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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 28 mars 2002, n° 00-03199

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bécheret (ès qual.), LVP Partner's (SARL)

Défendeur :

Défi France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Canivet

Conseillers :

MM. Raffejeaud, Dragne

Avoués :

SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Lissarague-Dupuis & Boccon-Gibod

Avocats :

Mes Besson van Veeren, Racine.

T. com. Paris, du 26 oct. 1998

26 octobre 1998

Par arrêté du 4 septembre 1998, la Ville de Paris a mis en demeure la société LVP Partner's de déposer la bâche publicitaire "Nissan" qu'elle avait installée sur un immeuble sis à Paris 8e en bordure du boulevard périphérique.

Par jugement du 15 avril 1999 le Tribunal administratif de Paris a rejeté le recours formé par la société LVP Partner's contre cet arrêté.

Par ordonnance de référé du Président du Tribunal de commerce de Paris du 26 octobre 1998, signifiée le 29 octobre 1998, la société Défi France a obtenu condamnation de sa concurrente la société LVP Partner's à déposer cette bâche publicitaire sous astreinte de 200 000 F par jour de retard à compter du 3e jour suivant le prononcé de cette ordonnance et s'est réservé le pouvoir de liquider cette astreinte.

Par arrêt du 16 décembre 1998 la Cour d'appel de Paris a confirmé cette condamnation en faisant courir l'astreinte à l'expiration d'un délai de 48 heures suivant la signification de l'ordonnance.

La bâche litigieuse n'a été déposée que le 7 décembre 1998.

Par ordonnance de référé du 29 décembre 1998, le juge des référés a liquidé l'astreinte à la somme de 1 500 000 F.

Le 12 février 1999, la société LVP Partner's a assigné la société Défi France devant le Tribunal de commerce de Nanterre aux fins de voir juger qu'elle avait installé la publicité litigieuse dans le respect de la réglementation en vigueur, de dire non fondée l'astreinte définitive liquidée par l'ordonnance du 29 décembre 1998, et de condamner la société Défi France à lui payer la somme de 1 500 000 F à titre de dommages-intérêts du fait d'actes de concurrence déloyale.

Le 15 février suivant elle a fait assigner la même société Défi France aux fins de la voir condamner à retirer la publicité Auchan installée sur la Tour Pleyel à Saint Denis, sous astreinte de 300 000 F par jour de retard, et à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêt.

Le 16 février elle a à nouveau assigné la société Défi France aux fins de la voir condamner à retirer la publicité Philips installée quai Alphonse Gallot à Boulogne, sous astreinte de 300 000 F par jour de retard, et à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts.

Me Bécheret ès qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la société LVP Partner's, prononcée par jugement du 7 septembre 1999, a repris l'instance.

Par jugement du 8 février 2000, le Tribunal de commerce de Nanterre a jugé mal fondée l'exception d'irrecevabilité de l'action de Me Bécheret ès qualités, qu'il était établi que la bâche publicitaire d'une surface de 1800 m² installée par la société LVP Partner's contrevenait aux dispositions du décret du 21 novembre 1980 prévoyant que dans les villes de plus de 10 000 habitants la publicité lumineuse apposée sur un mur ne peut excéder 16 m²; que la société Défi France était en droit d'agir pour faire cesser le trouble illicite causé par ces agissements qui lui avaient fait perdre son client Nissan; que la liquidation de l'astreinte à la somme de 1 500 000 F était justifiée; qu'il n'était pas juge de la régularité des autorisations administratives délivrées à la société Défi France pour les publicités Auchan et Philips; que la preuve d'actes de concurrence déloyale de la société Défi France n'était pas rapportée.

Il a en conséquence débouté Me Bécheret ès qualités de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Défi France la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Appelante, la société LVP Partner's maintient que l'assignation en référé de la société Défi France avait pour but de lui nuire et d'éliminer toute concurrence risquant d'entraver sa situation de quasi-monopole sur le marché publicitaire en région parisienne; que c'est manifestement à cette fin de dénigrement qu'elle avait dénoncé la procédure à la société Nissan.

Elle conteste avoir violé la réglementation en vigueur, affirmant que la loi du 29 décembre 1997 et ses décrets d'application ont été pris avant l'apparition des bâches de très grand format sur le marché; qu'alors même qu'elle n'était tenue que d'effectuer une déclaration, elle a sollicité une autorisation administrative, prenant ainsi toutes les précautions pour éviter tout litige; que la société Défi France met elle-même en place des bâches de formats similaires; qu'elle ne justifie pas de la perte du client Nissan, lequel n'avait pas renouvelé le contrat qui le liait à la société Défi France depuis 6 ans.

Elle soutient que la décision entreprise fait fi de la liberté du commerce; qu'aucun comportement déloyal ne peut lui être reproché.

Que le non-respect de la réglementation pouvait justifier la mise en demeure de la mairie de Paris mais non l'action judiciaire de la société Défi France, qui n'a pas vocation à faire respecter cette réglementation.

Elle souligne que l'astreinte administrative n'était que de 519 F par jour, alors que celle prononcée par le juge judiciaire a été liquidée sur la base de 50 000 F par jour; que la bâche était déjà déposée lors de cette liquidation d'astreinte.

Elle maintient que les publicités lumineuses Auchan et Philips constituent à son encontre des actes de concurrence déloyale, dès lors qu'elles contreviennent également à la réglementation en vigueur; que l'autorisation administrative dont se prévaut la société Défi France pour la publicité Auchan est relative à une autre enseigne, qu'en tout état de cause le courrier du 4 janvier 1988 de la mairie de Boulogne au Préfet des Hauts-de-Seine ne constitue pas une telle autorisation, mais révèle au contraire une infraction dont le maire dit ne voir aucun inconvénient à ce qu'elle soit maintenue, que n'ayant demandé aucune autorisation pour ces enseignes la société Défi France ne peut prétendre avoir obtenu ces autorisations.

Affirmant qu'il n'est pas demandé de juger de la légalité d'autorisations administratives mais du point de savoir si ces deux publicités sont constitutives d'actes de concurrence déloyale, eu égard à la réglementation en vigueur, elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, de supprimer l'astreinte provisoire liquidée par l'ordonnance du 29 décembre 1998 ou de dire qu'elle ne pourra produire effet, de dire que la déclaration de créances de la société Défi France "à la supposer recevable", n'est pas fondée, de condamner la société Défi France à lui payer deux fois la somme de 228 673,52 euros et la somme de 164 644,93 euros, à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale, d'ordonner le retrait des publicités Auchan et Philips, sous astreinte de 45 734,71 euros par jour de retard pour chacune de ces publicités, d'ordonner la publication du présent arrêt dans 4 journaux de son choix aux frais de la société Défi France dans la limite de 30 489 euros et de condamner la société Défi France à lui payer la somme de 7 622,45 euros au titre de l'article 700 du NCPC.

Intimée, la société Défi France répond que sa demande de liquidation d'astreinte était justifiée; que les conditions du trouble illicite étaient réunie; qu'elle n'a commis aucun abus de droit à le faire cesser; qu'il y a eu détournement de clientèle, l'offre "exceptionnelle" de la société LVP Partner's ayant convaincu la société Nissan de contracter avec celle-ci; qu'en tout état de cause l'apposition de l'affiche litigieuse avait pour effet de fausser le jeu de la concurrence.

Elle réfute les allégations de la société Défi France à son encontre, affirmant observer strictement la réglementation en vigueur.

Elle juge irrecevables, pour défaut de qualité à agir, les demandes de Me Bécheret ès qualités, le liquidateur ne pouvant exercer que des actions patrimoniales (en paiement, réparation d'un préjudice, nullité de certains actes afin de reconstitution des actifs de la société en liquidation judiciaire), et faisant valoir que les demandes dont s'agit en dépose d'enseignes lumineuses, n'ont aucun but patrimonial, les annonceurs bénéficiaires de ces enseignes n'ayant jamais été les clients de cette liquidation judiciaire ou de la société LVP Partner's quand elle était in bonis; qu'aucun commencement de preuve d'un quelconque dommage que pourraient causer ces publicités à la société LVP Partner's n'est apporté, d'autant que la société LVP Partner's n'existe plus et n'a aucune activité; que les mesures demandées ne seraient pas de nature à permettre une extinction du passif.

Elle rappelle que le juge civil ne peut apprécier la légalité d'un acte administratif individuel; que les deux enseignes lumineuses ont bénéficié d'autorisations administratives, qu'aucun préjudice n'est né de l'installation de ces enseignes, les sociétés Auchan et Philips n'étant pas clientes de la société LVP Partner's.

Elle demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Me Bécheret ès qualités de ses demandes, de l'infirmer en ce qu'il a dit recevable la reprise des actions des 15 et 16 février 1999 tendant à la dépose des publicités Auchan et Philips, de dire ces demandes irrecevables, et de condamner Me Bécheret ès qualités à lui payer la somme de 4 573,47 euros au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'à payer une amende civile de 1 524,49 euros.

Considérant que, comme l'a dit à bon droit le tribunal, l'action de Me Bécheret ès qualités apparaît recevable au moins en ce qu'elle tend à obtenir réparation du préjudice qui serait né d'actes de concurrence déloyale commis par la société Défi au détriment de son administrée;

Considérant sur les griefs de concurrence déloyale dont se serait rendue coupable la société Défi France à l'encontre de la société LVP Partner's en poursuivant la dépose de l'affiche Nissan litigieuse, que les premiers juges ont estimé à raison que la société Défi France avait intérêt, et était de surcroît fondée, à intenter cette action, dès lors que l'affiche en cause, dont il est établi et jugé que, du fait de ses dimensions, elle contrevenait à la réglementation en vigueur, portait atteinte à ses droits et que ces agissements déloyaux et anticoncurrentiels de la société LVP Partner's lui avaient fait perdre, ainsi qu'elle en justifiait, la clientèle de la société Nissan;que le tribunal a également souligné à juste titre que la dénonciation de la procédure judiciaire en cours à cette société ne pouvait être qualifiée d'acte de dénigrement;que la société Défi France pouvait s'estimer fondée à informer cette société de ce que les conditions particulièrement attractives qui lui avaient été consenties par la société LVP Partner's enfreignaient les règles imposées aux sociétés concurrentes;

Considérant qu'étant établi et d'ailleurs non contesté que la société LVP Partner's a laissé s'écouler un délai de plus d'un mois avant de satisfaire aux dispositions de l'ordonnance de référé du 26 octobre 1998, exécutoire par provision et confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 décembre 1998, lui faisant injonction sous astreinte de déposer l'affiche précitée dans les 48 heures suivant la signification de cette ordonnance, Me Bécheret ès qualités est mal fondée à critiquer la liquidation par le juge des référés de l'astreinte à la somme de 1 500 000 F; que comme l'a relevé le tribunal, ce montant est largement inférieur à celui de 6 MF auquel cette liquidation aurait pu être faite; qu'il n'est justifié d'aucune circonstance qui permettrait de réduire cette somme, étant au contraire rappelé que la société LVP Partner's avait déjà été mise en demeure par l'arrêté de la Ville de Paris du 4 septembre 1998 d'effectuer cette dépose;

Considérant que le tribunal, qui a pertinemment rappelé que le juge civil n'avait pas compétence pour apprécier la légalité d'un acte administratif, a encore jugé à bon droit que la société Défi France justifiait d'autorisations expresses ou tacites des autorités administratives compétentes pour la mise en place de ses enseignes lumineuses Philips et Auchan, dont Me Bécheret ès qualités soutient que leur installation illégale constituerait des actes de concurrence déloyale lui causant préjudice; que constatant que ces autorisations n'avaient fait l'objet d'aucun recours, il ne pouvait que rejeter les demandes d'indemnisation de ce prétendu préjudice;

Considérant que le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions;

Considérant que la situation économique de la partie qui succombe commande de ne pas faire un nouvelle application de l'article 700 du NCPC.

Considérant que la société Défi France n'a pas qualité pour solliciter la condamnation de Me Bécheret au paiement d'une amende civile;

Par ces motifs, LA COUR, - Confirme le jugement entrepris, - Rejette toutes autres demandes - Condamne Me Bécheret ès qualités aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP Lissarrague-Dupuis & Boccon-Gibod, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.