CA Nancy, 1re ch. civ., 28 janvier 2003, n° 99-02440
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Générali France Assurances (SA)
Défendeur :
Rottigni, Cabinet Berthemin et Lemoine (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dory
Conseillers :
Mme Tomasini, M. Jobert
Avoués :
Me Gretere, SCP Bonet-Leinster-Wisniewski
Avocats :
Mes Fessol, Buisson.
Exposé du litige:
Mme Pierrette Buffoli a déposé plainte auprès des services de Gendarmerie de Frouard pour un vol commis à son domicile, le 12 novembre 1995, et a déclaré le sinistre auprès de la SA Concorde l'assurant suivant contrat n° 5901009 Q.
La SA Concorde a refusé de l'indemniser et lui a opposé une exclusion de garantie pour inhabitation de plus de 90 jours prévue à l'article § 22 b des conditions spéciales de la police.
Par acte d'huissier en date des 26 août 1997, Mme Pierrette Buffoli a fait assigner la SA Concorde et le Cabinet Berthemin et Lemoine, son agent d'assurance, demandant au Tribunal de grande instance de Nancy de:
- déclarer abusive et, par conséquent, nulle et non écrite la clause d'inhabitation prévue au contrat,
- condamner la SA Concorde à payer les sommes de 235 389 F avec intérêts de droit à compter de la demande, au titre de l'indemnisation de son préjudice, 11 769,45 F au titre des frais d'expertise amiable, 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et injustifiée et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi que les dépens,
- à titre subsidiaire, condamner in solidum la SA Concorde et le Cabinet d'Assurance au paiement des mêmes sommes sur le fondement du manquement aux devoirs de conseil et de renseignement de l'agent d'assurance,
- le tout assorti de l'exécution provisoire.
Elle a fait valoir le caractère abusif de la clause d'inhabitation au regard de l'article L. 132-1 du Code de la consommation et de l'avis rendu par la Commission des clauses abusives le 6 décembre 1985.
Les défendeurs ont conclu au débouté de Mme Buffoli invoquant le caractère classique et la clarté de la disposition litigieuse ainsi que l'absence de valeur impérative de l'avis de la commission et l'absence de preuve d'une faute commise par eux.
Subsidiairement, ils ont contesté l'évaluation du préjudice subi par Mme Buffoli. Ils ont donc demandé aux premiers juges de:
- dire et juger qu'en application du contrat souscrit par Mme Buffoli et plus précisément de la clause d'exclusion prévue au titre B IV paragraphe 22 et 23, la garantie de la compagnie Generali France Assurances Vie (anciennement Concorde) ne pouvait être acquise.
- constater que Mme Buffoli ne rapportait nullement la preuve d'un défaut de conseil et de renseignements de la part du cabinet Berthemin et Lemoine.
En conséquence,
- débouter Mme Buffoli,
- à titre subsidiaire, dire et juger que le préjudice de Mme Buffoli ne saurait excéder 60 459 F.
Par jugement en date du 17 juin 1999, le Tribunal de grande instance de Nancy a:
- Dit que la clause § 22 b du titre B des conditions spéciales du contrat "tout en un" souscrit pas Mme Pierrette Buffoli auprès de la SA Concorde devait être déclarée abusive et réputée non écrite.
- En conséquence, condamné la Compagnie Générali France Assurances, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme Pierrette Buffoli les sommes de:
- 97 620 F au titre de l'indemnité d'assurance,
- 11 769,45 F au titre des frais d'expertise, les deux sommes portant intérêts au taux légal à compter du 26 août 1997.
- Rappelé que le Cabinet Berthemin et Lemoine est mis hors de cause pour les demandes présentées à titre subsidiaire.
- Ordonné l'exécution provisoire.
- Condamné la Compagnie Générali France Assurances à payer à Mme Pierrette Buffoli la somme de 8 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
- Condamné la Compagnie Générali France Assurances aux dépens.
- Rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires.
La Compagnie Générali France Assurances a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée au Greffe de la cour le 19 août 1999;
Mme Rottigni a également interjeté appel de cette décision à l'encontre du Cabinet Berthemin et Lemoine suivant déclaration datée et déposée au Greffe le 23 novembre 2000. Le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des procédures par ordonnance du 19 avril 2001.
Au soutien de son appel, la Compagnie Générali France Assurances argue de la validité de la clause d'exclusion et de son applicabilité au cas d'espèce. Elle fait valoir que l'absence de caractère abusif de celle-ci résulte de la prise en compte de la limitation du risque assuré dans le calcul de la prime payée par le consommateur.
Elle affirme en outre que le contrat d'assurance aurait pu être modifié ou à tout le moins, une proposition de sa part en ce sens aurait été formulée, si elle avait eu connaissance de l'éventualité d'une inhabitation prolongée du domicile de l'assurée.
Le Cabinet Berthemin et Lemoine conteste l'existence d'une faute dans l'exécution de son obligation de conseil et de renseignement; ces parties soutiennent que l'éventuel préjudice doit être évalué par rapport aux justifications produites; elles soulignent également que les frais d'expertise s'élèvent contractuellement à la somme de 5 % de la totalité des versements effectués par la compagnie.
La Compagnie Générali France Assurances et le Cabinet Berthemin et Lemoine demandent à la cour de:
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré que la clause paragraphe 22 B du titre B des conditions spéciales du contrat doit être déclarée abusive et réputée non écrite. Et statuant à nouveau:
- Dire et juger qu'en application du contrat souscrit par Mme Buffoli et plus précisément de la clause d'exclusion prévue au titre H paragraphes 22 et 23 que la garantie de la Compagnie Générali France Assurances ne saurait être acquise.
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause le Cabinet Berthemin et Lemoine.
- En tout état de cause, dire et juger, que l'indemnisation du préjudice matériel de Mme Buffoli ne saurait être supérieure à une somme de 9 216,92 euros.
- Débouter Mme Buffoli de son appel incident et de ses demandes d'indemnisation à hauteur de la somme de 35 884,82 euros.
- Dire et juger que les frais d'expertise sont pris en charge conformément au contrat à hauteur de 5 % des sommes payées par l'assuré soit une somme de 460,85 euros.
- Condamner Mme Buffoli au paiement d'une somme de 2 286,74 euros conformément à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
- La condamner aux entiers dépens.
Mme Buffoli conclut au caractère abusif de la clause litigieuse eu égard à l'essence même de l'assurance multirisques habitation à savoir la prévention du vol en cas de risque accru occasionné par l'absence de l'assuré.
Subsidiairement, elle argue du manquement de l'assureur à son devoir de conseil.
Elle demande par conséquent à la cour de:
- Confirmer le jugement entrepris en ses dispositions ayant déclarée abusive la clause litigieuse et condamné la Compagnie Générali France Assurances à réparer le préjudice subi par la concluante,
- Le réformer dans la mesure utile et:
- Condamner la Compagnie Générali France Assurances au paiement envers la concluante de la somme de 235 389 F en réparation de son préjudice outre celle de 11 769,45 F au titre des frais d'expertise amiables,
Subsidiairement,
- La déclarer recevable et bien fondée en son appel provoqué dirigé contre le Cabinet Berthemin et Lemoine
Y faire droit,
- Dire et juger que l'agent général d'assurance Cabinet Berthemin et Lemoine a failli à son obligation de conseil et de renseignement,
En conséquence.
- Le condamner in solidum avec la Compagnie Générali France Assurances à réparer son préjudice et en conséquence à payer les sommes susvisées de 235 385 F et 11 769,95 F.
- Confirmer en toute hypothèse le jugement entrepris en ses dispositions ayant condamné la Compagnie Générali France Assurances à lui payer la somme de 8 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
- Condamner la Compagnie Générali France Assurances et le Cabinet Berthemin et Lemoine in solidum au paiement d'une nouvelle indemnité de 10 000 F fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour participation aux frais irrépétibles de la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
L'instruction a été déclarée close suivant ordonnance en date du 12 septembre 2002.
Sur ce:
Vu les dernières écritures des parties en date du 31 janvier 2001 pour la Compagnie Générali France Assurances et le Cabinet Berthemin et Lemoine et du 24 octobre 2001 pour Mme Buffoli;
Attendu qu'il est constant que les conventions spéciales de la police en un" souscrite par Mme Buffoli, stipulent que sont exclues de la garantie "vol" (§ 22 b) "sauf convention contraire mentionnée aux conditions particulières, toute disparition, détérioration, destruction résultant d'un vol commis ou tenté ou d'un acte de vandalisme commis au cours d'une période d'inhabitation, alors que les locaux ont déjà été inhabités pendant 90 jours depuis le début de l'année d'assurance en cours"; et que (§ 23) "Par inhabitation, on entend l'abandon complet des locaux dans lequel ne couche pas pendant plus de trois nuits consécutives ni l'assuré, ni aucun membre de sa famille, les période d'habitation n'excédant pas trois jours n'étant pas considérées comme interrompant une inhabitation";
Attendu que force est de constater que cette clause est mentionnée en caractères très apparents sur la police et ne peut échapper à l'attention et à la lecture d'un souscripteur moyennement appliqué, alors qu'elle est intégrée dans un chapitre intitulé " IV EXCLUSIONS " en gros caractères;
Que conformément aux dispositions de l'article L. 113-1 du Code des assurances, l'exclusion est formelle et limitée en ce qu'elle définit précisément la notion d'inhabitation fixée à 90 jours par année d'assurance en cours;
Qu'elle ne peut être qualifiée d'abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation;qu'il n'apparaît pas qu'elle a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, alors que l'inhabitation temporaire d'un immeuble pendant une période égale ou supérieure à 90 jours par an est évidemment de nature à accroître substantiellement le risque assuré et par voie de conséquence à rompre l'économie du contrat au détriment de l'assureur;
Attendu que la preuve de l'exclusion incombe à l'assureur; qu'en l'espèce celui-ci se prévaut des déclarations de la fille de l'assuré qui a indiqué aux gendarmes que la maison était inoccupée depuis le mois de mars 1995, étant rappelé que le vol a été commis entre le 10 et le 12 novembre 1995 (cf l'audition de Mme Alice Buffoli);
Que l'examen des bulletins de situation de Mme Buffoli démontre que celle-ci a séjourné au CHU de Nancy du 24 au 29 juillet 1995, date à laquelle elle a été transférée a l'Hôpital Jeanne d'Arc de Toul Dommartin où elle est restée jusqu'au 4 septembre 1995, date à laquelle elle est entrée au Centre Médical de Lay-Saint-Christophe dont elle est sortie le 8 novembre 1995 pour rejoindre l'Hôpital Jeanne d'Arc qui l'a hébergée jusqu'au 22 novembre 1995;
Qu'il apparaît ainsi que les séjours hospitaliers de l'assurée dont il est constant qu'elle vivait seule, ont été ininterrompus pendant plus de 90 jours, dans la période prévue par la police;
Qu'en conséquence la preuve de l'exclusion de garantie est suffisamment rapportée;
Attendu sur l'exécution de l'obligation de conseil que celle-ci doit s'apprécier lors de la souscription de la police en novembre 1974, étant rappelé que le contrat était tacitement reconductible;
Attendu que la clause d'exclusion était claire et lisible et qu'elle ne présentait aucune difficulté particulière d'interprétation ou nécessité d'explication préalables;
Que d'autre part, il n'est pas démontré qu'en 1974, l'agent d'assurance savait ou pouvait présumer que Mme Buffoli était déjà amenée ou devait être très prochainement amenée à ne pas habiter l'immeuble assuré pendant des périodes égales ou supérieures à 90 jours et qu'il était nécessaire dans son intérêt de prévoir une stipulation contraire aux conventions spéciales;
Que dans ces conditions, aucun manquement au devoir de conseil ne peut être reproché à l'agent Lemoine;
Qu'en définitive, il y a lieu de réformer le jugement querellé en ce qu'il a fait droit aux prétentions de Mme Buffoli envers la Compagnie Generali et de rejeter l'intégralité des demandes;
Attendu que Mme Buffoli qui succombe en son recours sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel;
Qu'eu égard à sa situation économique il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la Compagnie Generali et du Cabinet Lemoine;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis hors de cause l'agence Berthemin et Lemoine;
Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris uniquement en ce qu'il a mis hors de cause le Cabinet Berthemin et Lemoine; Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau; Rejette les demandes de Mme Pierrette Rottigni veuve Buffoli; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne Mme Pierrette Rottigni Veuve Buffoli aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés directement par Maître Gretere, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.