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Décisions

CA Rouen, 1re ch. 1er cabinet, 23 mai 2001, n° 99-04065

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Maison Française de Distribution (Sté), Bailet, Monnet (ès qual.)

Défendeur :

Coutard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brunhes

Conseillers :

Mme Jourdan, M. Gallais

Avoués :

SCP Colin Voinchet Radiguet Enault, SCP Hamel Fagoo

Avocat :

Me Bobee.

TGI Rouen, du 16 sept. 1999

16 septembre 1999

Le 14 novembre 1996, M. Hubert Coutard a assigné devant le Tribunal de grande instance de Rouen la société Maison Française de Distribution (MFD) en paiement de la somme de 35 000 F représentant le montant d'un chèque dont elle aurait écrit qu'il était le gagnant à la suite d'un tirage au sort du 23 février 1996.

Il a également assigné le 6 mars 1997 devant cette même juridiction Me Ballet, huissier de justice, aux fins d'obtenir sa condamnation solidaire au paiement de cette somme au motif qu'il se serait rendu complice de la publicité mensongère organisée par la société MFD.

Les défendeurs ayant soulevé l'incompétence territoriale du Tribunal de grande instance de Rouen, celui-ci, par jugement du 4 septembre 1997, s'est déclaré compétent et, par arrêt du 18 mars 1998, la Cour d'appel de Rouen a rejeté le contredit.

Par jugement du 16 septembre 1999, le tribunal, retenant la responsabilité contractuelle de la société MFD et la responsabilité délictuelle de Me Ballet, les a condamnés à payer in solidum à M. Coutard la somme de 35 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 14 novembre 1996.

Le tribunal a en outre condamné la société MFD et Me Ballet à payer, chacun, au demandeur la somme de 3 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société MFD, M. Jean-Michel Monnet, en sa qualité de liquidateur amiable de celle-ci, et Me Robert Ballet ont interjeté appel de ce jugement du 16 septembre 1999.

Par conclusions signifiées le 2 février 2000, ils en sollicitent la réformation, demandent que M. Coutard soit débouté de toutes ses prétentions, condamné à payer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à Me Ballet la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Les appelants font valoir pour l'essentiel :

- que l'envoi comportait un catalogue et des documents relatifs à deux jeux organisés sous la forme d'une loterie avec pré-tirage, sous le contrôle de l'huissier, et la seule obligation de la société MFD était de remettre au participant son lot s'il avait gagné,

- que les documents concernant le "grand jeu MFD" étaient clairs et ne faisaient pas apparaître que M. Coutard avait gagné une somme de 35 000 F, mais seulement un chèque qui ne pouvait être inférieur à 4 F,

- que le jeu " tirage de février 1996 " est indépendant et il n'était pas précisé que M. Coutard avait gagné le prix,

- que le tribunal a omis de prendre en considération l'ensemble des éléments qui permettaient de distinguer entre les deux jeux,

- que Me Ballet a seulement garanti le règlement d'un seul chèque de 35 000 F au gagnant.

M. Coutard, par écritures du 6 septembre 2000, conclut à la confirmation du jugement, au rejet des prétentions des appelants et à leur condamnation à lui payer la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il expose essentiellement :

- que la responsabilité de la société MFD peut être recherchée sur le fondement contractuel ou délictuel et celle de Me Bailet sur ce second fondement,

- que la présentation des documents ne laissait pas entrevoir qu'il existait deux jeux et le désignait comme le gagnant du chèque de 35 000 F dont le paiement lui est donc dû,

- que Me Bailet, en acceptant de figurer sur des documents mensongers, a engagé sa responsabilité.

Sur ce, LA COUR

Attendu que l'envoi adressé sous enveloppe à M. Coutard à la fin du mois de février 1996 comportait un catalogue de vente par correspondance, quelques publicités sur certains articles proposés et enfin un document de deux pages imprimées au recto et au verso;

Attendu que le recto de la première page de ce document est intitulé "grand jeu MFD" et contient en caractères gras la mention suivante :

"BRAVO M. HUBERT COUTARD VOUS AVEZ GAGNE LE PLUS GROS CHEQUE AU GRAND JEU MFD."

Qu'il est ensuite précisé "votre numéro personnel.....a bel et bien été tiré au sort ce vendredi 23 février, et vous avez gagné le plus gros chèque possible à ce grand jeu MFD" ; qu'il lui est expliqué que, pour le recevoir, il lui suffit de retourner, après l'avoir complétée, sa demande de prix qui se trouve sous le bon de commande ;

Attendu que, au verso de cette première page, figure le règlement du "tirage de février 1996" dont l'article 6 mentionne que le premier prix est un chèque de 38 000 F, les autres étant 10 chèques d'achat de 100 F, et l'article 8 que le gagnant de cette somme de 35 000 F est la personne dont le nom aura été tiré au sort avant l'envoi des documents ;

Attendu que le recto de la deuxième page est intitulé "tirage de février 1996" et comporte an gros caractères noirs et rouges la mention "1er prix un chèque d'un montant de 35 000 F - chèque expédié après réception de la demande de prix", et en caractères plus réduits "lots de consolation un chèque achat de 100 F valable sur le prochain catalogue MFD" ;

Qu'enfin le verso de cette deuxième page comporte le bon de commande et, dans la partie inférieure, la "demande de prix" à remplir;

Attendu que si les appelants font valoir qu'il existait en réalité deux jeux entre lesquels il fallait distinguer, il ne peut qu'être constaté que tout était fait pour entretenir la confusion et laisser apparaître qu'il n'existait qu'un seul jeu dont le tirage avait au lieu au mois de février 1996 et à l'issue duquel M. Coutard s'était vu attribuer un chèque de 35 000 F; que le lecteur moyen et même particulièrement attentif ne pouvait qu'être d'autant plus porté à le croire que, précisément, la première page faisait état d'un tirage le 23 février, ce qui évoquait à l'évidence le "tirage de février 1996" dont le règlement était inscrit au verso ;

Que, contrairement à ce que soutiennent les appelants, rien dans les couleurs employées n'était susceptible de conduire à distinguer entre deux jeux;

Que, de même, sont-ils mal venus à invoquer le renvoi qui était fait au règlement du "grand jeu MPD" ; qu'en premier lieu ce renvoi était imprimé en caractères à peine lisibles et an des emplacements d'une extrême discrétion ; qu'en second lieu, ledit règlement était imprimé à l'intérieur de l'enveloppe elle-même ayant servi à l'expédition, procédé inhabituel et ayant manifestement pour but de réduire au maximum l'éventualité de la lecture qui pouvait an être faite par le destinataire ;

Attendu encore que la mention "deux chances de gagner" inscrite sur le recto de la deuxième page et dont font état les appelants était totalement insuffisante pour laisser entendre qu'il existait deux jeux distincts et pouvait fort bien être comprise par référence aux éléments qui figuraient sur cette page qui étaient d'une part un premier prix de 35 000 F, d'autre part un lot de consolation de 100 F;

Qu'enfin, il n'existait pas, contrairement à ce qui est soutenu par les appelants, deux bons de participation distincts, mais une unique "demande de prix - Grand Jeu MFD", qui contenait une case de validation au "tirage de février 1996", laissant encore ainsi comprendre qu'il s'agissait du même jeu ;

Attendu que par l'ensemble de ces procédés, la société MFD a voulu faire entendre à M. Coutard qu'il avait gagné la somme de 35 000 F ;que celui-ci ayant répondu, avec la commande qu'il a passée, qu'il demandait à recevoir son prix, il en est résulté une rencontre de volontés ;que la société MFD a dès lors engagé sa responsabilité contractuelle en refusant de lui remettre la somme que, par des moyens volontairement déloyaux, elle lui avait promise ;

Que sa condamnation au paiement de ladite somme, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation doit on conséquence être confirmée ;

Attendu que le tribunal a également à juste titre considéré que Me Bailet avait engagé sa responsabilité délictuelle envers M. Coutard ;

Qu'en effet, le nom de l'huissier de justice, ne figure pas seulement dans la partie relatant le règlement du jeu, mais se retrouve, accompagné de son cachet et de sa signature avec les mentions "envoi du chèque approuvé" ou "garantie de paiement" sur le recto des pages 1 et 2 où sont portées les indications sus-reproduites volontairement destinées à tromper le lecteur;

Qu'en acceptant de s'associer à une telle présentation, ce qui ne peut avoir pour effet que de la rendre encore plus crédible à son destinataire, l'officier ministériel commet une faute qui contribue à laisser penser que le gain est réellement acquis;

Que la responsabilité de Me Bailet doit donc, comme l'a estimé le premier juge, être retenue sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et sa condamnation sera en conséquence confirmée ;

Qu'il ne peut dès lors prétendre lui-même à des dommages-intérêts pour procédure abusive;

Attendu que les appelants, succombant dans leur recours, seront condamnés aux dépens d'appel ; qu'ils ne peuvent prétendre au bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que l'équité commande qu'en application de ce texte une indemnité complémentaire de 6 000 F soit allouée à l'intimé au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés devant la cour;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Condamne la société Maison Française de Distribution, M. Monnet, ès qualités, et Me Bailet à payer à M. Coutard une indemnité complémentaire de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les appelants de leurs demandes ; Les condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP Hamel-Fagoo, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.