuté le moyen des conclusions d'appel et n'a dès lors pas légalement justifié sa décision;
"5°) alors que D avait soutenu dans ses conclusions d'appel que les produits qu'il importait étaient soumis aux contrôles du laboratoire allemand le plus réputé et que conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes il était en droit de se fier au certificat délivré par un laboratoire autorisé (conclusions p. 23, 24 et 25); que ce moyen démontrait que D ne s'était pas soustrait aux contrôles incombant à tout chef d'entreprise; qu'en se bornant, pour caractériser l'élément intentionnel des infractions, à relever qu'il appartenait au prévenu de vérifier par lui-même ou par un laboratoire spécialisé la conformité des produits sans réfuter ses conclusions d'appel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision";
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 30, 36, 177 du traité de Rome, des articles 1er et 3 de la loi du 1er août 1905 et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré D coupable des délits de tromperie sur la nature et la composition de marchandises et de vente de denrées alimentaires falsifiées, corrompues ou toxiques;
"aux motifs que l'échantillon SA 137 contient à raison de 53 mg/kg une proportion d'acide benzoïque supérieure à celle que l'on peut expliquer par les réactions naturelles du lait lors de la fabrication des fromages; que les échantillons SA 132, SA 134 ET SA 139 contenaient 7 à 12 mg/kg d'acide sorbique lequel n'existe pas naturellement dans le lait; que l'emploi de présure comportant cet additif dans des limites autorisées ne peut fournir qu'un apport insignifiant; que les fromages n'étaient donc pas conformes à la réglementation interdisant la mise en vente d'aliments additionnés à d'autres produits chimiques que ceux déclarés licites par arrêtés (arrêt attaqué p. 6 alinéas 1er, 2, 3); qu'il appartenait à D de vérifier par lui-même ou un laboratoire compétent la conformité du produit qu'il mettait en vente; qu'il n'est pas démontré que les fromages fabriqués en Allemagne sous la dénomination Mainzer Käse contiennent naturellement de l'acide benzoïque en quantité excédant 50 mg/kg; que l'interdiction de détention et de mise en vente en France de ce produit ne peut être considérée comme une mesure discriminatoire faisant échec aux règles de libre circulation des marchandises entre les Etats de la CEE (arrêt attaqué p. 6 alinéas 5, 6, 7, 8); que si la législation italienne autorise l'acide sorbique pour les fromages à raison de 1 000 mg/kg elle prévoit également des normes relatives aux indications à porter sur les emballages; que cette réglementation témoigne du caractère toxique du produit; que les normes françaises relatives aux additifs dans les fromages sont nécessaires à la protection des consommateurs et évitent des tromperies qui faciliteraient l'absence d'indication des additifs (arrêt attaqué p. 7 alinéa 1er, 2);
"1°) alors que constituent des mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation prohibées par le traité de Rome les mesures interdisant la mise en vente de produits alimentaires comportant des additifs non autorisés lorsqu'elles ont des effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises qui dépassent les limites de la faculté laissée aux Etats membres d'adopter des réglementations du commerce ou lorsqu'un tel objectif peut être atteint par un autre moyen qui entrave moins les échanges; qu'une telle entrave est incompatible avec le traité de Rome lorsqu'elle n'est pas nécessaire pour satisfaire à une exigence impérative telle que la protection de la santé publique; que l'interdiction absolue de vente d'un produit ne constitue une mesure appropriée que si ce produit présente des risques sérieux pour la santé publique et qu'aucune autre mesure entravant moins les échanges commerciaux n'est concevable; qu'en se bornant à affirmer que les normes françaises sont nécessaires à la protection des consommateurs et pour éviter des tromperies sans rechercher à quels risques seraient exposés les consommateurs et si l'interdiction absolue était la seule mesure appropriée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision;
"2°) alors que constituent des mesures restrictives entravant la libre circulation des marchandises les règles qui imposent à l'importateur de vérifier, à peine de sanction pénale, et de manière systématique les produits en provenance d'un autre Etat membre où ils ont déjà été soumis à un contrôle sanitaire; qu'en relevant à l'encontre de D qu'il aurait dû procéder lui-même ou par un laboratoire spécialisé à des contrôles des fromages légalement fabriqués dans d'autres Etats membres, la cour d'appel a violé les textes susvisés";
Les moyens étant réunis; - Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme qu'à la suite de contrôles de denrées alimentaires en provenance d'Allemagne et d'Italie et de la mise en évidence d'acide sorbique ou d'acide benzoïque utilisés comme agents conservateurs, la société X, importateur de ces produits, a été poursuivie devant la juridiction correctionnelle, cumulativement, pour infractions à l'article 3 de la loi du 1er août 1905 (détention de denrées non conformes à la réglementation et réputées falsifiées), à l'article 1er de cette même loi (tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise);
Attendu que, pour déclarer Gérard D, poursuivi en sa qualité de gérant de ladite société, coupable des faits visés à la prévention, les juges du fond relèvent que la commercialisation de denrées alimentaires comportant des additifs autres que ceux prévus par la réglementation est illicite en France; que cette interdiction s'applique aux produits importés, même légalement fabriqués et commercialisés dans un Etat membre de la CEE, sans que cette mesure puisse être considérée comme une entrave à la libre circulation des marchandises;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants et dès lors que la cour d'appel constate par ailleurs que les restrictions critiquées sont justifiées par des raisons de protection de la santé selon les prévisions de l'article 36 du traité de Rome, l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs allégués; d'où il suit que les moyens ne peuvent qu'être écartés;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;
Rejette le pourvoi.