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Décisions

CA Angers, ch. corr., 4 février 1993, n° 722-92

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hamelin (Epoux), Association force ouvrière consommateur Sarthe, Union fédérale des consommateurs de la Sarthe

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvel

Substitut :

général: M. Bruneau

Conseillers :

MM. Gauthier, Lemaire

Avocats :

Mes Miro, Villeneuve, Thebaut-Delale, Fougeray-Grouas.

TGI Le Mans, ch. corr., du 26 mars 1990

26 mars 1990

LA COUR,

Le prévenu Pierre R, sur le tout, et le Ministère public, en ce qui le concerne, ont interjeté appel d'un jugement du Tribunal correctionnel du Mans du 15 juin 1992, qui pour tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, a condamné Pierre R à la peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant trois ans, et à une amende de 10 000 F, a reçu la constitution de partie civile des époux Hamelin, de l'Association force ouvrière des consommateurs de la Sarthe (AFOC) et de l'Union fédérale des consommateurs de la Sarthe (UFC), a déclaré Pierre R entièrement responsable du préjudice subi par les époux Hamelin, l'AFOC, et l'UFC, et l'a condamné à payer:

- aux époux Hamelin, outre une somme de 126 353,41 F à titre de dommages-intérêts, une somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- à chacune des associations de consommateurs AFOC et UFC 72, outre une somme de 800 F à titre de dommages-intérêts, une somme de 400 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

et dit que les sommes allouées à titre de dommages-intérêts produiraient intérêts au taux légal à compter du jour du jugement.

Régulièrement cité, le prévenu est présent, assisté d'un conseil qui dépose des conclusions. Il sollicite, la relaxe en raison de l'absence d'élément matériel et d'élément intentionnel de l'infraction, et une déclaration d'irrecevabilité de toutes les parties civiles.

Les époux Hamelin, partie civile, régulièrement cités, sont présents, assist d'un conseil qui dépose des conclusions. Ils sollicitent la confirmation du jugement entrepris tant sur l'action publique que sur l'action civile. Y ajoutant, ils demandent la condamnation du prévenu à leur payer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, en appel.

Régulièrement citée, l'Union fédéral des consommateurs de la Sarthe (72), partie civile, a fait parvenir des conclusions d'avocat. Elle sollicite la confirmation du jugement entrepris et, y ajoutant, demande la condamnation du prévenu à lui payer la somme de 1 000 F pour les frais irrépétibles en appel.

Régulièrement citée, l'Association force ouvrière consommateur de La Sarthe (72), partie civile, a fait parvenir des conclusions d'avocat. Elle demande la confirmation du jugement entrepris et, y ajoutant la condamnation du prévenu à lui payer la somme de 400 F pour les frais irrépétibles en appel, ainsi que la publication de la décision à intervenir dans la presse.

Le Ministère public requiert la confirmation.

Pierre R est prévenu d'avoir au Mans, courant octobre et novembre 1985, en tout cas depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, étant ou non partie au contrat, trompé Claude Hamelin sur les qualités substantielles et l'aptitude à l'emploi de la marchandise, en l'espèce, en livrant du matériel d'alarme constitué de vingt-trois "centrales Master Alarm", deux "Master télécommandés", deux télécommandes, cinquante "Master Junior", deux transmetteurs téléphoniques, inapte à assurer la fonction de détection pour laquelle il avait été vendu.

Sur l'action publique

Il résulte de la procédure et de débats les faits suivants:

Au cours des derniers mois de l'année 1985, Claude Hamelin rencontrait, dans l'hôtel d'Angers, Pierre R qui, en vue de trouver des distributeurs de matériel d'alarme, avait fait paraître une annonce dans la presse locale. Après une première démonstration au cours de cet entretien, puis un deuxième essai réalisé quelque temps plus tard au domicile des époux Hamelin, était signé le 25 octobre 1985, un contrat de distribution exclusive pour la Sarthe et l'Orne portant sur un matériel d'alarme de marque Master.

Les époux Hamelin réglaient immédiatement une somme de 40 000 F, puis une autre somme de 92 065,14 F le jour de la livraison du matériel commandé, à savoir 23 " centrales Master Alarm ", " Master télécommandes ", 2 télécommandes, 50 " Master Junior " et 2 transmetteurs téléphoniques.

Selon les explications fournies par Pierre R il s'agissait d'appareils microphoniques branchés sur le circuit électrique qui réagissaient au bruit. Le Master Alarm constituait la central d'alarme à laquelle étaient reliés des "Master Junior" équipés d'un micro et installés dans les divers emplacements de la maison à protéger.

Considérant que les différents appareils livrés ne fonctionnaient pas correctement, Claude Hamelin sur le conseil de la chambre de commerce contactait un distributeur de la place du Mans qui après avoir testé le matériel, concluait que ce dernier ne réalisait pas les performances annoncées et était incapable de réagir à des bruits ou des chocs qu'il aurait du normalement détecter.

Les démarches entreprises par Claude Hamelin pour obtenir un arrangement amiable demeuraient infructueuses, Pierre R affirmant que ce matériel, acheté auprès d'un fabriquant suisse était parfaitement fiable et qu'en réalité, les difficultés rencontrées par les époux Hamelin provenaient de leur incapacité à vendre.

Aussi, le 29 octobre 1986, Claude Hamelin et son épouse Nicole Rousset déposaient plainte avec constitution de partie civile contre Pierre R du chef d'escroquerie, et de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue.

Par ordonnance en date du 26 juillet 1980, le juge d'instruction a commis M. Mamoux en qualité d'expert chargé d'analyser les performances, la fiabilité et l'aptitude à l'emploi du matériel livré par Pierre R.

L'expert Mamoux ayant déposé son rapport, le juge d'instruction inculpait alors Pierre R du chef d'escroquerie et de tromperie sur une qualité substantielle de la chose vendue puis le renvoyait devant le tribunal correctionnel, par ordonnance du 20 juin 1989, du chef de cette dernière infraction.

Par jugement en date du 26 mars 1990 le tribunal correctionnel a déclaré l'expertise de M. Mamoux irrégulière au regard des dispositions de l'article 12 de la loi du 1er août 1905 et des articles 26 et suivants du décret du 22 janvier 1919 et, avant de se prononcer tant sur l'action publique que sur l'action civile, a organisé une expertise contradictoire au sens des textes susvisés.

L'expert Pinel, nommé par le tribunal, a constaté que l'appareil examiné exigeait des niveaux sonores très élevés pour déclencher l'alarme mais fonctionnait de manière relativement reproductible lorsqu'il n'était pas branché sur le secteur. En revanche, dès qu'il était branché sur le secteur l'appareil déclenchait sur des parasites véhiculés par le circuit d'alimentation et, au bout d'un temps relativement court, provoquait des fausses alarmes avec des bruits faibles ou même sans bruit perturbateur.

L'expert Reissner, choisi par le prévenu et nommé par le tribunal, a estimé de son côté que les appareils constituaient un matériel bas de gamme dont la fiabilité était aléatoire et la reproductibilité incertaine, notamment à une distance supérieure à 8 mètres.

Les conclusions communes et concordantes des experts sont les suivantes:

1°) certains appareils déclenchent pour des bruits relativement forts, mais pour des niveaux variant beaucoup au cours du temps, sans raison apparente;

2°) aucun dispositif ne permet de sélectionner le déclenchement en dehors du niveau global du signal;

3°) certains appareils, après un certain temps de mise sous tension, déclenchent une alarme sans qu'il y ait de bruit perturbateur;

4°) les télédétecteurs provoquent des déclenchements systématiques sans qu'il y ait de bruit;

La documentation publicitaire accompagnant le matériel prévoit que l'appareil d'une fiabilité inégalée, est en mesure de distinguer un bruit d'effraction d'autres bruits ordinaires de la vie quotidienne, du travail ou de la rue, tandis que les sondes électroniques sophistiquées préviennent tout danger de fausse alarme.

Ainsi, contrairement à ce que soutient Pierre R, le matériel vendu aux époux Hamelin est non seulement inapte à assurer de manière fiable la détection d'intrusion dans un local mais encore ne possède aucune des qualités vantées dans la documentation contractuelle.

Pierre R prétend que sa mauvaise foi n'est pas établie dès lors que, d'une part, il n'est pas l'auteur du dépliant publicitaire et que, d'autre part, sa qualité de revendeur ne lui imposait aucune obligation particulière de vérification de la marchandise importée par son propre fournisseur.

Mais s'il n'était pas l'importateur de la marchandise, Pierre R a néanmoins organisé, pour sa distribution sur le territoire français, un système assurant à ses partenaires commerciaux l'exclusivité de la revente dans le ressort d'un ou plusieurs départements.

Les époux Hamelin, qui ont réglé un droit d'entrée de 40 000 F pour faire partie de ce réseau, étaient en droit d'attendre de leur cocontractant qu'il vérifiât la conformité du matériel ainsi distribué aux prévisions contenues dans le document publicitaire.

Pierre R n'avait aucune compétence lui permettant d'apprécier les qualités du matériel vendu,ainsi qu'il résulte notamment des constatations des experts qui ne purent obtenir de lui le moindre renseignement d'ordre technique.

Par ailleurs, que Pierre R n'a exercé cette activité que pendant quelques mois seulement, de mi 1985 au début 1986, alors pourtant qu'il avait organisé un réseau de distribution exclusive et accrédité dans l'esprit de ses partenaires la permanence et le sérieux de son entreprise.

Le prévenu a donc commis, de mauvaise foi, le délit de tromperie sur une qualité substantielle de la chose vendue, peu important que le dépliant publicitaire, qu'il a fait sien, ait été édité par une autre personne.

En définitive, les agissements reprochés à Pierre R sont révélateurs d'un état d'esprit caractérisé par la recherche d'un gain rapide, au mépris des règles de loyauté commerciale; qu'il y a lieu de tenir compte de cette considération dans l'application de la loi pénale.

Dès lors, adoptant les motifs pertinents du premier juge, la cour confirmera le jugement entrepris tant sur la déclaration de culpabilité, que sur la peine qui a été bien appréciée.

Sur la demande de publication présentée par l'AFOC de la Sarthe

En raison de l'absence d'antécédents judiciaires du prévenu, la cour ne fera pas droit à cette demande qui lui parait inopportune.

Sur l'action civile

Le premier juge ayant correctement apprécié la réparation du préjudice des parties civiles sera également confirmé sur l'action civile par adoption de motifs identiques.

Sur les fais irrépétibles réclamés par les parties civiles en cause d'appel

La cour, considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des parties civiles les frais irrépétibles qu'elles ont du engager en cause d'appel, condamnera le prévenu à payer sur ce fondement la somme de 2 000 F aux époux Hamelin et de 400 F à chacune des associations de consommateurs.

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions pénales et civiles, Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à publication du présent arrêt, Condamne le prévenu à payer aux époux Hamelin la somme de deux mille francs (2 000 F), à l'UFC de la Sarthe et à l'AFOC de la Sarthe la somme de quatre cent francs (400 F) à chacune sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Le Condamne, en outre, aux dépens et aux frais, Ainsi jugé et prononcé par application des articles 1 de la loi du 1er août 1905, 6, 7, 11-6 de la loi du 1er août 1909, 473, 475-1 du Code de procédure pénale.