CA Angers, ch. soc., 7 juin 2001, n° 99-2071
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Na Pali (SA)
Défendeur :
Lepage
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Guillanton
Conseillers :
MM. Jegouic, Guillemin
Avocats :
Mes Picot, Sultan.
La société Na Pali a engagé Monsieur Bernard Lepage le 13 février 1995 en qualité de représentant multicarte avec le bénéfice du statut de VRP et une affiliation à la CCVRP.
Monsieur Lepage a exercé en cette qualité jusqu'au 1er septembre 1995, date à laquelle tout en poursuivant les mêmes activités, la société Na Pali lui a fait souscrire un contrat "d'attaché commercial".
L'article 1 du contrat stipule que:
"L'attaché commercial sera chargé d'assurer la commercialisation des collections qui lui seront confiées par la société auprès de la clientèle existante, mais devra également créer une nouvelle clientèle selon des instructions précises qui lui seront données à cet effet."
L'article 4 dispose que l'attaché commercial sera rémunéré sur la base d'un fixe et de commissions sur les ventes directes et indirectes.
L'article 9 stipule une clause de non-concurrence d'une durée de deux années sur le secteur confié au cours des dix-huit mois précédant la rupture du contrat.
L'article 2 stipule: Il a été décidé d'affecter à chaque collection en particulier un secteur déterminé. L'attaché commercial se verra attribuer une collection et le secteur économique correspondant...
La direction se réserve la possibilité de modifier le secteur géographique de chaque collection... et une totale liberté au niveau de l'attribution des collections.
L'attaché commercial n'aura aucune exclusivité tant au niveau des secteurs que des collections.
Le 21 novembre 1996, l'employeur a fait souscrire à Monsieur Lepage un avenant ayant pour objet de "confirmer que le taux de commission est forfaitaire et qu'il inclut par voie de conséquence l'indemnité de congés payés et que les parties conviennent expressément de considérer qu'il en est ainsi depuis la date d'embauche du salarié."
Au mois de février 1995, Monsieur Lepage s'est vu confier la commercialisation des deux collections "enfant" et "femme" distribuées sous la dénomination "boys" pour les enfants et "Roxy" pour les femmes.
Monsieur Lepage a créé une clientèle sur la moitié nord de la France.
Au mois de février 1996, la SA NAPALI a adressé une lettre d'objectif à Monsieur Lepage précisant les collections (Roxy - KINDS - accessoires) et les secteurs correspondant qui lui sont attribués.
Le 11 juin 1996, par une "lettre d'objectif", la société Na Pali décidait de réduire son secteur d'activité, tout en lui confiant la totalité des collections "Roxy" et "boys" et accessoires printemps été 1997 avec les accessoires sur la Basse et la Haute Normandie ainsi que la Picardie.
Le 29 janvier 1997, la société Na Pali confirmait à Monsieur Lepage le maintien de son secteur et l'attribution de la totalité des collections "Roxy" et "boys" et accessoires automne-hiver 1997.
Le 11 août 1997, Monsieur Lepage recevait une nouvelle lettre d'objectif comportant des modifications significatives des collections et des secteurs pour la campagne de vente à venir.
Le 16 février 1998, la société Na Pali maintenait à Monsieur Lepage la représentation des collections "Roxy" et "boys" sur l'intégralité du précédent secteur.
Enfin, le 9 juillet 1998, l'employeur décidait de lui retirer la totalité des collections "Roxy" (femmes) printemps-été.
Dans le même temps, la société Na Pali lui fixait un objectif de 6,9 millions dans le réseau "détaillant", alors que précédemment pour les deux collections l'objectif avait été fixé à 5,7 millions (collection hiver) et 3,9 millions (pour la collection été 1998).
Monsieur Lepage a refusé cette modification et par lettre du 4 août 1998, a déclaré qu'il ne pouvait accepter que son contrat subisse en permanence des modifications au gré de la société.
Il précisait: "J'estime qu'un contrat doit être exécuté de bonne foi et que je ne dois pas subir de façon injustifiée des modifications qui entravent le bon déroulement de ma carrière et ce, alors même que j'ai fait preuve de mon efficacité et de mon dévouement dans la société Na Pali".
Il ajoutait: "J'ai toujours prospecté et démarché la clientèle pour la fidéliser et la développer..., mes résultats prouvent que mon activité a été efficace puisque le chiffre d'affaires a été développé de façon très significative de l'ordre de plus de 500 %."
En conséquence, Monsieur Lepage demandait à son employeur de le rétablir dans ses droits et de lui remettre la collection "Femme". Il invoquait également le non-paiement des congés payés sur les commissions.
Le 24 août 1998, la société Na Pali a opposé une fin de non-recevoir en rappelant à Monsieur Lepage que l'entreprise se réservait la faculté de modifications, tant au niveau de l'attribution des collections que des secteurs correspondants.
Le 1er septembre 1998, Monsieur Lepage a pris acte de la rupture du contrat aux torts et griefs de la société, fixant sa cessation effective d'activité au 5 octobre 1998.
Monsieur Lepage a diligenté une procédure devant le Conseil de prud'hommes de Laval pour faire prononcer la rupture du contrat de travail aux torts et griefs de l'employeur, demandant:
- le paiement d'une indemnité de préavis de trois mois: 90 000 F
- et les congés payés afférents: 9 000 F
- une indemnité de clientèle: 300 000 F
- des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse: 300 000 F
- un rappel de salaire à titre de congés payés pour la période du 1er septembre 1975 jusqu'à la date de cessation d'activité: 75 412,03 F
- au titre de la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence: 432 000 F
- une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement rendu le 10 septembre 1999, le conseil de prud'hommes a annulé le contrat du 1er septembre 1995 et a décidé que Monsieur Lepage devait bénéficier du statut de VRP.
Les premiers juges ont considéré que la rupture du contrat de travail de Monsieur Lepage devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et lui ont alloué:
- 90 000 F au titre de l'indemnité de préavis;
- 9 000 F pour les congés payés afférents;
- 300 000 F au titre de l'indemnité de clientèle;
- 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Na Pali a régularisé appel de ce jugement.
Elle demande à la cour de:
- rejeter les demandes adverses;
- ordonner le remboursement des sommes versées sur le fondement de l'exécution provisoire;
- condamner Monsieur Lepage au paiement de 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
De son côté, Monsieur Lepage demande à la cour de:
- déclarer autant non recevable que mal fondé l'appel formé par la société Na Pali contre le jugement du Conseil de prud'hommes de Laval en date du 10 septembre 1999;
- confirmer la décision des premiers juges qui a:
- dit que le statut appliqué à l'activité de Monsieur Lepage relève du statut de VRP;
- dit que la rupture du contrat de travail de Monsieur Lepage s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- confirmer la décision des premiers juges et la condamnation de la société Na Pali à payer à Monsieur Lepage:
- au titre du préavis de trois mois: 90 000 F
- incidence congés payés: 9 000 F
- indemnité de clientèle: 300 000 F
et ce, avec intérêts de droit au taux légal à compter du jour de la demande et en tant que de besoin à titre de dommages et intérêts compensatoires;
- recevoir l'appel incident de Monsieur Lepage et condamner la société Na Pali à lui régler:
- un rappel de salaires au titre des congés payés: 75 412,03 F avec intérêts à compter du jour de la demande;
- à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse: 500 000 F
- à titre de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence: 587 664 F
- désigner tel expert qu'il plaira à la cour, avec mission d'établir le décompte des commissions dues à Monsieur Lepage au titre des exercices 1998 et 1999 pour les ordres et les livraisons effectuées dans les magasins des Champs Elysées et de la rue de Rivoli et ce, aux frais d'expertise avancés par la société Na Pali;
- condamner enfin la société Na Pali à payer à Monsieur Lepage une indemnité de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et en tous les dépens.
Motifs de la décision
Attendu qu'il convient d'ordonner la jonction des procédures inscrites sous les numéros 99-2071 et 99-2129 en raison de leur connexité.
Sur la rupture:
La rupture est intervenue du fait du refus par Monsieur Lepage de se voir retirer la commercialisation d'une collection et en raison du fait que les congés payés ne lui avaient pas été réglés sur la partie variable de sa rémunération, l'employeur maintenant sa position sur ces deux points.
Monsieur Lepage a signé un avenant le 21 novembre 1996 au terme duquel il est convenu que depuis l'origine du contrat le taux de commissions inclut l'indemnité compensatrice de congés payés.
Monsieur Lepage soutient l'irrégularité de cet avenant, tandis que l'employeur estime qu'il est valable, en l'absence de vice du consentement prouvée.
Les parties peuvent convenir d'inclure l'indemnité de congés payés dans la rémunération.
Deux conditions sont néanmoins nécessaires pour que la forfaitisation soit admise.
Il faut une convention expresse permettant d'identifier la part du salaire représentant l'indemnité de congés payés. Cette condition manque dans la convention de 1996 qui se borne à indiquer que depuis l'origine, le taux de commission inclut les congés payés.
La seconde condition posée fait obstacle à ce que la forfaitisation ait un effet moins favorable pour le salarié que sans forfaitisation.
Dans la situation d'espèce, en l'absence à l'origine, de toute convention particulière, le salarié avait droit aux congés payés sur les commissions.
La situation résultant de la forfaitisation est plus défavorable puisqu'il n'y a aucune augmentation corrélative du taux global des commissions.
La renonciation rétroactive, sous couvert d'interprétation, à des droits déjà nés au titre de la législation, sans aucune contrepartie, n'est pas opposable au salarié.
Il s'en suit que la convention de 1996 est nulle et que le salarié a droit au rétablissement de sa situation en matière de congés payés sur commissions.
Il doit être fait droit à la demande de rappel de salaires depuis le début du contrat, ce qui correspond à une créance de 75 412,08 F avec intérêts au taux légal du jour de la demande.
L'inexécution fautive par l'employeur de ses obligations en matière de salaire justifie que la rupture soit prononcée à ses torts et griefs, ce qui a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il convient d'allouer à Monsieur Lepage 220 374 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail.
Il convient également d'ordonner le remboursement par la SA Na Pali aux organismes sociaux des indemnités de chômage versées à Monsieur Lepage dans la limite de un mois.
Monsieur Lepage demande la requalification de son contrat d'attaché commercial.
Il indique que le statut légal de VRP doit lui être appliqué, ce qui motive ses réclamations au titre d'un préavis de trois mois et d'une indemnité de clientèle.
Le contrat d'agent commercial conclu comportait une clause de variation des collections et des secteurs géographiques, l'employeur indiquant qu'il entendait lier les uns et les autres pour une meilleure efficacité commerciale.
Une telle clause, dont on sait qu'elle a été appliquée, sous ses deux aspects est de nature à exclure le statut légal de VRP.
Le salarié considère que les clauses pour lesquelles l'employeur s'est réservé le droit de faire varier et au besoin de retirer les collections et les secteurs est nulle, et il fait également valoir, que dans la pratique, son activité s'est centrée sur un noyau dur de départements de l'Ouest et du Nord Ouest, nonobstant des variations en périphérie, de telle sorte que les conditions de l'article L. 751-1 du Code du travail seraient tout de même réunies.
Les clauses critiquées visent à l'imbrication des secteurs et des collections et donne la faculté à l'employeur de les attribuer aux commerciaux en fonction de la meilleure efficacité commerciale, de telle sorte qu'à chaque nouvelle collection, la répartition des secteurs et des collections est susceptible d'être remise en cause.
Les clauses de variation concernant les secteurs sont licites, puisqu'elles sont prises en compte entre autres par la jurisprudence pour faire le départ entre les situations des représentants statutaires et non statutaires.
On ne voit pas pourquoi l'élément d'imbrication des collections, ajouté, serait de nature à rendre abusive ou illicite de telle clause.
Les clauses de variabilité en cause ne peuvent donc être déclarées nulles.
Le moyen tiré de l'article 22 de la convention collective est sans portée, dans la mesure où ces dispositions ne peuvent manifestement pas s'appliquer à des commerciaux effectuant un travail itinérant de prospection.
Monsieur Lepage demande la requalification de son statut, en indiquant qu'il remplit les conditions posées par l'article L. 751-1 du Code du travail.
Monsieur Lepage indique qu'il a toujours eu un secteur constant, comportant un "socle" de départements fixe, Bretagne, Basse Normandie, Vendée Poitou, les Deux-Sèvres, Paris et Région Parisienne.
Il indique que si le Nord et l'Est lui ont été retirés ainsi que la région parisienne de façon temporaire, son activité se déroulait majoritairement dans une aire fixe, permettant de tenir pour certaine, l'existence d'un secteur, nonobstant l'existence d'une clause de modification du secteur.
Cependant, la clause comportait un double aspect qui rendait variable tant le secteur, que les collections, c'est-à-dire la clientèle à prospecter.
Il n'est pas discuté que ces deux variables ont effectivement joué alternativement ou cumulativement.
Dans ces conditions, il apparaît que la position de Monsieur Lepage s'apparente bien à celle d'un représentant salarié non statutaire.
Il n'y a pas lieu de procéder à la requalification sollicitée.
Il s'en suit que la demande au titre de l'indemnité de clientèle doit être rejetée.
En fonction de la convention collective applicable, avenants employés sur la base de la classification retenue, conforme à l'article L. 122-6 du Code du travail, Monsieur Lepage peut prétendre à un préavis de deux mois.
Il résulte des pièces versées que Monsieur Lepage a pris acte de la rupture au 1er septembre 1998 et a cessé ses activités le 5 octobre 1998.
Il est de jurisprudence établie qu'en cas de résiliation judiciaire à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur, cette situation a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié a donc droit à une indemnité de préavis de deux mois, sans que l'exécution de son propre délai-congé puisse tenir en déduction de cette indemnisation.
Il y a lieu d'allouer au salarié 60 000 F outre 6 000 F incidence congés payés.
Monsieur Lepage réclame le règlement de commissions sur des ordres passés dans les magasins des Champs Elysées et de la rue de Rivoli. Monsieur Lepage indique qu'il a pris ces commandes avant l'ouverture de ces deux magasins et que les commandes ont été livrées après sa cessation d'activité.
Il apparaît que les magasins en cause ont ouvert respectivement en novembre 1998 et en 1999, soit bien après la cessation de l'activité de Monsieur Lepage.
On ne voit pas comment des entités inexistantes ont pu passer des commandes. A tout le moins, cela demande des explications et des pièces justificatives, qui ne sont pas fournies.
Cette demande sera donc rejetée.
Sur la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence:
L'article 9 du contrat stipulait:
En cas de rupture du contrat, pour quelque motif que ce soit, l'attaché commercial s'interdit d'exercer directement ou indirectement, toute activité concurrente à celle exercée par la SA Na Pali pendant une durée de vingt-quatre mois à compter de la date de rupture du présent contrat et ce, dans le secteur qui lui aura été confié au cours des dix-huit mois précédant la rupture de son contrat de travail.
Monsieur Lepage demande une compensation financière sur la base de l'article 17 de la convention collective des VRP.
L'employeur s'oppose à cette demande en faisant valoir notamment que Monsieur Lepage s'est engagé chez un concurrent dès le 1er février 1999 et a donc violé la clause de non-concurrence - portée à son contrat.
Monsieur Lepage ne peut se prévaloir des dispositions de la convention collective des VRP, puisque le statut légal a été écarté en ce qui le concerne.
Le contrat ne prévoit aucune contrepartie financière à la clause de non-concurrence.
La convention collective des Industries de l'Habillement ne comporte aucune disposition prévoyant ou réglementant de telle clause.
Il s'en suit qu'aucune contrepartie financière n'est due, étant observé que la validité d'une clause de non-concurrence n'est pas soumise à l'existence d'une contrepartie.
Il s'en suit que Monsieur Lepage ne peut prétendre à aucune contrepartie financière, sans qu'il soit besoin d'examiner si le salarié a respecté les obligations découlant de cette clause.
Il convient de confirmer l'indemnité de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile allouée à Monsieur Lepage en première instance et de lui allouer une indemnité de même montant en appel.
Par ces motifs : Ordonne la jonction des procédures inscrites au rôle sous les numéros 94-2071 et 99-2129. Réformant le jugement entrepris, Condamne la SA Na Pali au paiement en deniers ou quittance à Monsieur Lepage de 75 412 F avec intérêts au taux légal à compter de la demande - au titre des congés payés sur commissions - de 220 374 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse; - de 60 000 F au titre de l'indemnité de préavis, outre 6 000 F au titre de l'incidence congés payés, avec intérêts au taux légal à compter de la demande. Rejette la demande d'annulation de certaines clauses du contrat du 1er septembre 1995. Déboute Monsieur Lepage de sa demande au titre de l'indemnité de clientèle. Rejette la demande tendant à voir appliquer le statut légal de VRP. Confirme le jugement en toutes ses dispositions non contraires au présent arrêt. Y ajoutant, Condamne la SA Na Pali à rembourser aux organismes sociaux les indemnités de chômage éventuellement versées à Monsieur Lepage dans la limite de un mois. Condamne la SA Na Pali au paiement à Monsieur Lepage de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en appel. Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires. Condamne la SA Na Pali aux dépens d'appel.