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Décisions

CA Rouen, ch. corr., 24 septembre 1998, n° 98-00253

ROUEN

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Catenoix

Substitut :

général: M. Rabesandratana

Conseillers :

Mme Jourdan, M. Cardon

Avocat :

Me Lasne.

TGI Le Havre, ch. corr., du 19 août 1997

19 août 1997

Rappel de la procédure:

Prévention:

Jean Y et Philippe D ont été à la requête du Ministère public cités directement par exploit délivré le 24 juin 1997 devant le Tribunal correctionnel du Havre à l'audience publique du 19 août 1997 sous la prévention d'avoir à Fécamp et en Seine-Maritime, courant août 1996, et en tout cas depuis temps n'emportant pas prescription, trompé le service de distribution du marché U d'Yvetot, le centre hospitalier du Havre et la société Gelcash à Fécamp sur l'espèce de produits vendus sous la dénomination de dorade.

Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation.

Jugement:

Le tribunal par jugement contradictoire du 19 août 1997 a adopté le dispositif suivant:

Déclare Y Jean coupable des faits qui lui sont reprochés.

Condamne Y Jean à la peine d'amende de 10 000 F.

Ordonne aux frais du condamné la publication par extraits de la présente décision dans les journaux suivants Le Havre presse, Le Havre libre et Paris-Normandie (édition locale - lieu des faits); Dit que le coût de ces publications ne devra pas dépasser la somme de 5 000 F.

Déclare D Philippe coupable des faits qui lui sont reprochés.

Condamne D Philippe à la peine d'amende de 8 000 F.

Ordonne aux frais du condamné la publication par extraits de la présente décision dans les journaux suivants Le Havre presse, Le Havre libre et Paris-Normandie (édition locale - lieu des faits); Dit que le coût de ces publications ne devra pas dépasser la somme de 5 000 F.

Appels:

Par déclarations au greffe du tribunal en date du 20 août 1997 Jean Y, D Philippe et le Ministère public à l'encontre des deux prévenus ont interjeté appel de cette décision.

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi.

En la forme:

Au vu des énonciations qui précèdent et des pièces de la procédure, les appels interjetés par Jean Y, Philippe D et le Ministère public dans les formes et délais des articles 498 et suivants du Code de procédure pénale sont réguliers; ils sont donc recevables.

Jean Y et D Philippe ont été cités devant la cour par exploits délivrés à leur personne les 4 mars et 9 mars 1998. ils sont présents et assistés. L'arrêt à intervenir sera rendu contradictoirement à leur égard.

Au fond:

Le 14 août 1996, à l'occasion d'un contrôle effectué par les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes au supermarché U situé 20, rue Guy de Maupassant à Yvetot, les agents de ce service constataient dans le rayon des produits surgelés la commercialisation de 3 sachets de un kg de poisson pané dont l'étiquetage indiquait:

"Portions de filets de dorade

moulé, pané et préfrit surgelé

conditionné par X

<adresse>Fécamp cedex".

Sur la facture délivrée le 26 avril 1996 par cette société au supermarché précité, cet article, vendu pour une quantité de 12 kgs, était également désigné comme étant du "filet de dorade pané préfrit".

Jean Y était le président directeur général de la SA X et Philippe D le responsable du dépôt.

Interrogé le 6 septembre 1996, Philippe D déclarait qu'il s'agissait de poissons dont la dénomination était "dorade sébaste" et il précisait que le terme "sébaste" avait été oublié.

Philippe D communiquait:

- d'une part deux factures d'achat de ce produit à la société Erimer à Lorient en date des 24 avril 1996 et 13 mai 1996 (pour des expéditions en vrac de 300 kgs et 192 kgs des 16 avril et 3 mai 1996) désignant cet article comme "filet de dorade sébaste".

- d'autre part la facture de vente au magasin Super U d'Yvetot précité en date du 26 avril 1996 (12 kgs) mais aussi quatre factures de vente au centre hospitalier du Havre en date des 20 février 1996, 27 février 1996, 12 mars 1996 et 29 mars 1996 mentionnant la vente de cet article pour un total de 678 kgs désigné comme filet de dorade pané préfrit et cinq factures de vente au magasin Gelcash à Fécamp en date des 9 novembre 1995, 27 février 1996, 9 mai 1996, 13 juin 1996 et 6 août 1996 mentionnant la vente de cet article pour un total de 50 kgs désigné comme filet de dorade pané préfrit.

Philippe D déclarait avoir omis d'indiquer sur les factures le terme "sébaste".

Cet article acheté à la société Erimer 20 F le kg hors taxe était revendu hors taxe après opération de conditionnement 35,64 F au magasin Super U à Yvetot et 33,93 au magasin Gelcash à Fécamp et sans opération de conditionnement, en vrac, au centre hospitalier du Havre 24,40 F.

Sur la matérialité de l'infraction:

Dans les conclusions déposées par leur avocat, les prévenus ne contestent pas la matérialité des faits concernant le magasin Super U d'Yvetot mais soutiennent qu'ils ne peuvent être poursuivis pour avoir trompé le centre hospitalier du Havre et la société Gelcash à Fécamp en l'absence de toute constatation effectuée en ces lieux et de tout procès-verbal du service de la Concurrence et de la Répression des Fraudes.

S'agissant des ventes effectuées au centre hospitalier du Havre, les affirmations des prévenus déclarant qu'il n'a été procédé à aucun conditionnement par la société X et que la marchandise a été livrée à chaque fois en vrac dans les cartons de la société Erimer sur lesquels figurait la mention "portions de filet de dorade sébaste" sont corroborées par le prix de vente de cet article sur la base de 24,40 F (acheté 20 F le kg).Le seul fait que le terme "sébaste" ne figure pas sur les factures délivrées à cet établissement n'est pas suffisant dans ces conditions pour établir que les établissements X ont cherché à tromper le centre hospitalier du Havre et en conséquence il convient de dire qu'à l'égard de cet établissement, faute d'éléments matériel et intentionnel suffisamment établis, l'infraction n'est pas constituée.

S'agissant des ventes effectuées à la société Gelcash sis à Fécamp, la cour relève que sur les factures établies au nom de cette société, outre le fait que la désignation de la marchandise est identique, figure le même code produit (461700) que sur la facture délivrée au magasin Super U et que l'article dans les deux magasins a été revendu approximativement au même prix. Ce ne sont pas des filets de dorade mais des filets de dorade sébaste qui ont été vendus à cette société et à son égard la matérialité des faits n'est pas contestable contrairement aux prétentions des appelants.

Sur la culpabilité de Philippe D:

Philippe D, poissonnier de profession et qui dirigeait la société Z avant son rachat en 1984 par le groupe W dont fait partie la société X, exerce depuis 1991 dans cette société la fonction de chef de dépôt consistant en l'achat de produits et leur négoce.

Ce dernier dans ses déclarations devant les agents du service de la Concurrence et de la Répression des Fraudes a reconnu avoir commis une erreur sur les étiquettes accompagnant les marchandises vendues au magasin Super U et à la société Gelcash et les factures établies pour ces deux magasins; à l'audience, il ne le conteste pas et prétend qu'il s'agit d'une infraction sans aucun caractère intentionnel, résultant d'une erreur commise au moment de la commercialisation du produit.

En tant que professionnel Philippe D ne pouvait ignorer les écarts de prix entre la dorade sébaste et la dorade. La marge bénéficiaire significative octroyée à l'occasion de la revente de cet article, que ne peut justifier la seule opération de conditionnement, et la répétition de ces ventes, ne s'agissant pas d'un fait unique, n'autorisent pas Philippe D à invoquer l'erreur et l'absence d'intention frauduleuse mais établissent au contraire que ce dernier a bien cherché à l'occasion de ces ventes à tromper le supermarché U et la société Gelcash.

En conséquence, la cour confirmera le jugement déféré sur la culpabilité concernant les ventes réalisées avec ces deux magasins et en répression, eu égard aux circonstances de la cause et à la situation professionnelle du prévenu, réduira l'amende prononcée par le tribunal à 3 000 F.

Sur la culpabilité de Jean Y:

Jean Y, président du groupe W de Fécamp et du conseil d'administration de la société X, dans les conclusions déposées par son avocat et à l'audience, sollicite sa relaxe au motif qu'il n'a en aucune façon participé matériellement et personnellement à l'infraction, et qu'une délégation de pouvoirs pour la commercialisation des produits existait au bénéfice de Philippe D. Cette délégation tacite était régularisée par écrit, postérieurement aux faits, le 4 septembre 1996.

Philippe D, qui est poissonnier de profession depuis de nombreuses années et avait sous sa responsabilité 16 personnes en sa qualité de chef de dépôt, a déclaré à l'audience qu'il achetait les marchandises, les négociait, en fixait les prix et veillait à l'application des dispositions réglementaires en vigueur sans en référer à quiconque; il a reconnu qu'il bénéficiait antérieurement au 4 septembre 1996 d'une délégation tacite de pouvoirs et estimé qu'il avait la compétence nécessaire pour l'exercer.

La délégation de pouvoirs invoquée par Jean Y n'est donc pas contestée par Philippe D et incontestablement ce dernier, qui a exploité lui-même une poissonnerie dans le passé, était pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour l'exercer en matière de commercialisation de produits.

En conséquence, la preuve de la délégation de pouvoirs étant suffisamment rapportée et Jean Y n'ayant pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction, la cour, infirmant le jugement déféré, relaxera ce dernier des fins de la poursuite.

Sur la publication du jugement:

Les W de Fécamp et la société X ayant été déclarées en redressement judiciaire par jugement en date du 29 avril 1998 du Tribunal de commerce de Fécamp, la cour n'estime pas devoir ordonner la publication et l'affichage aux portes de l'entreprise de la décision de condamnation de Philippe D afin de ne pas accroître les difficultés économiques de la société et de ne pas entraver son redressement. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, En la forme Déclare les appels recevables, Au fond Confirme le jugement déféré sur la culpabilité de Philippe D en ce qu'il l'a déclaré coupable de tromperie sur la marchandise vendue à l'égard du service de distribution Marché U d'Yvetot et de la société Gelcash à Fécamp. L'infirmant pour le surplus. Relaxe Philippe D des fins de la poursuite concernant le centre hospitalier du Havre. Relaxe Jean Y des fins de la poursuite. En répression, Condamne Philippe D à une amende de 3 000 F. Dit qu'il pourra être recouru, s'il y a lieu à la contrainte par corps pour recouvrement de l'amende. Dit n'y avoir lieu à ordonner la publication et l'affichage de la décision de condamnation. La présente procédure est assujettie à un droit fixe de 800 F dont est redevable Philippe D.