CA Agen, ch. corr., 9 avril 1997, n° 96-00438
AGEN
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lebreuil
Conseillers :
MM. Bastier, Treilles
Avocat :
Me Cambon
Rappel de la procédure:
Jugement:
Le Tribunal de grande instance de Cahors, par jugement en date du 22 février 1996 a dans les poursuites suivies à l'encontre de:
L Jean-André du chef de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, courant 1993 à juillet 1994, à Figeac (46), infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation
Renvoyé L Jean des fins de la poursuite sans peine, ni dépens.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
M. le Procureur de la République, le 4 mars 1996 contre Monsieur L Jean-André
Décision:
Attendu que l'appel interjeté à l'encontre de la décision susmentionnée par le Ministère public a été formalisé par déclaration reçue au greffe du Tribunal de grande instance de Cahors le 4 mars 1996;
Qu'il est régulier en la forme et qu'il a été interjeté dans le délai de la loi; qu'il convient en conséquence de le déclarer recevable;
Attendu que le Ministère public requiert la réformation de la décision déférée en faisant valoir que les éléments constitutifs du délit de tromperie sont réunis à l'encontre de Jean L; qu'il requiert le prononcé d'une peine d'amende mais également la publication et l'affichage de la présente décision;
Attendu que Jean L conclut au contraire à la confirmation du jugement en faisant observer pour l'essentiel que les faits qui lui sont reprochés ne pouvaient provoquer aucune confusion dans l'esprit du consommateur, qu'il n'y a pas de présomption de fraude et que le délit de tromperie requiert un élément intentionnel qui en l'espèce fait défaut;
Sur quoi
Attendu qu'il résulte du dossier et des débats que le 15 septembre 1994 deux agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes se sont présentés à Figeac dans les locaux de la SA X dont le prévenu est le dirigeant afin de vérifier l'exactitude de la dénomination de vente "magret" apposée sur les marchandises vendues à l'état frais ou congelé mais aussi dans la liste des ingrédients;
Que leurs investigations leur ont permis de découvrir que du 1er janvier 1993 au 1er juillet 1994 Jean L avait acheté en Hongrie sous la dénomination de filet d'oie ou de filet de canard plus de cent tonnes de marchandises qu'il avait revendues pour environ 35 tonnes sous la dénomination de magret et pour le surplus sous forme de plats cuisinés dénommés " croustade de magret ", " tournedos de magret ", ou encore " terrine de magret ";
Que l'examen auquel il a été procédé a permis de relever:
- que, par exemple, dans les terrines de magret ou dans les tournedos de magret de canard cuit on ne trouvait que de l'aiguillette de canard et non du magret comme annoncé,
- que dans la liste des ingrédients figurait l'indication " magret d'oie " ou " magret de canard " alors que la viande mise en œuvre était soit du filet soit de l'aiguillette;
- que le 31 juillet 1994 la SA X avait en stock 5,2 tonnes de marchandises qualifiées de " magret d'oie sans peau " et 14,7 tonnes de " magret de canard sans peau "
Attendu que c'est dans ces conditions que Jean L a été cité devant le Tribunal correctionnel de Cahors pour avoir à Figeac courant 1993 et du 1er janvier au mois de juillet 1994 trompé toute une série de cocontractants sur la nature, les qualités substantielles, et la composition de marchandises vendues sous la dénomination de " magret "ou comprenant du magret en tant qu'ingrédient;
Attendu que le tribunal l'a renvoyé des fins de la poursuite sans peine ni dépens aux motifs essentiels
1°) que la dénomination utilisée de " magret sans peau " n'était pas de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du consommateur et que tout au contraire l'utilisation du terme filet préconisé par l'administration pourrait aboutir à cette confusion puisque ce terme, en tous cas dans le langage de la profession, concerne la viande de volaille non engraissée alors que le vocable " magret " pour les professionnels comme pour les consommateurs, désigne la partie maigre de la poitrine des canards ou des oies engraissés;
2°) que la commercialisation de plats cuisinés fabriqués à base de magrets sans peau ou d'aiguillettes de canards n'était pas non plus une tromperie dès lors que le consommateur qui achète ce type de produits s'attend à trouver une préparation à base de viande plus que de peau ou de graisse et que la qualité substantielle de tels produits c'est d'être préparés avec une viande de canard gras;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 2 du décret du 18 février 1986 la dénomination " magret " ou " maigret " est réservée aux muscles de la masse pectorale constituant le filet prélevé sur un canard ou sur une oie engraissé par gavage en vue de la production de foie gras;que le magret ne comprend pas le muscle de l'aiguillette etqu'il doit être présenté avec la peau et la graisse sous cutanée le recouvrant;qu'enfin la dénomination " magret " ou maigret" doit être complétée par le nom de l'espèce animale dont le produit est issu;
Et attendu qu'il est certain dans le cas d'espèce que les produits vendus par Jean L ne respectaient pas cette réglementation, spécialement en ce qu'elle prévoit que le magret ne comprend pas le muscle de l'aiguillette et qu'il doit être présenté avec la peau et la graisse sous cutanée le recouvrant;
Que l'élément matériel du délit de tromperie est dès lors caractérisé,étant observé que la dénomination " filet ", au demeurant retenue par l'exportateur Hongrois était la seule qui pouvait être utilisée et que l'utilisation par le prévenu de l'appellation " magret " dont il est évident qu'elle est beaucoup plus attractive pour le chaland que celle d"' aiguillette " ou de " filet " était susceptible de créer un risque de confusion dans l'esprit d'un consommateur peu averti pour lequel il s'agissait d'une qualité substantielle;
Que Jean L en sa qualité de professionnel ne pouvait pas ignorer que ses produits n'étaient pas conformes à la réglementation et qu'ils ne pouvaient pas prétendre à l'appellation de magret;que l'élément intentionnel du délit de tromperie est d'autant plus caractérisé que tous les documents d'importation mentionnaient le terme filet " et que le prévenu a sciemment modifié la dénomination de vente en lui attribuant une appellation valorisante;qu'il connaissait pourtant la différence entre un filet et un magret et qu'il avait au demeurant distingué "les magrets de..." à 33 F hors taxe le kilo et les " filets de ..." à 27F;
Attendu que Jean L s'est donc rendu coupable des faits qui lui sont reprochés, constitutifs d'une tromperie ou d'une tentative de tromperie,et qu'il doit être retenu dans les liens de la prévention; qu'il convient par application des articles L. 213-1 et L. 216-3 du Code de la consommation de le condamner à la peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 F d'amende mais aussi d'ordonner la publication du dispositif de la présente décision dans le journal " Sud Ouest " dans les termes du dispositif;
Par ces motifs: LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement par arrêt contradictoire à l'égard de Jean L et en dernier ressort, En la forme reçoit l'appel jugé régulier du ministère public, et au fond Réforme le jugement déféré et statuant à nouveau, Déclare Jean L coupable d'avoir à Figeac, courant 1993 et du 1er janvier au mois de juillet 1994 trompé ou tenté de tromper ses contractants sur la nature, les qualités substantielles, la composition de marchandises vendues sous la dénomination de magret ou en tant qu'ingrédient, Et en répression le condamne à la peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 F d'amende; Dit que l'avertissement prévu par les dispositions de l'article 131-29 du Code Pénal n'a pu être donné par le président au condamné en raison de son absence lors du prononcé de la peine; Ordonne la publication du dispositif de la présente décision dans le quotidien " Sud-ouest " sans que les frais d'insertion puissent dépasser la somme de 6 000 F; Le tout en application des articles susvisés, 512 et suivants du Code de procédure pénale.