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Décisions

CA Paris, 9e ch. corr., 8 septembre 1998, n° 97-05864

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rognon

Avocat général :

Mme Taffaleau

Conseillers :

M. Morel, Mme Filippini

Avocats :

Mes Jeannin, Grégoire.

TGI Créteil, 17e ch. corr., du 7 nov. 19…

7 novembre 1996

Rappel de la procédure :

La prévention :

H Klaus

K Maria

M Bernd

O Francis Raoul Auguste

W Peter Karl

ont été cités directement devant le tribunal correctionnel pour :

- H Klaus :

* avoir à Villecresnes et sur l'ensemble du territoire national courant 1994 en tout cas depuis temps non prescrit, étant co-gérant de la SARL X ayant démarché Mme Meyssard à son domicile,

1. été complice du délit d'abus de faiblesse commis par Feydel en provoquant son action par la mise en place d'un système commercial permettant la livraison d'une commande dont les conditions de passation n'ont pas été vérifiées,

2. omis d'adresser à Mme Meyssard des confirmations des offres qui lui avaient été faites et de lui faire signer de sa main même les exemplaires des contrats,

* avoir à Villecresnes et sur l'ensemble du territoire national, courant 1994, en tout cas depuis temps non prescrit étant co-gérant de la SARL X1,

1. été complice du délit d'abus de faiblesse commis par Gaetter au préjudice de M. et Mme Grob, en provoquant son action par la mise en place d'un système commercial permettant la livraison d'une commande dont les conditions de passation n'ont pas été vérifiées,

2. omis d'adresser aux clients des confirmations des offres qui leur avaient été faites et de leur faire signer de leur main même les exemplaires des contrats,

- K Maria :

* d'avoir à Villecresnes et sur l'ensemble du territoire national, courant 1994, en tout cas depuis temps non prescrit, étant co-gérant de la SARL X ayant démarché Mme Meyssard à son domicile,

1. été complice du délit d'abus de faiblesse commis par Feydel en provoquant son action par la mise en place d'un système commercial permettant la livraison d'une commande dont les conditions de passation n'ont pas été vérifiées,

2. omis d'adresser à Mme Meyssard des confirmations des offres qui lui avaient été faites et de lui faire signer de sa main même les exemplaires des contrats,

- O Francis :

* avoir à Villecresnes et sur l'ensemble du territoire national, courant 1994, en tout cas depuis temps non prescrit, étant co-gérant de la SARL X1,

1. été complice du délit d'abus de faiblesse commis par Gaetter, au préjudice de M. et Mme Grob en provoquant son action par la mise en place d'un système commercial permettant la livraison d'une commande dont les conditions de passation n'ont pas été vérifiées,

2. omis d'adresser aux clients des confirmations des offres qui leur avaient été faites et de leur faire signer de leur main même les exemplaires des contrats,

- W Peter :

* avoir à Villecresnes et sur l'ensemble du territoire national, Courant 1994, en tout cas depuis temps non prescrit, étant co-gérant de la SARL X1,

1. été complice du délit d'abus de faiblesse commis par M. Gaetter au préjudice de M. et Mme Grob en provoquant son action par la mise en place d'un système commercial permettant la livraison d'une commande dont les conditions de passation n'ont pas été vérifiées,

2. omis d'adresser aux clients des confirmations des offres qui leur avaient été faites et de leur faire signer de leur main même les exemplaires des contrats,

- M Bernd :

* avoir à Villecresnes et sur l'ensemble du territoire national, courant 1994, en tout cas depuis temps non prescrit, étant co-gérant de la SARL X1,

1. été complice du délit d'abus de faiblesse commis par Gaetter au préjudice de M. et Mme Grob en provoquant son action par la mise en place d'un système commercial permettant la livraison d'une commande dont les conditions de passation n'ont pas été vérifiées,

2. omis d'adresser aux clients des confirmations des offres qui leur avaient été faites et de leur faire signer de leur main même les exemplaires des contrats.

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire à l'égard de H, Maria K et O, par jugement de défaut à l'encontre de W et de M,

- a renvoyé H Klaus, K Maria, M Bernd, O Francis et W des fins de la poursuite du chef de complicité d'abus de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne démarchée,

- a déclaré

H Klaus

Coupable de remise de contrat non conforme au client - démarchage a domicile ou dans un lieu non commercial, courant 1994, à Villecresnes et territoire, infraction prévue par les articles L. 121-28, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-21 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 121-28 du Code de la consommation

K Maria

Coupable de remise de contrat non conforme au client - démarchage a domicile ou dans un lieu non commercial, courant 1994, à Villecresnes et territoire, infraction prévue par les articles L. 121-28, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-21 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 121-28 du Code de la consommation

M Bernd

Coupable de remise de contrat non conforme au client - démarchage a domicile ou dans un lieu non commercial, courant 1994, à Villecresnes et territoire, infraction prévue par les articles L. 121-28, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-21 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 121-28 du Code de la consommation

O Francis Raoul Auguste

Coupable de remise de contrat non conforme au client - démarchage a domicile ou dans un lieu non commercial, courant 1994, à Villecresnes et territoire, infraction prévue par les articles L. 121-28, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-21 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 121-28 du Code de la consommation

W Peter Karl

Coupable de remise de contrat non conforme au client - démarchage a domicile ou dans un lieu non commercial, courant 1994, à Villecresnes et territoire, infraction prévue par les articles L. 121-28, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-21 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 121-28 du Code de la consommation

Et par application de ces articles, a condamné

H Klaus à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 F d'amende,

K Maria à 2 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 F d'amende,

M Bernd à 30 000 F d'amende,

O Francis Raoul Auguste à 30 000 F d'amende,

W Peter Karl à 30 000 F d'amende.

Le tribunal a ordonné en outre à l'égard de H, Maria K, O, W et M, la publication du jugement dans les Journaux "Que Choisir" et " 50 millions de Consommateurs ", aux frais communs des condamnés jusqu'à 10 000 F par insertion.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Monsieur H Klaus, le 13 novembre 1996

Mademoiselle K Maria, le 13 novembre 1996

Monsieur O Francis, le 13 novembre 1996

M. le Procureur de la République, le 14 novembre 1996 contre Monsieur H Klaus, Mademoiselle K Maria, Monsieur O Francis

Monsieur W Peter, le 15 novembre 1996

Monsieur M Bernd, le 20 novembre 1996

Monsieur M Bernd, le 3 décembre 1997

Monsieur W Peter, le 3 décembre 1997

Décision :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme

Considérant qu'il résulte des énonciations qui précèdent que les appels interjetés par Klaus H, Bernd M, Peter Karl W, Francis O, Maria K, prévenus, ainsi que par le Ministère public à l'égard de Klaus H, Maria K et Francis O, sont intervenus dans les formes et délais prévus par la loi, qu'ils seront donc déclarés recevables ;

Au fond

Considérant en substance qu'il est reproché à Klaus H, Bernd M, Peter Karl W, Francis O, co-gérants de la société X1, d'avoir commis une infraction à la loi sur le démarchage à domicile, notamment en l'espèce, en omettant, à la suite d'un démarchage par téléphone, d'adresser à Monsieur Grob ainsi qu'à 66 clients une confirmation des offres qui leur avaient été faites et de leur faire signer de leur main même les exemplaires des contrats ;

Que ce même délit est reproché à Maria K, co-gérante de la société SARL X, mais uniquement au préjudice d'une cliente Madame Meyssard;

Qu'il est reproché en outre à Klaus H, Francis O de s'être rendus coupables du délit de complicité d'abus de faiblesse commis par Monsieur Gaetter au préjudice de Monsieur et Madame Grob;

Qu'il est reproché enfin à Klaus H et Maria K de s'être rendus également coupables du délit de complicité d'abus de faiblesse commis par Monsieur Feydel au préjudice de Madame Meyssard;

Considérant que ce même délit d'abus de faiblesse était reproché à Messieurs M et W, qu'ils ont bénéficié d'une décision de relaxe des premiers juges, que le Ministère public n'ayant par interjeté appel à leur encontre, la décision est donc devenue définitive à leur égard de ce chef;

Considérant qu'il résulte de la procédure et des débats d'audience que le 8 décembre 1995, la Direction Départementale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes du Val de Marne transmettait au Parquet de Créteil des procès verbaux de délits concernant les sociétés X, co-gérée par Monsieur Klaus H et Maria K, et X1, co-gérée par Messieurs H, W, O et M, établis à la suite de plaintes de particuliers à l'encontre de ces deux sociétés, l'une émanant de Monsieur Gromier, demeurant à Quimperlé, l'autre de Madame Gromier demeurant dans les Bouches du Rhône ;

Que dans sa plainte Monsieur Guillou exposait que son beau-père Monsieur Grob, âgé de 84 ans, qui n'était plus capable de régler les problèmes de la vie courante, avait été démarché par téléphone à son domicile par Monsieur Gaetter René, représentant de la société X1, et qu'il avait effectué une commande de douze bouteilles de vin de pays d'Oc pour un montant de 592 F ;

Qu'également Madame Gromier, exposait dans sa plainte que sa tante Madame Meyssard, avait passé plusieurs commandes de vin par téléphone auprès de la société X, l'une quinze jours avant son décès et une autre postérieurement ; qu'elle précisait qu'en tout état de cause, l'état mental de Madame Meyssard, ne lui permettait pas de faire face à ce genre de situation et qu'il était aisé de lui faire signer n'importe quel chèque ;

Considérant que l'enquête menée par la Direction Départementale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes du Val de Marne, établissait que les deux sociétés X et X1, dont le siège social est respectivement situé à Saint Etienne de Lisse (33), et à Vougeot, leurs sièges administratifs étant installés à la même adresse à Fontenay sous Bois jusqu'à juillet 1994, puis à partir de cette date à Neuilly Plaisance, exerçaient une activité de vente de vin, quasi-exclusivement par voie de démarchage, soit téléphonique, soit par visite à domicile et ce par l'intermédiaire de VRP, répartis sur tout le territoire national ;

Que le mode opératoire utilisé par lesdites sociétés consistait dans la majeure partie des cas :

- à contacter téléphoniquement les clients aux fins de recueillir des commandes,

- à leur adresser ensuite une lettre de confirmation avec le bon de commande correspondant composé de deux feuillets, le retour d'un exemplaire de la commande signée de la main du client n'étant pas requis, le client ayant la faculté d'annuler sa commande au moyen du bon de rétractation figurant au double du bon de commande,

- à livrer enfin la marchandise aux clients qui devaient alors apposer leur signature sur le bon de livraison, ladite signature valant confirmation de la commande selon les vendeurs, à défaut de signature la marchandise était reprise par le livreur ;

Que les inspecteurs relevaient à titre d'exemple, lors de leur visite dans les locaux de la société X1, que le classeur du 19 janvier 1994 au 27 février 1994 comportait 430 bons de commande non signés, rédigés après commandes téléphoniques et 17 bons de commande signés, rédigés au cours d'une visite à domicile ;

Qu'ils se faisaient remettre la copie de 66 bons de commande non signés et demandaient ensuite la communication des factures correspondantes ; qu'il leur était alors transmis par courrier 66 bons de livraisons valant facture après acceptation de la marchandise, ce qui confirmait à leurs yeux la réalité des ventes effectuées à partir de bon de commande non signés ;

Considérant que Monsieur Jean-Claude Farge, employé comme VRP par la société X a précisé lors de l'enquête de police, " qu'une liste d'anciens clients lui avait été remise ; qu'il devait prendre contact téléphoniquement avec eux pour leur demander s'ils avaient besoin de vins ou autres produits ; que dans l'affirmative il remplissait lui-même un bon de commande et à la place de la signature mettait "accord téléphonique"; qu'il adressait ensuite le double de ce bon de commande aux clients, l'autre partie étant remise au responsable du secteur ;

Considérant que les prévenus concluent à l'infirmation du jugement entrepris tant sur le délit de démarchage illicite, que sur celui de complicité d'abus de faiblesse ; qu'ils font valoir d'une part que la façon de procéder par leurs sociétés est conforme à la réglementation sur la vente par téléphone telle que prévue par les articles L. 121-27 et L. 121-16 à 19 du Code de la consommation que le législateur n'a prévu aucun formalisme particulier applicable au bon de confirmation, la seule exigence étant l'écrit ; que de ce fait la remise du bon de livraison signé par le client, vaut bon de confirmation, et d'autre part, qu'ils avaient mis tout en œuvre auprès des VRP pour qu'ils soient attentifs (insertion dans leur contrat d'une clause de responsabilité, référence au délit d'abus de faiblesse), et avaient donné instruction aux chefs d'agence afin d'assurer au mieux la protection du consommateur ; que la rémunération des VRP à la commission ne suffit pas à les rendre complices des agissements de ces derniers ;

Ceci étant exposé

- Sur le démarchage à domicile illicite :

Considérant qu'il est de jurisprudence constante que le démarchage à domicile entre également dans les prévisions de la loi lorsqu'il a été effectué à la demande d'un éventuel client, intéressé par une publicité, ou a été accepté au préalable par ce dernier ou a été précédé d'une entrevue ou d'un appel téléphonique n'ayant entraîné aucun engagement de la part de l'intéressé ;

Considérant que le mode opératoire utilisé par les sociétés des prévenus pour vendre des marchandises à des particuliers, selon lequel les clients étaient contactés une première fois par téléphone, sans aucun engagement écrit de leur part, puis recontactés une seconde fois à leur domicile lors de la remise des marchandises et signature d'un bon de livraison, constitue un démarchage à domicile précédé d'un appel téléphonique ; qu'en effet ce système ainsi mis en place avait pour but pour les prévenus, de créer une confusion dans l'esprit des consommateurs, afin de leur laisser croire faussement qu'ils agissaient dans le cadre d'une vente à distance, et ainsi d'éluder la loi sur le démarchage à domicile et de les priver plus particulièrement de leur faculté de rétractation pendant sept jours après la conclusion du contrat de vente dament signé de leur main;

Considérant d'ailleurs que les prévenus ne s'y sont pas trompés, puisqu'il était joint au bon de commande, non signé du client, le bon de rétractation utilisé dans les ventes à domicile ;

Considérant dès lors que la loi sur le démarchage à domicile s'applique, entraînant notamment l'obligation de conclure un contrat signé et daté de la main même du client, auquel est joint un bon de rétractation ; qu'il est constant que Madame Meyssard et les époux Grob, ainsi que les 66 autres clients répertoriés par la Direction de la Répression des Fraudes n'ont pas signés un tel contrat lors de la vente opérée à leur domicile ; que cette obligation incombe aux dirigeants des sociétés pratiquant une telle méthode de vente ; qu'il est manifeste en l'espèce que ce démarchage à domicile précédé d'un appel téléphonique était une pratique commerciale systématique utilisée par les sociétés X et X1 ; que dès lors est établi à l'encontre de l'ensemble des prévenus le délit de démarchage illicite ; qu'en conséquence la cour confirmera le jugement entrepris sur ce point ;

- Sur le délit de complicité d'abus de faiblesse commis par Maria K Klaus H et Francis O :

Considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont estimés non établi le délit de complicité d'abus de faiblesse reproché aux deux prévenus; qu'en effet il ne résulte pas des éléments du dossier que Maria K, Klaus H et Francis O aient délibérément conçu ce système aux fins de pousser leurs représentants à abuser de la faiblesse d'une partie de la clientèle, et qu'en tout cas, ils l'aient fait " sciemment " au sens de l'article 121-7 du Code pénal ; qu'en conséquence il convient de confirmer le jugement entrepris sur ce point ;

Considérant que les premiers juges ont fait une exacte application de la loi pénale à l'égard de Francis O, Karl W, Bernd M, délinquants primaires ; qu'à l'inverse Klaus H et Maria K qui ont déjà été condamnés pour des faits similaires verront leur peine aggravée par la cour ;

Considérant qu'à titre de peine complémentaire il convient d'ordonner la publication de la présente décision dans les journaux " France Soir" et " 60 millions de consommateurs" aux frais communs des prévenus jusqu'à concurrence de 10 000 F par insertion;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant, publiquement, contradictoirement et en second ressort. En la forme Reçoit les appels de Klaus H, Maria K, Francis O, Peter Kart W, Bernd M, prévenus et du Ministère public. Au fond Confirme le jugement déféré sur la décision de relaxe à l'égard de Maria K, Klaus H et Francis O concernant le délit de complicité d'abus de faiblesse ; Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité du chef de démarchage illicite à l'égard de Klaus H, Maria K, Peter Karl W, Bernd M et Francis O; Confirme le jugement déféré sur le prononcé de la peine en ce qui concerne Peter Karl W, Bernd M et Francis O; L'infirme en ce qui concerne Maria K et Klaus H ; Condamne Maria K à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et cent mille francs d'amende (100 000 F) ; Condamne Klaus H à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et cent mille francs d'amende (100 000 F) ; Ordonne la publication du présent arrêt par extraits, dans les journaux "France Soir", "60 millions de consommateurs", aux frais communs de l'ensemble des condamnés, jusqu'à 10 000 F par insertion. Dit qu'il pourra être recouru, dans les formes de droit, à l'exercice de la contrainte par corps pour le recouvrement des amendes. Le tout en application des articles L. 121-21, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-28 du Code de la consommation, 132-29 du Code pénal, 473, 512, 749 et suivants du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont redevable chaque condamné. - Droits fixes de procédure soumis aux dispositions de l'article 1018 A du Code général des impôts.